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Les Livres d'étrennes 1897

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Les Livres d'étrennes 1897
Revue des Deux Mondes4e période, tome 144 (p. 935-946).
LES
LIVRES D’ÉTRENNES

Parmi les œuvres d’imagination qui, pour le renouveau de l’année, apparaissent embellies avec tant de goût, parées avec tant de soin et d’élégance, ornées de gracieux dessins, richement habillées, entourées en quelque sorte d’un cadre magique pour en mieux marquer le prix, où l’on a mis en prose des coups de crayon, aux trois quarts faites par les dessinateurs, — dont les illustrations offrent le principal élément de succès, — et dont on pourrait dire que les auteurs se sauvent du naufrage de planche en planche, la plupart s’adressent à la curiosité plutôt qu’à l’esprit. Mais il en est aussi quelques-unes qui doivent leur origine à des préoccupations plus nobles, qui répondent au mouvement d’activité littéraire qui caractérise notre temps, où le dessin ne nuit pas au texte et n’en rompt pas l’unité. Comme il est un atelier d’idées, notre pays demeure un atelier d’art, et si les livres qu’on édite, à tant de frais, ne peuvent être tous des livres sérieux, à cette époque de l’année, beaucoup du moins sont remarquables par leurs compositions très originales et d’une agréable fantaisie.

L’histoire de l’ornementation des manuscrits et de l’illustration du livre est intimement bée à l’histoire même du développement de l’art en France et de la culture intellectuelle. Au XIIIe siècle déjà, c’est-à-dire au moment où s’épanouit le génie du moyen âge, l’art des miniatures brille en France de l’éclat le plus vif, l’école de Paris dispute à l’École de Bologne la prééminence dans l’art d’orner les manuscrits. Lorsque Dante, au XIe chant du Purgatoire, rencontre dans le Cercle des orgueilleux un des miniaturistes bolonais : « N’es-tu pas, lui dit-il, l’honneur d’Agobbio, l’honneur de cet art qu’on appelle à Paris enluminure ?


Non se’ tu Oderisi
L’onor d’Agobbio e l’onor di quell’ arte
Ch’alluminare é chiamata in Parisi ?

Un acte de l’Inquisition de Carcassonne, daté de 1308, montre également quelle était la célébrité des dessinateurs parisiens.

Mais ce n’est pas seulement le XIIIe siècle qui a vu briller l’art des illumineurs, ce ne sont pas seulement les écoles de Bologne et de Paris qui l’ont rendu célèbre. De Byzance au fond de l’Angleterre, en Europe comme en Asie, du VIe siècle au XIVe siècle, chaque pays a ses calligraphes et ses miniaturistes. On pourra désormais suivre à travers les siècles les phases de l’art de l’ornementation des manuscrits. Un amateur passionné pour ces merveilles a eu l’idée de rassembler les plus belles pages, les plus étincelantes arabesques, les plus splendides encadremens des manuscrits célèbres et d’en composer un livre[1] qui pût retracer aux yeux les modèles un peu partout dispersés.

A cet art modeste et charmant, que ne dédaignèrent point des peintres comme Léonard de Vinci, Michel-Ange, Raphaël, succédèrent la gravure sur bois, la gravure à l’eau-forte, au pointillé, au lavis, tous ces ingénieux procédés de reproduction, si perfectionnés de nos jours, et que le génie du XIXe siècle a mis au service de la science.

C’est à ces illuminateurs sans pareils, comme on les appelait, de notre magnifique moyen âge qui ont couvert de miniatures exquises les vieilles chroniques de nos pères, nos héroïques chansons de gestes, et surtout les premiers livres de piété depuis la Bible de Théodulfe et l’Évangéliaire de Charlemagne jusqu’au Missel d’Anne de Bretagne, depuis la Bible de Charles le Chauve et le Sacrementaire d’Autun jusqu’au Bréviaire du cardinal Grimani, que se rattachent nos modernes illustrateurs ; c’est à leur école qu’ils se sont formés. Après avoir opposé une résistance courageuse aux envahisseurs de l’industrie mécanique, nos peintres et nos graveurs contemporains les plus anciens ont mis tout leur talent à les perfectionner. On jugera encore mieux des résultats qu’ils ont obtenus en Usant l’ouvrage de M. Emile Bayard, écrit par le fils d’un de nos dessinateurs les plus originaux, les plus féconds, les plus appréciés : l’Illustration et les Illustrateurs[2] et consacré à montrer ou à faire revivre tous ces dessinateurs ingénieux, curieux chercheurs, à l’imagination brillante, au crayon intarissable, dont quelques-uns se sont fait de grands noms dans d’autres branches de l’art, et qui nous ont charmés par leur beau talent.

