Les Lunettes des Princes

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Texte établi par Olivier de GourcuffLibrairie des bibliophiles.
JEAN MESCHINOT

LES LUNETTES
DES PRINCES
PUBLIÉES
AVEC PRÉFACE, NOTES ET GLOSSAIRE
OLIVIER DE GOURCUFF



PARIS
LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES
Rue de Lille, 7

M DCCC XC
JEAN MESCHINOT
ET
LES LUNETTES DES PRINCES



La bibliographie a sauvé les Lunettes des Princes d’un oubli complet. Tant d’éditions ont été faites de cet ouvrage, et des imprimeurs si renommés, les Vostre, les Pigouchet, les Galiot du Pré, y ont mis la main, que les curieux s’en souviennent et le recherchent encore. Mais on peut douter que ceux mêmes qui l’ont placé sur le rayon de choix de leurs livres rares, entre deux incunables grecs ou latins, aient entrepris de le lire. Nul ne « se baigne en Meschinot », comme au temps de Marot, et les Lunettes des Princes, que Charles-Quint ajustait sur son nez impérial, sont aujourd’hui sacrées à la façon des odes de Lefranc de Pompignan : personne n’y touche. Sur la foi du titre, on les rapproche parfois du Prince de Machiavel : c’est dire à quel point on les ignore.

Jean Meschinot n’est pas beaucoup mieux connu que son livre. Les anciens bibliographes se bornent à dire qu’il naquit à Nantes et fut maître d’hôtel des ducs de Bretagne. Guillaume Colletet n’avait eu garde de l’omettre dans ses Vies des poètes français ; nous avons extrait cette notice de la copie partielle du précieux manuscrit de Colletet que possède la Bibliothèque Nationale et l’avons publiée à part (à Vannes, Imprimerie Lafolye, 1889). Un seul écrivain moderne, M. P. Levot, dans la Biographie bretonne, a pu donner, sur la vie de Meschinot, quelques indications concluantes ; les renseignements qui suivent sont tirés de cet excellent travail. Nous avons consulté aussi la notice de Colletet.

Jean Meschinot, sieur des Mortières, connu aussi sous le nom de Banni de Liesse, qu’il se donne dans une requête adressée au duc de Bretagne François II, naquit vers 1430, probablement à Nantes. Il entra très jeune au service du duc Jean V,

De ce bon duc qui tant de bien faisoit ;

il remplit les fonctions de maître d’hôtel auprès de ce prince, de ses successeurs, Pierre, Artus et François II, et de la duchesse Anne, devenue reine de France. Il fit valoir ses talents poétiques à la cour, dans l’élite de beaux esprits qu’Anne de Bretagne avait su grouper autour d’elle. On le trouve honoré de la confiance de Guillaume de Crouÿ, le gouverneur de Charles-Quint, qui lui commanda des vers sur la mort de madame de Bourgogne, de l’estime des deux Marot, et de l’amitié de Georges Chastelain, le célèbre chroniqueur bourguignon, qui lui donnait des refrains ou princes de ballades. Il ne semble pas que ces fréquentations illustres et la protection des princes l’aient beaucoup enrichi; voici un douzain où il se représente vieux et indigent :

J’ay eu robes de martres et de bievre,
Oyseaulx et chiens à perdris et à lievre;
Mais de mon cas c’est piteuse besongne.
S’en celuy temps je fus jeune et enrievre,
Servant dames à Tours, à Meun sur Hievre,
Tout ce qu’en ay rapporté c’est vergongne.
Vieillesse aussi, rides, toux, boutz et rongne.
Et mémoire qu’il faut que mort me pongne,
Dont j’ay accès trop plus maulvais que fievre.
Car je congnois que tout plaisir m’eslongne.
Et à la fin que verité tesmongne :
Je me voy nud de sens comme une chievre.

Il continue sur ce ton de plainte :

Mes maistres morts, mon honneur est dechu,
Et tout malheur m’est en partage eschu. M. Levot ne croit pas à la sincérité de ces lamentations ; il y voit « ou une morosité fâcheuse, ou une cupidité que ne purent satisfaire les libéralités dont Meschinot convient lui-même avoir été l’objet ». Quoi qu’il en soit, le poète mourut dans une condition humble et dans un âge avancé.

