Les Livres d'étrennes, 1913

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Les Livres d'étrennes, 1913
Revue des Deux Mondes6e période, tome 18 (p. 934-946).
LES LIVRES D’ÉTRENNES

C’est un voyage de rêve à travers le monde de l’Art et de l’Imagination, de l’Histoire et de la Science, qu’il nous est donné de faire en parcourant ces livres de fin d’année. Dans la fuite incessante des jours, on s’attache à tout ce qui nous transporte vers un idéal de Beauté. Et quel sentiment plus noble, quel charme plus captivant que ceux que nous suggèrent toutes ces œuvres qui, dans les tristesses de l’heure présente, évoquent les témoins des siècles révolus, nous parlent du passé de notre pays à travers les âges, et nous découvrent tout ce qu’il contient de merveilles créées par la nature et par l’homme !

Dans le lointain des temps, il est des noms prestigieux comme un symbole et qui évoquent, à eux seuls, l’idée de la Beauté parfaite. Tel le Parthénon[1], dont la majesté nous charme et nous touche à la fois, éveille en notre âme la pensée de la puissance et de la durée infinies et s’impose à l’admiration. L’harmonie en est si absolue et si pure que quelques morceaux du péristyle, le stylobate, les colonnes restées debout, quelques sculptures des frontons Ouest et Est, des frises de la cella ou des métopes, épargnés par toutes les destructions, — depuis la conquête romaine jusqu’à la transformation byzantine en église, puis en mosquée turque, et même après l’explosion de 1687 et le pillage des Vénitiens de Morosini, sans oublier les Anglais de lord Elgin, — ont suffi pour reconstituer le plan du Parthénon de Périclès. Après le livre de Michaelis, qui reste classique à bien des égards, l’ouvrage de M. Maxime Collignon déroule sous nos yeux, dans des planches hors texte, choisies parmi les plus belles de M. Frédéric Boissonnas, les aspects caractéristiques du Parthénon, les trésors d’architecture et de sculpture qu’il renfermait, tandis que le texte du livre nous initie, avec l’érudition la plus sûre, à son histoire à travers les siècles, depuis le jour où il fut inauguré solennellement aux grandes Panathénées de 438. Du haut de sa demeure lumineuse, Pallas protège son peuple chéri, et met à l’écart les noires filles de la nuit, les Euménides, qui habitent les antres souterrains du Tartare et ne portent jamais les blancs habits de la joie.

Jusqu’au déclin de l’époque romaine, le Parthénon était demeuré intact. Aucun changement n’y fut apporté avant la seconde moitié du IVe siècle, sous Alexandre. Depuis lors, il devint église chrétienne, après l’édit de Théodose II, en 426. Consacré vers 662 à la Vierge mère de Dieu (Théotokos) il resta, jusqu’au XIIIe siècle, l’église métropolitaine d’Athènes. Puis la croix latine remplaça la croix grecque, après la conquête de Constantinople par les Croisés. Et deux cent cinquante ans après, en 1458, sous Mahomet II, il devint une mosquée. Il faut arriver jusqu’au XVIIe siècle pour constater le réveil d’une curiosité attentive à l’égard des monumens d’Athènes. Par l’établissement de ses consuls et de ses missions dans le Levant, la France prend une grande part à ce mouvement de recherches qui inaugure, pour les antiquités athéniennes, une période toute nouvelle. L’année 1674 marque une date mémorable dans l’histoire des études dont le Parthénon commence dès lors à être l’objet. Le 15 novembre, escorté des consuls de France et d’Angleterre, le marquis de Nointel, nommé ambassadeur près la Porte, avec mission de renouveler les Capitulations et de prêter tous ses soins au relèvement du commerce français en Orient, faisait à Athènes une entrée solennelle au son des fanfares françaises et des trompettes turques, la bannière rouge des Anglais déployée à côté de la bannière blanche fleurdelisée, et pénétrait dans l’Acropole, salué par les décharges des batteries du château. Sans retard, il sut mettre à profit les facilités qu’il trouvait pour « examiner toutes ces richesses d’art, et confier à l’un des deux peintres, qu’il avait emmenés de Constantinople, la tâche de reproduire les sculptures du Parthénon. » Dans une dépêche datée d’Athènes et adressée à M. de Pomponne, le 17 décembre 1674, il annonçait l’envoi de « représentations désignées qui seront d’autant mieux reçues qu’outre leur justesse, elles sont encore recommandables par leur rareté, ce qui les rend uniques. » Nointel ne croyait pas si bien dire. Le bombardement des canons et des obusiers vénitiens, des troupes du capitaine général Francesco Morosini, et l’explosion du 21 septembre 1687, devaient bientôt causer la ruine définitive, irréparable, du temple où les Turcs avaient établi des travaux de défense et concentré toutes leurs munitions. Un siècle plus tard, une grande partie des sculptures épargnées par l’explosion de 1687, une douzaine des statues des frontons, quinze métopes et cinquante-six dalles de frise, sans parler des marbres de l’Erechteion et du temple d’Athéna Niké, étaient enlevés par lord Elgin, puis expédiés, exposés à Londres, où ils sont maintenant au British Muséum. Après tant de dégradations, le Parthénon devait encore courir de nouveaux dangers en 1821, pendant la guerre de l’Indépendance, puis en 1827 et en 1833. Ce fut la fin des épreuves infligées pendant des siècles au merveilleux monument. Délabré, éventré, dépouillé de ses sculptures, mais couronnant toujours de la majesté de sa colonnade à demi ruinée le rocher sacré de l’Acropole, le Parthénon est enfin rendu au culte pieux de la Grèce libérée et jalouse de conserver son patrimoine d’art.

