Les Métamorphoses (Apulée)/Traduction Bastien, 1787/I/Remarques sur le Livre IV

La bibliothèque libre.


REMARQUES

SUR

LE QUATRIEME LIVRE.


(1) Il y a dans le texte : Une couleur vermillonnée de roses épanouies. Parmi les drogues qui servent à farder le visage, et à le faire trouver plus agréable, le vermillon tient la première place, et il y a long-temps qu’il est en usage. Les anciens en coloroient la face des images de Jupiter. Ceux qui marchoient en pompe triomphante à Rome, après quelque signalé service fait à la république, s’en servoient aussi quelquefois. La noblesse éthiopienne corrige ainsi sa noirceur.

(2) Il y a dans le texte : Un éclat royal. Avant qu’un sanglier eût si impitoyablement déchiré Adonis le mignon de Vénus, les roses étoient blanches ; mais cette déesse n’ayant pu voler assez promptement à son secours, elle recueillit son sang, elle l’inspira d’une odeur très-souefve, en mémoire de lui, donna sa couleur aux roses, et transmua le corps en une fleur vermeille comme sang, qui fut nommé adonium. Le sang d’Hyacinthe qu’Apollon, par la jalousie de Zéphir, tua d’un coup de palet, en jouant avec lui, fut converti en une fleur de même nom et de même couleur qu’on appelle oignon sauvage.

(3) Alors faisant des vœux au Dieu qui préside aux évènemens, pour me le rendre favorable. Le bon Evénement étoit un dieu chez les payens, qu’ils ne manquoient pas d’invoquer quand ils entreprenoient quelque chose. Il étoit ex duodecim diis consentibus, du nombre des douze dieux, que les latins appeloient Consentes, que l’on disoit être du conseil des dieux, et principalement de Jupiter. S. Augustin, liv. 4, ch. 23, de la Cité de Dieu. On voyoit une statue de ce dieu, et une de la bonne Fortune dans le capitole, faites l’une et l’autre de la main de Praxitele. Plin. liv. 5, chap.6.

(4) Roses de laurier. Cet arbre est le rhododendron ou rodaphé des grecs, dont la fleur mangée par les animaux les fait mourir en écumant, comme s’ils tomboient du haut mal. Cette même fleur sert de contre-poison à l’homme.

(5) Chiens. Le chien est la meilleure défense que le paysan emploie contre son ennemi ; ainsi ceux de Colophon et de Castabale menoient des compagnies de chiens à la guerre qui leur épargnoient beaucoup de solde. Les Cimbres s’en servoient aux mêmes usages. Les chiens, principalement ceux de cour, doivent être enfermés de jour, comme dit Caton, afin de les rendre plus allaigres et plus éveillés la nuit. M. Varron en fait de deux genres, l’un de chasse qui concerne les bêtes féroces et le gibier ; l’autre, bergeresque qu’on nourrit pour la garde des choses champêtres. Columelle en fait de trois sortes : l’un champêtre qui garde les maisons des champs et ce qui en dépend ; l’autre, bergeresque, qui garde les étables à la maison et les troupeaux aux champs ; le troisième pour la chasse. Les meilleurs sont ceux qui sont toujours prêts à venir aux prises avec les étrangers. Le chien de berger ne doit être ni trop defait ou rétréci à faute de nourriture, ni trop vîte, mais robuste et courageux. Columelle ne veut pas qu’on leur donne des noms trop longs, afin qu’ils entendent plus vîte quand on les appelle.

(6) Des ours et des lions. Alexandre fit combattre un chien d’Albanie contre un éléphant, par une infinité de tournoiemens et de coups de dents, il le jeta enfin par terre avec une telle secousse que la terre en trembla. Quintcurse rapporte l’histoire d’un chien qui déchiroit un lion à belles dents.

(7) Mauvaise odeur. On fait mention d’une bête sauvage (Bonasius) qui se voyant poursuivie, rend une fiante en fuyant, si chaude qu’elle brûle comme feu ceux qui la touchent, et qui se sauve par ce moyen.

(8) Que je méritois bien mon congé. Le texte dit, Mereri causariam missionem. L’auteur fait allusion au terme dont on se servoit pour exprimer le congé qu’on donnoit aux soldats, lorsqu’ils étoient devenus incapables de servir, par quelqu’infirmité de l’esprit ou du corps, on l’appelloit Missio causaria. Il y avoit encore Missio honesta, qui étoit le congé qu’on leur donnoit quand le temps de leur engagement étoit expiré ; et Missio ignominiosa, quand ils étoient cassés pour avoir commis quelque faute ou quelque action honteuse.

