Les Manœuvres du Languedoc en 1913

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Les Manœuvres du Languedoc en 1913
Revue des Deux Mondes6e période, tome 17 (p. 799-817).
LES MANŒUVRES DU LANGUEDOC
EN 1913

Les manœuvres d’armée qui viennent de se terminer aux environs de Toulouse méritent d’attirer l’attention, pour divers motifs. Elles ont mis en présence quatre corps d’armée, une division d’infanterie coloniale, une division de cavalerie et divers élémens endivisionnés, c’est-à-dire un effectif comparable à celui d’une armée normale, quand elle a été éprouvée par le début d’une campagne. Une partie de ces troupes comptaient parmi celles de France qui, à tort ou à raison, passent pour être les moins imprégnées de l’esprit militaire. On connaît les incidens tragiques survenus lors des troubles du Midi en 1907, ceux arrivés au printemps dernier dans certaines garnisons de la même région. Il était permis de se demander comment se comporteraient aux manœuvres ces élémens, contaminés par le milieu, affaiblis par certaines traditions d’indiscipline pour les uns, de faiblesse pour les autres. Enfin les deux commandans de partis étaient de ceux dont la personnalité force l’attention. Tous deux, membres du Conseil supérieur de la Guerre, anciens combattans de 1870, blessés tous deux pendant la guerre, si nos souvenirs ne sont pas en défaut pour ce qui concerne le second, MM. les généraux Pau et Chomer ont dans toute l’armée une réputation de savoir, d’énergie, de coup d’œil, bref, de toutes les qualités qui font l’aptitude aux plus hauts commandemens. Le directeur des manœuvres était le vice-président du Conseil supérieur de la Guerre, c’est-à-dire le commandant désigné du groupe d’armées du Nord -Est en cas de mobilisation. On pouvait donc s’attendre à trouver dans cette grande réunion de troupes des élémens tout particuliers d’intérêt.


Deux armées devaient être en présence : celle du Nord ou parti bleu commandée par le général Pau ; celle du Sud ou parti rouge par le général Chomer. La première comprenait les 12e et 18e corps (généraux Roques et de Mas-Latrie), une division d’infanterie coloniale[1] (général Vimart), une brigade de cavalerie provisoire (général Grellet), un groupe d’artillerie lourde, trois escadrilles d’avions avec centre à Agen, un dirigeable dont le port d’attache serait Pau.

Quant à l’armée du Sud, elle était composée des 16e et 17e corps (généraux Faurie et Plagnol), de la 6e division de cavalerie (général Charlery de La Masselière) à deux brigades, l’une de cuirassiers, l’autre de dragons ; un groupe d’artillerie lourde, trois escadrilles d’avions ayant pour centre Toulouse, un dirigeable dont le port d’attache serait Albi.

On voit que le parti bleu disposait de cinq divisions d’infanterie et d’une brigade de cavalerie à trois régimens, sans tenir compte des brigades de corps. Quant au parti rouge, il ne comptait que quatre divisions d’infanterie et une division de cavalerie à quatre régimens. Son infériorité était donc sensible.

La composition des corps d’armée en infanterie était normale, mais non leur dotation en artillerie. Chacune des divisions d’infanterie disposait de deux groupes (six batteries) au lieu de trois. Seule la division coloniale avait ses neuf batteries. De même l’artillerie de corps ne comptait que deux groupes au lieu de quatre : une différence du simple au double. Quant à la proportion d’artillerie lourde, elle était très faible, un groupe par armée[2]. Cette faiblesse en artillerie, résultant du défaut d’attelages disponibles dans les régimens, n’est naturellement pas sans inconvéniens. Il est beaucoup plus difficile de manier un corps d’armée à 30 batteries que le même corps à 18, surtout dans les terrains accidentés où allaient se dérouler les manœuvres. Il peut même aisément se faire qu’un grand élément d’armée soit incapable de déployer toute son artillerie dans une région de ce genre.

Notons encore que la cavalerie de chaque corps d’armée était représentée par un régiment et demi, soit six escadrons constitués en brigade. Quant à la division de l’armée Chomer, elle appartenait à un type quelque peu démodé, deux régimens de cuirassiers et deux de dragons, comme la division Forton à Rezonville. La brigade indépendante de l’armée du Nord était une formation provisoire à trois régimens, deux de dragons et un de chasseurs. En somme, la proportion de cavalerie était faible dans les deux armées, ce qui cadrait avec la nature du terrain.

Les opérations allaient se dérouler sur la rive gauche de la Garonne, dans le quadrilatère Agen-Montauban-Toulouse-Auch. La partie centrale de cette région, celle qui s’étend autour de Lectoure, de Lavit et de Beaumont, est la Lomagne, un pays doucement mamelonné, semé de nombreux villages, dont beaucoup sont juchés en des points dominans. Quelques-uns montrent encore des restes de fortifications remontant à la croisade contre des Albigeois ou à la guerre de Cent ans. L’ensemble est tourmenté, couvert de boqueteaux, de haies, sans grandes vues, beaucoup plus propre au combat de l’infanterie qu’à celui des autres armes. Les points culminans ne dépassent guère trois cents mètres. Les principaux accidens du sol sont les vallées qui, s’épanouissant en éventail du haut du plateau de Lannemezan, descendent vers la Garonne dans les directions comprises entre N. S. et N. E.-S. O.

Le sol est en général argileux, parfois semé de flaques d’eau en temps de pluie. Les deux seules forêts sont celle de Bouconne entre la Save et le Touch, à l’Ouest de Toulouse, et celle de Montech entre Montauban et la Garonne.