Le soir, les rayons obliques du soleil, glissant du Pirée, le long de la plaine, dorent et enflamment le Parthénon. Le rayonnement en est si grand que même ses ruines en manifestent la perpétuité. N’a-t-il pas plus fait pour le développement de la puissance de la Grèce que ses flottes et ses armées ? Elles lui ont valu les sympathies du monde occidental, qui lui ont permis de renaître et de grandir, tandis que les escadres alliées, comme celles d’autrefois, croisent dans la baie du Pirée et saluent cette résurrection d’un peuple qui renaît de son passé.

A l’heure où la pure lumière (ἁγνόν) sacrée aux yeux des Grecs leur communique le mouvement et la vie, comment ne pas se remémorer l’invocation de Renan sur l’Acropole quand il fut arrivé à en comprendre la parfaite beauté :

« O noblesse, ô beauté simple et vraie, déesse dont le culte signifie raison et sagesse, toi dont le temple est une leçon éternelle de conscience et de sincérité ; j’arrive trop tard au seuil de tes mystères... Tu es vraie, pure, parfaite, ton marbre n’a point de tache...

«... Toi seule es jeune, ô Cora ; toi seule es pure, ô Vierge ; toi seule es forte, ô Victoire. Les cités, tu les gardes, ô Promachos ; tu as ce qu’il faut de Mars, ô Oréa ; la paix est ton but, ô Pacifique. O Archégète, idéal que l’homme de génie incarne en ses chefs-d’œuvre... »

La lumière ! la lumière ! partout on la retrouve éclatante, partout elle est l’objet du culte des Grecs. Comme sur le Parthénon, elle illumine de nouveau les Ruines de Delphes[2], l’antique domaine d’Apollon, désormais rendu au Dieu du Soleil, par les fouilles faites depuis cinquante ans, et dont M. Emile Bourguet, ancien élève de l’École française d’Athènes, nous fait connaître toutes les péripéties et les résultats. Là aussi la cella a réapparu et, dans le temple de structure pélasgique mis à nu, le sanctuaire où la pythonisse se débattait sur le trépied d’or, dans son épilepsie fatidique. Mais qu’est devenu l’Omphalos, la pierre divine tombée de l’Olympe ?... Les Dieux sont morts et remplacés par le culte du Moi.

Comme la Grèce, la terre classique de l’Italie sera toujours un lieu de pèlerinage préféré pour les artistes et les lettrés. La terre d’Italie, nul ne l’a peinte avec plus d’amour et n’a passé des heures plus délicieuses sur les chemins qui y mènent, dans l’enchantement de ses lacs, dans la contemplation de ses œuvres d’art, que M. Gabriel Faure. Il a réussi à nous en faire partager une fois de plus la séduction et à nous en donner la sensation dans ces deux somptueux volumes : Aux Lacs Italiens[3] et la Route des Dolomites[4], où la beauté des illustrations, choisies et rendues avec un goût parfait, répond si heureusement au texte. L’élégance de l’impression de la Société des Arts graphiques de Bellegarde, les relevés photographiques ainsi que les reproductions d’aquarelles, qui ont gardé quelque chose de la fraîcheur de l’original et des nuances harmonieuses et fines de la nature même (la Crodade Lago, — le Tre Cime de Lavaredo, — la Croda Rossa), font honneur à M. Rey, éditeur à Grenoble, dont l’initiative mérite d’être encouragée.

