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Les Isles Fortunées

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Anonyme
Voyages imaginaires, romanesques, merveilleux, allégoriques, amusans, comiques… (suite de la collection des Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques)
(10p. 156-210).

LIVRE QUATRIÈME.

DÉJÀ l’Aurore vermeille ouvroit les portes étincelantes du palais du soleil. Déjà les oiseaux en agitant leurs aîles humides, annonçoient par leur gazouillement le retour de la lumière. Le berger réveillé par le bêlement continuel de ses brebis impatientes, se lève, court les mettre en liberté, et les conduit sur le penchant de la colline, à travers les gazons encore humectés d’une abondante rosée. Le petit troupeau se disperse aussi-tôt au milieu des herbes fleuries, et le berger les confie à la garde seule de Mélanpe, chien fidèle et vigilant. Il retourne ensuite vers sa grotte, et trouve Bathylle occupé dans ce moment à mettre un appui, pour soutenir des branches courbées sous le poids de leurs fruits. Ils se saluent réciproquement et se donnent des marques de la plus tendre et de la plus vive amitié. Trop généreux berger, dit Bathylle, je me ressouviens que vous m’avez promis de me faire le récit des malheurs que vous avez essuyés antrefois. Daignez me raconter toutes vos aventures, rendez-vous à mon empressement satisfaites ma curiosité tandis que nous sommes seuls sous ce berceau touffu. Le lieu et l’occasion ne peuvent être plus favorables. J’ai le plus grand desir de connoître vos infortunes et de savoir par quel hasard singulier vous vous trouvez dans ces climats heureux. Le berger après s’être recueilli un instant s’exprime ainsi.

J’ai pris naissance à Corinthe, cette ville riche et puissante de la Grèce, notre patrie commune. Mon nom est Ciéobule. Né avec des passions vives et impétueuses, je me livrai dans ma jeunesse à bien des excès. Lorsque je perdis les auteurs de mes jours, j’étois dans un âge trop tendre, pour être sensible à ce malheur. Mon éducation confiée à des mains étrangères, fut entièrement négligée. Quand j’arrivai à l’époque du développement et de l’effervescence des passions, personne n’en modéra la fougue et l’emportement. N’étant arrêté par aucun frein, je franchissois tous les obstacles. Rien ne s’opposoit à mes goûts, à mes fantaisies. J’errois, je flottois au gré de mes caprices. Je ne suivois que l’impression du plaisir, et je me plongeois sans remords, comme sans retenue, dans la dissolution la plus effrenée. Héritier d’une fortune considérable, je ne trouvai, au lieu d’amis sincères, que de vils adulateurs ; et des corrupteurs infâmes, au lieu d’amis fidèles. Ils ont empoisonné la moitié de ma vie. L’infortune seule a pu me désiller les yeux, et me faire rougir de mes déréglemens.

