Les Jeux de la flamme/1

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Société du Mercure de France (p. 1-154).


PREMIÈRE PARTIE

— Alors vous ne croyez pas qu’un voyage ?…

— Cher, je dis que la précision nous est contraire.

Et elle abandonna l’épaule de Pierre, une joue fanée de câlinerie, pour aller s’asseoir au foyer presque parmi la flamme, prise toute à son invincible amour du feu ; mais aucun geste d’elle ne le quitte et ne renonce. — Lisbé se plaît à inégaliser leurs bonheurs, à onduler leurs minutes précieuses. Elle veut à l’écart entendre plus nettement gémir leur impatience effrénée, minutieuse et sans remède.

Combien de secondes encore tardera-t-il à se lever, à la rejoindre, à serrer ses poignets, le regard au regard, emmenés plus loin, croyaient-ils, dans l’interrogation, l’insistance et l’effroi qu’où le plus périlleusement peuvent se soutenir la femme et l’homme ?

Combien de battements du cœur la frapperont-ils encore de leur détresse révolue, sans que lui, lent, sage, passif, ou conscient dispensateur de leur joie, la lui mesure et se rapproche ?

Elle sourit d’elle, de ne pouvoir et ne savoir respirer que si mal, retirée d’un plaisir si indistinct, peu formel et surtout malicieux.

Mais tout leur est propice, et rien de la menue stratégie n’est perdu. Par la petite main agile et séchée de contrainte qui s’actionne aux barreaux de la chaise, il connaît délicieusement tout d’elle ; mais il saura lui taire ce regard : il faut que l’amour sache perdre tant de choses ! et il ne viendra pas, indolent et savant. Déconcertée, elle devient « le pauvre », sans finesse, plus tranquille d’être si bien humiliée, d’une fraîcheur niaise et neuve, innocentée.

Elle n’a guère le courage de laisser fuir encore une minute. Elle se lève et quitte enfin le feu pour ce charme d’être petite et suppliante (ce mensonge !) mais cela trop riche en délices et trop joli ne sera jamais osé, même d’elle. Toujours quelque survivance d’orgueil médiocre, dernier oripeau d’adolescence, aime à nous tarir le meilleur de vivre. Certes elle estimerait plus haut l’autre orgueil, celui d’être heureuse, mais ne peut, ne pourra jamais. Et tout son grand effort de femme ne conquiert sur sa chasteté qu’un mot d’enfant : « Quelle fatigue, vous le sais ? de rester loin de vous un peu longtemps… »

— « Ah ! mon pauvre petit héros, ma très Toute ! qu’elle me plaît ! » dit Pierre, oubliant de la priver de leur joie ; et les regards se prennent l'un à l’autre, le beau regard qui se contente éperdument, le regard nu de pleine intelligence.

Pierre encore pris à des habitudes, à des rites, vint s’agenouiller contre elle.

— Pourquoi, mais pourquoi ? lui dit-elle, ne comprenant vraiment plus rien à la vie, comme frappée d’absences.

D’un petit geste ivre d’aveugle, elle saisit sa main et fanatique la baisa. Il lui donnait un tel oubli dans la lumière, une si tendre négligence. Il leur semblait marcher sur des fleurs molles et sensibles, ils ne sentaient plus le poids de leurs gestes, ils ne s’étaient jamais connus si frivoles et purs, si fins parmi plus de silence et d’air.

— Je voudrais, dit Lisbé…

— Vous voudriez ? dit-il, en la touchant de son regard heureux…

— Je voudrais que vous dormiez là. Je voudrais votre sommeil sur mon bras…

Il tenta d’obéir. Si Lisbé n’avait le sommeil, elle avait au moins la tête chère. Elle suivait la joie errant sur le visage, la joie d’abord pensée, promise, puis aussitôt réalisée, agitée, frissonnante avant d’en avoir imaginé le désir, toute la mer des joies, pleine, sans frein, sans forme, et sans le moindre îlot où puisse arriver le moindre souhait.

— Et vous, dit-il un peu après, êtes-vous bien ?

Pour qu’il ne voie pas l’étonnant reflet de force, de la toute-puissance qu’il lui crée, affolée de pudeur, elle se cache en lui, se blottit dans le cher visage et le condamne vite à ses lèvres, afin d’oser le frustrer de ses yeux ; mais, par une lente violence douce, il l’écarte de lui et s’assure de son affreuse honte exquise. Il la confond interminablement, et quand il l’a toute lue, toute sue, sa science faiblit, s’abat dans le plus âpre tourment tendre ; remise alors, rassurée par son trouble, elle lui laisse enfin, de gré, tout son regard, si fort et si ardemment clair, qu’il les fait chastes, irrémédiablement.



Lisbé, dès lors, ne serait pas autrement étonnée qu’il s’en revînt sans un espoir passer les nuits sous ses fenêtres, qu’il perdît un temps précieux à l’attendre aux chemins qu’elle ne prend jamais, et que sans but il bouleversât ses journées ainsi que vainement elle faisait, ne vivant que d’attentes.

Le lendemain, à l’heure dite, il entra soucieux, avec de l’âme du dehors. 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Il juge, il croit juger ainsi quand il est simplement terrorisé…

De ces jours, d’un certain jour dernier, émouvant entre tous, elle convoite la suite, le prolongement suprême qui les referait humains par l’imposition d’un surcroît d’emportement.

Lui, qui la craint et qui n’y croit, se hâte moins ces lendemains.

D’où les rages sourdes chez elle qui l’opèrent de toute compassion, de toute velléité molle et féminine.

« Il ne voudrait souffrir qu’utilement », se dit-elle. Cette injustice l’enivre encore et jusqu’au degré plein de l’exaspération, celui qui veut un acte. Assez longtemps elle attendit qu’un trouble plus fort la décide.

Elle respire à flots la bonne paix enfin stagnante des résolutions prises. Une brise adorable passe. « Il faisait bon, dit-elle. Eh ! bien, il fera beau ailleurs ! »

« Qu’il soit en retard après hier, songe-t-elle, qu’il soit en retard aujourd’hui !!… »

L’homme persiste. Pour lui, pas d’abîme entre hier et aujourd’hui. Il ne se passe rien ; il aime, et c’est un bloc qui l’habite. Ce n’a jamais cette agilité de tempête qui l’enlève, la précipite et qui la tue. Il a versé vers elle et c’est fini. Mais elle a versé davantage et jusqu’au delà de lui. Il éprouve qu’aimer est uniforme, étant complet, que c’est révolu, puisque c’est. Elle croit que tout le désordre et l’impureté des victoires gronde au centre de l’absolu, et qu’aux seuls agiles vient tout le dieu. Il croit que tout est survenu puisqu’ils s’aiment. Et dans sa surdité de foi ne passe plus le souffle de tourment qui malmène, qui sauve et qui varie le monde.

« Il est trop arrivé, dit-elle, il m’a trop méritée. »

Douce, elle quitte sa maison. Il était en retard, elle est partie.