Comme elle se prête indéfiniment à la poésie, Venise fournira indéfiniment les plus nobles thèmes et les plus séduisans aux artistes et aux lettrés. Quelle fête pour l’esprit et les yeux, lorsque, comme ici, dans les récits colorés et les vers de M. Henri de Régnier, on trouvera l’étroite union de la poésie et de la réalité des Images vénitiennes[5] où se mire la pure architecture si décorative de ses palais, de ses églises, de ses ponts en ogive, qui s’enflamment aux rayons du soleil et semblent flotter sur la Lagune, sous les doubles vibrations de la lumière et de l’eau, dans une atmosphère d’amour ! Que d’artistes nous les ont rendues familières ces merveilles de Venise, parmi lesquels le peintre de grand talent Whistler[6], qui s’y réfugia et dut faire appel à son talent d’aquafortiste en attendant que la renommée vînt frapper à sa porte après avoir vaincu toutes les résistances. Le roman de sa vie, tour à tour gai, triste ou poignant, se déroule en entier dans cette traduction de l’anglais, d’après E. et J. Pennell, par James Mac Neill.

Consacré à un pays accidenté entre tous et dû à la plume d’un écrivain de talent, le livre de M. Albert Dauzat, la Suisse[7], qui vient ajouter à des ouvrages dont le succès, assuré par de brillans précédens, est dû autant à leur caractère de nouveauté qu’à un luxe rare dans l’illustration, sera apprécié comme l’un des plus splendides de cette Collection Larousse, qui comprend déjà la France, l’Italie, l’Espagne, la Belgique, etc. À la fois pittoresque et solide, cette étude d’un pays aussi varié dans ses élémens que remarquable par la diversité de ses aspects et de ses habitans, la splendeur de ses paysages, la complexité de son organisme, est pleine de couleur et d’attrait. Ce sont autant de tableaux qui se fixent dans l’esprit : l’illustration est ici le véritable commentaire du texte. Tous les procédés les plus parfaits de la photographie, mis en œuvre pour plus de six cents clichés, les cartes et plans en noir et en couleurs, contribuent à faire de ce remarquable ouvrage une œuvre de grand luxe en même temps qu’une œuvre de fond, instructive et utile. Dans la Mer[8], livre de vulgarisation, les plus récentes découvertes de l’Océanographie, cette science relativement nouvelle qui a pris tant d’importance de nos jours, sont exposées par M. Clerc-Rampal, navigateur consommé, archéologue érudit des choses de la marine, l’un des plus versés dans la connaissance de la mer. Le savant professeur de l’Institut Océanographique a divisé son traité en deux parties : la mer dans la nature ; la mer et l’homme, et cette division dit assez son objet. L’exécution parfaite jointe à la beauté de la forme, sont une garantie de l’accueil qui lui est réservé. On ne pouvait réunir sur la mer une plus merveilleuse suite de 636 reproductions photographiques, 26 hors-texte en couleurs et en noir, 316 cartes ou dessins : effets de vagues, trombes, falaises, animaux et végétaux marins, bateaux de tous les temps et de toutes les formes, scènes de la vie du bord, etc. Les croisières scientifiques accomplies, dans la Carrière d’un navigateur[9], par le prince Albert de Monaco, n’ont pas moins servi l’Océanographie.

Le Musée de Vienne[10] continue la belle série des Musées et Galeries[11]. Elle réunit le double caractère de bibliothèque sérieuse et de magnifique collection. Sans pouvoir rivaliser avec le Louvre, Dresde, Madrid ou Florence, pour le nombre et l’importance de ses chefs-d’œuvre, avec Berlin pour la diversité des maîtres, écrit l’auteur de la préface, M. Auguste Marguillier, la Galerie impériale de Vienne n’en offre pas moins un ensemble des plus instructifs, où les tableaux de premier ordre ne manquent pas parmi les 1 750 toiles environ qui la composent. On trouvera les fidèles reproductions des œuvres les plus remarquables qu’elle renferme dans les magnifiques planches en couleurs, qu’accompagnent des notices dues à divers critiques et écrivains d’art les plus autorisés.

