Les Jeux d’Elbéquier

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LES JEUX


D’ELBÉQUIER,


NILIENE.
LES JEUX


D’ELBÉQUIER.


NILIENE.



Vincet amor patriæ.



Par Théodore DÉSORGUES.






À PARIS,


Chez les Marchands de Nouveautés.


AN VIII.

Il y a dans cette Niliene plus de vérité qu’en exige un dithyrambe ; les détails que j’ai ajouté sont assez autorisés par l’exemple de Pindare. Nous, avons essayé parmi nous avec succès ces jeux qu’il embellit tant de fois de sa lyre. Nous avons vu des généraux célèbres consacrer par leur exemple la course des chars, et aucun poëte encore n’a osé chanter nos Ergotele et nos Psaumis ; et cependant quel sujet plus inspirant que cette vaste enceinte remplie des vainqueurs de l’Europe, environés d’une foule immense de spectateurs dont le regard avide se repose sur les objets de leur tendresse et de leur admiration : C’est dans cette assemblée solemnelle que se confondent les factions rivales, et que l’envie et l’esprit de parti se taisent devant la justice, cette conservatrice des états. C’est là que l’agilité, l’adresse et la force obtiennent des prix mérités, et qu’une voix unanime s’élève pour rendre un égal hommage au génie, et à la vertu.

C’est à la poésie lyrique qu’il appartient d’animer ce vaste spectacle et de l’embellir encore. C’est la voix de la nature, ce sont ses accords toujours nouveaux, toujours variés, qui répétés à la fois par des chœurs nombreux multiplient au loin le sentiment d’un peuple entier. Qui peut mieux que ce concert universel étouffer toutes les haines, et former cet accord touchant, présage de cette paix honorable, fruit de tant de victoires. Cet essai lyrique pourra sans doute encourager des muses plus faciles ; c’est à l’amitié que j’en dois l’idée, et en lui offrant ce juste hommage il est bien doux pour moi de consacrer la mémoire d’un vieillard à qui je fus uni par les nœuds les plus étroits, homme paisible et modeste qui élevé dans une société célèbre par son amour pour les sciences et par sa haine pour le despotisme pontifical, dût à ses vertus et à ses talens l’honneur d’être envoyé dans Alep pour y porter, avec les arts consolateurs cette bienfaisante philosophie que son exemple sur-tout fit chérir d’un peuple condamné trop long-tems au dogme de l’ignorance.
LES JEUX D’ELBÉQUIER,


NILIENE.


Salut ! sœur de Délos, fille de Syracuse,
De la chaste Diane asyle harmonieux,
Salut ! belle Ortigie, où l’amant d’Aréthuse
Roule encor le tribut de ses flots amoureux :
C’est de toi que partaient ces hymnes de victoire,
Qui des enfans de Pise aiguillons généreux,
Portaient d’illustres noms au temple de mémoire,
Et versaient dans l’Olympe un parfum pour les dieux.
Héritière de tes ayeux,
La France dans son sein a recueilli ta gloire,
Et sur les bords du Nil a ramené tes jeux :
Oui, fiers de t’imiter, les chantres de la Seine,
Dans l’Égypte étonnée étalent tes lauriers ;
Ils te rendent ton cirque, et la lyre Thébaine
Ranime tes héros, tes chars et tes coursiers.

Mais plein des pompes de la Grèce
Quel songe égare mes désirs !
Et quelle aimable enchanteresse
M’enivre d’innocens plaisirs.
Est-ce l’amitié consolante
Qui vient dans mon ame brûlante

 
Épancher d’heureux souvenirs !
Viens, viens divinité chérie
Dont j’idolâtre les accens,
Si les héros de ma patrie,
Et si ses coursiers bondissans,
De la plus douce rêverie
Ont déjà captivé mes sens :
Du nœud qui le retient délivre ma cithare,
Cet ivoire mélodieux,
Qui de Therpandre et de Pindare
Essaya d’imiter le mode ambitieux,
Seule muse que je réclame,
Amitié, prête-moi ton charme bienfaiteur,
Et répands sur mes vers cette éloquente flamme
Dont ton culte embrâsa mon cœur.

