Les Mémoires d’un veuf/Un héros

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Œuvres complètes - Tome IVVanier (Messein) (p. 237-238).
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UN HÉROS


Dans une prison bon enfant où il faisait une peine de droit commun (quel galant homme de nos jours consentirait à se voir bouclé pour délit politique ?), mais ô bonheur ! n’entraînant pas la perte de ses droits civiques, il y avait un corbeau mal apprivoisé, joie du préau mais terreur des tout petits enfants du geôlier. Il s’appelait Nicolas de son nom de baptême. Une aile aux plumes raccourcies l’empochait de voler, mais un jour il s’évada par une grille ouverte. Grand émoi surtout parmi les prisonniers qui aimaient ce compagnon, non sans une nuance d’envie à la nouvelle de ce bonheur pour l’oiseau.

On rattrapa toutefois le délinquant qui, dès lors, lui joyeux et dansant d’ordinaire, hérissa désormais ses plumes et ne bougeait pas d’un certain angle du mur. Évidemment il songeait. Un jour on put savoir ce à quoi il songeait. La patronne faisait sa lessive et beaucoup de linge flottait dans des baquets ; Nicolas n’hésita pas un instant et profitant de ce que l’excellente femme avait le dos tourné pour quelque réprimande à ses enfants, sauta sur le rebord de tous les baquets et avec une agilité surprenante fit abondamment caca dans chacun d’eux. C’était une revanche de sa nouvelle captivité, une revanche terrible, car chacun se doute que la fiente d’un oiseau de cette taille dut gâter considérablement le linge fin et gros du ménage.

Son acte accompli, Nicolas retourna se coller au mur dans l’attitude du soldat qui va mourir de la mort militaire. Ses pressentiments ne trompaient pas l’héroïque volatile. Le patron rentrant apprit bien vite l’affreuse nouvelle, saisit sa carabine et Nicolas tomba pour ne plus se relever, plus heureux que Cambronne qui n’avait que dit la chose et que la garde qui ne se rendit pas mais qui ne mourut pas davantage.

J’ajouterai qu’on le mangea et qu’il fut trouvé coriace un peu mais savoureux en diable.