Ne quittons pas l’école des peintres miniaturistes et graveurs sans parler du précieux volume que M. Louis Bourdery, l’habile émailleur, et M. Emile Lachenaud, le collectionneur émérite, ont écrit sur l’œuvre de Léonard Limosin[3], peintre, graveur, géomètre, miniaturiste et émailleur, qui personnifie, à lui seul, l’école de Limoges ; qui a porté l’art de l’émail peint à son apogée, après avoir créé le genre. Les dates extrêmes qui se lisent sur ses portraits sont celles de 1535 et de 1574. Pendant ce long espace de temps, les principaux personnages de la Cour des Valois virent leurs effigies inaltérablement fixées par Limosin. Ce volume, le plus complet et le mieux renseigné qui existe sur Léonard Limosin, est illustré de reproductions en phototypie et de dessins gravés : armoiries, emblèmes, culs-de-lampe, motifs de décor, du plus heureux choix ; l’exécution typographique en est de tous points parfaite.

Si l’on a beaucoup écrit sur l’histoire, la technique et l’ornementation du livre, on ne s’est guère occupé de sa décoration extérieure, du goût et de l’ingéniosité que les illustrateurs, décorateurs, ornemanistes apportent dans les divers modes d’habillage du livre contemporain, des innombrables manières dont ils comprennent cette parure apparente d’un volume de luxe, cette parure que recherchent les amateurs d’éditions rares ou de reliures coûteuses ; on ne s’est point inquiété de tout ce qui a trait aux conditions essentielles de sa beauté extérieure. Il appartenait à M. Octave Uzanne, maître-expert en ces curieuses recherches de bibliophile, de combler cette lacune en montrant, à l’aide de nombreux modèles, pris parmi les volumes nouveaux les plus riches ou les plus rares, quelle dépense d’invention a été faite, depuis quelques années, pour donner au revêtement du livre une apparence somptueuse, originale et en rapport étroit avec son caractère[4]. En examinant toutes ces magnifiques gravures hors texte, on jugera de toute l’érudition qui était nécessaire et de l’importance des recherches qu’il a fallu faire pour composer ce brillant recueil.

Parmi les œuvres d’imagination qui sont le plus habilement illustrées, mettons au premier rang la nouvelle édition des Contes de Perrault[5]. C’est certainement l’une des plus charmantes et des plus originales qui aient jamais paru de ces Contes, — bien vieux sans doute, puisque d’aucuns leur assignent une origine aryenne, — où l’on retrouve un reflet de la pensée de l’humanité primitive, et qui se sont modifiés suivant le génie et les mœurs de chaque peuple, jusqu’à ce qu’en France, ils aient revêtu ce tour naïf et gracieux qui répond si bien au goût des enfans pour le merveilleux. Avec son amour de l’enfance, Perrault a senti que le goût de la jeunesse pour le merveilleux s’épanouit plus tard en fleur de poésie et de foi. C’est une des raisons, entre beaucoup d’autres, qui fera toujours rechercher ces chefs-d’œuvre par toutes les générations à venir. Cette nouvelle édition se distingue de toutes celles qui l’ont précédée par la variété des compositions, la diversité de leur conception, la familiarité et la naïveté touchante des unes, la noblesse des autres. L’illustration de chaque conte est l’œuvre d’un artiste différent ; leur choix fait honneur à l’habileté de l’éditeur.

