Les Lois Scélérates de 1893-1894/Texte des Lois scélérates

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Texte des Lois scélérates.


Loi portant Modification des articles 24, paragraphe 1er, 25 et 49 de la loi du 29 juillet 1881 sur la Presse.

(Du 12 décembre 1893).
(Promulguée au Journal Officiel du 13 décembre 1893)


Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,

Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Article unique. — Les articles 24, paragraphe 1er, 25 et 49 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse[1] sont modifiés ainsi qu’il suit :

« Art. 24. — Ceux qui, par l’un des moyens énoncés en l’article précédent, auront directement provoqué soit au vol, soit aux crimes de meurtre, de pillage et d’incendie, soit à l’un des crimes punis par l’article 435 du Code pénal, soit à l’un des crimes et délits contre la sûreté extérieure de l’État prévus par les articles 75 et suivants, jusques et y compris l’article 85 du même Code, seront punis, dans le cas où cette provocation n’aurait pas été suivie d’effet, de un an à cinq ans d’emprisonnement et de cent francs à trois mille francs (100 fr. à 3,000 fr.) d’amende.

« Ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement provoqué à l’un des crimes contre la sûreté intérieure de l’État prévus par les articles 86 et suivants, jusques et y compris l’article 101 du Code pénal, seront punis des mêmes peines.

« Seront punis de la même peine ceux qui, par l’un des moyens énoncés en l’article 23, auront fait l’apologie des crimes de meurtre, de pillage ou d’incendie, ou du vol, ou de l’un des crimes prévus par l’article 435 du Code pénal. »

« Art. 25. — Toute provocation par l’un des moyens énoncés en l’article 23 adressée à des militaires des armées de terre ou de mer, dans le but de les détourner de leurs devoirs militaires et de l’obéissance qu’ils doivent à leurs chefs dans tout ce qu’ils leur commandent pour l’exécution des lois et règlements militaires, sera punie d’un emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende de cent francs à trois mille francs (100 fr. à 3,000 fr.) »

« Art. 49. — Immédiatement après le réquisitoire, le juge d’instruction pourra, mais seulement en cas d’omission du dépôt prescrit par les articles 3 et 10 ci-dessus, ordonner la saisie de quatre exemplaires de l’écrit, du journal ou du dessin incriminé.

« Toutefois, dans les cas prévus aux articles 24, paragraphes 1 et 3, et 25 de la présente loi, la saisie des écrits ou imprimés, des placards ou affiches aura lieu conformément aux règles édictées par le Code d’instruction criminelle.

« Si le prévenu est domicilié en France, il ne pourra être préventivement arrêté, sauf dans les cas prévus aux articles 23, 24, paragraphes 1 et 3, et 25 ci-dessus.

« S’il y a condamnation, l’arrêt pourra, dans les cas prévus aux articles 24, paragraphes 1 et 3, et 25 prononcer la confiscation des écrits ou imprimés, placards ou affiches saisis, et, dans tous les cas, ordonner la saisie et la suppression ou la destruction de tous les exemplaires qui seraient mis en vente, distribués ou exposés aux regards du public. Toutefois la suppression ou la destruction pourra ne s’appliquer qu’à certaines parties des exemplaires saisis. »

La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l’État.

Fait à Paris, le 12 décembre 1893.

Le Ministre de l’Intérieur,
Signé : D. Raynal.
Signé : CARNOT.
Le Garde des sceaux,
Ministre de la Justice,
Signé : Antonin Dubost.
Le Président du Conseil,
Ministre des Affaires étrangères,
Signé : Casimir-Périer.


Loi sur les Associations de Malfaiteurs.

(Du 18 décembre 1893).


(Promulguée au Journal Officiel du 19 décembre 1893.)


Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,

Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Art. 1er — Les articles 265, 266 et 267 du Code pénal sont remplacés par les dispositions suivantes :

« Art. 265. — Toute association formée, quelle que soit la durée ou le nombre de ses membres, toute entente établie dans le but de préparer ou de commettre des crimes contre les personnes ou les propriétés, constituent un crime contre la paix publique.