Déjà sur les roses du Caire,
L’aurore avait versé le trésor de ses pleurs,
Quand de sa voix d’airain la trompette guerrière
Des beys dans Elbéquier appella les vainqueurs,
Elbéquier dont la renommée
Se plaît à publier les courses et les jeux,
Dans son cirque à jamais fameux,
Reçoit notre invincible armée,
Qui du Mekkias descend à pas tumultueux.

Là, cent colonnes éclatantes
De la triple couleur de l’étendard français,

Élevant jusqu’aux cieux leurs têtes triomphantes,
S’embellissent de nos succès,
Au milieu de ce cirque un obélisque immense,
S’environne de sept autels,
Où sont gravés les noms de ces morts immortels,
Qui des tyrans du Caire ont puni l’insolence.
Là, mêlés à l’Arabe, aux Cophte, aux Musulman,
Les fils belliqueux de la France,
Pour gage de leur alliance
À la table des droits unissent l’Alcoran,
Et par des chants nouveaux célébrant leur conquête,
Ils secondent leur Chef qui s’avance à leur tête,
Entouré du Pacha, du Mollach, du Divan,

Au sein de cette armée, honneur de l’Ausonie,
Comme un riche ornement offert à nos regards,
On voyait resplendir la famille des arts,
Qui des bords de la Seine illustre colonie,
Aux armes terribles de Mars
Venait associer les armes du génie.
Tel au sein des combats ce bouclier divin,
Pour l’enfant de Thétis animé par Vulcain,
Sur son disque éclatant présentait à la Grèce
De Flore et de Cérès la riante richesse
Et les dons de Pallas et les fruits de Sylvain.

Dans cette élite fortunée,
Bellone offre à ma vue un de ses favoris,

Qui dans ses plus beaux ans de l’épouse d’Enée
Parcourut avec moi les rivages chéris,
Que sa valeur depuis laissa dans Rome libre
De monumens pour les héros !
Maintenant des rives du Tibre
Il vole aux bords du Nil sous les mêmes drapeaux,
Atteint d’une large blessure,
Il reprend sa fidelle armure,
Et court à des périls nouveaux.
Près de lui j’apperçois un enfant du Parnasse,
Élève du Virgile et du Zeuxis français,
Formé par les leçons et d’Homère et du Tasse,
Il cherche dans la guerre un troisième succès :
Oh ! combien son ame jalouse
S’enflamme à l’aspect des guerriers.
Il fuit pour moissonner de dangereux lauriers,
Une jeune et sensible épouse.
Un luth dans une main, et dans l’autre un drapeau,
Il semble méditer un projet magnanime,
Et plein du chantre de Renau
D’un avide regard il dévore Solime.
Ô noms chers au Parnasse, à Bellone, aux amours,
Telamene, Alamon soyez unis toujours ;
Aux combats, dans les jeux, que votre ardeur rivale
Offre un illustre exemple au lointain avenir,
Et de Nisus et d’Euriale,
Retracez l’heureux souvenir.

Mais déjà l’airain de la gloire
A rassemblé tous nos héros :
Déjà dans Elbéquier la main de la victoire
Des tyrans de l’Égypte entasse les drapeaux,
Et confiant sa foudre aux filles de mémoire,
Elle vient du génie admirer les traveaux.
Ainsi qu’aux rives de l’Alphée
Dans ce Stade immortel ou des peintres rivaux,
Olympie étaloit les chefs-d’œuvres nouvaux,
De la Grèce éclatant trophée :
Tel au sein d’Elbéquier tous les arts réunis
Portent le tribut de leurs veilles,
Et son vaste contour de nos seconds Zeuxis
Offre les récentes merveilles.
Là, le pinceau fixant nos rapides succès,
De Mourad, d’Ibrahim peint la chute soudaine,
Le Nil s’embellissant des lauriers de la Seine,
Et de ses vieux palmiers couronnant les Français.
Que de faits éclatans retracés à la vue !
Que l’Arabe admira dans ces brillans essais.
D’un art nouveau pour lui l’éloquence imprévue !
Dans son illusion affrontant le hazards,
Il croit recommencer ces jeux sanglans de Mars,
Où sa valeur seconda nos Alcides,
Des ruines de Caïffa,
Il repaît ses regards avides,
Du siège d’Acre il vole au siège de Jaffa,

Du camp du mont Thabor au camp des Pyramides,
Et des tours de Rosette aux portes de Gaza.