La Croix du Maine et Du Verdier avaient prétendu « qu’il florissoit fort l’an 1500 ». Colletet, plus exact déjà, reportait sa mort à 1498 environ. M. Levot a tiré la solution véritable d’une épitaphe de Meschinot, qui se trouve dans une édition non datée des Lunettes des Princes, imprimée à Paris par Pierre Le Caron ; cette épitaphe, en dix-sept vers, commence ainsi :

Mil cinq cens neuf moins plus non
Douze en septembre…

Niceron et Goujet ont lu « 1509 », alors qu’il faut lire : Mil cinq cents (neuf en moins, et non en plus), ou 1491. Jean Meschinot est donc mort le 12 septembre 1491. D’ailleurs, la première édition des Lunettes des Princes, imprimée à Nantes, chez Larcher, en 1493, porte déjà : « feu Meschinot » ; on l’appelle aussi « noble homme, écuyer, en son vivant maître d’hôtel de la reine de France ».

Il est probable que Meschinot écrivain ne s’en tint pas aux Lunettes des Princes, mais ces fameuses Lunettes, sur lesquelles les contemporains ne tarissent pas d’éloges, éclipsèrent la réputation de ses autres écrits. Des juges bien superficiels ont pu seuls lui attribuer certains ouvrages de François Habert, d’Issoudun, qui prit, à son exemple, le surnom mélancolique du Banni de Liesse; les deux poètes, que près d’un siècle sépare, diffèrent du tout au tout : Meschinot parle la langue encore gothique d’Alain Chartier et d’Eustache Deschamps, Habert est un pur ronsardien.

On a toujours imprimé, à la suite des Lunettes des Princes, un recueil de vingt-cinq ballades, et, depuis la deuxième édition (1494), on n’a pas cessé d’y joindre des Additions, qui renferment des pièces très variées, depuis des vers sur la Passion et une oraison à la Vierge, sous forme d’acrostiche, jusqu’à une complainte sur le trépas de la duchesse de Bourgogne, à une prosopopée de la ville de Nantes qui se plaint de l’interdit, et à une requête très chagrine, en prose, adressée à François II, duc de Bretagne. Les ballades ne sont pas mal tournées, et plus d’une fait penser à Marot, nous n’osons dire à Villon; les additions sont de véritables mélanges où l’auteur passe sans transition d’un cantique à une supplique. Mais ballades et additions sont deux ouvrages absolument distincts des Lunettes, et que nous n’aurions pu, sans superfétation, réimprimer avec celles-ci.

Les Lunettes des Princes forment donc un tout complet. Dans un entretien qu’il a avec la Raison, et qui rappelle beaucoup les dialogues entre Boëce et la Sagesse, dans la Consolation de la Philosophie, Meschinot nous donne ainsi les raisons qui l’ont porté à choisir ce titre : « Saches, me dit la Raison en me présentant les lunettes, que je leur ay donné à nom les Lunettes des Princes, non pour ce que tu soyes prince ou grand seigneur temporel, car trop plus que bien loin es-tu d’un tel estât, valeur ou dignité, mais leur ay principalement ce nom imposé pour ce que tout homme peut estre dict prince en tant qu’il a reçu de Dieu gouvernement d’âme. »

Voici, au surplus, quelle est la composition, extrêmement rudimentaire, du livre.

Après des réflexions générales sur l’état misérable des hommes en quelque condition que les ait placés la Providence, il se lamente sur la mort des ducs de Bretagne, ses bienfaiteurs, du comte de Montfort, du connétable de Richemont ; puis, insistant sur ses propres infortunes, il donne à entendre que ses désordres ou son imprévoyance ont contribué à le mettre en cette triste situation; ensuite, il fait à Dieu une fervente prière. Dieu, pour reconnaître cet élan de piété, lui envoie la Raison qui lui prouve par maint exemple tiré de l’histoire sacrée et profane, de la Fable, et même du Roman de la Rose, qu’il n’a rien à envier aux puissants et aux heureux de la terre, que cette vie n’est qu’un temps de douloureuses épreuves. Il s’endort sur ces funèbres impressions. Mais la prévoyante Raison vient, sous forme de songe, lui montrer qu’elle n’entend pas l’abandonner à son malheureux sort. Elle lui apporte un petit livre, intitulé Conscience, puis des Lunettes destinées à éclaircir le sens du livre; sur l’un des verres est écrit Prudence, sur l’autre Justice; l’ivoire qui les enchâsse se nomme Force, et le fer qui les joint Tempérance, Meschinot s’éveille et cherche la Raison, qui a disparu; mais il trouve le livret au chevet de son lit, et, grâce aux lunettes, il y déchiffre de belles pensées qu’il formule en poétiques et morales réflexions sur les quatre vertus qui feront désormais la règle de sa vie.