Les manœuvres proprement dites devaient commencer le 11 septembre. A la date du 10, le parti bleu était réparti entre la Baïse, la Garonne et l’Arrats, la division d’infanterie coloniale et la brigade de cavalerie d’armée formant avant-garde générale au centre du dispositif, face au Sud-Est. Quant au parti rouge, il était encore sur la rive droite de la Garonne, à hauteur de Toulouse.

A deux heures, le général Pau recevait de son commandant en chef fictif (en réalité, M. le général Joffre) les instructions suivantes :


Brive, le 9 septembre, 18 heures. — Les forces ennemies battues se retirent vers le Sud-Est, à la rencontre de renforts qui afflueraient principalement par la ligne Cette-Toulouse. Leurs arrière-gardes ont été signalées hier soir sur la Dordogne, à Bergerac et en amont. D’après les derniers renseignemens reçue, l’ennemi aurait déjà constitué de nouveaux groupemens à Toulouse et à Muret.

Leur importance est évaluée à trois divisions d’infanterie au moins : une division de cavalerie aurait passé la nuit du 8 au 9 septembre sur la Save, dans la région de Montaigut-sur-Save. Enfin, des organisations défensives seraient projetées sur les deux rives de la Garonne, aux abords immédiats de Toulouse. Le gros de nos forces a entamé la poursuite de l’ennemi, en direction générale de Toulouse.

En marchant droit sur la capitale ennemie, ma pensée est d’obliger l’ennemi à accepter la bataille avant la reconstitution complète de ses moyens. Je compte l’atteindre le 14 ou le 15 septembre sur le Tarn ; mon intention est de le fixer avec le gros de nos forces et d’agir avec l’armée P sur ses principales communications avec le Sud-Est : Toulouse-Pamiers ; Toulouse-Cette.

Pour le succès de ces opérations, il importe que l’armée P gagne, au plus tôt, la région Toulouse-Muret.

Elle se mettra en mouvement le 11 septembre, à six heures. La liaison de l’armée P avec le gros du parti bleu sera assurée sur la Garonne même, par les soins de ce dernier ; notre colonne extrême de l’Ouest, franchissant la Dordogne à Bergerac, atteindra vraisemblablement le 12 septembre, avec ses avant-gardes, la région de Villeneuve-sur-Lot.


A cinq heures, le général Chomer recevait de son commandant en chef fictif les instructions ci-après :


Caussade, le 10 septembre, 2 heures. — Les corps bleus qui m’étaient opposés n’avaient pas encore franchi, hier 9 septembre, la ligne de la Dordogne, dont les principaux passages ont d’ailleurs été détruits.

Le gros de nos forces, qui atteindra aujourd’hui même la ligne Sud du Lot, continuera donc Son mouvement vers la région Toulouse-Albi-Castres sans crainte d’être sérieusement inquiété.

Toutefois, des colonnes bleues, évaluées à 2 ou 3 divisions, ont été signalées en mouvement, le 7 septembre, de Mont-de-Marsan et Bazas vers le Sud elle Sud-Est.

Un parti important de troupes de toutes armes (plus d’une brigade, avec une forte proportion de cavalerie) était déjà hier, 9 septembre, entre le Gers et l’Arrats, dans la région de Miradoux.

L’intention de ces nouveaux groupemens peut être : soit de franchir la Garonne, notamment dans la région de Moissac, pour inquiéter d’abord notre flanc Ouest et opérer ensuite leur jonction avec le gros du parti bleu ; soit de marcher rapidement vers Toulouse et Muret, pour occuper la capitale d’une part et, d’autre part, pour agir contre nos principales communications avec le Sud-Est.

L’armée C a la mission de s’opposer à ces diverses actions possibles de l’ennemi, en opérant sur la rive gauche de la Garonne. Les opérations sur la rive droite restent attribuées au gros de nos forces, dont la colonne extrême de l’Ouest aura vraisemblablement son arrière-garde le 11 septembre à Tournon, elle 14 aux abords de Montauban.

La liaison de l’armée C avec le gros de notre parti sera assurée, sur la Garonne même, à la diligence des troupes opérant sur la rive droite.

L’armée C entrera en opérations dès demain H septembre, à six heures.


Tel qu’il est exposé ci-dessus, le thème général des manœuvres paraît fort simple et d’une parfaite clarté. Il laisse une large part d’initiative aux deux chefs de partis. Toutefois, selon une observation très juste du correspondant du Journal des Débats, M. le commandant de Thomasson, la distance entre Toulouse et l’Arrats est de 60 à 70 kilomètres, ce qui impliquait l’impossibilité d’une rencontre sérieuse avant le troisième jour. Or, aux manœuvres d’armée, il est habituel qu’un jour de repos sépare deux périodes d’activité de trois jours chacune. La bataille du troisième jour courait donc le risque d’être écourtée.

En revanche, il est évident que le rôle de la cavalerie d’armée ne peut acquérir une certaine ampleur que si la distance initiale est suffisante entre les deux partis. Cet avantage est assez grand pour justifier le procédé adopté aux manœuvres de 1913. Peut-être eût-il mieux valu néanmoins prolonger d’un jour la première période, afin de donner à la bataille du 13 son entier développement.


Le 11 septembre, les deux armées opéraient simultanément leur mouvement offensif, en prenant toutefois des disposition ? qui différaient sensiblement. L’armée du Sud avait passé la nuit du 10 au 11 sur la rive droite de la Garonne, à hauteur de Toulouse. Elle marchait le 11 sur quatre colonnes de division, dans la direction générale du Nord-Ouest.

La 31e division allait par Blagnac, la 32e par Plaisance-du-Touch, la 33e par Saint-Lys et la 34e par Rieumes. La 6e division de cavalerie avait mission de couvrir le flanc gauche, tout en cherchant à gagner le flanc droit de l’armée du Nord. A cet effet, elle marchait sur Auch par l’Isle-Jourdain et Aubiet.

