Les Médailles d’argile/Un Vieillard

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Les Médailles d’argileSociété du Mercure de France (p. 101).
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LE VIEILLARD


J’ai fui les flots mouvants pour ce calme vallon.
Il est fertile. Un bois y est tout l’horizon
Et sa rumeur imite à l’oreille incertaine
Le bruit aérien de quelque mer lointaine
Qui m’apporte l’écho de mon passé marin,
Et, quand l’orme gémit et que tremble le pin,
Je crois entendre encor en leur glauque murmure
Se plaindre le cordage et craquer la mâture,
Et l’oblique sillon que je trace en marchant
Derrière ma charrue au travers de mon champ
Me semble, dans la glèbe épaisse, grasse et brune,
Quelque vague immobile, inerte et sans écume
Qui se gonfle, s’allonge et ne déferle pas.
Car, vieillard, j’ai quitté la mer et ses combats
Pour la tâche tranquille où mon labeur s’applique.
Et mon houleux matin s’achève en soir rustique,
Et dans mes noirs filets tant de fois recousus
J’ai fait une besace où je ne porte plus
En ses mailles, mêlés à quelques feuilles sèches,
Que les fruits qu’offre l’herbe à ma terrestre pêche.