Les Jeux rustiques et divins/Pour la Porte des Pasteurs
POUR LA PORTE DES PASTEURS
Avec l’aube, l’aurore et le premier soleil,
Éleveurs de bétail ou trieurs de méteil,
Vous entrerez, poussant en files devant vous
Les grands bœufs de labour qui bavent sous les jougs,
Le bouc noir qui renifle et l’agneau blanc qui bêle.
Le laboureur répond au bouvier qui le hèle ;
Et les femmes s’en vont, portant sur leurs épaules
Des coqs d’or enfermés en des cages de saule
Et la corbeille ronde où se gonflent les fruits ;
La faux en oscillant heurte le fer qui luit
Des bêches ; l’aiguillon d’épine noire touche
Le foin vert qui se fane entre les dents des fourches ;
Et les gestes sont gourds et les faces sont graves
Et le pied lent se hâte, alerte, ou, las, s’entrave
Scandé selon le pas ou le piétinement ;
Et la voix enrouée est presque un beuglement
Ou, aigre, dans l’air clair, y chevrote, et après
Que, venant du pacage ou venant du guéret,
La horde agreste, lourde, obèse et bestiale
A passé, sabot dur ou talon qui s’étale,
Mufle qui mâche, groin qui lappe, dent qui mange,
Une senteur d’étable ou des odeurs de grange.
De tout ce qui passa végétal et vivant,
Durent dans le matin clair et pur où le vent
Fait, entre les clous d’or de mes battants de chêne,
Trembler des brins de paille ou des flocons de laine.