Les Kitharèdes/Anyta de Mytilène

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Traduction par Renée Vivien.
Les KitharèdesAlphonse Lemerre, éditeur (p. 137-156).


ANYTA DE MYTILÈNE


I


Φριξοκόμᾳ τόδε Πανὶ καὶ αὐλιάσιν θέτο Νυμφαις
δῶρον ὑπὸ σκοπιᾶς Θεύδοτος οἰονόμος ·
οὕνεχ’ ὑπ’ ἀζαλέου θέρεος μέγα κεκμηῶτα
παῦσαν, ὀρέξασαι χερσὶ μελιχρρὸν ὕδωρ.

À Pan aux cheveux hérissés et aux Nymphes protectrices des bergers, Theudotos qui fait paître des brebis offrit ce présent sous son lieu d’observation. C’est parce que, un jour qu’il était grandement fatigué par l’été desséchant, elles le reposèrent, lui ayant présenté dans leurs mains une eau douce comme le miel.

II


Ἑρμᾶς τᾷδ' ἔστακα παρ’ ὄρχατον ἠνεμόεντα
ἐν τριόδοις πολιᾶς ἐγγύθεν αΐονος,
ἀνδράσι κεκμηῶσιν ἔχων ἄμπαυσιν ὁδοῖο ·
ψυχρὸν δ’ἀχραὴς κράνα ὕδωρ προχέει.


Moi, Hermès, je suis debout près du jardin ouvert aux vents, au croisement des trois chemins, près de la mer blanchissante, offrant aux hommes fatigués une halte dans leur route : et une source pure leur verse une eau fraîche.


III


εἰς ἄγαλμα Πανός.

Ξεῖν', ὑπὸ τᾶν πέτραν τετρυμμένα γυϊ ' ἀνάπαυσον.
ἁδύ τοι ἐν χλωροῖς πνεῦμα θροεῖ πετάλοις ·
πίδακα τ' ἐκ παγᾶς ψυχρὸν πίε · δὴ γὰρ ὁδίταις
ἄμπαυμ' ἐν θερμῷ καύματι τοῦτο φίλον.


SUR UNE STATUE DE PAN

Étranger, repose tes membres brisés sous ces roches : un souffle aimable résonne pour toi dans les verts feuillages. Et bois au jaillissement frais de la source : car ce repos est cher aux voyageurs dans la chaleur brûlante.


IV


Εἰς δελφῖνα.

Οὐκ ἔτι δὴ πλωτοῖσιν ἀγαλλόμενος πελάγεσσιν
αὐχεν’ ἀναῤῥίψω βυσσόθεν ὀρνύμενος,
οὐδὲ περὶ σκάμοισι νεὼς περικαλλέα χείλη
ποιφύξω, τ’ἀμᾷ τερπόμενος προτομᾷ ·
ἀλλά με πορφυρέα πόντου νοτὶς ὧσ' ἐπὶ χέρσον,
κεῖμαι δὲ ῥαδινὰν τάνδε παρ’ ἠϊόνα.


SUR UN DAUPHIN

Jamais plus, réjoui des ondes propres à la navigation, je ne lancerai mon cou, bondissant du fond de l’eau, ni je ne soufflerai avec force de mes belles lèvres le long des tolets du navire, charmé de mon torse[1]. Mais la fraîcheur empourprée de la mer m’a poussé sur la terre ferme, et je gis sur ce rivage délicat.


V


εἰς τράγον.

Ἡνία δή τοι παῖδες ἐνὶ, τράγε, φοινικόεντα
θέντες καὶ λασίῳ φιμὰ περὶ στόματι,
ἵππια παιδεύουσι θεοῦ περὶ ναὸν ἄελθα,
ὄφρ’ αὐτοὺς φορέῃς νήπια τερπομένους.


SUR UN BOUC

Des enfants, ô bouc, ayant passé à ta gueule velue des rênes couleur de pourpre et une têtière, t’enseignant autour du temple du dieu les jeux des chevaux, afin que tu les portes pour amuser les tout petits.