« Art. 266. — Sera puni de la peine des travaux forcés à temps quiconque se sera affilié à une association formée ou aura participé à une entente établie dans le but spécifié à l’article précédent.

« La peine de la relégation pourra en outre être prononcée, sans préjudice de l’application des dispositions de la loi du 30 mai 1854 sur l’exécution de la peine des travaux forcés.

« Les personnes qui se seront rendues coupables du crime mentionné dans le présent article seront exemptes de peine si, avant toute poursuite, elles ont révélé aux autorités constituées l’entente établie ou fait connaître l’existence de l’association.

« Art. 267. — Sera puni de la réclusion quiconque aura sciemment et volontairement favorisé les auteurs des crimes prévus à l’article 265 en leur fournissant des instruments de crime, moyens de correspondance, logement ou lieu de réunion.

« Le coupable pourra, en outre, être frappé, pour la vie ou à temps, de l’interdiction de séjour établie par l’article 19 de la loi du 27 mai 1885.

« Seront, toutefois, applicables au coupable des faits prévus par le présent article les dispositions contenues dans le paragraphe 3 de l’article 266. »

Art. 2. — L’article 268 du Code pénal est abrogé.

La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l’État.

Fait à Paris, le 18 décembre 1893.

Par le Président de la République :

CARNOT.
Le président du Conseil,
ministre des Affaires étrangères,
CASIMIR-PERIER.
Le garde des Sceaux, ministre de la Justice,
ANTONIN DUBOST.
Le ministre de l’Intérieur,
D. RAYNAL.




Loi tendant à réprimer les Menées Anarchistes.

(Du 28 juillet 1894).
(Promulguée au Journal Officiel du 29 juillet 1894.)


Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,

Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Art. 1er. — Les infractions prévues par les articles 24, paragraphes 1 et 3, et 25 de la loi du 29 juillet 1881, modifiés par la loi du 12 décembre 1893, sont déférées aux tribunaux de police correctionnelle lorsque ces infractions ont pour but un acte de propagande anarchiste.

2. Sera déféré aux tribunaux de police correctionnelle et puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de cent francs à deux mille francs (100 fr. à 2, 000 fr.) tout individu qui, en dehors des cas visés par l’article précédent, sera convaincu d’avoir, dans un but de propagande anarchiste :

1o Soit par provocation, soit par apologie des faits spécifiés auxdits articles, incité une ou plusieurs personnes à commettre soit un vol, soit les crimes de meurtre, de pillage, d’incendie, soit les crimes punis par l’article 435 du Code pénal ;

2o Ou adressé une provocation à des militaires des armées de terre ou de mer, dans le but de les détourner de leurs devoirs militaires et de l’obéissance qu’ils doivent à leurs chefs dans ce qu’ils leur commandent pour l’exécution des lois et règlements militaires et la défense de la Constitution républicaine.

Les pénalités prévues au paragraphe 1er seront appliquées même dans le cas où la provocation adressée à des militaires des armées de terre ou de mer n’aurait pas le caractère d’un acte de propagande anarchiste : mais, dans ce cas, la pénalité accessoire de la relégation édictée par l’article 3 de la présente loi ne pourra être prononcée.

La condamnation ne pourra être prononcée sur l’unique déclaration d’une personne affirmant avoir été l’objet des incitations ci-dessus spécifiées, si cette déclaration n’est pas corroborée par un ensemble de charges démontrant la culpabilité et expressément visées dans le jugement de condamnation.

3. La peine accessoire de la relégation pourra être prononcée contre les individus condamnés en vertu des articles 1er et 2 de la présente loi à une peine supérieure à une année d’emprisonnement et ayant encouru, dans une période de moins de dix ans, soit une condamnation à plus de trois mois d’emprisonnement pour les faits spécifiés auxdits articles, soit une condamnation à la peine des travaux forcés, de la réclusion ou de plus de trois mois d’emprisonnement pour crime ou délit de droit commun.