Que dire qui n’ait été déjà dit d’une œuvre qui a suffi à rendre à jamais célèbre le nom de son auteur : du récit de cette aventure d’amour dont Loti fut le héros, de ce « mariage »[6] qui devait lui permettre d’étudier ce qu’il y a de primitif dans les usages et les paysages de Tahiti, dans les mœurs maories ; de percevoir la nature au travers de la sensation ; d’écrire ces pages d’un goût si rare, si ce n’est qu’il a voulu lui-même faire revivre de la vde de l’art, sous son crayon même, les êtres et les choses qui l’ont inspiré, donner une existence nouvelle à ces personnages, à ces tableaux familiers, à tous ces paysages de la Grande île, de l’Ile de la Reine ? Sans doute, on les connaissait trop pour pouvoir espérer jamais les retrouver tous mis en scène avec l’allure et la physionomie que leur a prêtées notre imagination, quand le poète nous décrivait Rarahu avec des yeux d’un noir roux, un nez court et fin comme celui de certaines figures arabes, des dents blanches qui conservaient encore les stries légères de l’enfance, cette teinte fauve uniforme tirant sur le rouge brique, celle des terres cuites claires de la vieille Étrurie. La difficulté semblait grande, pour ne pas dire insurmontable, de montrer tout cela, de représenter Rarahu-la-Rouge avec la vigueur du coloris exotique, alors que dans le roman, c’est plus que de la description et plus que de la peinture que nous avons trouvé ; et qu’à l’impression vague et multiple du poète, le dessinateur risquait fort de substituer une sorte d’image immobilisée. Aussi quel plus sincère éloge pourrait-on faire qu’en disant de l’artiste écrivain qu’il a parfois vaincu cette difficulté ? Tout le monde voudra comparer cette reproduction de la réalité prise dans la nature par l’auteur lui-même avec ses types imaginaires et posséder ce magnifique ouvrage où l’artiste a doublé le poète.

M. Jean Lorrain ne fut jamais mieux inspiré qu’en écrivant ce joli récit si simple et d’une mélancolie si pénétrante qui a pour cadre la petite ville de l’Artois où se passa son enfance. Comme on la voit bien apparaître derrière ses remparts évoquée du passé, ainsi qu’une estampe un peu jaunie cette petite ville de Montfort-les-Fossés, avec son vieux beffroi où ne sonnaient plus les heures, les logettes de son marché aux volets immuablement clos, ses ruelles poudreuses et désertes aux noms surannés et charmans, où l’on retrouve des détails d’architecture et de coutumes, des traits de mœurs, un tas de vieilles petites choses démodées que ne dépare pas d’ailleurs la cousine Corisande de Vassenoisse avec ses prétentieux racontars et ses histoires de l’autre monde. Ma Petite Ville[7] a toutes les qualités d’une publication de choix ; elle en a l’élégance, l’impression irréprochable, sur vélin ; avec ses illustrations à l’aquarelle, de Manuel Orazi, gravées à l’eau-forte et imprimées en couleurs, si fraîches et si lumineuses, — par exemple les marais de la Sorgue, — avec ses vignettes si pittoresques de Léon Rudnicki, elle fait grand honneur à l’éditeur.

Une des plus belles publications de l’année sera certainement ce volume sur la Danse,[8] qu’édite avec tant de luxe la maison Hachette. La danse, qui n’éveille que des idées de grâce, de douceur, de légèreté naturelle, la danse, ce poème rythmé, que développe devant nous, en tableaux vivans, la beauté plastique dans la perfection de ses formes, a trouvé son historien en M. G. Vuillier, qui en parle avec autant de goût qu’il en a mis à la représenter dans ses dessins sous ses diverses formes. Son beau livre, qui retrace l’histoire de la danse à travers les âges, s’ouvre avec les scènes peintes dans la nuit des tombeaux des Pharaons au Sérapéum, et se clôt sur la danse des flammes aux Folies-Bergère et le ballet de Sardanapale à l’Olympia. L’origine de la danse qui fut en usage dans tous les temps et dans tous les lieux paraît avoir eu un caractère religieux et ses règles, ses lois analogues à celles de la musique et de la sculpture. Dans l’antiquité païenne et l’antiquité biblique, la danse se confond avec le culte de la religion. Mais si les danses n’ont pas beaucoup varié, depuis le temps de Moïse, les Hébreux ne sont plus seuls à danser devant le Veau d’Or et nos danseuses légères à faire des jetés qui rappellent les danses voluptueuses des ludions étrusques et qui dérivent de cette danse dite γέρανος inventée, prétend la légende, par Thésée. Quel plus intéressant sujet d’études pour un artiste que cet art qui est la plus gracieuse manifestation de la beauté plastique ? Appuyé sur l’autorité des auteurs anciens et modernes, M. G. Vuillier a pu accompagner de commentaires et d’anecdotes les séduisantes et curieuses images de la Danse à travers les âges. Grâce au précieux concours de MM. Pottier, Maurice Emmanuel, Nuitter, Desrat, aux ouvrages et aux estampes de la Bibliothèque nationale et de celle de l’Arsenal, le poème de la danse déroule, en ces illustrations, ses strophes rapides ou lentes, toujours rythmées, chatoyantes, agréables aux yeux comme toute manifestation de la Beauté, instructives pour l’esprit, variées comme les peuples et les époques dont elles ont embelli la vie. Tous les grands sculpteurs et tous les peintres illustres ont, pour ainsi parler, collaboré à l’œuvre. C’est assez pour en dire tout le prix et la rare valeur, et nous pouvons ajouter qu’elle est d’une exécution parfaite.