Le nouveau volume de la Collection des Classiques de l’Art : Murillo[12] montre, reproduite par 287 gravures, la plus grande partie des œuvres du maître de Séville, dont on a pu dire qu’à l’exemple de Corrège, il a fait descendre le ciel sur la terre,— mais sans pousser, comme l’enchanteur de Parme, jusqu’à la mythologie, — et donné à ses madones une joliesse humaine, qui est autant de perdu pour le caractère divin, et à ses anges, même à ses enfans Jésus, une ressemblance inquiétante avec de petits Amours. Sur l’Espagne monacale et guerrière assombrie par les rigueurs de l’Inquisition, Murillo a le premier fait passer, dans un ciel d’airain, un sourire évangélique. Le peuple lui en a été reconnaissant. Nul peintre qui soit aussi populaire que lui dans la Péninsule. Ses tableaux religieux, puisés dans l’hagiographie autant que dans l’Évangile, dont il a peuplé les églises et couvens espagnols, et surtout sa Vie de la Vierge, qui lui a inspiré ses plus belles compositions, ont un charme, une puissance de séduction indéniables. Peintre plus gracieux que de robuste originalité, il n’est assurément ni un génie créateur, ni un artiste comparable à un Greco ou à un Ribeira, qui montrent la sainteté sous son côté austère, mde, tragique même, à un Velazquez ou à un Goya. Mais ses portraits, ses scènes de genre, ses vierges et ses saints portent profondément l’empreinte espagnole, dans la sincérité de l’observation des réalités les plus triviales. Il s’est toujours ressenti de l’influence des premières années où il confectionnait saints et saintes à la douzaine pour la feria, la célèbre foire du XVIIe siècle, où affluaient, à Séville, tous les trafiquans espagnols d’Ultramar : ils venaient s’approvisionner pour les églises du Nouveau Monde auprès des artistes sévillans qui, déjà, travaillaient pour l’Amérique. Une intéressante notice biographique ouvre cet album, qui se ferme sur un catalogue, par ordre chronologique d’après les sujets, des tableaux religieux, portraits, scènes de genre, de Murillo, de 1641 à la date de sa mort en 1682. Et, puisque nous venons de nommer Goya[13], on pourra faire la comparaison en parcourant l’album de ses eaux-fortes dans la série des Grands Graveurs, qui s’enrichit encore cette année d’un Van Dyck[14] .

Des livres d’un intérêt plus spécial, mais non moins sérieux, sont : le Style Louis XVI[15], de M. Seymour de Ricci, qui est comme la grammaire illustrée de la décoration intérieure à l’une des grandes époques du style français (l’interprétation porte sur 450 modèles, choisis avec le goût le plus sûr) ; — l’Orfèvrerie française aux XVIIIe et XIXe siècles[16], du regretté Henri Bouilhet, qui, dans l’histoire du style français à la fin du XIXe siècle, mérite de tenir une place à la fois comme orfèvre et comme l’un des plus perspicaces promoteurs de l’art décoratif dont on voit se produire aujourd’hui les premières manifestations de quelque originalité. On s’en convaincra en parcourant cette incomparable collection et en se rendant compte de tous les efforts qu’il a fallu pour conserver dans une publication, illustrée avec autant de recherche d’élégance que d’habileté d’exécution, les traces de l’immense effort accompli pour réunir toutes les merveilles qui avaient fait des Musées centennaux un des attraits de l’Exposition de 1900.

L’Art chinois et japonais[17], de M. Ernest Fenellosa, avec ses 154 planches tirées hors texte et ses gravures en couleurs, n’est pas moins utile à consulter au point de vue ornemental. Avec de pareils guides, on s’étonnerait que l’art décoratif contemporain n’évitât pas les fautes de goût, les anachronismes et les barbarismes qu’il commet souvent quoique les arts industriels, d’ailleurs, se soient bien relevés depuis les dernières années.

Les Merveilles de la France[18], la variété en est infinie, dans quelque site que l’on pénètre, dans quelque région qu’on la parcoure, des forêts des Vosges ou des monts d’Auvergne à la Bretagne et à la Normandie, des enchantemens de la Provence ensoleillée et des coteaux de la fertile Bourgogne aux riches vallées et plaines du Bordelais, de la Touraine, de l’Anjou, et de la Beauce, des cimes neigeuses des Alpes à la mer du Nord. C’est la terre des enchantemens où voisinent Les grands édifices[19], cathédrales, églises romanes et gothiques[20], forteresses féodales et châteaux de la Renaissance, cloîtres, abbayes et riantes villas, vieilles cités et pittoresques villages, où les coutumes et les mœurs des habitans sont restées aussi originales que leurs cultures et leurs industries sont multiples et diverses. Plus de 600 photographies, en noir et en couleurs, donnent un aperçu exact de nos provinces, évoquent les sites qu’il ne nous est point donné de visiter, ou bien rafraîchissent le souvenir des tableaux lumineux, et des images qui déjà pâlissent dans notre mémoire.