Ces naïfs artifices de composition, cette personnification des vertus, cette préférence pour l’allégorie mystique, rattachent les Lunettes des Princes aux plus anciens monuments de notre poésie. Quoique placé au seuil du XVIe siècle, à l’aurore de la Renaissance, Jean Meschinot appartient tout entier au Moyen-Age; il est plus vieux d’allures que Villon, qu’Eustache Deschamps, et, des poètes du XVe siècle, Alain Chartier, le subtil auteur du Quadriloge, est le seul dont il pourrait se réclamer.

Son style a une couleur archaïque très prononcée, plus encore dans le ton général et les tournures de phrases que dans les termes. Une des curiosités de ce style poétique est l’extraordinaire richesse des rimes, qui ferait envie aux plus opulents de nos parnassiens. Dans son culte pour les doubles et triples consonnes d’appui, Meschinot va jusqu’à jouer sur les mots de la fin de ses vers :

Mais pour les rebelles mener
Aspre justice est le baston ;
Au teict (toit) te les faut ramener
En parlant haut, ou le bas ton :
Autrement point ne les bat-on
De rapine ne tyrannie.
Dieu paradis aux tyrans nie…
Justice la bien ordonnée
Ne veult estre pour or donnée…
Combien que vous nommez villains
Ceulx qui vostre vie soustiennent.
Le bon homme n’est pas vil, ains
Ses faits en vertu se maintiennent ;
Ceux qui à bonté la main tiennent
Plus qu’aultres desservent louenge.
On ne peut faire d’un loup ange.

Avant de quitter Meschinot poète, notons l’extrême liberté dont il use à l’égard des puissants de la terre. Il ne craint pas de dire que l’empereur est « fait de même matière » qu’un porcher; le pape lui-même subit la loi commune.

Les preux sont morts, Hector et Godeffroy,
Et tant d’autres, Lancelot et Geofroy
A la grant dent, qui ne sont rapassez;
Ceulx qui sont vifs, pape, empereur et roy,
Viendront aussi à ce piteux desroy.

Il y aurait lieu à de piquants rapprochements entre ces passages et les Alphabets de la mort, les Danses macabres d’Holbein.

Si nous voulions, à propos des Lunettes des Princes, faire étalage d’érudition bibliographique, nous n’aurions qu’à piller le Manuel du libraire, de Brunet. Nous y trouvons, mentionnées et décrites, vingt-deux éditions, depuis la première, de Nantes, Estienne Larcher, 1493, jusqu’à la dernière connue, de Paris, Gilles Corrozet, 1539; cette nomenclature est accompagnée de curieuses observations et reproduit les marques typographiques de Jehan du Pré, Le Petit-Laurent, Robinet-Macé et Gilles Corrozet. Brunet aurait pu y joindre la marque parlante des deux nègres sur l’édition de Paris, Michel Lenoir, 1501. Son énumération est, d’ailleurs, encore incomplète : il a ignoré la vraie seconde édition, celle de Nantes, Larcher, 1494, dont le seul exemplaire connu existe à la Bibliothèque publique de Chambéry, et a été fort savamment étudié par M. A. Claudin (L’Imprimerie en Bretagne au XVe siècle, publication de la Société des Bibliophiles bretons) ; de plus, il a nié l’existence, attestée par de Bure et Is. Fournier, d’une édition de Paris, Mignart, 1495, que nous avons rencontrée, et sur laquelle nous avons publié un article dans le journal le Livre (juillet 1889).

Cette édition, rare entre toutes, ne nous a pas été inutile pour établir le texte de la nôtre. Mais nous avons surtout consulté et suivi la jolie édition en lettres rondes de Paris, Galiot du Pré, 1528, très lisible, comme tout ce qui est sorti de l’atelier de ce maître imprimeur.

Respectueux de l’orthographe de Meschinot, nous lui avons imposé une ponctuation et une accentuation logiques, qui font absolument défaut dans les éditions gothiques et sont encore bien rudimentaires dans celles en lettres rondes. Nous avons dû passer condamnation sur un certain nombre de vers faux, trop longs ou trop courts. Meschinot paraît brouillé avec la quantité prosodique. Il eût été souvent difficile, parfois téméraire, de chercher à la rétablir.

