Les Marguerites de la Marguerite des Princesses/La Coche

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Les Marguerites de la Marguerite des Princesses, Texte établi par Félix FrankLibrairie des Bibliophiles (p. 203-260).

LA COCHE



Ayant perdu de l’aveugle vainqueur
Non seulement le sentement du cœur,
Mais de son nom, dits et faits la memoire ;
Ayant perdu le povoir et la gloire,
Et le plaisir de la douce escriture,

Où tant je fuz encliné de nature,
Me trouvant seule en lieu si fort plaisant,
Que le hault Ciel se rendoit complaisant,
Par sa douceur et par sa temperance,
A la verdeur du pré plein d’esperance,
Environné de ses courtines vertes,
Où mille fleurs à faces descouvertes
Leurs grands beautés descouvroient au Soleil,
Qui, se couchant à l’heure, estoit vermeil,
Et laissoit l’air sans chaud ny froid, si doux,
Que je ne sçay cœur si plein de courroux,
D’ire et d’ennuy, qui n’eust eu guarison
En un tel lieu, fors moy, qui, sans raison,
Fuyant les gens, me retiray à part,
Pour n’avoir plus en leur passetemps part :
Car cœur qui n’ha de plaisir une goutte,
D’en voir ailleurs il ha peine, sans doute.
Par une sente, où l’herbe estoit plus basse,
Me desrobay (comme femme non lasse)
Hastivement, pour n’estre point suyvie,
Car de parler à nul n’avoye envie.
En mon chemin je trouvay un bon homme :
Là m’arrestay, en lui demandant comme
L’année estoit, et qu’il en esperoit,
Qu’il avoit fait, qu’il faisoit, qu’il feroit
De sa maison, femme, enfans et mesnage,
De son repos et de son labourage ?

Prenant trop plus de plaisir à l’ouir
Qu’en ce que plus me souloit resjouir.
Ainsi parlant, pensant toute seule estre.
Je vey de loing trois Dames apparoistre,
Saillans d’un bois hault, fueillu et espès,
Dont un ruisseau trescler, pour mettre paix
Entre le bois et le pré se mettoit.
Portant le noir, et l’une et l’autre estoit
D’une grandeur ; colletz, touretz, cornettes,
Couvroient leurs colz, leurs visages et testes.
Leurs yeuz je vey vers la terre baissez,
Et de leurs cœurs, par trop d’ennuy pressez,
Sailloyent souspirs, dont tout l’air resonnoit ;
Mais un seul mot leur bouche ne sonnoit.

Leur marcher lent monstroit bien que tristesse
Rendoit leurs pieds aggravez de foiblesse.
Lors, quand je vey un si piteux object,
Pensay en moy que c’estoit un subjet
Digne d’avoir un Alain Charretier,
Pour les servir comme elles ont mestier.
Car moy, qui ay trop grande experience,
Povois tresbien juger soubz patience
Leur passion tresextresme estre close.
J’ay maintesfois soustenu telle chose ;
Qui me feit lors desirer de sçavoir
Si pis que moy elles povoient avoir.
En ce desir vers moy les vey venir,
Tousjours leurs yeux contre terre tenir.
Que j’apperceu, quand furent près de moy,
Jetter ruisseaux, dont ne peux ni ne doy
La verité trop estrange celer.
Car je les vey comme un fleuve couler.
Je feiz du bruit, dont elles m’adviserent.
Et l’une et l’autre un petit deviserent ;
Puis, essuyans leurs yeux secretement,
Vindrent vers moy, me disans doucement :
« Il vous seroit, ma Dame, mieux duisant
Parler à nous qu’à ce facheux paysant. »
Mais quand je vey descouvers leurs visages,
Ausquelz Nature avoit fait telz ouvrages
Qu’à leurs beautez nulle autre n’approchoit,


Il me sembla que Nature pechoit
D’avoir laissé amortir leur couleur,
Car j’ignorois encores leur douleur.
Je congnuz lors que c’estoient les trois Dames
Que plus j’aymois, de qui Dieu corps et ames
Avoit remplis de vertus, de sçavoir,
D’amour, d’honneur, autant qu’en peult avoir
Nul corps mortel de bonté et de grace ;
Mais de beauté l’une l’autre ne passe,
Ny de façon, parole et contenance.
Leur Trinité, sans nulle difference,
Demonstroit bien, par l’union des corps,
Qu’Amour leurs cœurs unit par doux accords.
Croyez pour vray que pitié et desir


De soulager leur couvert desplaisir
Me contraingnit leur dire en souspirant :
Un mal caché va tousjours empirant ;
Et, s’il est tel qu’il ne puisse estre pire,
Il s’amoindrit quelquefois à le dire.
Moy donc, jugeant par trop apparens signes
Que vous portez le mal dont n’estes dignes,
Je vous requier par l’Amour, qui commande
Sur tous bons cœurs, ottroyez ma demande,
Et dites moy la douleur et la peine
Que vous souffrez, dont chacune est si pleine,
Que sans mourir ne la povez porter.
Si je ne puis au moins vous conforter,
Je souffriray, par grand compassion,
Avecques vous la tribulation.
Vous estes trois, il vault mieux estre quatre,
Et nous aller dedens ce pré esbatre.
Et ne craingnez de privément parler,
Car, comme vous, je promets le celer.
Las, ce n’est pas par doute de secret
Que nous craingnons compter nostre regret,
Lequel voudrions estre par vous escrit ;
Mais nous voyons maintenant vostre esprit
Si paresseux, si fâché ou lassé,
Que ce n’est plus celuy du temps passé :
Qui nous fait peur que la peine d’entendre
Nostre malheur refuseriez de prendre.