Résumer dans des volumes spéciaux, sortes d’albums, les Provinces Françaises[21] est une idée heureuse que la librairie Laurens continue avec le plus grand succès en ajoutant à sa collection la Touraine[22], l’Auvergne[23] la Bourgogne[24] et la Normandie[25], aux Villes d’art célèbres : Nevers et Moulins[26] dont l’histoire ne profite pas seulement au patriotisme provincial ; la grande patrie en a sa part. C’est un intérêt d’ordre aussi élevé qui domine les pages que M. René Bazin consacre à la Douce France[27] avec des gravures d’après les tableaux renommés de quelques-uns des peintres contemporains ; comme aussi celles de M. André Hallays, A Travers la France[28], celles sur le Vieux Paris, Souvenirs et vieilles demeures[29] (troisième série), publié sous la direction de M. G. Lenôtre, et établi par les soins de M. Charles Eggimann. Nommer les écrivains qui ont collaboré : Georges Cain, Saint-Lazare, — Louis Tesson, la Fontaine du regard, — Lucien Lambeau, Autour de l’Église Saint-Séverin, — Gabriel Henriot, le Vieux Charonne, — Edmond Beaurepaire, le Pavillon de M. de Julienne, — André Hallays, le Monastère des Bénédictins anglais, — Gabriel Henriot, l’Horloge du Palais de Justice, c’est assez dire l’intérêt de ces monographies, et l’éloge n’est plus à faire des superbes héliogravures ; — la Promenade à Paris au XVIIIe siècle[30] de M. Marcel Poète avec les fidèles gravures du temps, qui s’adresse aux curieux du passé, aux amateurs d’anecdotes et de récits pittoresques sur la vie d’autrefois et le Paris d’antan ; — les Richesses d’art de la Ville de Paris[31] et ses Écoles, Lycées, Collèges, Bibliothèques[32].

Continuant l’édition illustrée des œuvres de Shakspeare dans la vivante et sincère traduction de M. Georges Duval, la librairie Flammarion, après avoir donné, l’an passé, Hamlet, publie cette année Roméo et Juliette[33] ; rapprochement heureux, qui fait encore mieux ressortir l’aptitude de l’étonnant génie de Shakspeare à comprendre les caractères des diverses nations, en nous transportant d’un pays du Nord à un pays du Midi, de l’histoire tragique du prince de Danemark à cette pièce, qui est plus qu’un admirable drame : le poème même de l’amour, de l’amour implacable, absolu, dans sa véhémence passionnée, comme il éclate, irrésistible, avec la soudaineté du coup de foudre sous le soleil d’Italie. L’histoire inventée par un vieux conteur italien, Masuccio de Salerne, d’abord transformée, un demi-siècle plus tard, par Luigi da Porto, puis refaite dans le merveilleux récit de Matteo Bandello, enfin reprise par Shakspeare d’après la traduction versifiée d’Arthur Brooke, qui lui-même avait adopté les innovations du traducteur français de la nouvelle de Bandello, montre, une fois de plus, comment des esprits divers peuvent changer complètement, sans l’altérer en rien pourtant, la même matière.

Dans ses compositions destinées à l’illustration du livre, M. W. Hatherell n’avait pour réussir qu’à s’inspirer des scènes les plus caractéristiques du drame en s’efforçant d’en rendre la grâce ou la force. Voici Juliette dans la belle Vérone où le poète a placé son action, Juliette telle qu’elle apparaît pour la première fois à Roméo : « Oh ! Roméo ! Roméo ! où es-tu, Roméo ? Renie ton père et ton nom ! Ou, si tu ne le veux pas, jure de m’aimer et je cesse d’être une Capulet. » Et Roméo : « Dois-je l’écouter ou lui répondre ? « On assiste à l’anxiété de Juliette, après l’envoi de son message : « L’horloge sonnait neuf heures quand j’ai envoyé la nourrice. Elle m’a promis de revenir dans la demi-heure. » On la retrouve chez le frère Laurent, si confiant et d’une obligeance si imprudente. « Salut à mon vénérable confesseur, » et lorsque celui-ci lui répond : « Avant que la Sainte Église ait fait une personne de vos deux êtres. » Puis c’est le duo délicieux et charmant à cet âge de la vie où tout est jeunesse et lumière, force et beauté, où rien ne prévaut contre l’amour. Juliette : « Veux-tu donc partir ? Il ne fait pas encore jour. C’était la voix du rossignol et non celle de l’alouette qui perçait ton oreille craintive... La nuit, il chante sur le grenadier, Crois-moi, mon amour. C’était le rossignol. » Roméo : « C’était l’alouette messagère du matin et non le rossignol. » Mais bientôt le terrible réveil : Tybalt est mort ! et Roméo banni. Voici, dans le cimetière, les épées ensanglantées, la coupe empoisonnée, la mort de Roméo, la douleur et le suicide de Juliette sur le corps de Roméo, tout ce dénouement si frénétique dans son désespoir.