Quelques notes grammaticales et historiques, un petit glossaire, où nous avons surtout recueilli les expressions propres à notre auteur, complètent notre tâche critique. Un plus ample commentaire n’eût pas été en rapport avec la valeur de l’ouvrage que nous exhumons, trois cent cinquante ans après sa précédente édition, pour le docte « esbatement » des bibliophiles.

Olivier de Gourcuff.
NOTA
Au dernier moment, nous avons eu connaissance d’une intéressante étude sur Jehan Meschinot, poète d’Anne de Bretagne, par M. J. Trévédy, ancien président du Tribunal civil de Quimper (Vannes, Lafolye, 1890). Cette notice infirme, sur plusieurs points, celle que M. P. Levot a donnée dans la Biographie bretonne. M. Trévédy a minutieusement compulsé les registres de la Chancellerie des Ducs de Bretagne ; il n’y a trouvé aucune mention de Jehan Meschinot, seigneur du Mortier ou des Mortiers, comme maître d’hôtel des ducs Jean V, François Ier, Pierre II, Arthur III et François II. Tout au plus suppose-t-il que la duchesse Anne, devenue reine de France, a pu donner ce titre à l’un de ses poètes favoris.
LES
LUNETTES DES PRINCES



Aprés beau temps vient la pluye et tempeste ;
Plains, pleurs, souspirs, viennent après grant feste,
Car le partir desplaisance tresgriefve ;
Après esté profitable et honneste,
Yver hideux froidure nous apreste ;
Si nous avons liesse, elle est bien briefve ;
Aprés temps coy, le bien grant vent se lieve ;
Guerres, debatz, viennent aprés la triefve ;
Aprés santé vient mal en corps et teste ;
Quant l’ung descent, tantost l’autre se lieve ;
Pouvres sommes se Dieu ne nous relieve,
Car à tout mal nostre nature est preste.

Boire, menger et dormir nous convient.
Nos jours passent, jamais ung n’en revient ;
Nostre doulx est tout confit en amer ;
Contre ung plaisir ou ung seul bien qui vient
Le plus heureux cent foys triste devient.
Ce n’est pas sens le monde trop aimer,
Et qui son cueur y met fait à blasmer :
Périlleux est à la terre et à mer.
Mais à bien peu à présent en souvient ;
Il paist le corps, et, pour l’ame affamer,
Bien le devons pour ennemy clamer.
Car qui le sert à double mort parvient.

Du temps passé peu nous esjouissons
Et du présent en dangier jouissons.
Las ! au futur avons petit esgart.
Tant que povons à la mort fuissons,
Jeux et esbatz voulentiers ouyssons,
Mais à l’ame n’avons jamais regard,
Ne aux meschiefs venons, dont Dieu nous gard.
Au corps servir employons tout nostre art.
Trop chèrement l’aymons et nourrissons.
Si nous souvient de Dieu, c’est sur le tart ;
Point n’avisons nostre piteux départ,
Et comme aprés en terre pourrissons.

O misérable et tresdolente vie
Qui en nul temps ne peult estre assouvye
De biens mondains dont n’avons que l’usaige,
Car, quant aulcun de nous meurt ou desvie
(Prenons qu’il ayt louenge desservie
Et bien gardé richesses davantaige),
Il laisse tout quant ce vient au passaige,
Riens n’emporte : pource n’est-il pas saige
Qui en Dieu n’a sa pensée ravye ;
Sans luy sommes de mort le vray ymaige,
Et l’ennemy de tout humain lignaige
Par chascun jour en enfer nous convie.

O gens aveugles, gens sours, mutz, insensibles,
Gens sans amours, à nous mesmes nuisibles.
Qui ne tendons fors à dampnation,
Gens orgueilleux plus que lyons terribles,
Ha! tant nos faictz damnables sont visibles
A ceux qui ont ymagination ;
Douloureuse, meschante nation.
Qui sommes plains d’habomination
Et de toutes corruptions possibles,
Peu demourans en domination ;
Et quant se vient l’exanimation,
La mort nous rend trespuans et orribles.

C’est assez mal pour yssir hors du sens,
Car j’apperçoy clerement, voy et sens
Tous les plus grans, les moyens et menus
Que chascun jour y voire à milliers et cens,
Mort tire à soy violentement, sans
En avoir eu oncques pitié de nulz,
Veu que mesmes au monde venons nudz
Et que trop peu y sommes retenuz,
Huy nous voyans presens, demain absens,
Et si n’en est gueres de devenuz
Jusques au temps d’estre vieilz et chanus !
A cestuy cas pas bien je ne m’assens.