Dames (pour Dieu) n’attribuez à vice
Si j’ay laissé, long temps ha, cest office,
Pensant, pour vray, qu’Amour n’avoit obmis
Un seul des tours qu’il fait en ses amys,
Qu’en mes escritz passez ne soit trouvé,
Et de mon temps veu, ouy ou prouvé.
Et si leur dis : Je reprendray la plume,
Et feray mieux que je n’ay de coustume,
Si le subjet me voulez descouvrir.
Ainsi disant, vy leurs doux yeux couvrir
D’une nuée de larmes, dont la presse
Les feit sortir par pluye trop espesse.
Me regardans, me prindrent pour aller
Dedens le pré, où longtemps sans parler
Allasmes loing ; et lors me prins leur dire :
Si ne parlez, je n’ay garde d’escrire.
Pour Dieu, tournez le pleur qui vous affole
A descharger vostre ennuy par parole.
L’une me creut, non la moins vertueuse,
Ny ennuyée, et dit en voix piteuse :
O vous, Amans, si pitié jamais eut
Sur vous povoir de convertir en larmes
Vos tristes yeux, si jamais douleur peut
Brusler voz cœurs par ses cruelz alarmes,
Et si jamais Amour voz langues feit
Fondre, disant piteux et tristes termes,
Oyez le plaingt du cœur non desconfit,


Mais en mourant tousjours prest de porter
Ce que luy donne Amour, qui lui suffit.
Nous sommes trois, dont le reconforter
Impossible est : car sans nostre amitié,
Sans mort, tel mal ne sçaurions supporter.
L’une de l’autre ha egale pitié,
Egale Amour, egale fantasie,
Tant que l’une est de l’autre la moitié :
Entre nous trois n’y eut onc jalousie,
Onques courroux, onques diversité.
Si l’une ha mal, l’autre en est tost saisie ;
Du bien, aussi de la félicité,
L’une n’en ha que l’autre n’y ayt part,
Pareillement en la diversité.


Mort pourra bien des corps faire depart,
Mais nul malheur n’aura jamais puissance
De mettre un cœur des deux autres à part.
Or eusmes nous toutes trois jouissance
Du plus grand bien qui peult d’Amour venir,
Sans faire en rien à nostre honneur offense.
Helas! que dur m’en est le souvenir,
En me voyant advenir le contraire
Du bien tresseur que je pensois tenir !
O feint Amour, pour noz trois cœurs attraire,
Tu leur donnas la fin de leur desir,
Que tu leur viens hors de saison soustraire.
Trois serviteurs, telz que l’on doit choisir,
Eusmes par toy : dont la perfection
Un Paradis nous estoit le plaisir,
Beauté, bonté, tresforte affection,
Tresferme amour, bon sens, bonne parole,
C’estoit le pis de leur condition.
Leur amitié n’ estoit legere ou fole ;
Leur grace estoit sage, douce, asseurée,
Et de vertu povoient tenir escole.
Par leur Amour grande et desmesurée
Noz cœurs aux leurs rendirent si unis,
Que la douleur nous en est demourée :
Car d’un tel heur furent si bien garnis,
Qu’ilz n’eussent sceu jamais souhaiter mieux.
Las, ilz en sont maintenant bien punis,

Sur tout le mien, malheureux, ennuyeux,
Qui sent tresbien le cœur de son Amy
Tout different du parler et des yeux.
O trop cruel et mortel ennemy,
Qui vois mon cœur languir de telle sorte,
Que ne metz tu ton espée parmy,
En m’asseurant qu’à une autre amour porte,
Et que de moy plus il ne te souvient ?
Bien tost seroye ou consolée ou morte ;
Mais je ne sçay quel malheur te retient
De m’en celer ainsi la verité,
Ou si à toy, ou si à moy il tient.
A moy ? Las non ! Amour et Charité
Ont bien gardé mon cœur de t’offenser,
Comme toy moy, sans l’avoir merité.
Je ne sceu onc nulle chose penser
Qui pour ton bien et honneur se peust faire,
Où l’on ne m’aye soudain veu avancer.
J’ay bien voulu mon ferme cours parfaire,
Et te monstrer qu’Amour leale et bonne
Tu ne sçaurois par ta faulte deffaire
De ton costé. O trop feinte personne !
Je ne sçay riens dont te puisse arguer,
Fors que ton cœur au mien plus mot ne sonne ;
De ton parler je ne voy rien muer.
Tu dis m’aymer ainsi que de coustume,
Mais par mentir (je croy) me veux tuer ;

Car en t’aymant ma vie je consume,
Et, en sentant que tu ne m’aymes point,
Mon cœur se fait de patience enclume.
Il est au tien, ainsi comme il fut, joint ;
Et le tien non, bien qu’en mentant tu dis
Qu’il est tout mien : et Dieu le te pardoint !
Qu’est devenu le regard de jadis,
Qui messager estoit de ton feint cœur,
A qui du mien jamais ne contredis ?
Et le parler, qui par douce liqueur
Le rendoit mol et foible à se defendre,
Dont toy, Amy, demourois le vainqueur ?
Tu dis m’aymer : mais qui le peult entendre,
Quand tous les tours et les signes d’Amour
En toy voy morts et convertis en cendre ?
O malheureux pour moy ce premier jour
Où je cuydois mon heur prendre naissance,
Et pour jamais faire en moy son sejour !
Or ne voy plus en toy forme ne essence
De ceste Amour que je cuydois si ferme.
Je n’en ay plus tant soit peu congnoissance.
J’ay bien douté souvent (je te l’afferme)
Qu’en autre lieu eusse ton Amour mise,
Qui t’eust mis hors de cest honneste terme.
La verité diligentement quise
J’ay sans cesser, et trouvé pour certain
Que tu ne l’as encor en nulle assise.

Qu’est ce de toy ? Sera ton Amour vain,
Ou bien est il de toy du tout sailly ?
Dis le moy franc, et me baille la main,
En me quittant, sans que t’aye failly
La Foy promise et de moy bien gardée,
Et non de toy vaincu, non assailly.
Assez tu m’as hantée et regardée,
Mais en nul cas, qui sceust ou peust desplaire
A un amy, ne m’as veue hazardée.
Or ne sçay je, malheureuse, que faire,
Puis que de toy un mot ne puys tirer
De verité, qui me peust satisfaire.
Je te voy triste, et souvent souspirer :
Crainte me dit que ce n’est pas pour moy
Qu’ainsi te voy par douleur martyrer.
Amour me dit que si, et que sa Loy
Permet telz cas pour mieux faire la preuve
De ma tresferme et trop leale Foy.
Crainte veult bien qu’un autre Amy je treuve
Pour ne mourir en ce cruel tourment ;
Amour defend que je face Amour nœuve.
Helas, mon cœur, quel est ton sentiment !
Es tu de luy aymé, ou si aymer
Un autre dois ? Dy le moy franchement.
Aymé ne suis, qui m’est cas trop amer,
Car je le sens maugré son apparence.
O feint Amy, que tu es à blasmer !