Nous avons plus d’une fois ici même loué la sûreté de goût et la science incomparables avec lesquelles Mme de Witt a su rendre accessible à tous le texte primitif et la langue quelque peu ardue des chroniqueurs d’autrefois, pour qu’il soit besoin d’insister sur le nouveau volume[9] qui vient s’ajouter à ce beau travail de reconstitution de nos récits historiques, et continue cette longue et si curieuse enquête sur l’ancienne France. Avec Charles V, avec Charles VI, le roi fou, les Armagnacs et les Bourguignons, l’invasion anglaise, le démembrement et la ruine de la France, c’est la période la plus sombre de notre histoire, durant la guerre de Cent-Ans, qu’évoquent ces fidèles et naïfs chroniqueurs, jusqu’au jour où ils nous font assister à la grande proclamation de la sainteté de la patrie avec Jeanne d’Arc. De nombreuses chromolithographies et gravures, d’après les manuscrits et les monumens de l’époque, ou dues au crayon de Zier, ajoutent encore à la beauté du texte.

Un autre genre d’intérêt recommande le livre de Mgr Le Nordez. En écrivant ce résumé de l’histoire de Jeanne d’Arc[10], telle qu’elle fut en sa vie, telle que la mort nous l’a faite, et telle que l’imagine à toutes les époques l’ingénuité du sentiment national et populaire, en mettant sous nos yeux tous les portraits, — si différens, depuis la tapisserie du musée d’Orléans jusqu’aux œuvres de nos contemporains qui ont prétendu à représenter la sainte héroïne et martyre, — Mgr Le Nordez a élevé un véritable monument à la glorification de la vierge de Domremy, qui nous apparaît ici sous les traits multiples que lui ont prêtés le culte et la foi de ses admirateurs, dont le nombre n’a cessé de grandir depuis le moyen âge. C’est moins le récit détaillé de la vie de Jeanne d’Arc que l’âme même de cette vie rendue visible par les artistes de notre pays les plus connus depuis quatre siècles.

C’est également une œuvre d’iconographie chrétienne que le livre à la fois pieux et savant de M. Charles Ponsonailhe[11] écrit pour retracer la vie du saint de chaque jour, en résumant les recherches des plus illustres hagiographes : Jacques de Voragine, Pierre de Natalibus, Aloysius Lypoman, Ribadeneira et les bollandistes, enfin Lacordaire, Montalembert, le cardinal Pitra, etc. Toutes les écoles de peintres y sont représentées par d’excellentes photogravures.

Les beaux faits d’armes du Chevalier Bayard[12] trouvent tout naturellement leur place ici, à la suite des luttes héroïques de Jeanne d’Arc et de Duguesclin que M. Th. Cahu a su si bien conter à la jeunesse, avec tant de naturel, de simplicité et de chaleur patriotique. C’est une véritable leçon d’histoire de France, mais une leçon admirablement faite pour captiver et charmer les jeunes imaginations.

Les Mémoires du sieur de Pontis[13], pleins de verdeur et de couleur, où la vie d’un demi-siècle se trouve ressuscitée au temps de Henri IV et de Louis XIII, qui furent un enchantement pour Mme de Sévigné, quand ils parurent en 1676. n’en seront pas un moins grand pour nos jeunes gens d’aujourd’hui, surtout quand ils les liront dans cette belle édition où le talent du peintre des Chouans, Julien Le Blant, s’est encore surpassé.

Pour ceux qui ont le goût des choses militaires, que de souvenirs déjà lointains évoquera ce superbe album, qui renferme une collection incomparable de toutes les tenues, de tous les emblèmes des différens régimens qui composaient la phalange impériale ! Il revit tout entier ce corps d’élite du second Empire avec tous les détails d’habillement, d’équipement, dans ces belles planches en couleur d’après les aquarelles de M. Charles Morel, les reproductions de photographie représentant des groupes d’ensemble, des scènes épisodiques, à côté des hauts faits de la Garde[14].