Se ma langue d’en parler trop s’avance.
Pardonnez moy, pour Dieu, ma nonsçavance.
Car desplaisir me contraint de le faire.
Par tresgriefve et dure appercevance
De ceste mort qui pas d’huy ne commence
A nature suffoquer et défaire.
Las ! nous voyons que c’est tout son affaire
De destruire ce que jamais refaire
Ne peut nulluy, pour aucune sçavance
Qu’il ayt de Dieu, lequel peut tout parfaire :
Dont je ne puis le joyeulx contrefaire,
Considérant tant piteuse grevance.

Et s’il estoit à quelcun homme advis
Que follement je feisse telz devis,
Et que je n’aye de me plaindre bon droit,
Je luy supplie qu’il vienne vis à vis :
Il congnoistra que je fauldroye envis
De luy respondre à ce cas et endroit
À mon advis ainsi qu’appartiendroit,
Cause pourquoy ma raison soustiendroit
Que mil hommes autrefois ay veu vifz,
Saintz, gentz, joyeulz, jeunes, et qu’orendroit
Pour nulle rien ung d’eulx n’en reviendroit.
Las ! celle mort trop fait piteux convis.

La guerre avons, mortalité, famine ;
Le froit, lechault, le jour, la nuit nous myne ;
Quoy que façons, toujours nostre temps court ;
Pulces, cyrons et tant d’aultre vermine
Nous guerroyent ; brief, misere domine
Nos meschans corps, dont le vivre est trescourt.
Ung grant mondain ou bien homme de court
Remply d’orgueil sur un beau cheval court,
Qui a jeunesse et d’or toute une myne ;
Diroit tantost que mort n’a sur luy court ;
Croy que si a, et que bien tost accourt,
Dont trompé est si son cas n’examine.

Davantaige fortune nous court sure,
Dont maintes fois le peuple en vain labeure,
Car ce qu’ilz ont à grant peine amassé
Par si long temps se pert en bien peu d’heure,
Et tant souvent que rien ne leur demeure,
Soit en avoir, en argent, ou en blé :
Ils perdent l’ung, l’autre leur est emblé ;
Aucunes fois à plusieurs a semblé
Que Dieu leur nuyst et point ne les sequeure ;
Les ungs de froit ont maintes fois tremblé,
Aultres par fain ont les mors ressemblé.
Voyant cecy, ay je tort se je pleure?

Les grans pillent leurs moyens et plus bas,
Les moyens font aux moindres maintz cabas,
Et les petits s’entre veulent destruire ;
Telz qui n’ont pas vaillans deux meschans bas
Voit-on souvent avoir mille debatz,
Aulcunes fois se navrer et occire.

Ainsi par l'ung l'autre souvent mal tire,
Et d'eulx mesmes se procurent martyre.
Il fut assez d'aultres plus beaulx esbatz.
O Dieu, qui es nostre vray pere et sire,
Nostre fait va huy mal et demain pire,
Quant de telles afflictions nous batz.

Tant d’autres cas nous procurent ennuys,
Et la moytié de nostre temps en nuitz
Est employé, dont je meurs, ou bien prés ;
En y pensant, je me tourmente et nuys ;
Pour en yssir ne trouve porte ne huys ;
Ung seul plaisir m’est plus cher que cyprés ;
Et quant je voy et considere aprés
Que celle mort nous poursuit de si prés,
Pensez l’ennuy et le mal où je suys ;
Je vays plourant par chemins, boys et prés,
Et me convient dire par motz exprés :
J’ay beau plourer, aultre chose n’y puis.

Quant bien au fait d’Alexandre je pense,
Si grant seigneur et de telle despence,
Qui du monde fut gouverneur unicque,
C’est à bon droit se ma joye suspence ;
Mon mestier est que je pense et despence,
Chargé de dueil comme homme fantastique.
O roy David, prophéte pacifique,
Sanson le fort, qui tant fus autenticque,
N’avez vous sceu faire à mort recompense ?
O Salomon, saige dit en publicque,
Puisque la mort contre telz gens s’applicque,
Que vaudroit-il en demander dispense ?

Et en noz jours ce prince de saigesse,
Le bon duc Jehan, nompareil en largesse,
Ne le print mort par son cruel oultraige ?
Certes si fist, dont amere destresse
A longuement esté nostre maistresse ;
L’avoir perdu nous fut haultain dommaige ;
Fier fut aux fiers, aux bons doulx en couraige,
Prudent en faitz et begnin en langaige ;
Autant valloit qu’ung scelle sa promesse,
Oncques ne fist ung deshonneste ouvraige ;
Des benoistz cieulx lui doint Dieu l’heritaige,
Car à son temps pere estoit de noblesse.

