Les Jeux rustiques et divins/Le Repos

La bibliothèque libre.
Mercure de France (p. 81-84).


FLÛTES D’AVRIL & DE SEPTEMBRE


À STÉPHANE MALLARMÉ


LE REPOS


 
J’ai longtemps animé avec mes flûtes justes
Un paysage frais de ruisseaux et d’arbustes,
Et mon souffle soumis à mes doigts inégaux
A longtemps imité les feuilles et les eaux
Et le vent qui parlait à l’oreille des brises ;
Mais le buis est amer aux dents et les cytises
Sont amers, et les heures calmes et les jours
Et ce qu’on croit la joie et ce qu’on croit l’amour ;
Et les soirs langoureux et les aurores tendres
Mûrissent des fruits d’or qui font la même cendre ;
Et les faces toujours ont la même pâleur
À s’apparaître aux fontaines parmi les pleurs
Qu’à rire hautes aux miroirs de leurs destins ;
Et le pied qui n’a pas marché saigne, et les mains
Sont lasses tout autant de l’argile des lampes
Que d’avoir, furieusement, au bois des hampes
Crispé leurs ongles durs, et la paume s’écorche
À tenir une fleur comme à brandir la torche.

Un occident qui meurt est une ville en flammes,
Et tous les soirs sont graves pour toutes les âmes ;
Une flûte de buis contrepèse une épée ;
Une déesse vit encor dans la poupée,
Et c’est le même songe et c’est la même chose
De cueillir une palme ou de cueillir des roses !