Aymer ne puis, je n’ay point la puissance,
Car long temps ha qu’en luy mis mon vouloir,
Et en perdis du tout la jouyssance.
Las ! cœur, qui n’as d’une autre aymer povoir,
Et d’estre aymé as perdu le plaisir,
Tu n’as pas tort de te plaindre et douloir.
Regarde, Amy, si tu as le loisir,
S’il est tourment qui soit au mien semblable,
N’ayant nul bien, ne de nul bien desir.
Je n’ay nul bien, te congnoissant muable ;
N’y je n’en veux, craingnant de rencontrer
Amy que toy moins parfait, variable.
D’aussi parfait l’on ne m’en peult monstrer,
Quant à beauté, vertu et bonne grace,
Sur qui n’y ayt nul vice à remonstrer.
Et qu’un qui fust moindre que toy j’aymasse,
Plustost mourrois que de m’y consentir ;
Point ne mettray mon amitié si basse.
Je ne me puys et me veux repentir
De ceste Amour : fermeté la tient forte ;
Mais la douleur la veult aneantir.
Fut il jamais douleur de même sorte ?
J’ayme un Amy qui dit m’aymer ; mais quoy ?
Je voy et sçay qu’Amour est en luy morte.
Laisser le doy, car clerement je voy
Qu’il est menteur ; mais mon Amour honneste
Ne me permet faire ce que je doy,

Et tant que d’œil, bouche, pied, main ou teste,
Si que d’Amour verray, rompre ne veux
Ceste amitié prise à sa grand requeste.
Si fermes sont les lyens et les nœudz
Que, si rompuz ilz sont de son costé,
Ilz sont du mien encor entiers et neufz.
Dames, croyez qu’il m’ha bien cher cousté,
Ce faux amy, et couste et coustera,
Tant qu’à la mort cœur et corps soit bouté,
La seule mort de mon cœur ostera
L’Amour de luy, qui sans luy me demeure ;
Car autre Amour mon cœur ne goustera.
Et, qui pis est, un autre ennuy sur l’heure
M’est survenu, qui le premier augmente,
Dont je ne suis pas seule qui en pleure.
Le serviteur de ceste vraye Amante,
Qui tant long temps l’ha aymée et servie,
Qu’elle en estoit tresheureuse et contente,
En fin ha eu de la laisser envie ;
Dont de l’ennuy qu’elle en prend et ha pris
J’ay bien grand peur qu’elle abbrege sa vie.
Il lui ha dit, estant d’elle repris
Et bien enquis de sa mutation,
Qu’il est ainsi de mon Amour espris.
Moy qui sçavois sa grande affection,
Et devant qui faillir à sa maistresse
Eust craint de peur de ma correction,

Serois je bien sy meschante et traytresse
Le recevoir, voyant qu’il fait mourir
Par son peché ma compagne en tristesse ?
J’aymerois mieux me voir par mort perir,
Qu’en la voyant porter si grand tourment,
Je feisse rien pour ceste Amour nourrir.
En sa faveur je laisse entierement
Voir le parler où se puisse attacher
L’œil et le cœur d’un si meschant Amant.
Je l’aymois tant et le tenois si cher,
Quand il l’aymoit, comme s’il m’eust aymée ;
Mais maintenant ne le veux approcher.
S’amye estoit digne d’estre estimée.
Il devoit bien pour jamais s’y tenir.
Et elle aussi d’aymer n’estoit blasmée.
Dames, celuy qui veult mien devenir,
Je n’en veux point, et son Amour me fasche ;
L’autre, que j’ayme, je ne puis retenir.
L’un est meschant, trop variable et lasche,
Lequel me suyt, et toujours je le fuys :
S’amye et moy avons trop ferme attache.
Celuy me fuyt que j’ayme et que je suis ;
Je l’ay perdu, et si ne le puis croire.
Helas ! jugez en quel travail je suis !
Je n’ay plus rien, sinon que la memoire
Du bien passé, qui entretient mon dueil.
Je croy que nul n’ha veu pareille histoire.

Or faites donc, ma Dame, le recueil
De mes douleurs, que n’ay voulu celer.
Taire me fault, ayant la larme à l’œil,
Car les souspirs empeschent le parler.
Les yeux levez au Ciel, crevez de pleurs,
Jettans torrens dont arrousoit les fleurs,
Donna silence à sa bouche vermeille :
Car la douleur, qui sembloit nompareille,
Faisoit sa voix par souspirs estouper
Tant, qu’il fallut destacher et couper
Ses vestemens, pour soulager son cœur,
Ou elle fust crevée de douleur.
Au bout du temps que nous l’eusmes tenue

Dessus le pré, elle fut revenue,
Et si me dit : Telle est ma maladie,
Que qui ha pis souffert que moy le die.
Lors se coucha près de moy morte et blesme,
Les autres deux feirent aussi de mesme ;
Car un chacun de leurs doux cœurs sentoit
L’ennuy trop grand que la tierce portoit.
Moy, qui d’un mal en voyois trois pleurer,
Diz : Vous pourriez jusqu’au soir demeurer
En ce plourer, que ne povez finer,
Et ne sçauriez me faire deviner
Qui de vous trois seuffre plus de martyre,
Si ne voulez me le dire ou escrire.
Voyant du lict le Soleil approcher,
Vint la seconde ma main prendre et toucher,
Et me prier ne m’ennuyer d’attendre
Qu’elle me peust au long son compte rendre.
Je sents, dit elle,
Cent et cent fois douleur aspre et mortelle
Plus que ne fait (point ne fault que le cele)
Nulle des deux.
Car le cruel, lequel nommer ne veux,
Amy qui ha d’Amour rompu les vœux,
Certes, n’est digne
Qu’à luy je parle, ou que luy face signe
Ny de plaisir ny de cholere myne.
D’en dire mal.

De l’appeller traytre, faux, desloyal
Et plus cruel que nul autre animal,
Ce seroit peu
Pour amoindrir de mon courroux le feu.
J’ayme bien mieux laisser jouer ce jeu
A la premiere,
Qui de luy dire injure est coustumiere.
Elle luy est ainsi qu’une lumière
Devant ses yeux.
Son cœur changeant, trop feint et vicieux
Elle congnoist, et si luy siet bien mieux
De le blasmer
Que non à moy : car de desestimer
Celuy que tant l’on ha voulu aymer
N’est pas bien fait.
S’il est meschant, variable, imparfait,
D’elle le voy si tresmal satisfait,
Si desdaigné,
Si refusé, desprisé, eslongné,
Qu’il ha tresmal en ce cas besongné
D’aller à elle.
Pas ne pensoit la trouver si cruelle.
Elle le hayt bien fort, et ne luy cele
Ces fascheux tours.
Elle le fuyt en tous lieux et tousjours.
Or ha il bien maintenant le rebours
De son attente.