(9) Chauffer de l’eau. Les anciens se baignoient ordinairement tous les jours avant le souper ; car, selon l’opinion de Vitruve, l’heure la plus commode pour se baigner est depuis midi jusqu’au soir.

(10) Frottés avec de l’huile. Cornélius dit qu’il convient à ceux qui veulent manger après le travail, s’ils n’ont point de bain, de se faire frotter, suer et oindre dans un lieu bien chaud ou auprès du feu.

Il y a deux liqueurs qui conviennent beaucoup au corps humain, l’huile au-dehors, et le vin au-dedans. L’huile rend le corps souple, et le fortifie contre les rigueurs de l’air. Les Grecs, pères de tous les vices, firent un abus étonnant du vin.

(11) Que celui des Lapithes et des Centaures. Les Lapithes étoient des peuples de Thessalie. L’épithète de Thébains que leur donne Apulée, ne peut leur convenir qu’à cause d’une petite ville de Thessalie, nommée Thèbes, dont parle Pline, liv. 4, chap. 8, et non pas à cause de la grande Thèbes à sept portes, qui étoit la capitale de Béotie. Il appelle les Centaures, semi-feri, demi-bêtes, parce qu’ils étoient, comme tout le monde sait, moitié hommes et moitié chevaux. Leur combat contre les Lapithes aux nôces de Pirithoüs et d’Hippodamie, qu’Horace nomme rixa super mero debellata, combat fait dans le vin, est trop connu pour en parler ici.

(12) Nous sommes de retour avec huit jambes de plus. A cause du cheval et de l’âne qu’ils avoient amenés avec eux.

(13) Lamaque votre chef. Ce nom, qui vient du grec, veut dire invincible.

(14) La mémoire. Si la vertu de plusieurs rend leur mémoire honorable ; aussi fait le vice chez plusieurs. Erostrate brûla le beau temple d’Ephèse, mis au rang des sept merveilles du monde dans la seule intention de faire parler de lui. Pausanias, gentilhomme Macédonien, pour rendre sa mémoire immortelle, assassina Philippe son Roi.

(15) Les bains publics. Les jurisconsultes disent que le chevalier du guet est établi pour ceux qui, pour salaire, prennent la garde des habits aux bains, afin que, s’il s’y perd quelque chose, il en ait connoissance. Ils ont aussi un titre de larron des bains ; ou Ulpien écrit que tels larrons doivent être punis extraordinairement. Le soldat surpris dérobant aux étuves ou aux bains est dégradé des armes.

(16) A conserver sa vie. Plaute, au Trinumme, dit que la chemise est plus près que le manteau. Nous disons que le moule (le corps) est plus précieux que le pourpoint. Les Grecs disoient que le genou est plus près que la cuisse. Tout cela se dit de ceux qui s’aiment plus que leurs ames. On dit aussi communément, autant de valets, autant d’ennemis. Toutefois Sénèque dit que nous ne les avons pas pour ennemis, mais que nous les faisons tels abusans d’eux comme de bêtes de service.

(17) A peine fûmes-nous à Thèbes. Le texte dit, Thebas heptapylos, Thèbes à sept portes, pour la distinguer de la ville de Thèbes en Égypte qui avoit cent portes. Mais j’ai cru qu’il étoit inutile d’exprimer heptapylos, et qu’on voyoit assez que c’étoit cette Thèbes, dont ce voleur prétend parler, puisqu’il vient de dire un peu plus haut, qu’ils viennent de parcourir les villes de Béotie.

(18) Chryseros, c’est-à-dire, qui aime l’or. Ce mot vient du grec Κρύσος qui signifie or, et Ἔρος qui signifie amour.

(19) Passa la main tout doucement par un trou qui servoit à fourrer la clef en dedans. On peut remarquer par cet endroit que les serrures en ce temps-là ne s’ouvroient pas comme les nôtres.

(20) Par le bras droit du dieu Mars. Les voleurs, tels que ceux-ci, reconnoissoient Mars pour leur patron, et les voleurs qui s’expriment en latin par fures, que nous appellons en françois filoux ou coupeurs de bourses, reconnoissent Mercure et la déesse Laverne.