Nous pouvons rapprocher l’un de l’autre deux importans ouvrages qui se complètent en quelque sorte l’un l’autre : le deuxième volume de l’Album historique[15] publié sous la direction de M. Lavisse, contient la suite de l’histoire de la civilisation par l’image durant les XIVe et XVIe siècles, qui assistèrent à la plus triste déchéance du goût, virent mourir tout ce qui avait fait l’âme du moyen âge et semblèrent en fait d’art attendre la vie d’un souffle nouveau, souffle qui vint de l’antiquité. Quant au tome II de l’Album géographique[16], il est spécialement consacré aux régions tropicales. En même temps que des connaissances exactes et sommaires et les résultats des dernières explorations, il donne des pays et des hommes des images authentiques qui sont le meilleur commentaire du texte, et le fixent à jamais dans la mémoire.

Une publication qui, grâce au goût qui préside au choix des sujets, a exercé depuis 1860 l’influence la plus profonde sur l’éducation des jeunes gens en éveillant chez eux le goût des voyages et d’étudier les peuples et les races de plus près, c’est assurément le Tour du monde[17]. C’est là qu’ont paru tout d’abord les souvenirs et impressions de voyages de Mlle M.-A. de Bovet sur l’Ecosse[18], d’une observation si fine et si pénétrante, d’une émotion si vraie, d’une interprétation si juste, toujours si bien rendue et si élégamment exprimée, que les lecteurs de Walter Scott, sans en excepter les autres, auront d’autant plus de plaisir à relire dans ce luxueux ouvrage qu’ils y retrouveront évoquée la terre romantique si souvent parcourue en compagnie des héros du poète-historien d’Edimbourg, avec ses sites historiques, ses paysages aimés, tous ces lieux célèbres.

Du Tour du Monde également sont tirés l’Expédition de Madagascar[19], journal de marche du docteur Hocquard, qui a vu de près l’héroïsme et la vigueur de nos troupes, et conté simplement ce qu’il a vu, et le récit de l’exploration faite entre le Tonkin, le Yun-Nam et le Thibet par le docteur Roux pour reconnaître les Sources de l’Irraouaddi[20].

Le Voyage au Tonkin[21] du prince Henri d’Orléans est d’un explorateur intrépide et expérimenté qui sait bien voir et rendre ce qu’il a vu d’une manière originale et vive. De belles cartes et des dessins d’une grande beauté, dans leur variété rare, donnent encore plus de prix à ce magnifique volume.

Deux autres ouvrages encore nous transportent à Madagascar, qui diffèrent par leur caractère : celui de M. Louis Brunet, De Marseille à Tamatave[22], où le député de la Réunion, sous la forme d’un simple voyage, fait l’histoire et la description du pays qu’il s’agit d’assimiler, et celui de M. Grosclaude, Un Parisien à Madagascar[23], carnet de route, émaillé de plaisanteries spirituelles. En Sahara[24], par M. Gaston Donnet, est encore un voyage d’exploration qui piquera la curiosité.

Si, de nos colonies lointaines, nous revenons en France, nous trouvons, dans la collection des montagnes de France, le nouvel ouvrage d’un peintre de talent, M. G. Fraipont, qui est aussi un écrivain de beaucoup de goût et, à ce double titre, a toujours su rendre ses impressions en interprète délicat de la nature, en artiste consciencieux qui ajoute à la vérité du sentiment la beauté de l’expression. Tous ceux qui ont eu tant de plaisir à voir les Vosges avec lui voudront encore l’accompagner dans le Jura et le Pays Franc-Comtois[25].

M. Marius Bernard, toujours fidèle aux côtes latines dont toutes les merveilles lui sont familières, nous conduit dans ce nouveau volume de Vintimille à Venise[26] en faisant tout le tour de la Péninsule.

La Russie ne pouvait manquer d’attirer et de piquer la curiosité de plus d’un voyageur français à la suite du Voyage du Président de la République[27], dont M. Aubanel reproduit les épisodes d’après la photographie. Mais si l’on veut être initié de plus près à la vie intime du peuple russe et des Petits-Russiens, il faut la traverser, voir Nos Alliés chez eux[28], descendre ou remonter ses fleuves : le Volga, le Dniepr, guidé par M. Michel Delines. M. François Bournand de son côté a fait œuvre historique dans son travail consciencieux et sincère, qui montre les rapports de la France et de la Russie[29] pendant huit siècles, — de 1061 à 1897, — et qui nous fait pénétrer dans la psychologie des deux peuples. Entre l’accueil fait en 1654 à Constantin Matchékine et à ses compagnons, venus pour offrir à notre commerce le monopole du marché russe, et la réception faite à l’amiral Avellan, on verra qu’il y a encore plus de différence qu’il ne s’est écoulé d’années.