VI


α. τίπτε κατ’ οἰόβατον, Πὰν ἀγρότα, δάσκιον ὕλαν
ἥμενος, ἁδυβόᾳ τῷδε κρέκεις δόνακι;

β. ὄφρα μοι ἑρσήεντα κατ’ οὔρεα ταῦτα νέμοιντο
πόρτιες ἠϋκόμων δρεπτόμεναι σταχύων.


A. Pourquoi, ô Pan agreste, assis près de la fontaine où vont les brebis, joues-tu de ce chalumeau harmonieux ?

B. Afin que sur ces monts couverts de rosée les génisses paissent, broutant les épis à la belle chevelure.


VII


Κύπριδος οὖτος ὁ χῶρος, ἐπεὶ φίλον ἔπλετο τήνᾳ
αἰὲν ἀπ' ἠπείρου λαμπρὸν ὁρῆν πέλαγος,
ὄφρα φίλον ναύτῃσι τελῇ πλόον · ἀμφὶ δὲ πόντος
δειμαίνει, λιπαρὸν δερκόμενος ξοάσον.


Ce lieu est à Kupris, puisqu’il lui fut toujours cher de voir du continent la mer brillante, afin qu’elle puisse accorder une navigation heureuse aux matelots ; et, tout autour, la mer tremble, voyant la radieuse statue.


VIII


Εἰς Ἀντιβίην.

Παρθένον Ἀντιβίην κατοδύρομαι, ἧς ἔτι πολλοὶ
νυμφίοι ἱέμενοι πατρὸς ἵκοντο δόμον.
κάλλεως καὶ πινυτῆτος ἀγακλέος · ἀλλ' ἐπὶ πάντων
ἐλπίδας οὐλομένη μοῖρ’ ἐκύλισσε πρόσω.


SUR ANTIBIA

Je me lamente sur la vierge Antibia, pour laquelle beaucoup de prétendants vinrent à la maison de son père. Elle était renommée pour sa beauté et sa sagesse. Mais la Moïra, renversant les espérances de tous, l’a précipitée dans l’ombre.


IX


Εἰς Φιλαινίδα.

Πολλάκι τῷδ' ὀλοφυδνὰ κόρας ἐπὶ σάματι Κλείνα
μάτηρ ὠκύμορον παῖδ’ ἐβόασε, φίλαν
ψυχὰν ἀγκαλέουσα Φιλαινίδος, ἂ πρὸ γάμοιο
χλωρὸν ὑπὲρ ποταμοῦ χεῦμ’ Ἀχέροντος ἔβα.


SUR PHILAINIS

Souvent, sur ce tombeau de la jeune fille lamentable, Kléina, sa mère, pleura à grands cris son enfant morte prématurément, appelant l’âme chère de Philainis qui, avant le mariage, marcha vers l’onde verte du fleuve de l’Achéron.


X


Λοίσθια δὴ ταδε πατρὶ φίλῳ περὶ χεῖρε βαλοῦσα
εἶπ Ἐρατὼ, χλωροῖς δάκρυσι λειβόμενα ·
ὦ πάτερ, οὔτοι ἔτ’ εἰμὶ, μέλας δ’ἐμὸν ὅμμα καλύπτει
ἥδη ἀποφθιμένης κυάνεον θάνατος.


Pour la dernière fois ayant embrassé son père bien-aimé, Ératô, les joues baignées de larmes pâles, dit : « Ô père, je ne suis plus, et déjà la mort noire voile mes yeux assombris, car je suis morte. »


XI


εἰς τὰς γ′ παρθένους Μιλησίας τὰς ὑπὸ Γαλατῶν
βιασθείσας.