(21) Nous l’avons donné en garde à la mer. Ces voleurs ne pouvoient pas jeter le corps de Lamaque dans la mer, puisque la ville de Thèbes, où ils étoient, en étoit éloignée de plusieurs milles. Apulée a supposé apparemment qu’on entendroit qu’ils jetèrent ce corps dans le fleuve Ismène, qui le porta dans la mer, et qu’ainsi on pouvoit dire qu’ils l’avoient jeté dans la mer.

(22) Alcime. Ce nom signifie force, valeur.

(23) Platée, ville de Béotie, au pied de la montagne Cytheron. Platé en grec signifie rame ou gasche, et Platos, largeur. De-là vient Platée, que Platon et Strabon disent être ainsi nommé à cause de la largeur des gasches dont usoient les habitans.

(24) Democharès veut dire agréable au peuple : nom convenable à un grand seigneur qui se plaît à donner des spectacles publics. Il étoit prêt de présenter. Les spectacles de gladiateurs s’appeloient præsens, parce que le peuple recevoit autant de plaisir à ce spectacle que s’il eût reçu un beau présent. Solon faisoit peu de cas de ces sortes de gens, parce que, disoit-il, les vainqueurs ne le sont qu’au détriment de la république, et sont plutôt couronnés au préjudice de leur patrie, que de leurs ennemis.

(25) Aux bêtes féroces. Les anciens abandonnoient les criminels condamnés à la mort pour combattre contre les bêtes féroces qu’on nourrissoit à cet effet pour donner du plaisir au peuple. Sénèque, au 10e de ses épîtres, admire la résolution d’un de ces pauvres malheureux, qui étant destiné pour un tel spectacle, et voulant s’y soustraire, se fourra dans le gosier, le plus avant qu’il lui fut possible, un bâton avec une éponge, et qui rendit ainsi l’esprit en se bouchant le conduit de la respiration.

(26) Ne furent point à couvert des disgraces de la fortune. J’ai mis cette expression à la place de celle qui est dans le latin, Nec Invidiæ noxios effugit oculos, Ne put éviter les yeux malins de l’Envie. En cet endroit l’Envie est prise pour la déesse même de l’envie, ce qui n’auroit pas été entendu en françois.

L’envie est le chagrin que l’on ressent de la prospérité d’autrui ; cette passion est différente de la haine ; celle-ci s’exerce contre les méchans, l’autre contre les gens de bien. La haine se montre à découvert, mais on dissimule l’envie. La haine procède du vice d’autrui ; l’envie au contraire des biens et de la vertu d’autrui. La haine est commune aux bêtes brutes ; l’envie est particulière à l’homme seul. C’est ainsi que Plutarque distingue ces deux passions, au traité de la haine et de l’envie.

(27) Pigrâ sessione languidæ. Foible par un repos paresseux. La fainéantise habite le corps ; et comme dit Galien, il est impossible que les personnes qui mènent une vie sédentaire, demeurent long-temps en santé. L’exercice est d’une nécessité absolue à tous les êtres existans ; l’exercice, dit Végèce, opère plus que les médecins pour la santé du corps, l’oisiveté et la nonchalance les abattent.

(28) Maladie contagieuse. On a remarqué que la peste commence le plus souvent par les animaux. Ainsi, dans Homère, Virgile et Ovide, la première contagion tomba toujours sur les bêtes. La peste a plusieurs causes, l’intempérie du ciel, les eaux corrompues, ou quelque mauvaise vapeur de la terre. Les philosophes et les médecins disent que l’excès du froid et du chaud, de l’humide et du sec engendre la contagion.

(29) Trasiléon. Ce nom convient à un voleur déterminé, il signifie audacieux, téméraire. Il vient de θρασίς et de λεο.

(30) Nicanor vient de nicân, vaincre.

(31) Si à propos. Toute libéralité est agréable, mais plus celle qui vient à propos et en saison. Ainsi le parasite de Plaute se vante de savoir fort bien le moyen de faire toutes choses à propos. Sénèque dit, au livre des Bienfaits : une miche donnée à celui qui a faim est un bienfait.

(32) Qu’on porte à l’heure même cet ours à sa maison de campagne. Le texte dit, novalibus, qui veut dire, dans des terres qu’on laisse reposer de deux années l’une, et par conséquent où il y a toujours du pâturage.