Mais le tableau sur-tout qui ravit les suffrages,
Ce fut le tien, généreux Alamon ;
Là, ton pinceau vainqueur traça pour tous les âges
Les revers d’un autre Ilion.
Là, parmi les guerriers tu peignis Telamene,
D’Alexandrie en deuil protégeant les remparts,
De la beauté captive adoucissant la chaîne,
Et dérobant à la flâme inhumaine
Du génie outragé les chefs-d’œuvres épars.

Le vainqueur de Mourad vers Alamon s’avance,
D’un glaive étincelant il arme son côté,
Et posant sur son front le laurier mérité,
Il couronne à la fois son art et sa vaillance.
Aussitôt découvrant aux yeux
Un turban étoilé de rubis précieux,
Dépouille de Mourad, superbe récompense ;
Pour le prix de la course il l’offre à ses guerriers,
Qui déjà dans la lice avec impatience
Pressent du Nil vaincu les agiles coursiers.

Toi seul sensible Telamene,
Gardas le compagnon de tes premiers traveaux,
Dans la belle Italie, aux rives de la Seine,
Tu lui dus chaque jour des triomphes nouveaux.

Né sous le même ciel, dans les champs de la gloire,
Quatre ans il suivit tes drapeaux,
Et tu veux avec lui partager ta victoire.

Ce jour encouragé par des rivaux fameux,
Impatient du frein il dévore l’espace,
Et redoublant d’orgueil, de vitesse et de grâce,
Dans son essor audacieux,
Au signal qu’a donné la trompette guerrière,
Il franchit le premier l’importune barrière,
Et livre au rapide aquilon
Et les flots ondoyans de sa vaste crinière,
Et ces flancs généreux qu’en sa noble carrière
N’effleura jamais l’équillon.

Alamon le suit dans l’arène
Sur le fameux coursier de l’orgueilleux Hussan,
Et le pressant déjà de son humide haleine,
Il atteignoit le but de son dernier élan.
Tout-à-coup l’heureux Telamene
Le passe, et de Mourad enlève le turban.
Soudain à son ami lui-même le présente,
Et pour récompenser son pinceau généreux,
Sur le front du vaincu sa main reconnaissante
Place la dépouille éclatante
Du Memelouck ambitieux.

Alamon à ce gage applaudit d’un sourire,
La gloire et l’amitié se disputent son cœur,

Il veut les mériter, et demandant sa lyre
Dans son poétique délire,
Il chante l’hymne du vainqueur.

Enflamés par sa voix les héros de la France
Préludent dans leurs jeux à l’assaut de Bysance,
Et pensent du croissant affranchir ses remparts :
Mais avant de tenter cette illustre conquête,
Ils veulent dans Alep porter leurs étendarts ;
Ils en tracent le siège et mêlent à leur fête
Les apprêts imposans de Mars.

Ici des monts voisins une flotte nouvelle
Descend, et d’Aboukir reparant les revers,
Reçoit une élite fidelle,
Qui du Nil étonné s’élance au sein des mers.
Là, des chars inconnus le rapide miracle
Transporte dans les airs un essaim belliqueux,
L’Égyptien surpris du magique spectacle,
En bénissant Alla tend ses bras vers les cieux.
Jadis avec moins de surprise
L’Indien contempla de ces murs désolés
Ces vaisseaux Castillans qui sur la mer soumise,
Flottaient au loin, pareils à des châteaux ailés.

Mais déjà loin des murs du Caire,
Le chef de nos guerriers précipitant ses pas,
Dans les champs Tyriens a porté les combats.
Atteints du haut des cieux, sur les flots, sur la terre,

Les Musulmans partout rencontrent le trépas.
C’est vainement Alep que ton bacha superbe
De ses soldats épars ranime la valeur,
Sous la foudre et le glaive ils tombent comme l’herbe,
Qu’entasse dans nos prés la faulx du moissoneur.

