Les Journalistes et le Privilège accordé par l’article 2101 du Code Civil aux ouvriers et commis

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LES JOURNALISTES
et le Privilège accordé par l’article 2101 du Code civil aux Ouvriers et Commis.


La Chambre des députés a voté, après rapport de M. Maurice Viollette, la proposition de loi de MM. Adrien Veber et Pierre Laval, tendant à étendre le privilège des ouvriers et des commis aux artistes dramatiques et lyriques.

Sur la démarche faite auprès d’eux par le Syndicat des Journalistes, M. Adrien Veber et M. Pierre Laval ont demandé pour les journalistes, le bénéfice de la disposition nouvelle. Répondant à la demande du Syndicat des Journalistes, M. Maurice Bokanowski avait, d’ailleurs, déposé dans ce sens un amendement qu’il avait fait signer par ses collègues Émile Bender, René Boisneuf, Antoine Borrel, Georges Bureau, Caffort, Louis Deschamps, Deyris, Pierre Forgeot, Abel Gardey, de Kerguézec, Landry, Laurent Eynac, Fernand Merlin, Jean Orsola, Paul Laffont, Queuille, Louis Serre.

L’exposé sommaire de M. Bokanowski détermine très nettement le caractère de la modification réclamée :

« L’objet de l’amendement est de préciser que le privilège prévu par les dispositions actuelles des articles 2101, 4o du Code civil, pour les gens de service, et 549 du Code de commerce, pour les ouvriers ou commis, sera étendu à une catégorie de travailleurs intellectuels qui, comme les artistes lyriques ou dramatiques que tend à protéger la proposition de loi de nos collègues, vivent de leur salaire, et auxquels tout privilège est également refusé, parce qu’ils ne sont ni « des gens de service », ni des « ouvriers » ou « commis » (v. trib. com. Seine, 18 décembre 1895, Pand. 1896, 2, 197, pour les rédacteurs de journaux ; trib. com. Seine, 8 janvier 1901, Pand. 1904, 2, 16, pour les reporters).

« Cette jurisprudence, qui paraît d’ailleurs avoir récemment évolué dans un sens plus favorable aux rédacteurs de publications (trib. com. Seine, Prudhon c/Gil Blas, 14 décembre 1911), repose sur cette idée, inacceptable socialement et même juridiquement (Planiol, l. 2, no 1841), que « ceux qui sont employés à des travaux d’ordre intellectuel ne bénéficient pas du privilège ». (Pand. fr. ve privilèges, no 802). »

M. Maurice Viollette, dans son rapport, a soutenu, de la façon la plus remarquable, notre revendication. Nous détachons de ce rapport, les passages concernant les journalistes :

Il est, enfin, une autre catégorie de travailleurs intellectuels dont la situation matérielle, toujours précaire, nous a semblé, pour les raisons qui viennent d’être exposées, mériter la sollicitude du législateur. L’attribution aux journalistes d’un droit de privilège pour le payement de leurs créances en cas de faillite ou de liquidation judiciaire des publications auxquelles ils collaborent nous a paru le corollaire indispensable des considérations de droit et d’équité que nous venons d’évoquer.

À des connaissances variées, encyclopédiques même, les journalistes ou publicistes doivent joindre un labeur à la fois diurne et nocturne, dont la rétribution n’est encore nullement garantie. Ils sont souvent dupés par des brasseurs d’affaires, directeurs bénévoles de feuilles plus ou moins éphémères qui, en fermant boutique, négligent de payer ceux qui ont été leurs collaborateurs avisés. D’aucuns même affectent de les traiter avec un dédain injuste et de les considérer comme des « employés » voués à une besogne méprisable. Cette attitude a eu, d’ailleurs, l’heureuse conséquence de déterminer les journalistes de tous les partis à se réunir en un syndicat de formation récente.

Il n’est aucun de nos collègues, si peu averti qu’il puisse être de la vie du monde journalistique, qui ignore le rôle que jouent les rédacteurs d’un organe de presse dans le succès de cette publication. Les journaux et revues les mieux rédigés ont adopté l’heureuse méthode de la spécialisation de leurs collaborateurs, et la plupart des lecteurs recherchent telle ou telle publication moins en raison de sa manchette que pour y retrouver des noms connus et appréciés.

La recette, au théâtre, est assurée par les artistes ; la recette du journal est assurée par ceux qui y écrivent. Dans la mesure où il y a un actif, c’est le résultat de leur travail.

M. Maurice Viollette justifie de la sorte, par des arguments péremptoires, l’action syndicale que les journalistes ont entreprise.

Le Syndicat des Journalistes remercie vivement MM. Adrien Veber, Pierre Laval, Maurice Bokanowski, Maurice Viollette et leurs collègues, pour le concours qu’ils lui ont prêté.