Mais de son mal je suis si mal contente,
Et en soustiens douleur si vehemente,
Que plus n’en puis.
Je suis quasi dessus le hort de l’huys
De desespoir, et ne crains profonds puyts
Ny haute tour,
Où volontiers, sans espoir de retour,
Ne me jettasse, pour deffaire l’Amour,
La paction,
Le souvenir, memoire, affection,
Qui de mon mal sont generation
Si importable,
Et, qui pis est, si irremediable,
Qu’à ma douleur n’en est nulle semblable.
Je l’ay aymé
De si bon cœur, tant creu, tant estimé,
Que cœur et corps estoit tout abismé
En l’amitié
Que luy portois. Encor ay je pitié
D’ainsi le voir puny et chastié
De son peché.
Helas, mon Dieu, comment s’est il fasché
De mon Amour, et ainsi destaché ?
Onques offense
Je ne luy feis, fors que la resistence
Pour quelque temps, où il feit telle instance,
Et si honneste,

Qu’avec honneur je povois sa requeste
Bien acorder ; et puis par longue queste,
Par long service,
Par forte Amour, qui faisoit son office,
Gaigna mon cœur, voyant le sien sans vice.
O la victoire
Dont le vaincu recevoit telle gloire
Que le vainqueur ! Helas ! qui eust peu croire
Qu’elle eust duré
Si peu de temps, ny que j’eusse enduré
Si longuement mal si desmesuré
Sans souffrir mort ?
Helas ! jugez, mes Dames, si son tort
N’est pas égal à l’Amour qui trop fort
Mon cœur tourmente.
Et si autant ne suis leale amante
Comme il est faux ! Dont si je me lamente,
J’ay bien raison.
En me cuydant tromper par trahison,
Luy mesme ha beu ceste amere poison
Qui tant le blesse.
Il est puny par beauté et rudesse ;
Mais son ennuy n’amoindrit ma tristesse.
Car son cœur lasche
M’ennuye fort, et me desplaist qu’il fasche
A celle là, qui ne peult avoir tache
D’avoir permis

Qu’il la servit. Ailleurs son cœur ha mys,
Lequel ne peult endurer deux amys,
J’en suis bien seure.
Son desplaisir avec le mien je pleure.
En la cerchant il la fasche à toute heure,
Mais plus à moy,
En me laissant, dont suis en tel esmoy,
En telle ennuy ou nulle fin ne voy,
Qu’à bien grand peine
Se peult penser la douleur qui me meine.
Je me contrains, et ris, et fais la saine,
Et je me meurs.
Ces Dames cy, qui congnoissent mes mœurs,
Sçavent quelz maux, foiblesses et douleurs
Je dissimule :
Dont au dedens le double en accumule
Par desespoir, qui sans fin me stimule
De me donner
Du tout à luy ; mais, peur d’abandonner
Ces deux, me vient si tresfort estonner,
Que mieux veux vivre
En ce tourment, sans en estre delivre,
Que leurs deux cœurs à tel ennuy je livre.
Pour elles vis,
Et vivre veux du tout à leur devis,
Et pour moy non. Par quoy il m’est advis
Que pis que morte

Chacun me peult tenir en ceste sorte,
Puis que la Mort (qui seule me conforte)
Je veux fouir.
C’est tout mon bien ; mais je n’en veux jouir
Que leurs deux corps je ne voye enfouir
Avecques moy en noire sepulture.
Noz trois malheurs me feront resjouir
D’estre assemblez soubs une couverture.
Lors un despit et courroux nompareil
Feirent soudain son visage vermeil,
Et la douleur sa parole coupa,
Tant qu’à peu près elle ne sincopa :
Car par trois fois je la viz defaillir,
Sans que des yeux il peust larmes saillir.

Le cœur serré, jetta si piteux crys,
Qu’à les monstrer defaillent mes escritz.
Mais en voyant la tierce que la place
Luy demouroit, me dit de bonne grace :
Ma Dame, autant que douleur les tourmente,
Souffrans l’ennuy de leurs ingrats amys,
L’Amour parfait qui dens mon cœur s’est mys
Fait que n’ont mal qu’ainsi qu’elles ne sente :
Car mon vouloir au leur est si uny
Que si leurs cœurs ont peine pour aymer
Ceux que l’on peult cruelz amys nommer,
Le mien en est comme les leurs puny.
Comme elles j’ay creu leurs amys loyaux,
Lesquelz j’aymois comme le propre mien,
Participant en leur plaisir et bien
Comme je veux avoir part en leurs maux.
Si j’ay eu part en leur felicité,
Où si bien fut nostre union gardée,
Seroit donc bien maintenant retardée
Ceste union pour leur necessité ?
Non, mais courir veux aussi viste qu’elles
A leur malheur, sans jamais departir,
Jusques à ce que l’Ame pour partir
Aura reprins ses ælles immortelles.
Peine, tourment, voire dix mille morts,
Ne me feront peur de m’en tenir près.
Si mort les prend, pourrois je vivre après,

Sentant mourir les deux parts de mon corps ?
Si j’avois mal, et les deux eussent bien,
Il suffiroit pour me reconforter,
Car leur Amour pourroit mon mal oster :
Contre une deux ont grand force et moyen.
Si mon ennuy perdois pour leur plaisir,
Pour leur ennuy perdre je doy aussi
Tout mon plaisir, sans point avoir mercy
De cœur, de corps, d’Amour ny de desir.
Or je le veux, et ainsi le concluz :
Puis que je voy leur mal intolerable,
Je veux le mien faire irremediable,
Et que de moy tout plaisir soit forclus.
Pleines d’ennui sont, que porter leur fault,
Non pas pour moy, mais contre leur vouloir ;
Moy de plaisir, auquel pour mon devoir
Hors de mon cœur je fais faire le sault.
Ma Dame, helas ! pensez l’extremité
Là où je suis ; ayez pitié de moy.
Voyez mon mal, mon trouble, mon esmoy ;
Voyez Amour par Amour limité.
L’Amour des deux me dit : O meschant cœur,
Vous voudriez vous tant à plaisir donner,
Et ces Dames ainsi abandonner
En leur malheur par un seul serviteur ?
Las ! rirez vous quand elles pleureront,
Et à plaisir tiendrez les yeux ouvers