Ces scènes, ainsi que les attitudes des personnages, sont en général bien interprétées par le peintre. Le seul reproche qu’on pourrait lui faire c’est que, dans quelques-unes, les personnages rappellent un peu trop le type anglais : Juliette, dame Capulet et la nourrice surtout. Mais, puisque le héros de Shakspeare que la douleur pousse à la colère et dont le désespoir réveille l’orgueil, le Roméo de la dernière scène, si violent et presque dur, comme l’a remarqué si finement Emile Montégut, est plus un grand seigneur Anglais formé par les habitudes féodales qu’un jeune patricien formé par les mœurs, familières et pleines de bonhomie jusque dans les orages des municipalités italiennes, — et que c’est le seul point où Shakspeare n’ait pas saisi cette nature italienne, que pour tout le reste, il a si merveilleusement devinée, — un simple artiste anglais membre du Royal Institute of Painters in Water-Colours n’est-il pas en droit lui aussi de prendre quelques licences et d’oublier parfois la couleur locale par esprit de race ?

Ceux qui suivent et apprécient ici même les études critiques de M. de Wyzewa sur les littératures des pays étrangers et les caractères des œuvres les plus diverses, qui prisent la souplesse de son talent et l’universalité de ses connaissances, auront une fois de plus la preuve de sa facilité à parcourir tous les sujets, son aptitude à traduire toutes les langues et à adapter leurs chefs-d’œuvre à la nôtre, en lisant les trois nouveaux volumes qu’il apporte à la collection les Grandes Œuvres[34]. Après Homère, Rabelais et Dante, ce sont les pages les plus célèbres des Bucoliques et des Géorgiques de Virgile[35], suivies d’un choix d’Idylles de Théocrite, du Faust[36] de Gœthe et des Contes de Shakspeare interprétés par Charles Lamb[37], traduites de ces trois auteurs. Ce n’est pas seulement à l’enfance qu’elles s’adressent. Elles rappelleront, à tous les cœurs sincèrement épris de pure, profonde et vivante beauté, quelques-uns des momens les plus délicieux de leur jeunesse, quand le charme sans pareil de ces vers immortels du poète des Églogues et de l’Enéide les transportait, loin des sombres murs rébarbatifs du collège, au milieu des idylles amoureuses de la vie champêtre, ou vers l’épopée des âges héroïques. Dans les 24 planches hors texte en couleurs qui ornent les pastorales de Virgile et les idylles de Théocrite, M. F.-M. Roganeau, familiarisé par son séjour à la villa Médicis et dans la Péninsule avec les paysages d’Italie, a su évoquer dans leur milieu les charmes de la vie champêtre. On retrouve dans l’illustration des Contes de Shakspeare par M. Henry Morin son talent habituel de composition, comme aussi la manière dramatique et saisissante, de M. René Pougheon dans le Faust de Gœthe.

Une réunion d’auteurs de talent s’est dévouée à l’instruction de la jeunesse et elle cherche à atteindre ce but en l’amusant. Citons parmi ceux qui sont entrés dans cette voie et dont nous n’avons pas assez de place pour analyser les volumes, qui, d’ailleurs, y perdraient beaucoup de leur imprévu et de leur attrait ; chez Delagrave : Cœurs d’Alsace et de Lorraine[38], par M. E. Hinzehn, qui fait revivre les mœurs, la poésie et les traditions des deux chères provinces qui ont gardé intact leur amour pour la France ; — Jean le loup[39], de Jean Nesmy, l’auteur du Roman de la Forêt. Dans ces nouveaux contes qui rappellent le Roman de Renard, il met en scène, avec le talent que l’on sait, des animaux et leur fait accomplir mille tours ; — l’Eau Tournoyante[40] de L. Motta, où la mer mêle ses fureurs aux péripéties du drame humain. — Lulu au Maroc[41], par M. Jules Chancel avec les illustrations de Bombled ; — l’Ile du Solitaire[42], par M. Maurice Champagne ; — un roman pour les jeunes filles : La Petite maîtresse de maison[43], par Mme A. Latouche, illustré par Léonce Burrett ; — Hors du Nid[44], par Marie Girardet, avec dessins de R. de la Nozière, — ces quatre derniers récits tirés du Saint-Nicolas[45], — ainsi que les albums[46], pour les plus petits, de Jérôme Doucet et de Tony d’Ulmès, illustrés par Robida et par Fontanez. L’Album de MM. Charles Clerc et Norbert Sevestre : Quand nos grands rois étaient petits[47], sera certainement bien reçu du jeune public auquel il s’adresse. C’est un des plus jolis de l’année, où l’on trouve, contés avec beaucoup de grâce et de simplicité naïve, et illustrés de compositions captivantes par le pinceau de Job, les aventures de Berthe au grand pied, les épisodes les plus touchans des premières années de saint Louis, quelques traits de Louis XI et de Jeanne d’Arc, la jeunesse du roi Henri, et quantité d’anecdotes touchant l’enfance de François Ier, de Louis XV, de Marie-Antoinette Dauphine, de Joséphine de Beauharnais, de Napoléon. Empruntés à l’histoire, ces récits sont bien faits pour charmer l’imagination de l’enfance et tout à fait à sa portée L’album de M. J. Jacquin avec les joyeuses illustrations de Ch. Thompson, Messieurs les animaux s’amusent[48], ne plaira pas moins aux enfans.