Je passois les jours et les nuits au milieu des Festins et des plaifirs. Je ne refusois rien à l’ardeur impétueuse de mes désirs. J’étois dans l’enivrement. Malheur aux jeunes Corinthiennes, dont les charmes avoient frappé mes regards! Je mettois tout en œuvre pour corrompre leur innocence, et assouvir ma passion. Je n’épargnois pour y réussir ni soins, ni démarches, ni argent. Quelles ruses, quels détours n'aurois-je pas inventés pour dèshonorer une jeune personne ? Corinthe retentissoit du bruit de mes désordres. L’on me regardoit comme une peste publique. L’on gémissoit en secret fur ma conduite scandaleuse et personne ne s’opposoit publiquement aux progrès du mal. Cependant la contagion se répandoit dans toute la ville. Séduits, entraînés par mon exemple les jeunes Corinthiens commençoient à me prendre pour modèle. Les mères de famille me fuyoient avec horreur. Elles craignoient toujours que je ne m’introduisisse dans leur maison et que leurs filles ne devinssent les victimes malheureuses de mes intrigues et de ma passion. Malgré leurs précautions, j’eus le talent d’approcher d’une jeune beauté, l’art de lui plaire, et d’attendrir son cœur, Je lui jurai mille fois de l’aimer seule et toujours. Rassurée par mes promesses et par mes sermens, elle succomba, et eut la foiblesse de m’accorder ses faveurs. Glorieux de ce nouveau triomphe, je publiai partout, dès le lendemain, sa défaite et ma victoire. Cet événement fit beaucoup de bruit. La jeune Corinthienne étoit de la naissance la plus illustre. Elle fut anéantie à cette nouvelle. Furieuse, elle m’envoya des tablettes, dans lesquelles on lisoit sa douleur et fon désespoir, qu’elle exhaloit en ces mots terribles : monstre exécrable, que ton procédé est lâche, odieux, infâme! Que je te hais! combien je te déteste! ton nom seul me fait frisonner. Je ne veux plus fouiller ma pensée de ton ressouvenir honteux. Je t’oublie pour toujours. O moment d’erreurs et de foiblesse, que tu me couteras de larmes! mais plutôt tarissons-les. Puis-je survivre à mon dèshonneur. O douce mort, viens finir mes tourmens, et ensevelir ma honte dans un éternel oubli! homme abominable et perfide, mon ombre te poursuivra sans relâche. Ton âme atroce, en proie aux plus noires furies, sera déchirée, mais trop tard, par les plus cruels remords. Cette idée seule peut adoucir l’horreur de mes derniers momens. Déjà la mort me saisit. Déjà mes forces s’affoiblissent; un nuage épais couvre mes yeux : un froid mortel se gliffe dans tous mes membres, et ma haine est toujours la même. Mon cœur est glacé : j’expire, et mon dernier soupir est une imprécation contre le scélérat qui eut la cruauté de m’abuser, et la barbarie de divulguer ma honte... Cette infortunée périt en effet, peu de jours après, victime de mon horrible indiscrétion. Tout Corinthe la pleura. Je fus moi-même effrayé, attendri d’une mort aussi subite, aussi violente. Cette aventure funeste fit grand bruit, et mit le comble à mes infamies. La justice Divine, trop lente à me punir, fit enfin éclater sa vengeance. Puissent les malheurs que j’ai éprouvés, effrayer et corriger ceux qui mènent une vie souillée par un libertinage honteux et avilissant.

Je dissipai en fort peu de tems ma fortune. Je tombai tout-à-coup dans la plus affreuse misère ; mes faux amis se démasquèrent dans ce moment critique, s’éloignèrent promptement, et m’abandonnèrent dans la plus grande solitude. Je n’avois plus de ressources. Je fis alors de tardives réflexions ; une lumière importune vint briller à mes yeux fascinés, jusqu’à cet instant fatal. Mon repentir amer m’arracha des larmes. J’eus horreur de mes désordres passés. Le chagrin le désespoir s’emparèrent de mon ame : les remords vengeurs me poursuivoient partout : plus de relâche, plus de repos : la vie m’étoit odieuse. Je n’eus pas la force et le courage de soutenir cette épreuve terrible : je languis quelque tems, et j’essuyai une cruelle maladie. Privé d’amis, de secours, dénué de tout, ma misère étoit à son comble, et j’àllois périr, lorsque d’honnêtes citoyens touchés de compassion à la vue de ma jeunesse et de mon état déplorable, me procurèrent les remèdes et les secours propres à ma guérison, et me retirèrent des portes du trépas. Dès que mes forces commencèrent à renaître, et que mes idées devinrent plus nettes, je m’imaginai sortir d’un songe long et pénible. J’admirois l'humanité généreuse de ceux qui venoient de me secourir, sans me connoître ; je la comparois avec la conduite atroce et intéressée des amis perfides, qui avoient développé mes passions, flatté bassement mes goûts, partagé mes plaifirs, et fomenté mes vices, en dissipant mes biens. Quel contraste! Quelle différence! Ce ressouvenir humiliant empoisonnoit tous les instans de ma vie ; et je regrettois sincèrement la mort. Cependant les réflexions, les conseils, le tems, dissipèrent, quoique lentement, ces idées sombres et lugubres, et ramenèrent un peu Page:Anonyme ou Collectif - Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques, tome 10.djvu/179 Page:Anonyme ou Collectif - Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques, tome 10.djvu/180 Page:Anonyme ou Collectif - Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques, tome 10.djvu/181 Page:Anonyme ou Collectif - Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques, tome 10.djvu/182 Page:Anonyme ou Collectif - Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques, tome 10.djvu/183 Page:Anonyme ou Collectif - Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques, tome 10.djvu/184 Page:Anonyme ou Collectif - Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques, tome 10.djvu/185 Page:Anonyme ou Collectif - Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques, tome 10.djvu/186 Page:Anonyme ou Collectif - 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