Quand de douleur verrez les leurs couvers,
En regardant leur Amour qui se rompt ?
Jouyrez vous du voir et du parler
De vostre Amy, par grand esjouyssance,
Quand elles n’ont d’un tel bien jouyssance ?
Les lairrez vous ? ne le vueillez celer.
D’autre costé, l’Amour du plus loyal,
Du plus parfait qui soit dessus la terre,
Me vient mener une cruelle guerre,
En me disant : Pensez au plus grand mal.
Vous sçavez bien qu’en laissant vostre Amy,
Duquel si bien avez esté servie,
Vous luy ostez soudainement la vie,
Car son cœur est du vostre le demy.
Que fera il se voyant separé
De sa moytié ? Croyez qu’il ne peult vivre.
Sera chacun des cœurs d’elles delivre
De leur ennuy le voyant esgaré ?
Si vostre mort leur apportoit secours,
Droit à la mort il vous faudroit courir.
Mais un Amy loyal faire mourir
Sans leur servir, c’est estrange discours.
Las ! quel Amy est ce que vous laissez ?
Vous n’en sçavez au monde un plus parfait ;
Et nul bien n’ont les deux en ce beau fait,
Fors que leurs maux par le vostre oppressez.
Voilà comment les deux Amours ensemble

M’assaillent, las ! en grand confusion.
Si m’y fault il mettre conclusion.
Je le diray, bien que le cœur m’en tremble :
Puis que leur mal est ma Mort, et leurs vies
Ma vie aussi, si j’ay receu plaisir
De leurs plaisirs, je n’ay moindre desir
Qu’en leurs malheurs de moy soient suyvies.
Or ont perdu, sans sçavoir bien pourquoy,
Leurs deux Amys, soit par faulte ou malheur ;
Mais moy je perds, sans raison ny couleur,
Celuy qui n’a jamais faulsé sa foy.
Sa loyauté est vray’ment nompareille ;
Il n’a rien fait qui jamais me despleust :
Sa grand’Amour, que chacun cercher deust,
Je laisse et fuys : n’est ce pas grand’ merveille ?
Je le tiens tel, si parfait et si bon,
Que je voudrois le mettre en trois parties,
Et si serions toutes trois bien parties,
Quand des deux parts je leur ferois le don.
L’honneste amour de parler et de voir,
Là où l’honneur trouve contentement,
Se peult partir, quand volontairement
Le bien on laisse où l’on ha tout povoir.
J’ay le povoir de bien les contenter ;
De chasque jour les deux pars je leur donne,
Et mon plaisir toutesfois n’abandonne,
Car par le leur il pourra augmenter.

Las ! en sentant de chacune d’eux l’ayse,
J’en auray plus que je n’ay de la mienne ;
Et mon Amy aussi aura la sienne,
Ne faisant riens qui bien fort ne me plaise.
Mon Amy seul, qui en vault plus de trois,
Sera des trois Amy. O quel lien,
Qui quatre cœurs unira sans moyen
Et un vouloir ! Helas ! je le voudrois,
Mais j’ay grand peur que pour ces deux folatres,
Qui sont payez trop d’une larme d’œil
Vueillent plustost ainsi mourir de dueil,
Que d’avoir mieux, tant sont opiniatres.
Puis qu’elles n’ont cure d’un tel party,
Mon cœur au leur est uny si tresfort,
Que, sans avoir esgard à peine ou mort
De mon Amy, il sera departy.
Las ! qu’il est dur ce mot à prononcer !
Laisser ainsi mon bien, mon heur, ma vie !
Helas ! Amy, à la mort te convie,
Lors qu’on t’ira cest Adieu prononcer !
Que diras tu, Amy, de ton Amye ?
Ou que l’Amour luy ha trop cher cousté,
Ou tu pourras juger d’autre costé
Qu’elle te hayt, la nommant ennemye.
Amour me met en un merveilleux trouble,
Qui d’un costé loue ma fermeté,
Et d’autre part defait de seureté

Le vray lyen, qui rendoit un bucouble.
O que la mort viendroit bien à propos !
Car luy ne moy, en ce departement,
N’aurons jamais qu’à son advenement
Contentement, bien, plaisir ne repos.
Or venez donc, et par compassion
Mettez noz corps uniz en terre obscure,
Avant souffrir qu’au departir j’endure
Si tresextreme et dure passion.
Ainsi parlant, s’appuyant contre un arbre,
En la façon d’une femme de marbre,
Qui n’ha chaleur, vie ne mouvement,
Les yeux fermez, les dentz pareillement,

A ses souspirs defailloit son haleine.
Moy, qui la veis en si cruelle peine,
Je prins ses mains à frotter et tenir,
Tant qu’un petit je la feis revenir.
Et, en tournant son œil triste vers nous,
Nous dit : Helas ! que vostre ennuy est doux
Au prys du mien, qui ne peult plus durer !
Ce que ne peult la premiere endurer :
Vous n’avez mal (dit elle) qu’un tout seul,
C’est de laisser pour nous vostre plaisir ;
Mais j’en ay deux qui agravent mon dueil.
Las ! je n’ay pas seulement le loisir
De regretter de mon Amy la perte,
Que le second ne me vienne saisir.
Amye, helas ! si ma douleur couverte
Sentiez, qui est fondée en ignorance,
Dont ne m’est point la verité ouverte,
Vous jugeriez n’avoir point la puissance
De la porter, car elle est par trop greve.
Or Dieu vous gard de telle congnoissance !
Puis que l’honneur met à vostre amour treve,
Plaisir avez gardant la longue Foy,
Que nous devez de la rendre ainsi breve.
Si vous sçaviez aussi bien comme moy
Que c’est de vivre en doute et en suspens,
Peu vostre mal estimeriez, je croy.
S’il me disoit : D’aymer je me repens,

J’en osterois mon cœur, qui de douleur
Perpetuel en paieroit les despens.
J’estimerois à grand heur ce malheur,
Bien que ce n’est peu de despit ou honte
D’estre laissée ainsi d’un serviteur.
Le deplaisir en est tel, et tant monte,
Que d’en laisser Cent de sa volonté,
Ce n’est ennuy dont l’on deust tenir compte.
Vostre cœur est de desespoir tenté
Pour vostre Amy, c’est chose raisonnable ;
Aussi est il d’honneur bien contenté,
Rendant l’Amour de l’union louable
D’entre nous trois ; la gloire en recevez,
Qui vostre ennuy doit rendre tolerable.
Certes le mien, si bien l’appercevez,
Verrez plus grand que le vostre trois fois,
Si par saveur vous ne vous decevez.
Le moindre ennuy, dequoy compte ne fois,
C’est de fuyr le plaisir d’estre aymée
D’un treshonneste et parfait : toutesfois
L’autre ennuy est que je voy abymée
En desespoir celle que j’ayme tant,
Par celuy seul dont je suis estimée.
Le tiers ennuy trop cruel, qui pretend
Me mettre à Mort, c’est la doute craintive,
Aymant tresfort, de n’estre aymée autant.
Que dis je, autant ? mais que l’Amour naïve