Quant aux troupes du général Pau, elles avaient passé la nuit sur la Baïse, vers Condom. Elles marchaient le 11 septembre au Sud-Est, suivant l’axe Lectoure-Tournecoupe-Cox-Montaigut-Toulouse, sous la protection d’une avant-garde générale, la division d’infanterie coloniale, et de la brigade provisoire de cavalerie, renforcée d’un régiment emprunté au 12e corps.

Les distances à parcourir et les directions assignées aux cavaleries adverses excluaient la possibilité d’une rencontre. Le soir du 11, les avant-gardes du général Chomer s’arrêtaient sur la Save, dont elles tenaient les passages à Grenade, à Montaigut, à l’Isle-Jourdain, à Samatan et à Lombez. Elles-mêmes étaient couvertes par des « détachemens de sûreté, » suivant l’expression officielle, postés sur la rive gauche de cette rivière. Ces sortes d’avant-postes renforcés tenaient les crêtes de cette rive, à Le Grès, Montbrun, Montferran, Bézéril. La plupart était composés d’un bataillon, une batterie, un peloton de cavalerie. Enfin un régiment de cavalerie emprunté au 17e corps s’était posté en avant de la gauche à Gimont, dans la direction suivie par la 6e division de cavalerie, elle-même vers Mirepoix-Arcamont.

Le front ainsi occupé par les quatre divisions rouges était très considérable, 45 kilomètres environ de Grenade à Lombez, bien que les têtes de l’ennemi ne fussent qu’à 30 kilomètres.

Le dispositif du général Pau était beaucoup plus resserré. Le soir venu, la division coloniale tenait les hauteurs de Casteron-Cumont, où elle s’était fortifiée, tout en gardant les ponts de la Gimone. La brigade de cavalerie provisoire occupait Estramiac-Solomiac, se reliant aux troupes coloniales, de façon à couvrir la droite de l’armée du Nord, en échelon avancé. Elle était renforcée d’un bataillon et de deux batteries empruntées à la division coloniale.

Derrière ces deux élémens, le 12e corps stationnait vers Miradoux (24e division) et vers Mézan (Saint-Mézard ?) (23e division), le 18e corps sur la ligne Montestruc-Terraube. Le front de l’armée bleue ne dépassait guère 25 kilomètres.

On voit la différence très marquée entre les deux dispositifs. L’armée du Sud a opéré une sorte de déploiement préparatoire au combat, en formant ses quatre divisions en colonnes sur un même front, très étendu, et en détachant sa cavalerie en avant de la gauche. Quant à l’armée du Nord, elle est beaucoup plus massée, derrière une avant-garde générale qui lui permettrait de manœuvrer, s’il était nécessaire. Le mouvement de l’armée du Sud paraît être inspiré des idées allemandes telles que nos voisins les ont appliquées en 1870-1871, et comme ils les appliquent fréquemment encore dans leurs manœuvres d’automne. Le dispositif du général Pau semble plus conforme aux traditions de nos grandes guerres. Il garantit plus de liberté de manœuvre au commandant de l’armée.

Les ordres donnés des deux parts diffèrent également en ce qui concerne les avions. Le chef du parti Nord a dirigé quatre reconnaissances d’aéroplanes, dont trois sur Toulouse, par Beaumont, Solomiac et Mauvezin, et une vers Muret par l’Isle-Jourdain. Le dirigeable Fleurus doit observer les débouchés à l’Ouest de la Garonne et transmettre par la télégraphie sans fil les indications qu’il recueillera.

Du côté Sud, les procédés employés furent autres. Les aéroplanes reçurent une indication très large des directions à suivre et des zones à explorer. Quant au dirigeable Adjudant-Vincenot, il dut survoler toute la vaste région comprise entre Auch et la Garonne, vers Valence[3].

Dans cette recherche des renseignemens, l’avantage paraît être resté à l’armée du Nord. Dès le matin du 12, le général Pau savait très exactement par ses aéroplanes qu’aucune colonne rouge ne marchait au Nord de la route Toulouse-Cox. D’autre part, sa cavalerie lui aurait appris qu’aucune colonne rouge n’était au Sud de la route Rieumes-Gimont[4], renseignement qui paraît d’ailleurs inexact. L’ennemi était ainsi « encadré. »

Le 12 septembre, l’armée rouge continuait son mouvement au Nord-Ouest, tout en faisant avancer sa droite. La 31e division (16e corps) passait la Save à Montaigut, dès sept heures, pour se porter vers Cox ; le reste du corps d’armée traversait la rivière à l’Isle-Jourdain pour atteindre Montbrun, Razengues, Clermont, avec une forte avant-garde à Cologne, au Nord-Ouest.

Quant au 17e corps, il passait la Save à neuf heures, la 33e division marchant sur Montferran, Frégouville, Cazaux ; la 34e sur Samatan et Lombez, avec une avant-garde commune à Gimont, tenant les hauteurs entre ce bourg et Aubiet.

La 6e division de cavalerie, au Nord d’Auch, continuait d’avoir mission d’inquiéter le flanc droit de l’armée bleue. Le front rouge avait sensiblement diminué, bien que, de Cox à Lombez, il mesurât encore trente-quatre kilomètres environ.

De son côté, l’armée bleue se massait à l’Ouest de la Gimone, à droite de la division coloniale restée sur ses positions de Casteron-Cumont, qu’elle achevait de fortifier. La brigade provisoire de cavalerie avait ordre de descendre vers le Sud, sur Nougaroulet, face à la division de cavalerie rouge signalée vers Auch.