Ô généreux guerriers assez dans les batailles
Vous avez conquis de succès,
Pour les justifier veillez sur ces murailles,
Où l’un des miens versa quarante ans de bienfaits ;
Au nom de ce vieillard, qui cher à l’Arabie,
Par des soins paternels éternisa sa vie,
Parez-vous dans Alep des vertus de la paix,
Fixé sur les bords de la Seine,
Je ne puis avec vous voler dans les combats,
Mais du moins par ses chants la lyre souveraine
Peut dérober vos faits à l’oubli du trépas,
Accueillez tous ma poétique offrande,
Pour votre heureux retour je forme encor des vœux,
Et répétant vos noms je tresse la guirlande
Qui doit un jour parer vos fronts victorieux.


TIMOTHÉE,


IMITATION DE DRYDEN.


Lorsqu’assis au festin du vainqueur de l’Asie,
Timothée inspirait sa noble frénésie,
Il variait toujours ses faciles accents,
Et sur des tons nouveaux il modulait ses chants.
Maître des passions sur sa lyre savante,
Il exprimait les ris, la pitié, l’épouvante,
Et d’une main rapide il touchait tour-à-tour
La corde de la gloire et celle de l’amour.
Tantôt il célébrait Bacchus et ses conquêtes,
Ses dons chers aux guerriers, son triomphe et ses fêtes ;
Tantôt de Darius retraçant les malheurs,
Des yeux du conquérant il arrachait des pleurs ;
Lui rappellait du sort l’inconstance ordinaire,
Le néant des grandeurs, leur brillante chimère ;
Et d’Alexandre ému présageant le destin,
Il semblait voir sa coupe et son dernier festin.
Dans le cœur du héros plus tendre, plus sensible,
Il inspirait alors ce sentiment paisible,
Qui tel que la nuance entre l’ombre et le jour,
N’étant plus la pitié n’est pas encor l’amour ;

Il lui montrait Thaïs, et partageant sa gloire,
Un regard de Thaïs achevait sa victoire.
Timothée à l’instant par des accords nouveaux
Des bras de son amante arrachait le héros ;
Roulait son char vainqueur au milieu des batailles,
Et sa lyre étalant d’illustres funérailles,
Évoquait ses guerriers sans honneur inhumés,
Ces Grecs dans les combats par ses chants animés.
Contre l’Asie encore il soulevait leur cendre,
Du flambeau funéraire il armait Alexandre ;
Et la flâme irritée embrâsait à sa voix
Le temple du soleil et le palais des rois.



À POLYMNIE,


En lui adressant les Trois Sœurs.


Jaloux de recueillir quelques fleurs sur vos traces,
Un simple Troubadour vous offre ses Trois Sœurs ;
En leur prêtant vos traits, vos charmes séducteurs,
Il ne tiendrait qu’à vous d’en faire les trois Grâces.

NOTES.


Qui de Mekkias descend à pas tumultueux.

Le Mekkias ou le nilometre est une haute colonne de marbre graduée dans toute sa longueur et divisée en coudée et en pouces, et surmontée d’une galerie qui repose sur un chapiteau corinthien. Elle s’élève du milieu d’un bassin dont le fond est de niveau avec le lit du Nil, et qui reçoit les eaux par un conduit, au moment de l’inondation. Elle touche au vaste palais de Nejjnr Eddins qui tombe en ruine.

Du camp du mont Thabor au camp des Pyramides.

Ce fut dans l’intervalle qui sépare le Caire et les pyramides d’Égypte que fut battu le fameux Mourad, le premier des beys ; la plupart de ses soldats se précipitèrent d’effroi dans le Nil où ils périrent ; le reste mit le feu à sa flotte et abandonna au vainqueur son camp avec quatre cent chameaux chargés de bagages.

Et des tours de Rosette aux portes de Gaza.

Si Gaza est fameuse pour ses portes que Samson porta sur son dos, Rosette est remarquable par ses minarets, par les quatre tours dont son château carré est flanqué et par la tour antique qu’on apperçoit au midi de la ville, et qui est enterrée à moitié. Pindare comme Homère nous imposent la loi d’être fidelles à la topographie.