Soit morte en luy, ainsi que je la sens
Dedens mon cœur plus parfaite et plus vive.
Ces trois ennuys me mettent hors du sens,
Et si ne voy moyen de m’en defaire,
Sinon mourir : à quoy je me consens.
Et n’est ennuy qui tant de mal sceust faire,
S’il est congnu, qu’on ne treuve moyen
Pour quelque peu aumoins y satisfaire ;
Mais mon mal est incapable de bien,
Car je le sens, et n’ay nulle asseurance
Si mon Amy tient ou rompt ce lien.
Si juger veux par tresseure apparence,
Je dis qu’il est rompu ; mais son jurer
Me vient donner du contraire esperance.
Las ! mon ennuy est pour long temps durer ;
Car le suspens de la conclusion,
Qu’il fait d’aymer, me contraint d’endurer.
Son doux parler m’est une illusion,
Qui m’aveuglist sens et entendement,
Et de l’aymer me donne occasion.
Helas ! ses faits parlent bien autrement !
Par eux je voy que de luy suis laissée.
Il dit que non : verité dit qu’il ment.
Par ses effectz ma joye est rabaissée,
Par son parler elle se resuscite ;
Ainsi des deux, sans cesser, suis pressée.
Si grand douleur grande pitié incite.

Plus que de vous ayez compassion
De mon malheur, qui à la mort me cite.
Celle qui n’ha riens qu’une passion,
Dont la cause est congnue et bien certaine,
O quell’ est près de consolation !
De Si et Non j’ay la teste si pleine,
Que si le pis des deux povois sçavoir,
Je le tiendrois à grace souveraine ;
Mais le suspens surmonte mon povoir.
Comment ? comment ?
Soustenez vous estre plus grand torment
Douter l’Ouy ou Non de vostre Amant
(Dit la seconde),
Que de sçavoir par espreuve et par sonde
Que changement au plus profond abonde
De son faux cœur ?
Estimez vous souspeçon, doute et peur
Comme un sçavoir certain, sans nul erreur ?
C’est cas estrange
Mais moy, qui sçay de mon Amy le change,
Que je t’envoye aussi parfait qu’un Ange,
Que puis je faire ?
Puis qu’il m’a dit, sans point se contrefaire,
Qu’il se vouloit de mon Amour defaire.
Pour la remettre
Du tout en vous, ce que jamais permettre
N’avez voulu, mais bien vous entremettre,

Par la pitié
Qu’aviez de moy, rabiller l’amitié
Dont je retiens moy seule la moytié.
Si vous avez
Peine à fuyr ce qu’aymer ne devez,
Que doy je avoir, sinon les yeux crevez
De lamenter
Celuy qui tant me souloit contenter,
Qui ne me veult plus aymer ny hanter ?
Las ! je le perds,
Qui fut tout mien, et à beaux yeux ouvers
Le voy fuyr, non pas par les desers
Ny lieu sauvage,
Mais droit à vous ; et devant mon visage
Il ha trouvé son saint pelerinage.
Il auroit bien
Changé en mieux, s’il ne sçavoit combien
Nous nous aymons, et que ce qui est mien
Est vostre aussi.
Il fuyt de moy, cerchant de vous mercy :
Pour vostre Non, il perd de moy le Si,
O cruauté !
En mon endroit par sa desloyauté,
Et dens son cœur par vostre grand beauté.
Car un seul compte
Vous n’en tenez. O mon Dieu ! quelle honte
Il doit avoir, et peur que je racompte

A vous, amye,
Et vous à moy, le discours de sa vie !
Car entre nous sa trop faulse alquemie
Est descouverte,
Dont à moy seule en demeure la perte.
Vous ne sçavez si elle est meure ou verte,
Ceste douleur.
Plus il vous dit sa peine et son malheur,
Plus vous moquez de son mal, et couleur
Point n’en changez ;
Et puis de luy si fort vous estrangez,
Que je voy bien que mon tort vous vengez
Tout en riant.
Et je m’en vois à part, pleurant, criant,
Et Dieu et Saints requerant et priant
Pour mon aïde,
Car je n’y voy sans miracle remide.
Je l’ay perdu, et n’y ha croix ne guide
Qui radresser
Le sceust vers moy. Je ne le veux presser ;
Et si ne puys son amour delaisser,
Qui est plantée
Dedens mon cœur et sy tresfort entée
Que, bien qu’il m’ayt du tout mal contentée,
Je n’ay vigueur,
Force ou povoir de l’oster de mon cœur,
Qui est nourry et plein de sa liqueur,

Et transmué
En cest Amour tant que, s’il n’est tué,
Il n’en sera separé ne mué.
Or donc pensez
Quel vostre ennuy est, que vous avancez
Plus que le mien , en quoy vous m’offensez
Le pis de vous,
C’est le douter. Las, qu’il me seroit doux !
Je jugerois mon amy tous les coups
Avoir le droit.
Ce souspeçon pour un temps me vaudroit,
Et, contre Non, Ouy me soustiendroit.
Mais de ce Non
Certaine suis, non point par faux renom.
Car toutes trois pour meschant le tenon,
Pour variable,
Traytre et menteur ; et moy, pour immuable
En fermeté, honorable et louable :
Qui me contraint
Qu’autant de temps qu’en amour juste et saint
Je l'ay porté dedens mon cœur empraint
Par amour forte ,
Autant de temps pour meschant je le porte.
Impossible est que jamais il en sorte.
Sa lascheté
Donnera force à ma grand’ fermeté.
O que l’honneur sera cher acheté

De ne partir
Hors de l’amour dont le voy departir !
Où est ['esprit comme le mien martyr ?
Il n’en est point.
Loyauté l'ha si fort en moy conjoint,
Que mon cœur sien n’est plus ; mien, c’est le poinct.
Et si mourir
Me fault sans cœur, à la mort puis courir :
Car arrachant celuy qui peult nourrir
En luy la vie,
De luy bien tost elle seroit ravie.
Las, j' aurois bien de ceste mort envie :
Mais luy en moy
Vivre me fait en tel dueil et esmoy
Qu’il me faisoit vivre d’Amour et Foy
En grand plaisir,
Durant le temps que par heureux loisir
Me racontoit son honneste desir.
Or est passé
Tout ce beau temps, où je n’ay amassé
Rien que regret et espoir que son tort
M’apportera, bien congnu par ma mort,
De tous Amans requiescant in pace.
La tierce, ayant leur gracieux debat,
Plus par ennuy que par plaisant esbat,
Dit : Je vous pry et requiers toutes deux
N’estimer tant l’une sa peur et doute,