(33) De l’air. L’air de la campagne étant plus libre, est par conséquent plus pur et plus salubre. Avicenne enseigne les moyens de remédier à la peste qui provient d’une corruption d’air. Il approuve les odeurs, comme extrêmement propres à chasser la contagion de l’air. L’empereur Commode quittant Rome affligée de la peste, se retira dans Laurente, parce que la fraîcheur de la région et l’odeur des lauriers qui l’ombragent, servent de beaucoup contre la contagion ; et dans la ville, chacun, par le conseil des Médecins, se remplissoit les narines et les oreilles d’odeurs douces qui empêchoient l’effet dangereux de l’air empesté.

(34) Nourriture ordinaire. Cornelius Celsus dit que le boire et le manger donnés à propos, sont un bien très-opportun ; et Aristote, que le changement du boire et du manger est très-nuisible. Les voyageurs sont souvent en danger de maladie, parce qu’ils ont toujours à changer d’eau. Le changement d’eau engendre de la vermine, et peut donner des poux.

(35) Loin du grand chemin. Les anciens avoient les cimetières fort éloignés, et, suivant l’ordonnance de la loi des douze tables, on n’enterroit ni ne brûloit les corps dans les villes. Les cimetières étoient ordinairement aux champs, et Platon recommande qu’on les établisse dans les endroits les plus stériles.

(36) Poussière. Qu’est-ce que l’homme, dit Sénèque ? un vaisseau cassé et fragile, nud, et de son naturel, sans armes, sans défense, ayant besoin du secours d’autrui, exposé à toutes les injures et traverses de la fortune, au froid, au chaud et au travail. Pour connoître la frugalité de l’homme, il n’y a qu’à voir sa fin, tel qui a joui de tous les honneurs et de tous les plaisirs, se réduit en poussière. L’homme si misérable et si fragile, est l’animal le plus superbe, et voudroit inutilement détourner de sa pensée tout ce qui lui rappèle sa destruction et son anéantissement.

(37) Il n’a pas laissé de nous arriver un cruel accident. L’auteur dit : Occurrit scævus Eventus, l’Evènement sinistre s’y opposa. L’évènement sinistre étoit une divinité, aussi-bien que l’Evènement heureux.

(38) Aussi bonne chère que les prêtres Saliens. Les prêtres Saliens étoient consacrés au Dieu Mars ; on les nommoit Saliens à Saliendo, à cause des sauts et des danses qu’ils faisoient en son honneur ; et comme les Romains reconnoissoient ce Dieu pour l’auteur de leur origine, ils avoient une grande considération pour ses prêtres, et tout le monde leur faisoit des présens, et leur donnoit moyen de faire si bonne chère, que pour exprimer un bon repas, on disoit, un repas de prêtres Saliens, ce qui avoit passé en proverbe. Voyez Horace, liv. 1, ode 37, et liv. 2, ode 14.

(39) Le texte dit, Saucias et araneantes. Un gosier où déjà les araignées faisoient leur toile. C’est ainsi que le parasite de Plaute, pour faire mieux entendre sa faim, dit que sa gorge est toute chassieuse de faim.

(40) Toute notre maison ornée de branches de laurier. Dans les nôces des anciens, le premier soin qu’on avoit, étoit d’orner les portes et la maison du futur époux de fleurs et de feuillages. Catulle, sur les nôces de Pelé.

Vestibulum ut molli velatum fronde vireret.

On donna ordre, que le vestibule fût orné de feuillages verds. Il paroît par cet endroit d’Apulée qu’on avoit soin aussi d’orner de feuillages la maison de la mariée.

Le laurier liere ou autres festons ou branches dont on jonche les maisons, sont symbole de joie particulière ou publique. Le laurier, dit Pline, au 15e livre, est dédié pour les triomphes, et est très-agréable aux maisons. C’est le portier des empereurs et des pontifes, lui seul orne leur logis. C’étoit le principal signal de la victoire chez les Romains, les gens de guerre en ornoient leurs armes, et même les lettres qu’ils envoyoient après quelque victoire, c’est pourquoi les historiens les appeloient laurées. Ils en mettoient aussi dans le giron de leur tout puissant Jupiter toutes les fois qu’il les favorisoit de quelque nouvelle victoire. Les soldats portans du laurier suivoient leur capitaine triomphant qui en tenoit aussi une branche à sa main, et qui en étoit couronné.