Quant aux 12e et 18e corps, ils allaient également au Sud, pour venir à la hauteur de la division coloniale. Le 12e corps s’échelonnait de Monfort à l’Isle-Bouzon par Saint-Clar, avec une avant-garde à Solomiac, sur la Gimone. Le 18* se répartissait de même entre Puycasquier et Montestruc, son avant-garde à Saint-Antonin. Le front de l’armée bleue, sensiblement parallèle à la Gimone, ne dépassait guère vingt kilomètres ; ses élémens se répartissaient sur une profondeur à peu près égale, celle d’une petite journée de marche. Comme son adversaire, elle avait paru se glisser vers le Sud, en appuyant vers sa droite, tandis que l’armée rouge appuyait vers la gauche.

Ainsi que celle du 11, la journée du 12 septembre se passait sans rencontre sérieuse. Les seuls engagemens intervenus concernaient surtout la cavalerie des ailes Sud des deux partis.

Vers une heure, la brigade provisoire atteignait son objectif de Nougaroulet et y mettait pied à terre. Peu après, elle était avisée de l’approche de la division rouge, et n’avait que le temps de se mettre en selle et de prendre sa formation de combat. Au moment où la mêlée allait se produire, les arbitres intervenaient et donnaient l’avantage à la 6e division dont la charge eût été plus compacte sur une troupe de même force numérique, mais surprise dans une certaine mesure. Il fut décidé que la brigade bleue se retirerait, mais que les deux adversaires seraient neutralisés un certain temps. Ce jugement à la manière de Salomon paraît être l’équité même.

La 6e division se portait ensuite sur l’Arrats, vers l’Isle-Arne, non sans canonner à plusieurs reprises la division de droite du 18e corps, dont elle aurait, en réalité, sensiblement retardé la marche[5]. Il est vrai, assure un correspondant, qu’ensuite elle commettait l’imprudence de défiler à portée de l’artillerie bleue, qui lui eût fait subir inutilement de grosses pertes.

Quant à la brigade provisoire, elle avait sans succès tenté d’occuper Gimont, tenu par la cavalerie du 17e corps, avec un bataillon du 7e régiment d’infanterie en soutien. Elle passait ensuite la Gimone, retardait la marche d’une colonne rouge et finalement, après avoir bousculé deux escadrons ennemis, se portait à la droite de son armée pour la couvrir.

En somme, des deux côtés, l’emploi de la cavalerie avait été rationnel, à part quelques fautes de détail.


Le 13 septembre, à l’armée du Sud, trois divisions (31e, 32e 33e) partaient à six heures du matin du front Cox-Gologne-Touget, pour attaquer la ligne Casteron-Tournecoupe-Cadeilhan On notera que le front initial mesurait treize kilomètres environ et le front d’attaque un peu plus de dix kilomètres. Quoi qu’on en ait dit et bien que le terrain accidenté se prêtât ma aux liaisons entre les divers élémens, il ne semble pas que ces fronts fussent excessifs pour le début d’une action. Mais, de Cox à Casteron, il y a vingt et un kilomètres environ, ce qui eût encore exclu une action sérieuse, si l’armée du Nord n’avait pris également l’offensive.

La dernière division du 17e corps (la 34e) s’était portée à Gimont par une marche de nuit, afin de s’y tenir prête à envelopper la droite ennemie en collaboration avec la 6e division de cavalerie. On peut se demander si cette disposition ne procédait pas d’une idée préconçue. Au moment où elle était prise, l’armée rouge ignorait le front que tiendrait son adversaire et les dispositions qu’il prendrait.

On remarquera également l’heure tardive du départ. De Cox à la Gimone il y a treize kilomètres environ ; c’est dire que le 16e corps ne pouvait commencer à passer la rivière avant neuf heures. Il y avait sujet de craindre que l’adversaire n’eût déjà pris toutes ses dispositions pour tenir les ponts en force ou pour les avoir traversés.

Quant à l’armée bleue, son chef lui assignait le dispositif suivant. La division de queue du 12e corps (23e) venait, par une marche de nuit, s’intercaler entre la division de tête (24e) et la division coloniale. Le tout et la division de tête du 18e corps (36e), c’est-à-dire un ensemble de quatre divisions équivalant à la totalité de l’armée rouge, passait la Gimone dès cinq heures du matin, sur le front Gimat-Mauvezin-Saint-Sauvy qui mesure environ vingt kilomètres. Le front d’attaque indiqué était Cox-Cologne-Saint-Cricq, qui a un développement total un peu supérieur à dix kilomètres. On voit que l’ensemble du mouvement était nettement convergent.

Le général Pau prenait pour la division d’aile, la 35e, des dispositions analogues à celles du général Chomer pour la 34e. Avec la brigade provisoire de cavalerie, elle formait échelon de manœuvre à la droite et en arrière du dispositif.

Dans les deux partis, les organes d’aérostation recevaient une nouvelle affectation. Les dirigeables devaient surveiller l’aile dangereuse, celle du Sud, et la majeure partie des aéroplanes étaient mis à la disposition des commandans de corps d’armée pour l’exploration rapprochée et la recherche des emplacemens défilés de l’artillerie. Il semble bien que certaines invraisemblances se soient produites dans l’emploi de ces précieux engins, au moins en ce qui concerne les dirigeables. On put voir ceux des deux partis opérer à médiocre distance l’un de l’autre, ce qui, dans la pratique, eût été naturellement impossible.

Si l’on résume l’ensemble des dispositions adoptées par les deux adversaires, on voit que chacun prend l’offensive suivant des directions opposées, l’un avec trois divisions, l’autre avec quatre. Tous ces élémens suivent des axes sensiblement parallèles, ce qui implique une action du même ordre. Des deux côtés, une division et de la cavalerie sont tenues en réserve d’aile, en vue d’un mouvement enveloppant ou débordant.

Vers six heures, les opérations commençaient par un engagement entre la 6e division de cavalerie, qui marchait au Nord-Ouest pour inquiéter la droite bleue, et la brigade provisoire qui couvrait cette aile. Cette fois encore, la division rouge eut l’avantage et les escadrons bleus durent se rapprocher de leur infanterie.