L’autre son dueil, qu’un peu l’on ne m’escoute,
Puis que pour vous de bon cœur souffrir veux.
Voz maux sont grans, nulle doute n'en fais :
Vivre en suspens, sans resolution,
Par l'amy plein de toute fiction !
Mais le mien n’est pas moindre toutesfois,
Car mon amy loyal et veritable.
Où j’ay trouvé tout ce que je desire,
Me fault laisser, pour me faire en martyre
Et en malheur à vous autres semblable.
Las, si en luy sçavois rien d'imparfait,
Ou qu’envers moy en quelque cas eust tort,
Nostre lien, qui en seroit moins fort,
Sans grand douleur plus tost seroit deffait.
Mais il n’y ha occasion aucune
Entre nous deux : qui double mon tourment,
D’ainsi laisser un si parfait Amant
Pour recevoir part en vostre infortune.
S’il ne m’aymoit, il me seroit aisé
De le laisser ; ou bien si en doutance
J’estois de luy : par si grande inconstance
Mon dueil seroit doucement appaisé.
Helas ! il n’ha rien d’imperfection,
Car son corps est et son cœur sans nul vice ;
En tout honneur m’ ha fait loyal service.
Las, dure en est la separation !
Laisser celuy de qui ne suis aymée,

Qui ne le vault, qui est feint et meschant,
Ou qui de nous la honte va cerchant,
Je n’en pourrois estre mal estimée ;
Mais d’un parfait qui m’ayme tant, helas !
Le departir m’en est trop importable,
Car son Amour demourra pardurable
Dedens mon cœur, qui de l’aymer n’est las.
Je perds de luy la parole et la veüe,
Et tout le bien dont je soulois jouir,
Et ne retiens rien pour me resjouir
Que son Amour, dont je suis biens pourveue.
C’est bien raison qu’après le congé pris,
Que dis-je pris ? mais donné sans sa faulte,
Sa grand’Amour tant vertueuse et haulte
Se met ailleurs ; jà n’en sera repris.
Mais ceste là que j’ay par luy conceüe
Me demourra pour douce nourriture.
Dedens mon cœur de tant ferme nature
Nulle autre Amour ne sera plus receue.
Vous deux perdrez l’Amour de voz amys,
Mais d’eux avez la parole et la veüe.
Moy, j’ai l’Amour trescertaine et congnue,
Mais tout plaisir pour vous j’ay dehors mys :
Car le parler et le voir j’ai quitté ;
Cest tout mon bien que pour vous j’abandonne.
O quel thresor, Amyes, je vous donne !
Fault il qu’Amour ainsi vers vous m’aquitte ?

L’on tient qu’il n’est nul plus cruel martyre
Que pour son Dieu d’un propos volontaire
Fuyr plaisir, et en lieu solitaire
Soy separer du bien que l’on desire.
Car le martyr, souffrant cruel tourment
Par main d’autruy, met toute sa science
De soustenir son mal par Patience,
Qui de tous maux est le soulagement.
Vous endurez, par le tort et le vice
De voz amys, en depit de voz cœurs,
Pis que la Mort : ô petites douleurs,
Mises au près de mon grand sacrifice !
Pour vous aymer, celuy ou je me fie
Trop plus qu’à moy, que j’ayme, que j’estime,
Mon bien, mon heur, j’en fais une victime,
Et volontiers pour vous le sacrifie.
Non pas que mort le vueille presenter,
Mais tout vivant, qui m’est plus grand regret,
Sans retenir un seul bien en secret,
Ny d’un seul mal me vouloir exempter.
Avecques luy, tout plaisir je renonce
De voir, d’ouyr, de penser, de parler.
Parquoy d’ennuy (point ne le fault celer)
J’en ay le marc, si vous en avez l’once.
Sa grand’beauté et sa perfection
Entretiendront en moy ceste Amour forte,
Qui n’aura fin tant que je seray morte.

En ce poinct seul j’ay consolation,
Car d’espérer jamais plus le r’avoir,
L’ayant laissé, ce seroit grand folie.
Ou il mourra par grand’melencolie,
Ou il fera d’aymer ailleurs devoir.
Las ! s’il en meurt, je perds mon esperance ;
S’il ayme ailleurs, plus à moy ne viendra,
Car, où l’Amour le lyera, se tiendra.
Je congnois bien sa grand’perseverance.
Mort ou aymant, je le perds sans espoir
De le ravoir ; ma perte est toute entière.
Mais vous avez, Dames, d’espoir matiere,
Ce que je veux bien cler vous faire voir.
Si l’une voit les effects accorder
De son amy avecques sa parole,
Je ne la tiens si sotte ne si fole
Qu’elle voulust ses fautes recorder.
A l’autre aussi, l’amy qui s’en viendroit
Luy demander en grande repentance
Pardon en lieu de dure penitence,
Plus de ses maux il ne luy souviendroit.
Or tous ces biens vous peuvent advenir,
Car vous n’avez pas eslu vostre peine ;
Mais moy, je suis de ma perte certaine,
Sans nul espoir qu’il puisse revenir.
Que perdez vous ? Un mauvais et un feint ;
Et moy, un bon, sans vice ne sans feinte.

Lequel perdant, mourir je suis contrainte.
Laissant le bien que perdre j’ay tant craint.
Fortune ou Dieu ce bien icy ne m’ouste,
Cest moy sans plus qui démon cœur l’arrache,
A fin que mieux unie je m’attache
A voz malheurs. O que cher il me couste !
Bref, voz espoirs et ma desesperance,
Les meschans tours de voz cruelz amys,
Et les vertus que Dieu au mien ha mys,
Font de voz maux au mien la difference.
Plus tost le jour nous eust peu defaillir
Que ces Dames de leurs propos saillir,
Qui me sembloit estre à recommencer.