La Maison Mame offre l’Épopée vendéenne[49], par M. Gustave Gautherot, Nord-Sud[50], de M. René Bazin, livre qui a déjà été signalé ici même, — l’Ile envahie[51], roman patriotique par Georges de Lys, dont l’action se passe en Corse, — A la gloire des Bêtes[52], de A. Fabre, avec illustrations dues à la verve spirituelle de Job

Dans cette littérature d’imagination à la fois attrayante, saine et profitable, la librairie Hachette apporte son contingent : Les Pirates de l’Air[53], de M. Pierre Vernou, — Une mystérieuse affaire[54], de M. Georges Gustave-Toudouze, — Les Petits naufragés du Titanic[55], par MM. Jacquin et A. Fabre, — les Contes Merveilleux[56], par Teresah, qui a su allier l’irréel aux découvertes modernes ; — plusieurs de ces récits sont compris dans le Journal de la Jeunesse[57] et Mon Journal[58]. La maison Hetzel continue la publication des récits si appréciés d’André Laurie. Autour de la Méditerranée (l’Ecolier d’Athènes, — Tito le Florentin,— le Bachelier de Séville)[59], la célèbre adaptation de Maroussia[60] de P.-J. Stahl. — La librairie Flammarion est représentée par ces brillans contes : La Belle-Nivernaise[61] d’Alphonse Daudet, — les Débuts de Jean-Louis[62], par Noël Dasproni, — Ma cousine Nicole[63], de Mathilde Alanic. Citons encore les Mémoires de Poum, chien de police[64], par M. Goron, — Annette et Philibert[65], d’Henry Bordeaux, ainsi que l’Ile envahie[66], de Georges de Lys, — Professer Knatsckhé[67] et l’Histoire d’Alsace, de l’oncle Hansi[68] H. Floury. </ref>. Là on rencontre de vigoureux exemples et de grands souvenirs où les vertus de l’homme sont citées et proclamées de telle façon que l’imagination, toujours séduite par ce qui est beau et noble, ne désire plus qu’une chose, imiter ce que l’on fait de bien. Mais de toutes ces aventures imaginaires, aucune ne produira autant d’émotion que la simple réalité des récits du Tour du Monde[69], et plus encore ceux de l’Expédition de « l’Alabama » par le capitaine Ejnar Mikkelsen : Perdus dans l’Arctique[70], — et surtout le Journal de route du capitaine Scott au Pôle Sud : le Pôle Meurtrier ([71], qui n’est pas seulement le récit d’un drame poignant dans la lente montée de la mort par le froid et la faim, mais encore l’un des plus admirables exemples d’héroïsme qu’un homme puisse donner.

C’est tout à fait un livre qui convient à la jeunesse que le Buffon[72], de Benjamin Rabier, publié par la maison Garnier, avec les gravures hors texte et les dessins en couleurs de cet artiste qui sait donner quelque chose d’humain aux physionomies des bêtes domestiques et même à celles qui ne le sont pas. L’idée est heureuse d’avoir, pour peindre les animaux domestiques, les animaux sauvages, les reptiles et les poissons, fait un choix dans les descriptions de l’Histoire naturelle de Buffon où le style est en si parfait accord avec la substance et l’essence même de l’idée. Naturam amplectitur omnem : il embrasse la nature tout entière (c’est la devise mise au bas de l’édition de 1774). Buffon n’a pas seulement étendu le domaine de la littérature et réussi, en grand écrivain, à rendre accessibles à tous l’histoire naturelle et la science. Bien des progrès accomplis dans l’anatomie comparée et la physiologie ont pour origine ses travaux, qui retrouvent de l’autorité après une longue éclipse. La gloire en revient à la publication de l’Histoire naturelle. L’heure est donc venue de lui rendre justice auprès des jeunes générations, et de la leur faire connaître par des extraits faits, comme ceux-ci, à son usage. Elles suivront, d’autre part, dans la Vie des Insectes, — les Mœurs des Insectes, — les Ravageurs, — les Auxiliaires, tirés des Souvenirs Entomologiques[73] de J.-H. Fabre, qui lui aussi est un habile écrivain, les recherches les plus curieuses d’une science aimable et profonde, faite de précision, de sincérité et d’ingéniosité, acquise sur la terre de Provence, au chant des cigales, et dont le charme, la bonhomie, la simplicité apparaissent comme un hymne au Créateur. Par la connaissance des infiniment petits, lui aussi aura rendu possible la lutte contre les insectes nuisibles.