Quant au gros de l’armée du Nord, il avait pu, grâce à son départ matinal, passer la Gimone sans difficulté et attaquer la droite rouge (16e corps), au moment où elle se mettait en marche. Bientôt les 31e et 32e divisions étaient aux prises sur tout leur front avec la division coloniale, le 12e corps et la 36e division, c’est-à-dire avec des forces doubles. Dès midi, elles commençaient à plier vers l’Est. A trois heures environ, le 12e corps prenait Cologne et la division coloniale Cox. A cinq heures du soir, lors de la cessation de la manœuvre, le 16e corps, débordé sur ses deux ailes, avait reculé sur la ligne Puisségur, Cadours, Encausse, La 36e division (bleue) s’était glissée jusqu’à Touget et à Sibrac. Ainsi l’armée bleue avait non seulement arrêté l’offensive des rouges, mais refoulé sensiblement leur droite et leur centre.

Ajoutons que le 16e corps n’avait pas mené une action unique, obéissant à une seule impulsion, contre les quatre divisions bleues. Il y avait eu combat de divisions isolées, sans liaison entre elles. Entre la 31e et la 32e division il s’était produit vers onze heures, assure le correspondant des Débats, une lacune de 6 kilomètres, vide de toute espèce de troupes. Ajoutons que, du côté bleu, la liaison des divers élémens n’était pas toujours beaucoup mieux assurée, ce qui, évidemment, présentait des inconvéniens graves. Les commandans de corps d’armée du type actuel, à deux divisions, ont trop de tendance à se désintéresser de la direction du combat et à l’abandonner aux divisionnaires, au cas d’un combat de divisions accolées, ce qui se présente le plus souvent. Ils ne peuvent intervenir utilement que s’ils ont constitué une forte réserve en la prélevant sur l’une des divisions ; cette dernière en est affaiblie. S’il s’agit d’une brigade, le divisionnaire est réduit à doubler l’autre brigadier. S’il s’agit d’un régiment, ce qui est fort insuffisant, l’un des brigadiers double simplement un colonel. On voit donc que la question est délicate.

Revenons à la bataille du 13 septembre. Le recul du 16e corps le coupait du 17e. Mais la 33e division (rouge), en exécutant le mouvement prescrit sur Cadeilhan, venait dans le flanc de la 36e division (bleue) au moment où elle était déjà maîtresse de Mauvezin. D’autre part, la 34e (rouge), venant de Gimont, passait l’Arrats et refoulait la 35e (bleue) vers le Nord. Bien que le 18e corps eût affaire à des forces numériquement équivalentes, le 17e, il était complètement arrêté dans son offensive et même contraint de se replier vers le gros de l’armée bleue. Le soir du 13, il tenait la ligne Lamothe-Mansempuy-Puycasquier, tandis qu’en face de lui le 17e corps avait son front à Mauvezin-Saint-Antonin-Augnax.

Dans l’ensemble, la situation était la suivante à la fin de la manœuvre. L’armée rouge était coupée en deux tronçons séparés par un intervalle de 10 kilomètres environ, et à peu près perpendiculaires l’un à l’autre, le 16e corps face à l’Ouest et le 17e au Nord. Quant à l’armée bleue, quatre de ses divisions formaient une ligne courbe face au 16e corps et à une fraction du 17e. La cinquième s’était repliée vers le Nord, sans être en liaison bien assurée avec le gros de l’armée.

Il eût été très intéressant de reprendre la manœuvre dès le matin du 14, après avoir fait trancher par les arbitres les questions litigieuses. Malheureusement, des considérations tenant sans doute au désir de ménager les troupes intervinrent, en sorte que la bataille du 13 se termina le soir même, sans qu’aucune décision eût apparu nettement.

En résumé, la bataille du 13 septembre fut indécise, malgré la disproportion des forces, parce qu’aucun des deux commandans de parti ne put réaliser son idée de manœuvre. Elle fut simplement indiquée, faute de temps.

L’exécution montra dans la troupe ses qualités habituelles d’endurance et d’entrain. L’infanterie des corps d’armée du Midi a des aptitudes manœuvrières très marquées, de par sa vivacité d’esprit, sa résistance aux fatigues et à la chaleur. Mais elle est d’un commandement délicat, ainsi qu’on a pu s’en rendre compte. Nous reviendrons sur ce point.

Quant à l’instruction en vue du combat, elle a révélé certaines lacunes. Des assauts donnés prématurément, en formations trop denses, des liaisons mal assurées, des mesures indispensables de sécurité omises ou insuffisantes montrent que tous nos corps d’armée ne possèdent pas la préparation, si remarquable, de ceux de l’Est. Le commandant de Thomasson a donc pu dire, sans exagération, à propos de la bataille du 13 septembre, que certains de ceux du Midi avaient besoin « d’être vigoureusement commandés et de travailler sérieusement. »


La presse avait annoncé que, contrairement aux traditions, la date du jour de repos n’était pas déterminée à l’avance, ce qui permettrait de prolonger la première période selon les nécessités de l’instruction. En réalité, rien ne fut, changé aux traditions, et la journée du 14 dut être consacrée au repos. Peut-être le violent orage qui marqua la fin de la manœuvre du 13 contribua-t-il à cette décision.

Toujours est-il vrai que la nuit du 13 au 14 se passa, pour les troupes, sur les emplacemens mêmes occupés à l’issue des combats du 13. Dans la journée du dimanche 14, elles gagnèrent des cantonnemens dits de repos qu’elles durent abandonner dès le lundi 15, pour occuper de nouveaux emplacemens correspondant à un second thème de manœuvres. Ce dernier se rattachait logiquement à celui que nous avons reproduit.