4. Les individus condamnés en vertu de la présente loi seront soumis à l’emprisonnement individuel, sans qu’il puisse résulter de cette mesure une diminution de la durée de la peine.

Les dispositions du présent article seront applicables pour l’exécution de la peine de la réclusion ou de l’emprisonnement prononcée en vertu des lois du 18 décembre 1893 sur les associations de malfaiteurs et la détention illégitime d’engins explosifs.

5. Dans les cas prévus par la présente loi, et dans tous ceux où le fait incriminé a un caractère anarchiste, les cours et tribunaux pourront interdire, en tout ou partie, la reproduction des débats, en tant que cette reproduction pourrait présenter un danger pour l’ordre public.

Toute infraction à cette défense sera poursuivie conformément aux prescriptions des articles 42, 43, 44 et 49 de la loi du 29 juillet 1881, et sera puni d’un emprisonnement de six jours à un mois et d’une amende de mille francs à dix mille francs (1,000 fr. à 10,000 fr.).

Sera poursuivie dans les mêmes conditions et passible des mêmes peines toute publication ou divulgation, dans les cas prévus au paragraphe 1er du présent article, de documents ou actes de procédure spécifiés à l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881.

6. Les dispositions de l’article 463 du Code pénal sont applicables à la présente loi.

La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l’État.

Fait à Paris, le 28 juillet 1894.

Signé : CASIMIR-PERIER.
Le Président du Conseil,
Ministre de l’intérieur
et des cultes,
Signé : Ch. Dupuy.
Le Garde des sceaux,
Ministre de la justice,
Signé : E. Guérin.

  1. Loi du 29 juillet 1881 :

    Article 23. — Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publiques soit par des écrits, des imprimés vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publiques, soit par des placards ou affiches déposés aux regards du public, auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre la dite action si la provocation a été suivie d’effet. Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n’aura été suivie que d’une tentative de crime prévue par l’article 2 du Code pénal.

    Art. 24. — Ceux qui, par les moyens énoncés en l’article précédent, auront directement provoqué à commettre les crimes de meurtre, de pillage et d’incendie ou l’un des crimes contre la sûreté de l’État prévus par les articles 75 et suivants, jusques et y compris l’article 101 du Code pénal, seront punis, dans le cas où cette provocation n’aurait pas été suivie d’effet, de trois mois à deux ans d’emprisonnement et de cent francs à trois mille francs d’amende. Tout cri ou chant séditieux proférés dans des lieux et réunions publiques, seront punis d’un emprisonnement de six jours à un mois et d’une amende de 16 à 500 francs ou de l’une de ces deux peines seulement.

    Art. 25. — Toute provocation par l’un des moyens énoncés en l’article 23 adressée à des militaires des armées de terre ou de mer, dans le but de les détourner de leurs devoirs militaires et de l’obéissance qu’ils doivent à leurs chefs dans tout ce qu’ils leur commandent pour l’exécution des lois et règlements militaires, sera punie d’un emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de 16 à 100 francs.

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    Art. 49. — Immédiatement après le réquisitoire le juge d’instruction pourra, mais seulement en cas d’omission du dépôt prescrit par les articles 3 et 10 ci dessus, ordonner la saisie de quatre exemplaires de l’écrit, du journal ou du dessin incriminé. Cette disposition ne déroge en rien à ce qui est prescrit par l’article 28 de la présente loi. Si le prévenu est domicilié en France, il ne pourra être arrêté préventivement, sauf en cas de crime. En cas de condamnation l’arrêt pourra ordonner la saisie et la suppression ou la destruction de tous les exemplaires qui seraient mis en vente, distribués ou exposés aux regards du public. Toutefois la suppression ou la destruction pourra ne s’appliquer qu’à certaines parties des exemplaires saisis.