Οἰχόμεθ’, ῶ Μίλητε, φίλη πατρὶ, τᾶν ἀθεμίστων
τᾶν ἀνόμαν Γαλατᾶν ὕβριν ἀναινόμεναι.
παρθενικαὶ τρισσαὶ πολιάτιδες, ὧν ὁ βίαιος
Κελτῶν εἰς ταύτην μοῖραν ἔτρεψεν Ἄρης.


SUR LES TROIS VIERGES DE MILET
FORCÉES PAR LES GALATES

Nous fuyons, ô Milet, chère patrie, repoussant la violence des Galates sans justice et sans loi. (Nous sommes) les trois citoyennes vierges que le violent Arès des Celtes tourna vers un même destin.


XII


εἰς ἀλέκτορα.

Οὐκ ἔτι ὡς τὸ πάρος πυκιναῖς πτερύγεσσιν ἐρέσσων
ὄρσεις, ἐξ εὐνῆς ὄρθριος ἐγρόμενος.
ἦ γὰρ σ'ὑπνώοντα σίνης λαθρηδὸν ἐπελθὼν
ἐκτεινεν λαιμῷ ῥίμφα καθεὶς ὄνυχα.


SUR UN COQ

Battant l’air de tes ailes, tu ne m’éveilleras plus comme autrefois, m’arrachant de grand matin à ma couche. Car un voleur, t’ayant surpris en cachette pendant ton sommeil, t’a tué ayant vite imprimé son ongle à ton gosier.


XIII


εἰς τράγον χαλκοῦν.

Θάεο τὸν Βρομίου κεραὸν τράγον, ὡς ἀγερώχως
ὄμμα κατὰ λασιᾶν γαῦρον ἔχει γενύων.
κυδιόοντ' ὅτι οὖ θάμ' ἐν οὖρεσιν ἀμφί περ εἶδε,
βόστρυχον εἰς ῥοδέαν Ναῒς ἔδεκτο χέρα.

SUR UN BOUC D’AIRAIN

Considère ce bouc cornu de Bromios[2], comme fièrement il porte son œil impétueux le long de ses mâchoires velues. C’est que souvent, dans les montagnes, Nais le vit glorieux et prit dans sa main de rose ce poil frisé.


À Pan aux cheveux hérissés et aux Nymphes protectrices des bergeries, Theudotos, qui fait paître des brebis, offrit ce présent sous son lieu d’observation. C’est parce que, un jour qu’il était grandement fatigué par l’été desséchant, elles le reposèrent, lui ayant présenté dans leurs mains une eau douce comme le miel.


D’invisibles pipeaux charment ma solitude.
Le soir voit défleurir le mélilot des prés.
Ô nymphes aux yeux verts, et toi, Pan au poil rude,
Je vous offre ces fruits que l’automne a dorés.

Lorsque j’ai convoité la fraîcheur des fontaines,
Étendu sur la roche et las des longs chemins,
Vous m’avez apporté l’eau des sources lointaines,
Ô nymphes ! dans le creux frissonnant de vos mains.

Je n’ai plus redouté l’aridité des sables,
Bouclier d’or où se double l’airain du ciel,
Car j’ai bu longuement, dans vos mains pitoyables,
L’eau claire qui me fut plus douce que le miel.


Moi, Hermès, j’étais debout près du jardin ouvert aux vents, au croisement de trois chemins, près de la mer blanchissante, offrant aux hommes fatigués une halte dans leur route : et une source pure leur verse une eau fraîche.


Ici, dans le verger où se croisent les vents,
Près du sable blanchi par le sel et l’écume,
J’accorde le repos, loin des étés fervents,
Sur l’herbe aux bleus reflets que le cerfeuil parfume.

L’air marin courbe l’orme et les pommiers fleuris,
Mais, ici, la langueur du mélilot s’exhale,
Et, baignant l’aloès et le vert tamaris,
La fontaine jaillit, riante et virginale.

Moi, l’Hermès dont les yeux suivent les flots d’étain,
Sur mon socle de pierre aux bords moussus, j’écoute
Le chant de l’eau, plus clair que le pipeau lointain,
Et les pâtres lassés ont oublié la route.