Le général Pau recevait les instructions suivantes de son commandant en chef fictif :


Cahors, le 15 septembre, 8 heures. — L’ennemi continue sa retraite vers le Tarn ; nos avant-gardes passent aujourd’hui l’Aveyron, celle de notre colonne extrême de l’Ouest a occupé Montauban.

Mon intention est de continuer la poursuite de manière à atteindre, le 16 septembre, la ligne du Tarn, entre Villemur et Albi.

La colonne extrême de l’Ouest, marchant sur Fronton et Toulouse, entre le Tarn et la Garonne, votre armée, dès qu’elle aura mis hors de cause les forces rouges qui lui sont opposées, continuera sa mission : agir sur les communications du gros des forces rouges, notamment sur la ligne Toulouse-Cette.


Les instructions adressées au général Chomer étaient ainsi conçues :


Lavaur, le 15 septembre, 8 heures. — Des avant-gardes ennemies ont passé l’Aveyron la nuit dernière.

Le gros des forces rouges continue son mouvement général de retraite pour se porter sur la ligne du Tarn. Mon intention est de livrer bataille sur cette ligne. Mes gros seront installés le 16 septembre sur le front général : Fronton, Rabastens, Albi, etc. Je compte prononcer mon principal effort par ma droite, où j’attends des renforts venant de Castres.

Le recul du gros du parti rouge de l’Aveyron sur le Tarn a pour effet de découvrir votre flanc droit, exposé dès lors à être pris à revers par des forces bleues débouchant de Montauban. En conséquence, votre armée se dérobera dans la nuit du 15 au 16 septembre. Elle viendra sur la Save, où elle continuera à couvrir nos principales communications avec le Sud-Est et à protéger notre capitale, dont la mise en état de défense est à peine ébauchée.

Notre colonne extrême de l’Ouest se replie aujourd’hui entre Tarn et Garonne sur Fronton. Elle a reçu l’ordre de détruire les ponts de Bourret, Verdun-sur-Garonne et Grisolles. Des dispositifs de mines prêts à fonctionner ont été aménagés sur les principaux passages de la Save, en aval de Lombez inclus. Leur mise en œuvre est laissée à votre décision.


A la suite des changemens d’emplacemens opérés le 14, le 16e corps était à Brignemont-Cologne, le 17e entre Cologne et Gimont. Le général Chomer leur prescrivait de se dérober de nuit, pour aller s’établir derrière la Save en aval de Lombez. Ils devraient être en position à six heures du matin, la cavalerie restant seule sur la rive Ouest, celle des corps d’armée devant le front, la 6e division sur le flanc gauche, vers Samatan. La distance entre Brignemont et la Save à Montaigut avoisinant 22 kilomètres, on voit que la marche de nuit opérée par l’armée bleue dut être très fatigante pour certains élémens.

Quant au général Pau, il avait décidé de s’emparer, par un combat de nuit, des hauteurs de la rive droite de la Gimone, entre Saint-Martin-du-Hour et Escazeaux, sur un front de 20 kilomètres environ. A cet effet, les troupes chargées de l’attaque passeraient la Gimone et l’Arrats à trois heures du matin et le gros à cinq heures, pour continuer ensuite vers la Save. L’armée bleue pouvait donc s’attendre à une série de combats de nuit, qui auraient présenté un vif intérêt en raison de l’extrême difficulté de ces engagemens, surtout en tant que direction.

Dans la réalité, il n’y eut aucune rencontre. La disparition de l’armée rouge fit que la menace des bleus porta dans le vide. Il fallut encore toute la journée du 16 pour amener un nouveau contact, le général Chomer l’employant à l’occupation méthodique des hauteurs bordant la Save à l’Est, et le général Pau poussant ses avant-gardes jusqu’à la rive Ouest.

Dans la soirée, l’armée rouge tenait par ses avant-postes les passages de la Save entre Montaigut et Cazaux, sur un front très étendu, près de 27 kilomètres. A lui seul, le 16e corps s’étendait de Montaigut à l’Isle-Jourdain (inclus), plus de 15 kilomètres, avec un régiment en réserve à Pujaudran. La 33e division (17e corps) tenait le front Aurade-Marestaing-Cazaux. En arrière du centre, une masse de manœuvre avait été constituée avec la 33e division (17e corps) à Saint-Lys-Saiguède et un régiment de 16e corps, le 81e, à Lias. L’artillerie lourde stationnait dans le voisinage. La cavalerie des deux corps d’armée avait été refoulée sur la ligne des avant-postes. La 6e division, après plusieurs engagemens, avait dû gagner la rive droite de la Save par le pont de Samatan.

Le front de l’armée bleue était sensiblement moins étendu, de Cadours a Bézéril, 25 kilomètres environ[6]. Sa gauche faisait face au centre du 16e corps et sa droite débordait légèrement la gauche du 17e. Elle avait en réserve trois régimens de la division coloniale, à Razengues derrière son centre, ainsi qu’avait fait le général Chomer pour la réserve générale rouge

Le 17 septembre devait être le dernier jour des manœuvres Peut-être la présence du président de la République contribua-t-elle à donner aux opérations un certain caractère théâtral plus fait pour impressionner favorablement les spectateurs que pour instruire les exécutans.

Cette fois, l’armée rouge est réduite par le thème général à une attitude défensive. Le général Chomer se propose simplement de garder la ligne de la Save, en faisant usage de sa réserve générale contre les fractions ennemies qui viendraient à passer cette rivière.

L’armée bleue va au contraire jeter toutes ses forces à l’attaque. Dès deux heures du matin, le régiment colonial, le groupe d’artillerie et les deux escadrons de Cadours-Laréole cherchent à surprendre le passage de la Save à Pradère. Ils sont arrêtés, puis repoussés par la 31e division.