Mais à quoi bon courir si loin quand Paris offre tant d’excursions des plus intéressantes, tant de souvenirs historiques, rappelant nos origines dans les annales de notre passé, tant d’œuvres attestant la fécondité des maîtres anciens et modernes ? C’est ce qu’a pensé M. de Ménorval en entreprenant ces Promenades à travers Paris[30].

La maison Hetzel, toujours fidèle à ses traditions, avec la production qui fait le caractère de son individualité si tranchée, continue à répondre à tous les goûts de la jeunesse et de l’enfance par ses collections uniques du Magasin d’éducation, des Albums Stahl et de la Petite Bibliothèque blanche, dont nous ne pouvons signaler ici tous les romans qui se recommandent par un tour ingénieux, amusant, instructif et toujours moral, par le nom seul de leurs auteurs, et pour le choix desquels on peut se fier au goût de l’éditeur et à son habile expérience. Bornons-nous donc à dire quelques mots de la dernière œuvre de M. Jules Verne : le Sphinx des glaces[31], d’une invraisemblance si naturelle, où l’observation est condensée avec tant d’art qu’on ne sait plus bien où finit la fiction, où commence la réalité ; où l’intérêt résulte d’une si heureuse combinaison de l’élément scientifique et de l’imagination ; où l’on suit avec passion l’aventureuse et extraordinaire campagne de la goélette Halbrane, échouée dans les mers australes, après être partie à la recherche des marins naufragés de la Jane, qui, sur la foi d’Arthur Pym, l’aventurier célébré par Edgard Poë, avaient tenté d’arracher au sphinx des glaces les secrets de cette mystérieuse Antarctide.

Les héros de M. André Laurie dépassent eux aussi la mesure commune, et cette fois encore, Gérard et Colette[32] accomplissent des exploits invraisemblables, dans leur recherche de l’or en Afrique ; mais c’est justement par là qu’ils forcent l’admiration de la jeunesse, qu’ils lui font passer des heures aussi agréables. Notons encore chez le même éditeur les Chasseurs de girafes de Mayne-Reid[33], Double conquête, par M. Dupin de Saint-André ; — Pêche et Chasse sur les côtes de France, par M. Loudemer. Dans cette littérature spéciale qui s’adresse à la jeunesse par le Magasin pittoresque, le Musée des familles, le Saint-Nicolas, le Petit Français, Mon Journal, la Revue des Jeunes Filles, le Journal de la Jeunesse, où tout a sa place : la légende et l’histoire, l’étude des caractères, l’analyse intime, l’observation délicate et la fantaisie ; qui réunit tous les contrastes ; où la peinture du monde idéal repose de la réalité, y supplée quelquefois ou la continue, mais sous une forme nouvelle et séduisante, — tandis que la gravure se met à son service pour en buriner les plus capricieuses inventions, — dans cette littérature de la jeunesse, il faut nommer tout d’abord Colas, Colasse et Colette[34], où Jules Simon, a donné toute la mesure de son talent de fin conteur et de moraliste séduisant ; — François Bûchamor[35], relation des plus émouvantes de l’épopée des grandes guerres de la Révolution et de l’Empire, traduite par un paysan qui raconte simplement ce qu’il a vu ; — les Pirates de Venise, — ces deux volumes publiés à la librairie Delagrave, laquelle, avec Rip, de l’humoriste américain Washington Irving, le Royaume des roses de l’Italien Fornari, le Filleul de Mutte, par M. Pierre du Château, offre une collection si variée ; — Jean Fanfare, par M. Paul d’Ivoi ; — Au pôle sud en ballon[36] ; — Au pays du mystère ; — le Roi du timbre-poste ; — Monnaie de singe[37], par Mme de Nanteuil. Ajoutons à cette liste les Contes de bonne Perrette[38], où M. René Bazin a groupé le Petit Chantre, la Jument bleue, le Retour, qui, par la variété, l’émotion, l’observation mêlée de poésie, feront bonne figure parmi les meilleures œuvres de nos conteurs français ; — le Vœu de Madeleine[39], — le Roi des Jongleurs[40], récit humoristique, aussi amusant dans le texte que par l’illustration ; — Impressions de première jeunesse[41] de Vera Jelikowska, où l’on trouvera un récit attachant et animé de l’éducation familiale en Russie. Signalons encore quelques livres dont la place n’est indiquée dans aucune des catégories qui précèdent : la Mer, la Forêt, la Montagne[42], très poétiquement illustré par Mlle Louise Abbema, — l’Art et les Travaux à l’aiguille[43] par M. G. Fraipont, très intéressant traité, auquel est jointe une série de documens, de dessins et aquarelles spécialement exécutés par l’auteur, donnant la forme de l’objet à décorer, indiquant la matière, les couleurs et les teintes à employer, et pour lesquelles on fera bien de se fier à son expérience et à son goût. C’est là un ouvrage qui, par son élégance et son objet, est spécialement destiné aux jeunes filles et aux jeunes femmes.