Cette lutte poursuivie par les savans français, et surtout par les élèves et disciples de Pasteur, elle a été retracée, — dans la cérémonie du 15 novembre dernier, à propos du vingt-cinquième anniversaire de la fondation de l’Institut Pasteur, — par le continuateur de la pensée du maître, génial et bon, dont le nom couronne et résume le siècle scientilique, par le docteur Roux, en un discours aussi simple que puissant. Par son élévation et sa portée, il consolait de tant d’autres discours creux, vides et malfaisans ; il rappelait tous ces admirables travaux : découverte des toxines microbiennes, sérums contre la diphtérie, le tétanos, les poisons de l’organisme, antimicrobiens du charbon, de la dysenterie, recherches sur la genèse du cancer ; de la peste, de la fièvre jaune, sur la tuberculose, l’épuration des eaux d’égout... etc. qui ont permis d’organiser l’hygiène publique non seulement sur le territoire de la mère patrie, mais au service des indigènes et des colons, multiplié les dévouemens aux colonies, dans les instituts bactériologiques de Brazzaville, de Saigon, de N’Ha Thang, partout où nos bataillons vont planter le drapeau national, missionnaires, médecins et soldats rivalisant de courage et de dévouement. A tous ces jeunes gens que le service militaire groupe désormais pour trois ans sous les drapeaux, quels exemples plus beaux, plus sublimes pourrait-on citer dans aucun temps que ceux évoqués dans les Épopées africaines[74] et A travers l’Afrique[75], du colonel Baratier, où tant de héros obscurs bravent les maladies et la mort avec un courage stoïque, la conscience de l’honneur dans la confraternité d’armes, et surtout ce sentiment d’humanité, cet enthousiasme généreux, caractéristiques de notre race, qui attachent si étroitement à la France, par une union indéfectible, ceux qui ont souffert et prospéré avec elle dans une longue et ferme collaboration des cœurs et que l’infortune du sort en a cruellement séparés.


J. BERTRAND

  1. Hachette.
  2. Fontemoing.
  3. J. Rey, à Grenoble.
  4. J. Rey, à Grenoble.
  5. Fontemoing.
  6. Hachette.
  7. Librairie Larousse.
  8. Librairie Larousse.
  9. Hachette.
  10. Laurens.
  11. Laurens.
  12. Hachette.
  13. Hachette.
  14. Hachette.
  15. Hachette.
  16. Henri Laurens.
  17. Hachette.
  18. Hachette.
  19. Henri Laurens.
  20. Henri Laurens.
  21. H. Laurens.
  22. H. Laurens.
  23. H. Laurens.
  24. H. Laurens.
  25. H. Laurens.
  26. H. Laurens.
  27. Plon.
  28. Perrin.
  29. Ch. Eggimann.
  30. Armand Colin.
  31. H. Laurens.
  32. H. Laurens.
  33. Flammarion.
  34. Henri Laurens.
  35. Henri Laurens.
  36. Henri Laurens.
  37. Henri Laurens.
  38. Delagrave.
  39. Delagrave.
  40. Delagrave.
  41. Delagrave.
  42. Delagrave.
  43. Delagrave.
  44. Delagrave.
  45. Delagrave.
  46. Delagrave.
  47. Delagrave.
  48. Hachette.
  49. Mame.
  50. Mame.
  51. -Mame.
  52. -Mame.
  53. Hachette.
  54. Hachette.
  55. Hachette.
  56. Hachette.
  57. Hachette.
  58. Hachette.
  59. Hetzel.
  60. Hetzel.
  61. Flammarion.
  62. Hetzel.
  63. Flammarion.
  64. Flammarion.
  65. Flammarion.
  66. Flammarion.
  67. Mame.
  68. H. Floury.
  69. Hachette.
  70. Mame.
  71. Hachette.
  72. Garnier.
  73. Delagrave.
  74. Perrin.
  75. Perrin.