A trois heures, la 23e division (12e corps) surprend les défenseurs du pont de l’Isle-Jourdain et les chasse de ce bourg. Puis elle marche sur Pujaudran, dans la direction de Toulouse, la division coloniale suivant en réserve. Mais la 32e division (16e corps) résiste avec vigueur ; en outre, la rive droite de la Save, comme celle de toutes les rivières sortant du plateau de Lannemezan, domine sensiblement la rive gauche, qui se prête mal à l’établissement de l’artillerie. L’attaque des bleus fait donc des progrès très lents.

Vers dix heures, la seconde division du 12e corps (24e), après avoir franchi la Save, croit devoir obliquer vers le Sud, en créant un vide au centre de son corps d’armée. De même, le 18e corps dessine un vaste mouvement d’enveloppement contre la 34e division. Celle-ci est refoulée vers le Nord-Est.

Pujaudran et surtout la colline voisine, cotée 309, ont été organisés avec soin pour la défense. La tâche des fractions bleues qui les attaquent est donc lourde. Au moment où leurs efforts vont aboutir, le général Chomer, saisissant avec beaucoup d’à- propos l’instant opportun, déclanche sa contre-attaque. La 33e division et le 81e dévalent sur le flanc droit des bleus, tandis que toute l’artillerie rouge reprend son tir ; l’artillerie lourde y joint le sien. L’attaque bleue est arrêtée du coup. Il est midi. Les manœuvres d’armée sont terminées.

Cette fois encore, la bataille a été écourtée pour des raisons étrangères à l’action. Dans la réalité, sur des fronts aussi étendus, elle se prolongerait durant deux journées au moins. On l’a vu au cours des dernières guerres, à commencer par celle de 1870. Les batailles d’Orléans, de Pont-Noyelles, de Bapaume, du Mans, de la Lisaine, n’ont-elles pas duré deux ou trois jours ?


Nous avons montré combien les deux commandans d’armée avaient fait preuve d’initiative et d’esprit offensif. Cette constatation n’a pas échappé aux spectateurs étrangers[7]. Mais ils ont remarqué également que cette initiative n’était pas développée au même degré dans les échelons inférieurs. M. le colonel Guse fait observer avec quelque raison que le succès de quatre divisions bleues sur le 16e corps, le 13 septembre, n’a pas été utilisé comme il aurait dû l’être. Pour M. le général Maitrot[8], le commandement semble sinon absent, du moins lointain. Il en résulte fréquemment du flottement dans les lignes ; on dirait parfois que les attaques n’ont pas d’objectifs bien définis ; elles sont mollement conduites.

On a pu remarquer à plusieurs reprises la très grande extension des fronts. Dans un pays aussi accidenté, se prêtant aussi peu aux communications latérales, cette extension présentait des dangers évidens. Les liaisons étaient souvent mal assurées ; il se produisait dans les fronts de combat de larges brèches qu’un ennemi entreprenant aurait pu utiliser.

En ce qui concerne la troupe, les avis diffèrent sensiblement. Si le colonel Guse souligne sa bonne humeur et son entrain, malgré les fatigues, malgré l’arrivée tardive au cantonnement, malgré les distributions qui se font parfois attendre, le général Maitrot trouve le fantassin « morne et indifférent, » contre toutes les traditions françaises. Il manque aux troupes du Midi, croit-il, « le coup de fouet du voisinage de la frontière. » Le soldat marche bien, mais s’intéresse peu à la manœuvre. Il est figurant plutôt qu’acteur et attend impatiemment la fin de la pièce. A son exemple, les cadres inférieurs se laissent aller. Le service de deux ans a produit son effet sur les uns et les autres. A quoi bon s’épuiser pour obtenir des résultats insignifians, avec des soldats qui ne font que passer dans les rangs ? Peut-être cette opinion est-elle pessimiste. Le service de deux ans a certes produit de fâcheux résultats dans le Midi comme ailleurs, mais il n’est pas la cause dominante de certaines défectuosités qu’on peut observer dans les troupes qui en proviennent.

Dans des manœuvres antérieures, on avait pu reprocher aux troupes coloniales leur débraillé, leur peu d’aptitude à la marche et même une certaine tendance à l’indiscipline. Cette année, il ne parait pas qu’il y ait rien eu à dire sous ce rapport. Le général Maitrot souligne même la vigueur et l’entrain des marsouins par comparaison avec l’infanterie de ligne.

L’un des points saillans qui ressortent des manœuvres est la faiblesse des effectifs. Alors que, dans d’autres régions, la compagnie d’infanterie atteint parfois 150 hommes et au delà, elle était souvent inférieure à 110 hommes, les réservistes compris. Il y a là un fait qui appelle la plus sérieuse attention et qui tient à deux ordres de faits, tous deux imputables au commandement. Certains chefs de corps ont enflé le nombre des malingres laissés au dépôt, afin de réduire la proportion des évacuations, d’après laquelle on juge souvent de l’entraînement des troupes. D’autre part, le chiffre des dispenses et des sursis est sans doute très considérable pour les réservistes du Midi, et cela pour des raisons particulières. Chacun sait que, dans cette région, la politique dite électorale sévit plus qu’ailleurs : le grand mobile de tous ceux qui ont une part quelconque à la direction des affaires publiques est le désir de capter ou de conserver l’électeur. Celui-ci ne se fait aucun scrupule de solliciter un sursis ou une dispense, sans tenir compte des règles précises qui devraient présider à leur délivrance. L’appui d’un politicien quelconque amène trop souvent le chef de corps à capituler, par crainte de complications dans lesquelles il n’aurait pas le dernier mot. Les intérêts de l’armée et ceux de la nation en souffrent, mais l’électeur est satisfait, seul résultat visé.

