Les Médailles d’argile/L’Ivresse
L’IVRESSE
Tu viens de la fontaine, et je viens de la source.
Nous nous sommes, un jour, rencontrés sur la route,
Face à face, et tous deux nous portions à la main
Toi l’amphore de grès, moi l’amphore d’airain.
Et tu l’avais remplie en écartant d’un geste
Les roses dont l'été pare la borne agreste
D’où, continuelle et mélodieuse, l’eau
Sourd, fuit, s'épanche, rit, chante et coule tout haut ;
Tandis que moi, parmi la ronce qui la garde,
Déchiré par l’épine et mordu par l’écharde,
J’avais puisé, là-bas, à genoux, durement,
Son onde taciturne et son cristal pesant.
Mais qu’importe la ronce et qu’importe la rose !
Tiédis le grès luisant et chauffe l’airain fauve,
Bon soleil, et rends-les toux deux comme de l’or.
Notre vie à jamais est pleine jusqu’au bord
Et sa double abondance à nos bouches incline
Son ivresse limpide et sa fraîcheur divine ;
Et notre double amour, sur le même chemin,
Qui marche côte à côte en se tenant les mains,
Avant qu’au jour qui fuit succédât la nuit sombre,
Sur le sable brûlant n’a fait qu’une seule ombre.