(41) Eclairée par les torches nuptiales. Ces torches appelées par les poëtes : Tedæ jugales, faces legitimæ, Tedæ geniales et festæ, étoient au nombre de cinq.

Les anciens estimoient le nombre cinq nuptial par-dessus tous les autres, comme construit de mâle et de femelle, comme dit Plutarque dans les questions romaines, ou parce que la femme ne sauroit engendrer plus de cinq jumeaux, suivant Aristote : peut-être aussi vouloient-ils donner à entendre pour moins cinq fois le devoir à son épouse. Ces torches étoient estimées de meilleur présage, étant faites d’aubespin, en mémoire de celles que portoient les Romains quand ils ravirent les femmes et les filles des Sabins. Voici quel étoit l’emploi de trois jeunes garçons ayant père et mère : L’un portoit une torche d’aubespin, parce qu’ils épousoient de nuit ; les deux autres menoient l’épousée, puis les amis de l’époux et de l’épouse venoient arracher cette torche, de peur que la femme ne la cachât de nuit sous le lit de son mari, ou que le mari ne la fît brûler dans quelque sépulchre ; car l’un et l’autre, suivant eux, dénonçoit une mort prochaine à l’un des deux.

(42) Retentissoit des chants de notre Himenée. Ces chants nuptiaux se nommoient proprement himenée ou épitalame. On trouve un de ces sortes de poëmes dans Catulle, qu’il fit pour les nôces de Manlius et de Julia. C’est une pièce de très-bon goût, et où l’on peut apprendre bien des particularités sur les coutumes qui s’observoient aux nôces des anciens.

(43) Ma mère me tenant dans ses bras. C’étoit une coutume des anciens, que l’on enlevât la mariée d’entre les bras de sa mère ou de quelque autre parente, si elle n’avoit point de mère, avec une douce violence, pour épargner sa pudeur, et faire paroître qu’elle ne se livroit pas elle-même entre les bras d’un homme. Chez les Romains, cette espèce d’enlèvement servoit aussi à rappeler la mémoire de l’enlèvement des Sabines, qui leur avoit si bien réussi du temps de Romulus.

(44) Me paroit de mes habits de nôces. Voici en quoi consistoient ces habits ou ornemens nuptiaux. La fille étoit couronnée de fleurs ; elle avoit une tunique ou robe, qu’on appeloit recta, droite ; une ceinture de laine, qu’il falloit que le mari détachât lui-même dans le lit ; des souliers jaunes, et un voile qui la couvroit presque toute entière, appellé flammeum, d’une couleur jaune, fort vive, tirant sur le rouge. C’est ce voile qui a donné aux nôces le nom de nuptiæ, qui signifie voiler.

(45) Nos nôces furent troublées comme celles de Pyrithous et d’Hippodamie. On sait assez comme ces nôces furent troublées par la brutalité des Centaures, et leur combat contre les Lapithes.

(46) Vaines fictions des songes. Les Philosophes disent qu’il ne faut pas avoir de foi aux songes. Cicéron se moque des songes et de leurs significations. Homère dit que les songes viennent de Jupiter. Tous les songes ne sont absolument que de fausses imaginations et mensongères, sur lesquelles il est impossible de rencontrer juste.

(47) Le contraire de ce qu’elles représentent. Il importe, dit Pline, de savoir si l’on a coutume de songer choses qui adviennent oui ou non : car souvent les visions horribles nous présagent d’heureux évènemens. Synesius, Platonicien, se mocque de ceux qui font profession d’exposer les songes parce qu’il est impossible d’établir des loix qui puissent être également communes à toutes personnes.

