Les Jeux rustiques et divins/Les Regrets

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Mercure de France (p. 99-100).


LES REGRETS


Au crépuscule mauve au delà de la haie
Où l’épine à la fleur survit avec la baie,
La Colère a passé, ce soir, sur le chemin,
Hautaine avec la torche et le glaive à la main,
Et l’Orgueil la suivait pas à pas et la Haine
Et l’Amour qui fit signe à mon âme incertaine ;
Il a tourné la tête et j’aurais pu le suivre…
L’heure du sablier sonnait à la clepsydre
Dans ma calme maison par la porte entr’ouverte ;
Et j’ai vu, sur le sable pâle et l’herbe verte,
Avec l’ombre du toit, l’ombre du vieux cyprès ;
Et toute la douceur juste du jardin frais
Est jusqu’à moi venue avec l’odeur des mousses,
Et j’ai pensé, parmi la paix des choses douces,
À ma flûte d’ébène et à ma flûte d’or
Et à mon verre de cristal où jusqu’au bord
L’eau fraîche fait perler une sueur de givre ;
J’ai vu le sablier auprès de la clepsydre

Et la vie à jamais la même et j’ai pleuré
De ce que seul d’entre eux l’Amour ne fût entré,
Car la flûte, la faulx, la serpe et l’arrosoir
Sont tristes quelquefois à qui marche, le soir,
Silencieux et que la fontaine s’est tue,
Autour du buis taillé qui borde les laitues.