Les Médailles d’argile/Élégie

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Les Médailles d’argileSociété du Mercure de France (p. 175-177).

ÉLÉGIE


Un grand silence clair de regret et d’attente
Emplit le beau jardin qui songe et se souvient
Et ma pensée y marche, anxieuse ou riante,
Sur l’invisible pas qui précède le sien.

Quelqu’un a foulé l’herbe auprès du bassin vide
Et posé son talon au marbre descellé,
Tandis que tremble encor, flexiblement rigide,
La feuille d’un roseau qu’une fuite a frôlé.

Une main curieuse a soulevé la dalle
Qui, du poids de sa pierre où luit l’anneau d’airain,
Cache l’onde secrète à qui va la spirale
D’un escalier furtif, sonore et souterrain.


Un invisible pas, de parterre en parterre,
A parcouru les fleurs, la grotte et le bosquet,
Hôte mystérieux, visiteur solitaire,
Taciturne passant parmi l’écho muet !

C’est lui qui, sur le seuil de la maison fleurie
A cueilli cette rose aux pétales de feu
Dont la pourpre sanguine, amoureuse et meurtrie,
Garde la marque encor de la lèvre d’un dieu.

Il n’a pas refermé la porte encore ouverte
Par où l’odeur du soir est entrée avec lui
Et rôde longuement en sa langueur inerte
Qui s’attarde à le suivre et qui partout le suit.

Je l’ai suivi, le cœur battant dans ma poitrine,
À son souffle inégal de palier en palier,
Et je l’entends marcher dans la chambre voisine,
Fantôme insaisissable et partout familier.

Voici le lit, la lampe et le masque de cire
Que le miroir regarde et qui seul lui répond !
Et quelle main, hardie au sommeil qui l’attire
A répandu ton huile, ô Lampe, et sur quel front ?


Solitude, silence et, dans notre mémoire,
Équivoque rumeur qui monte d’autrefois,
Et la grande aile d’or qui passe sur l’eau noire
Où notre face en pleurs se penche et se revoit.

Je ne sais, mais je sens, Maison mystérieuse,
Pour l’invisible pas qui visita ton seuil,
S’exhaler sourdement, de ta pierre pieuse,
Comme un amer parfum de regret et d’orgueil.

Ton jardin est plus beau, tes roses sont plus belles.
Ta fontaine secrète et tes bassins verdis
Délaissés maintenant de leurs eaux infidèles,
Savent le nom sacré que tout bas tu redis.

Et je te reconnais, charme ineffable et sombre,
Délice, cher parfum, présence qui toujours
Revis dans le regard et survis dans les ombres
Des êtres et des lieux qu’a visités l’amour !