En terminant, nous ne pouvons pas ne pas citer quelques albums qui attestent la fécondité et la libre recherche de nos illustrateurs : l’Almanach des Douze Sports[44], par Nicholson, dont les xylographies révèlent un observateur très personnel, interprète puissant, qui se rattache à l’école qui compte des dessinateurs comme Hogarth, Rowlandson et Cruikshanck ; — le Cirque et les Forains[45], où M. Henry Frichet nous initie au détail de la vie des acrobates, clowns, dompteurs de fauves et saltimbanques, comme M. Hachet-Souplet au Dressage des animaux[46], — des Chats[47], par Steinlen ; — les spirituels Albums, dont le Repas à travers les âges[48], d’Albert Guillaume ; — Jean Bart[49], de M. J. Monlet, avec les illustrations si mouvementées de M. R. de la Nézière, — Vélocipédie et Automobilisme[50], par M. F. Régamey ; toutes ces compositions, enfin, où l’on trouve la spontanéité, l’entrain, l’abandon, la facilité qui produit toujours et se régénère sans cesse ; — qui, pour fuir la vulgarité, tombent parfois dans le factice, — et que l’on éprouve à regarder ce plaisir de l’imprévu qui est un des plus grands charmes de l’art.


J. D.

  1. L’Ornementation, des Origines au XVIIIe siècle, par M. Ernest Guillot, 1 album oblong avec, planches en couleurs ; H. Laurens.
  2. L’Illustration et les Illustrateurs, par É. Bayard, 1 vol. in-8o illustré ; Ch. Delagrave.
  3. Léonard Limosin, par MM. L. Bourdery et E. Lachenaud, 1 vol. in-8o illustré ; May.
  4. L’Art dans la Décoration extérieure des Livres de ce temps, par M. Octave Uzanne, 1 vol. in-8o, avec illustrations en phototypie ; May.
  5. Les Contes de Perrault, 1 vol. in-4o avec fac-similé d’aquarelles et dessins ; H. Laurens.
  6. Le Mariage de Loti. 1 vol. in-8o jésus, illustré par l’auteur et M. A. Robaudi ; Calmann Lévy.
  7. Ma Petite Ville, par Jean Lorrain, 1 vol. in-8o, avec aquarelles de Orazi, gravures à l’eau-forte et en couleurs par F. Massé et vignettes de Rudnicki, H. May.
  8. La Danse à travers les âges, par M. G. Vuillier, 1 vol. in-8o avec planches en taille-douce et gravures ; Hachette.
  9. Jeanne d’Arc et la Guerre de Cent Ans, d’après les chroniqueurs (de Froissart à Monstrelet), 1 vol. gr. in-8o illustré ; Hachette.
  10. Jeanne d’Arc racontée par l’image, par Mgr le Nordez, 1 vol. in-4o illustré ; Hachette.
  11. Les Saints par les grands maîtres, par M. Charles Ponsonailhe ; 1 vol. in-4o illustré ; Mame.
  12. Bayard, par M. Th. Cahu, avec compositions de M. Paul de Semant, 1 album in-4o Jésus ; Furne.
  13. Les Mémoires du sieur de Pontis, publiés d’après l’original par J. Servier avec les illustrations de Julien Le Blant et A. Giraldon, 1 vol. in-4. Hachette.
  14. La Garde (1854-1870), par le capitaine Richard, 1 vol. gr. in-4o illustré ; Furne.
  15. Album historique, par M. A. Parmentier, t. II, in-8o avec 8 000 gravures ; Colin.
  16. Album géographique, par M. Marcel Dubois, t. II, in-4o illustré ; A. Colin.
  17. Le Tour du Monde (1897), 1 vol. in-4o ; Hachette.
  18. L’Ecosse, par Mlle Marie-Anne de Bovet ; 1 vol. in-4o illustré ; Hachette.
  19. L’Expédition de Madagascar, par M. le Dr Hocquard, 1 vol. in-4o illustré ; Hachette.
  20. Aux Sources de l’Irraouaddi, par M. E. Roux, 1 vol. in-4o illustré ; Hachette.