(48) Il y avoit dans une certaine ville un Roi et une Reine. Ici commence la fable de Psiché. Fulgence, Evêque de Carthage, a prétendu qu’elle enveloppoit un sens moral fort beau, auquel il n’y a guère d’apparence qu’Apulée ait pensé, le voici. La ville, dont il est parlé d’abord, représente le monde ; le Roi et la Reine de cette ville, sont Dieu et la matière. Ils ont trois filles, qui sont, la chair, la liberté et l’ame. Cette dernière que le mot de Psiché signifie en grec, est la plus jeune des trois, parce que l’ame n’est infusée dans le corps qu’après qu’il est formé. Elle est plus belle que les deux autres, parce que l’ame est supérieure à la liberté, et plus noble que la chair. Vénus qui est l’amour des plaisirs sensuels, lui porte envie, et lui envoie Cupidon, c’est-à-dire, la concupiscence pour la perdre ; mais parce que la concupiscence peut avoir pour objet le bien et le mal, ce Cupidon ou Concupiscence vient à aimer Psiché, qui est l’Ame, et s’unit intimement à elle. Il lui conseille de ne point voir son visage, c’est-à-dire, de ne point connoître les plaisirs sensuels, et de ne point croire ses sœurs, qui sont la chair et la liberté, qui lui en veulent inspirer l’envie. Mais Psiché animée par leurs conseils dangereux, tire la lampe du lieu où elle l’avoit cachée, c’est-à-dire, pousse au-dehors, et met à découvert la flamme du desir qu’elle portoit cachée dans son cœur, et l’ayant connue, ou ce qui est la même chose, ayant fait l’expérience des plaisirs, elle s’y attache avec ardeur. Enfin Psiché considérant avec trop d’attention Cupidon, le brûle d’une goutte d’huile enflammée tombée de sa lampe. Ce qui marque que plus on se livre aux voluptés de la concupiscence, plus elle s’augmente et s’enflamme, et imprime sur nous la tache du péché. Cupidon ôte ensuite à Psiché ses richesses, la chasse de son superbe palais, et la laisse exposée à mille maux et à mille dangers. C’est la concupiscence qui, par l’expérience funeste qu’elle fait faire à l’ame des plaisirs criminels, la dépouille de son innocence et du trésor des vertus, la chasse de la maison de Dieu, et la laisse exposée à toutes les occasions de chûte et de malheurs qui se rencontrent dans la vie.

(49) Et l’adoroient religieusement comme si c’eût été Vénus elle-même. Il y a dans le latin : Admoventes oribus suis dexteram primore digito in erectum pollicem residente. En portant leur main droite à leur bouche, tenant le pouce élevé et le premier doigt appuyé dessus. C’étoit la manière dont les anciens adoroient leurs Dieux, en faisant une inclination du corps. Lisez Pline, l. 28, c. 2, et Apulée dans son apologie. J’ai cru qu’il étoit mieux en françois de dire simplement l’adoroient, sans y mettre ce que je viens de marquer qui est dans le texte.

(50) Personne n’alloit plus à Gnide ni à Paphos ; personne ne s’embarquoit plus pour aller à Cythère. Lieux où Vénus étoit particulièrement adorée. Gnide étoit une ville sur le bord de la mer dans la Carie, où l’on voyoit une statue de cette déesse de la main de Praxitelle. Paphos étoit une ville sur la côte occidentale de l’isle de Chypre, elle se nomme présentement Baffo. Et Cythère est une isle de la mer Egée, qu’on nomme ajourd’hui Cerigno, elle est proche de Candie. Ces pays sont sous la domination des Turcs.

(51) On en profane les ornemens. Le texte dit : Pulvinaria proteruntur, Ses lits sont foulés aux pieds. Cet endroit n’auroit pas été si intelligible, ainsi que de la manière dont je l’ai exprimé, qui est un peu plus générale à la vérité, mais qui revient à la même chose. Ces pulvinaria étoient des petits lits, qu’on dressoit dans les temples des payens, sur quoi, dans les grands besoins de l’état, et dans les calamités publiques, on mettoit les statues des Dieux, que le peuple en foule alloit adorer. Cette cérémonie s’appeloit lectisternium, et ne se faisoit que par l’ordre des Magistrats.

(52) Ce sage berger ... m’a préférée à deux déesses qui me disputoient le prix de la beauté. Ce berger, c’est Paris, fils de Priam, et les deux déesses sont Junon et Pallas.

(53) Les filles de Nerée. Nérée étoit fils de l’Océan et de Thétys, selon les uns, et selon les autres, de l’Océan et de la Terre. Il eut de sa sœur Doris, cinquante filles, qu’on nommoit les Néréides, et qui étoient nymphes de la mer.

(54) Portune. C’est le Dieu des ports de mer, que les Grecs confondoient avec Palémon ; mais, comme Apulée parle un peu plus bas de Palémon, c’est Neptune, en cet endroit, qu’il entend par Portune, ce qui n’est pas sans exemple dans les anciens.

