Les Jeux rustiques et divins/Ode IV

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Les Jeux rustiques et divins. La Corbeille des Heures
Mercure de France (p. 253-255).


ODE IV


 
J’ai vu le Printemps nu rire à travers l’avril
Avec un rire
Si doux, si tendre, si puéril
Que l’écho l’a voulu redire
D’arbres en arbres, d’heure en heure et d’aube en aube,
Et chaque rose
S’en est épanouie au faîte du vieux mur
Derrière qui passait avec ce rire pur
Le clair printemps léger de brises en ses ailes
Et s’en allant par le chemin,
Prompt à répondre à qui le hèle
De la voix ou de la main,
Enfant qui chante ou vieillard qui chantonne.
Il portait pour bâton un cep de l’autre automne,
Noueux, mais qu’enguirlande l’an nouveau ;
Il allait vers l’étang où près des vertes eaux
Sont les roseaux,

Et, pour bien l’accueillir, j’ai fait, et pour lui plaire,
Du plus vert des roseaux la flûte la plus claire.


Été, tu dors. En l’ombre douce à qui est las
Repose, car ta joue est moite sur ton bras,
Et dans la paix en fleurs de l’herbe jaune et verte
Un épi tremble encor à ta main entr’ouverte.
Ta faucille d’acier finira la moisson
Pas à pas, jour par jour, avant qu’à l’horizon
Ce croissant incurvé soit une lune pleine.
Mais le temps passe, vois déjà dans la fontaine
Une feuille séchée et vois la fleur flétrie ;
L’ombre des peupliers tourne sur la prairie ;
La nuit s’achève, et le soleil, Été qui dors,
De ma flûte d’argent va faire un roseau d’or.


J’ai vu l’Automne souriant à travers l’ombre
De son voile de brume et de soie
En robe longue.....
Mains lourdes, pieds saignants, front qui ploie,
Elle marchait le long du mur des treilles hautes,
Et, quand ceux qui cueillaient la grappe
Et les autres

Qui l’entassaient aux corbeilles larges
Ou allaient, deux à deux, en ployant sous la charge,
L’appelaient en passant et lui montraient la grappe,
Elle baissait la tête et ne répondait pas ;
Et, lentement, mystérieuse et souriante,
Demi-morte, demi-vivante,
Et comme toute à quelque songe
Elle levait la main et faisait signe
Vers l’ombre
Et elle allait de vigne en vigne,
De fontaine en fontaine,
Toujours plus grave et plus hautaine,
l’écoutant par delà la saison et le soir
La bouche de l’hiver pleurer aux roseaux noirs.