Les Mains (Duchosal)
Les mains.
Ô mains que nous avons baisées,
Mains de nos père et mère aux gestes triomphants,
O mains qui sur nos fronts ensoleillés d’enfants.
Tant de fois vous êtes posées !
Nous regrettons les bleus sommeils,
La maison qu’on oublie au bord des eaux limpides
Et qu’emplissaient de vols rythmiques et rapides
L’essaim des mensonges vermeils.
Regrets de la paix coutumière.
Des feuillages, des fleurs, et comme nous pleurons
La mare où nos bonheurs d’enfants faisaient des ronds
Dans la bonne et blonde lumière.
Main d’une mère, chère main
Jamais lasse de dire à nos chutes : Courage,
Et d’enseigner aux cœurs ignorants de l’orage
Les durs hasards des lendemains.
Main délicate, mais austère,
Main d’une sœur, montrant l’Étoile de la Foi,
À l’heure où l’on pouvait encor sentir en soi
Descendre l’Ange du Mystère.
Ô main d’amour, joug adoré,
Ô caresses vers qui vont les vœux et les craintes !
Nous pleurons la douceur des mots et les étreintes
En qui nos âmes ont vibré.
Un frisson hante nos vertèbres,
Nos pieds saignent, nos yeux sont pleins de cécités.
Nous regrettons le songe envolé, les cités
Dans de magnifiques ténèbres.
Nous pleurons nos vieilles étoiles
Et les enchantements de l’Île et de Thulé[1]
Et la mer adorable où, sous un ciel troublé,
Fuit la grâce blanche des voiles.
Nous pleurons le rêve infini,
La féerie éphémère et les nuits pleines d’astres,
Et nos cœurs à jamais perdus sous les désastres
Des illusions de granit.
- ↑ Île plus ou moins légendaire, considérée par les anciens comme la plus septentrionale de l’Atlantique européen.