Les Lèvres closes/L’Odeur sacrée

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Les Lèvres closesAlphonse Lemerre, éditeur1 (p. 209-210).


L’ODEUR SACRÉE


À Armand Sylvestre.


Dans la douceur du soir, pour ravir le rêveur,
Un rayon plus royal octroyé par faveur
Irradie, arrosant l’horizon qu’il irise.
Et la forêt s’embrase au soupir de la brise ;
Et la mare où se mire un troupeau lent et las
S’est moirée à son tour de miroitants éclats.
Et l’ombre est couleur d’ambre et tout s’y recolore.
Pour ravir le rêveur un éclair vient d’éclore
Dans la douceur du soir aux bleus vite éblouis,
Un éclair revenu des jours évanouis !
Sur la rumeur éparse où l’esprit se disperse.
L’écho d’un frais refrain qu’on écoute et qui berce
Met au cœur rajeuni l’ingénu battement
D’autrefois, aux clartés d’un climat plus clément,
Quand l’âme encor crédule a les joyeux coups d’ailes
Et l’essor arrondi d’un essaim d’hirondelles ;
Et les frais souvenirs, la savane et le toit
Paternel, tout revit, revient et se revoit.
Une odeur adorable est sur la plaine et plane

En s’affinant dans l’or de l’air plus diaphane,
Odeur sacrée en qui tout vain parfum se fond,
Qui s’exhale on ne sait de quel exil, du fond
De quel ravin boisé rêvant sous les tropiques,
De quelle Ithaque en fleurs des mers aromatiques ?
L’odeur d’El-Dorado qu’a seul un premier sol
Sur ce val apaisé repose un peu son vol,
Pour ravir le rêveur, et dérouler la spire
Des espoirs embaumés que de loin il aspire,
Croyant ouïr les voix de son enfance et voir
Ses clairs matins passer dans la douceur du soir.