Ainsi ung jour noz meschiefz advisoye,
Et à par moy en y pensant visoye
Que tous tirent à ce piteux trespas ;
És cronicques anciennes lisoye
Par lesquelles maintz hommes devisoye,
Haultz et puissans, qui ont passé le pas,
Et nous mesmes trop plustost que le pas
Allons aprés, de ce ne doubtons pas.
Pourquoy mon cueur de douleur ravysoye
Et luy donnay ung tant piteux repas
Que je perdy de raison le compas,
Tant que ne sceu que je fis ou disoye.


En ce penser et oultre tout cecy,
Pour augmenter mon douloureux soucy,
Continuant le dolent desconfort
Qui durement m’avoit le cueur noircy,
Vint une voix qui me dist tout ainsi :
« Mort de nouveau a fait bien grand effort,
Le duc Françoys et conte de Montfort,
Et Richemont qui tant fut bel et fort,
Est decedé, Dieu le prent à mercy. »
Mais je croy bien que le sçavez au fort,
Pource vous pry d’avoir bon reconfort :
Aultres que vous y ont perdu aussi.

Des plus dolens dessoubz la lune l’un
De ce grant cas qui est à tous commun
Que celle mort nostre bon maistre a prins,
Ce jour je vy nobles clercs et commun
Tant fort pleurer qu’il sembla que chascun
N’eust oncquesmais aultre mestier aprins ;
Si fus de dueil tellement entreprins
Que mon ennuy ne peut estre comprins.
Las ! ce me fut ung trespiteux destin.
Mort, tu as mys grant chose à petit pris,
En jeunesse as nostre prince sourprins ;
Mais tes faitz sont de n’espargner aulcun.

O Mort, combien ta memoire est amere

A ceulx qui ont bonne fortune amere,

Vivans en paix et non pas justement;

O trescruelle, soubdaine et sans lumiere,

Tu n’as en mal seconde ne premiere,

On ne te peut descripre bonnement.

Plus a en toy de douleur et tourment

Que comprendre ne peut entendement,

Soit de Platon, de Virgule ou Omere.

D’ame et de corps tu fais separement,

Trop subit est ton faulx advenement.

Ces motz sont vrays, nonpas ditz de commere.

Las! or n’a il fors huyt ans dominé, Aprés que Mort avoit exterminé Ce bon duc Jehan dont j’ay fait mention, Duquel fut fdi tant bien moriginé, Qui, tout son cas au long examiné, Doit posseder d’honneur la mansion. En armes mist corps et intencion, A gens vaillans gaiges et pension Donna si grans, par sens illuminé, Que des Anglois la grant contention Ravalla bas ainsi que ostention

Fait son procés, s’il est bien fulminé. 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DES PRINCES III
Mais intime
Vertu en tresgrant estime ;
Paix redime,
S’aulcuns la veulent enfraindre.

Tout homme vers force tende
Et entende
Qu’il convient, quoy qu’on atende,
Que Dieu rende
Aux pécheurs punition,
Et que justice descende
Qui les fende,
Sans ce qu’aulcun les deffende
Ne pretende
Donner contradiction.
Qui aura failli s’amende
Et descende
D^orgueil, que mal n’en despende,
Mais despende
Ses jours en perfection ;
Affin qu’en enfer ne pende.
Dieu n’offende,
Mais à bien faire s’entende ;
Ses biens vende.
S’il doibt restitution.

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Renson, querelle, rixe.

Terrien, terrestre.

Tonze, tonsure.

Trencher (substantif), écuyer tranchant.

Ty, toi ; encore usité dans les campagnes bretonnes.


Ullerie, hurlement; lat. ululatus.

Unette, probablement le même que hunette, Godefroy, qui donne ce mot, n’en indique pas le sens, mais cite un document de 1406 où des hunettes de fer sont des pincettes avec lesquelles on mettait les baguettes dans le fourneau des canons.

Université, assemblée ou communauté.


Vendition, vente par trahison. (Lacurne de Sainte-Palaye.)

Vermet, vermine.

Verrine, verre de lunettes.

Vitaille, viande, vivres, victuaille.

Voirre, verre.

Vueil, vouloir, volonté.


Yreulx, colère; du lat. ira.

Yssir, Issir, sortir; lat. exire.