Ce lieu est à Kupris, puisqu’il lui fut toujours cher de voir du continent la mer brillante, afin qu’elle puisse accorder une navigation heureuse aux matelots ; et, tout autour, la mer tremble, voyant la radieuse statue.


Sur les rocs ont erré les pieds nus de Kupris.
Elle aime à contempler, du haut de la falaise,
Les ondes déployant leurs violets d’iris
Dont l’immortel ennui s’exaspère et s’apaise.
Sur les flots ont erré les pieds nus de Kupris.

La vague a reconnu la voix de la Déesse
Qui jaillit autrefois du délicat embrun,
Blonde sous le jour blond que le désir oppresse,
Et respirant l’iode ainsi qu’un frais parfum.
La vague a reconnu la voix de la Déesse.

Son image a dompté le courroux de la mer.
Elle accorde la paix et le soleil aux voiles,
Et, souriant aux nefs de son visage clair,
Elle fait resplendir les nuits belles d’étoiles.
Son image a dompté le courroux de la mer.


… appelant l’âme chère de Philainis qui, avant le mariage, marcha vers l’onde verte du fleuve de l’Achéron.


La vierge Philainis traversa les Eaux vertes
De l’Achéron, sans voir les flambeaux de l’hymen,
Et les lys sont tombés d’entre ses mains ouvertes.
Sur la stèle de deuil pleure le cyclamen.
Avant de voir brûler les flambeaux de l’hymen,
La vierge Philainis traversa les Eaux vertes.

Dans les prés où la lune efface le soleil,
La vierge Philainis tresse les asphodèles.
Perséphona, fermant les yeux noirs du sommeil,
Rouit le lin parmi ses compagnes fidèles,
Et parfois, en rêvant, cueille les asphodèles
Dans les prés où la lune efface le soleil.


A. — Pourquoi, ô Pan agreste, assis près de la fontaine où vont les brebis, joues-tu de ce chalumeau harmonieux ?

B. — Afin que sur ces monts couverts de rosée les génisses paissent, broutant les épis à la belle chevelure.


A. Tu respires l’odeur de l’herbe et de la terre,
Et ta flûte s’exhale en des frissons légers…
Pan rustique, pourquoi demeurer solitaire,
Assis dans le bois sombre à l’écart des bergers ?


B. Je taille les pipeaux où traîneront mes lèvres,
Moi, dieu de l’hyacinthe et de l’épi barbu…
Et mes simples chansons attireront les chèvres
Vers l’ombre et la rosée où les Nymphes ont bu.


Jamais plus, réjoui des ondes propres à la navigation, jene lancerai mon cou, bondissant du fond de l’eau, ni je ne soufflerai avec force de mes belles lèvres le long des tolets du navire, charmé de mon torse. Mais la fraîcheur empourprée de la mer m’a poussé sur la terre ferme, et je gis sur ce rivage délicat.


Le souffle de la mer, adouci par le soir,
Ne réjouira plus mes lèvres et mes joues,
Et je ne verrai plus, le long des belles proues,
Mon image, comme en le métal d’un miroir.

Je ne monterai plus des profondeurs marines,
Je ne m’ébrouerai plus au soleil du matin,
Je ne me plairai plus au sourire enfantin
De l’aurore, jouant avec ses cornalines.

Ô passant, j’ai quitté le transparent émail
Des flots, où le vent pleure en d’étranges syllabes,
Où grouille obscurément la détresse des crabes,
À travers le soir gris que bleuit le corail.


Car le bondissement des courants implacables
M’a jeté sur la rive aux longs varechs flottants.
Voici la Mort au front paré d’algues, — j’attends,
Hors d’haleine et couché sur le velours des sables.


  1. Beaucoup de navires portaient un torse de dauphin à leur proue.
  2. Autre nom de Dionysos