  21. Du Tonkin jusqu’aux Indes, par le prince Henri d’Orléans, 1 vol. in-4o avec cartes et gravures par M. Huyot ; Calmann Lévy.
  22. De Marseille à Tamatave, par M. L. Brunet ; 1 vol. in-8o illustré ; Delagrave.
  23. Un Parisien à Madagascar, par M. F. Grosclaude ; 1 vol. in-8o ; Hachette.
  24. En Sahara, par M. Gaston Donnet. 1 vol. gr. in-8o ; May.
  25. Le Jura, texte et dessins de M. G. Fraipont, 1 vol. gr. in-8o ; H. Laurens.
  26. L’Italie, de Vintimille à Venise, par Marius Bernard, 1 vol. gr. in-8o ; Laurens.
  27. Voyage du Président de la République, par M. Aubanel, 1 vol. illustré ; H. May.
  28. Russie (Nos Alliés chez eux), par M. Delines, 1 vol. gr. in-4o illustré ; H. May.
  29. Russes et Français par M. F. Bournand, 1 vol. in-8o illustré ; Delagrave.
  30. Promenades à travers Paris, par M. A. de Ménorval, 1 vol. in-4o illustré ; H. May,
  31. Le Sphinx des Glaces, par M. Jules Verne, 1 vol. in-8o illustré ; Hetzel.
  32. Gérard et Colette, par M. André Laurie, 1 vol. in-8o illustré ; Hetzel.
  33. Les Chasseurs de girafes de Mayne-Reid, 1 vol. in-8o illustré. — Double Conquête, par M. Dupin de Saint-André, 1 vol. in-8o illustré. — Pêche et Chasse sur les côtes de France, par Loudemer, 1 vol. in-8o illustré ; Hetzel.
  34. Colas, Cotasse, Colette, par Jules Simon, 1 vol. gr. in-8o illustré ; Flammarion.
  35. François Bûchamor, par M. Alfred Assolant, 1 vol. gr. in-8o illustré. — Les Pirates de Venise, par M. Louis de Caters, 1 vol. gr. in-8o illustré. — Rip, de Washington Irving, 1 vol. in-8o. — Le Royaume des roses, par Fornari, 1 vol. in-8o. — Le Filleul de Mutte, par M. Pierre du Château ; Charles Delagrave.
  36. Jean Fanfare, par M. Paul d’Ivoi. II vol. gr. in-8o illustré. — Au Pôle Sud en ballon, par M. W. Uminski, Société d’Édition et de Librairie.
  37. Au Pays du mystère, par M. Pierre Maël, 1 vol. in-8o illustré ; Hachette. — Le Roi du Timbre-poste, par MM. G. de Beauregard et II. de Gorsse, 1 vol. in-8o, illustré. — Monnaie de singe, par M. P. de Nanteuil, 1 vol. in-8o illustré ; Hachette.
  38. Contes de bonne Perrette, par M. René Bazin. 1 vol. in-8o illustré ; Alfr. Mame.
  39. Le Vœu de Madeleine, par M. Rémy-Allier, 1 vol. gr. in-8o illustré ; Ducrocq.
  40. Le Roi des Jongleurs, par M. A. Rabida, 1 vol. gr. in-8o illustré ; A. Colin.
  41. Impressions de première Jeunesse, par Me Vera Jelikowska, 1 vol. in-8, illustré ; Hennuyer.
  42. La Mer, la Forêt, la Montagne, par Mme C. Linis, 1 vol. in-4o illustré ; Ch. Delagrave.
  43. L’Art et les travaux à l’aiguille, par G. Fraipont, 1 vol. in-4o avec album ; H. Laurens.
  44. L’Almanach des Douze Sports, par M. William Nicholson, 1 vol. illustré ; May.
  45. Le Cirque et les Forains, par M. Henry Frichet, 1 vol. in-4o illustré ; Mame.
  46. Le Dressage des animaux, par M. P. Hachet-Souplet, 1 vol. in-8o illustré ; Firmin Didot.
  47. Des Chats, 1 album in-fo illustré, par M. Steinten ; Ernest Flammarion.
  48. Le Repas à travers les âges, par A. Guillaume, 1 album illustré ; Delagrave.
  49. Jean Bart, 1 album gr. in-4o illustré par M. R. de la Nézière ; H. May.
  50. Vélocipédie et Automobilisme, par M. F. Régamey, 1 album in-8 ; A. Mame.