(55) Salacia avec sa robe pleine de poissons. Salacia étoit la femme de Neptune. Saint Augustin dit, liv. 4, de la Cité de Dieu, Quid est quod mare Neptuno tribuitur, terra Plutoni ? Ac ne ipsi quoque sine conjugibus remanerent, additur Neptuno Salacia, Plutoni Proserpina. Inferiorem maris partem Salacia tenet, terra inferiorem Proserpina. Par quelle raison attribue-t-on la mer à Neptune, et à Pluton la terre ? et afin qu’ils ne fussent pas sans femme, on donne à Neptune Salacia, et à Pluton Proserpine. Salacia occupe la partie inférieure de la mer, et Proserpine celle de la terre. Cela se rapporte parfaitement bien à ce que notre auteur dit ici que Salacia a sa robe pleine de poissons.

(56) Palémon monté sur un dauphin. Palémon étoit fils d’Atamas et d’Ino ; il s’appeloit Mélicerte. L’on sait assez par la fable, qu’Ino, sa mère, fuyant la fureur d’Atamas, se précipita elle et son fils dans la mer, où Ino fut changée par Neptune en une déesse marine, nommée des Grecs, Leucothea ou Leucothoé, et des Latins, Mater mutata ; et le petit Mélicerte en un Dieu nommé Palémon par les Grecs, et Portunus par les Latins. Pausanias, dans ses Attiques, dit que Mélicerte, dans cette chute, fut reçu par un dauphin qui le porta sur son dos à l’isthme de Corinthe, ce qui a donné lieu à l’institution des jeux isthmiques en son honneur.

(57) Les tritons nagent en foule. Triton, dieu marin, étoit fils de Neptune et d’Amphitrite, ou de la nymphe Salacie. Quelques-uns le font fils de l’Océan et de Thétis ; il est regardé comme la trompette de Neptune : on le représentoit de la figure d’un homme de la ceinture en haut, et de la ceinture en bas avec une queue comme un dauphin, et deux pieds semblables aux deux pieds de devant d’un cheval, tenant toujours à la main une conque creuse qui lui sert de trompette. Les poëtes ensuite feignirent un grand nombre de tritons, soit qu’ils fussent les frères ou les enfans de celui-ci.

(58) L’ancien temple de Milet. Milet étoit la capitale d’Ionie ; cette ville étoit célèbre par un temple d’Apollon, où ce Dieu rendoit ses oracles. Elle fut bâtie par un fils d’Apollon nommé Miletus qui lui donna son nom.

(59) Voici ce que lui répondit l’Oracle. Le texte dit, Sed Apollo quanquam Græcus et Ionicus propter Milesiæ conditorem, sic latinâ sorte respondit. Mais quoiqu’Apollon fût Grec et Ionien, à cause du fondateur de la ville de Milet, il répondit cependant en latin. Cela m’a paru fort propre à retrancher dans ma traduction.

(60) Les flûtes destinées pour les airs de réjouissance, ne rendoient que des sons tristes et lugubres. L’original dit, sonus tibiæ Zygiæ mutatur in quærulum Lydium modum, La flûte nuptiale prend le ton Lydien. Cela n’auroit pas été si bien entendu de tout le monde, que de la manière dont je l’ai exprimé, qui rend de même la pensée de l’auteur ; car le ton Lydien étoit destiné pour la tristesse, comme le dorien pour la guerre, le phrygien pour les cérémonies de la religion, &c.

(61) Lorsqu’un zéphir agitant ses habits. Le zéphir le plus aimable de tous les vents étoit de la suite de Vénus et de Cupidon. Lucrèce, dans le 4e liv.

It ver, et Venus, et Veneris prænuntius ante
Pennatus graditur Zephirus vestigia propter.

Le Printemps suit par-tout les pas de l’Immortelle*,
Le Zéphire l’annonce, et vole devant elle.
 * Vénus

Ce Dieu qu’Hésiode fait naître de l’Aurore, favorise la naissance des fleurs et des fruits de la terre, par un souffle doux et fécond, qui ranime la chaleur des plantes. Il étoit amoureux de la nymphe Chloris, à qui il avoit donné l’empire sur les fleurs. C’est la même que les Romains nommoient Flore, Chloris eram quæ Flora vocor, dit Ovide au 5e liv. des Fastes. On représentoit le Zéphir sous la forme d’un jeune homme extrêmement beau et gracieux, ayant des ailes, et sur sa tête une couronne de fleurs.

Fin des Remarques du quatrième Livre.