Les observateurs ont pu noter de nombreuses fautes d’exécution imputables aux troupes. De grosses fractions de cavalerie et d’artillerie se laissaient surprendre dans des conditions inexcusables. De même on voyait l’infanterie livrer des assauts prématurés, marcher sans tenir compte de l’effet du feu, sans profiter des couverts, des cheminemens défilés, sans se relier aux troupes voisines et aux échelons en arrière. Parfois les lignes du combat chevauchaient l’une sur l’autre ; en d’autres cas, il se pratiquait de larges brèches entre deux unités accolées. Il faut bien dire que beaucoup de régimens d’infanterie, de par la nature du pays autour de leur garnison, ne peuvent recevoir aucune instruction sérieuse en vue du combat. Les camps d’instruction sont trop peu nombreux pour qu’ils y séjournent tous les ans, même un temps très court. Ils partent donc pour les manœuvres avec le léger bagage d’instruction acquis sur les terrains d’exercice ou sur les routes. Le résultat ne peut être que très peu brillant.

Ajoutons, en revanche, que les marches de nuit ont été exécutées avec beaucoup d’ordre et de régularité, en dépit des lourdes fatigues que certaines entraînaient. On a pu citer comme un modèle la marche des 16e et 17e corps dans la nuit du 15 au 16 septembre. Enfin on n’a signalé nulle part aucun acte d’indiscipline.

De la cavalerie on a dit peu de chose en 1913, peut-être parce que le terrain se prêtait mal à son emploi. Toutefois, la cavalerie de corps a paru souvent « se coller » trop volontiers à son infanterie. En règle générale, les escadrons marchaient « à la bonne franquette, » suivant l’expression du général Maitrot, sans toujours se couvrir, même quand les circonstances l’eussent exigé. En dépit du service de deux ans, ils faisaient bonne impression au point de vue équestre. La remonte de certains régimens du Midi, celle des dragons de Montauban par exemple, est remarquable.

L’artillerie montée a, moins que toute autre arme, souffert des conséquences de la loi de deux ans. On a pu regretter la suppression des batteries à cheval dans les artilleries de corps. Quand le général Pau jugea nécessaire d’attacher de l’artillerie à sa brigade provisoire de cavalerie, il dut recourir à deux batteries de la division coloniale, lesquelles étaient attelées par des mulets. On voit mal ces batteries montées suivre la brigade aux grandes allures.

On a fait remarquer avec raison que nos batteries à cheval n’avaient pas encore le canon de cavalerie dont l’adoption a été décidée en 1912. Il y a là un retard difficile à justifier, car, de l’avis unanime, le matériel de soixante-quinze des batteries montées est trop lourd pour l’arme à cheval.

Les chefs de parti mis à part, on s’est généralement accordé à trouver que, dans les manœuvres d’armée de 1913, le commandement ne s’était pas, en toute circonstance, révélé comme parfaitement à la hauteur de ses obligations. Il faut bien dire qu’il est d’un exercice particulièrement délicat dans la région qui s’étend du Rhône à l’Atlantique. Tous ces pays ne connaissent que par ouï-dire les souffrances de l’invasion ; ils sont plus en proie qu’aucune autre partie de la France aux dangereux sophismes du pacifisme, du socialisme et de l’anarchie. La faiblesse ou l’insouciance des ministres a parfois permis à des corps d’officiers de se recruter surtout dans les alentours de leur garnison. Les milieux ainsi constitués sont très accessibles aux influences locales ; tel régiment stationné depuis des années dans la même ville tend peu à peu à y devenir une sorte de garde nationale, où l’esprit militaire fait aisément défaut. On ne l’a que trop vu en 1907, lors des troubles du Midi.

Il faudrait donc, pour les corps de cette région, plus encore que dans le reste de la France, s’attacher avec un soin particulier à la constitution des cadres. Il faudrait en bannir impitoyablement les non-valeurs. Combien de fois n’a-t-on pas répété que le soldat français, bien conduit, est capable des plus grandes choses ? Mal encadré, il devient comparable aux troupes les plus médiocres.

Le commandant de Thomasson écrivait dernièrement dans les Débats : « Il est indéniable que les manœuvres de 1913 appellent, non pas des hécatombes, mais quelques sanctions. » Nous souscrivons volontiers à cette appréciation.


GENERAL PALAT.

  1. 3e, 7e, 21e et 23e régimens, renforcés de nombreux détachemens du reste de l’arme.
  2. Pour chaque armée, un groupe de 2 batteries à 2 pièces de 155 mm. Rimailho et une colonne légère de munitions. L’armée du Sud disposait en outre d’une batterie de 120 mm. longs avec ceintures de roues et tracteurs. Chacun de ces derniers engins traîne une pièce, une remorque chargée de munitions et une voiture de ceintures de roues.
    Quant à l’armée du Nord, elle possède une section d’obusiers de 120 du Creusot à 2 pièces, 2 caissons, une voiture observatoire, un chariot de batterie.
  3. Un télégramme d’Albi a fait connaître que ce dirigeable, par suite d’une avarie, n’avait pu quitter son port d’attache le 12 septembre.
  4. D’après le correspondant des Débats, commandant de Thomasson.
  5. Elle paraît avoir inutilement attaqué la division bleue, d’abord de flanc puis de front vers Crastes, en ouvrant le feu sur l’avant-garde qu’elle obligeait à s’arrêter et à commencer son déploiement.
  6. Un régiment d’infanterie coloniale, un groupe d’artillerie et deux batteries à Cadours-Laréole ; une division du 12e corps à Montbrun, une autre à Catonvieille ; une division du 18e corps à Gimont, une autre à Bézéril-Montiron ; la brigade provisoire de cavalerie à Polastron.
  7. Notamment le colonel Guse dans la Deutsche Tages Zeitung.
  8. Dans ses correspondances de l’Écho de Paris.