Mais, regardant la nuict trop s’avancer,
Contrainte fuz d’empescher le discours
De leurs propos, que je trouvais trop cours ;
Car je n’ouy onques femmes mieux dire,
Pour sentir tant qu’elles d’ennuy et d’ire.
Et si le lieu où failloit retourner
Eust esté près, voluntiers sejourner
Qu’on nous eust veu jusques au lendemain,
Passant la nuict à ce doux air serain !
Celles en qui serain, travail, sommeil,
N’estoit senty, et du trescler Soleil
L’absence estoit de leurs yeux incongnue,
Et de la nuict la soudaine venue,
Congnurent bien, escoutans ma raison,
Que du partir estoit heure et saison :
Qui leur despleut, Car chacune n’avoit
De son ennuy dit ce qu’elle sçavoit.
Parquoy en pleurs voulurent reveler
Ce que le temps les contraingnoit celer,
Et de souspirs et larmes feirent langues
Pour achever sans parler leurs harangues.
Las ! ce plourer me monstra le tourment
Dont ne sçavois que le commencement.
Par leur parler les larmes confermerent
Quel fut l’ennuy de celles qui aymerent.
Je ne croy pas que perdre pere et mere
Sceust engendrer passion plus amere

Que je leur veis porter et soustenir.
Mais, sur le poinct de nous en revenir,
Prindrent leurs crys et pleurs à redoubler,
Tant que soudain feirent le ciel troubler,
Qui d’elles print telle compassion
Que sa douceur par grand’mutation
Se convertit en tonnerre et tempeste,
En pluye et vent, tant qu’aux champs n’y eut beste
Qui ne cherchast caverne ou couverture
Pour se cacher. Voyans telle aventure,
En essuyant leurs yeux et leurs visages,
Toutes les trois, tant honnestes et sages,
D’abandonner ce pré furent contraintes,
Laissans au ciel achever leurs complaintes.
La pluye en creut. Lors chacune descoche,

Et toutes trois nous mismes en la Coche
Qui attendoit nostre departement,
Courants après les autres vistement.
Mais en allant pour oster le discord
De leur propos et les mettre d’accord,
Je leur requis vouloir un Juge prendre,
Qui leurs debats voulust et peust entendre.
Car, aussi tost que l’une j’escoutois,
De son costé soudain je me mettois ;
Et puis, quand l’autre avoit compté son cas,
A qui ne fault bailler nulz advocats,
Je me rendois à son opinion.
Pour les tenir donques en union,
Un bon esprit leur estoit nécessaire.
Et quant à moy, je m’obligeois de faire
Tout mon povoir, que je sens trop petit
Pour reciter non à mon appetit
Tous leurs propos, mais au moins ma puissance
N’espargneray à donner congnoissance
De leurs ennuys, comme leur ay promis.
Sans qu’un seul mot de leurs dits soit obmis.
Nostre debat (ce me dis la première)
Met nostre esprit en telle obscurité
Qu’il ne nous fault bien petite lumiere
Je n’en sçay qu’un qui, à la vérité,
Puisse juger qui plus ha de douleur
Et plus d’honneur par souffrir merité :

C’est celuy seul duquel la grand valeur
N’ha son pareil, et à tous est exemple
Des grands vertus par qui s’acquiert honneur.
C’est luy qui peult triompher en son temple,
Ayant passé par celuy de vertu.
Cest luy que Ciel, et Terre, et Mer contemple.
La terre ha joye, le voyant revestu
D’une beauté qui n’ha point de semblable ;
Au prys duquel tous beaux sont un festu.
La Mer devant son povoir redoutable
Douce se rend, congnoissant sa bonté,
Et est pour luy contre tous favorable.
Le Ciel s’abaisse et, par amour dompté,
Vient admirer et voir le personnage
Dont on luy ha tant de vertu compté.
C’est luy, lequel tout le divin lignage
Des Dieux treshaults ont jugé qu’il doit estre
Monarche, ou plus, si se peult davantage.
C’est luy qui ha grace et parler de maistre,
Digne d’avoir sur tous gloire et puissance ;
Qui sans nommer assez se peult congnoistre.
C’est luy qui ha de tous la congnoissance,
Et un sçavoir qui n’ha point de pareil,
Et n’y ha rien dont il ayt ignorance,
De sa beauté, il est blanc et vermeil,
Les cheveux bruns, de grande et belle taille.
En terre il est comme au ciel le Soleil ;

Hardy, vaillant, sage et preux en bataille,
Fort et puissant, qui ne peult auoir peur
Que Prince nul, tant soit puissant, l’assaille.
Il est bening, doux, humble, en sa grandeur
Fort et constant, et plein de patience
Soit en prison, en tristesse, ou malheur.
Il ha de Dieu la parfaite science,
Que doit avoir un Roy tout plein de Foy ;
Bon jugement et bonne conscience.
De son Dieu garde et l’honneur et la Loy ;
A ses subjets doux, support et Justice.
Bref, luy seul est bien digne d’estre Roy.
Si pour l’enfant esteint par trop grand vice,
A Salomon demanderent les femmes
Le Jugement par son Royal office,
Vous ne povez encourir aucun blasme
Quand à ce Roy, plus grand que Salomon,
Presenterez la douleur de voz ames.
Et s’il luy plaist lire ce long sermon,
Il jugera qu’il soustient la plus grande.
Aussi l’amour, dont point ne nous blasmon,
Dames, le Roy pour Juge je demande,
Qui jugera en nostre affection
L’honneur, aussi à nostre fiction
Punition par honorable amende.

Quand je la veis choisir sy hautement,

Crainte me print, en luy disant : Vray’ment
Si devant l’œil d’un sy parfait esprit
Failloit monstrer mon trop mal fait escrit,
Vous pourrez bien prendre ailleurs secretaire.
J’aymerois mieux me desdire et me taire,
Car d’empescher sa veüe et son bon sens
Sur mes beaux faits, jamais ne m’y consens.
Les plus parfaits, où n’y ha qu’à remordre,
Liment leurs faits et les mettent en ordre
Premier qu’oser, sans bien les acoustrer,
Devant tel Roy sy sçavant les monstrer,
En craingnant plus de luy le jugement
Que du surplus de tout le firmament.
Moy donc, qui suis des escrivans le moindre,
Et moins que Rien, ne doy je pas bien craindre
Voz bons propos, bien dignes d’estre veux,
Rendre par moy indignes d’estre leuz
Devant le Roy, où ne fault presenter
Rien qui son sens ne puisse contenter ?
Plus le louez, plus de crainte me prend,
Car c’est celuy de qui chacun apprend,
Qui sçait louer le bien en vérité,
Et rendre au mal ce qu’il a merité.
Or choisissez un Juge tel que moy ;
Car, s’il failloit monstrer devant le Roy
Un si tres bas et mal tissu ouvrage,
Je n’aurois pas d’esc rire le courage.

Le Roy vrayment
(Dit l’autre après) j’eusse eslu justement,
Car qui est plus que luy parfait amant,
Ne qui entend
Mieux qu’il ne fait où vraye amour pretend ?
Il ha aymé sy fort, sy bien et tant,
Qu’il peult entendre
Ce qui en est et la raison en rendre
Par son bon sens, qui à tous peult apprendre.
L’amour loyal.
Ferme et parfait, dedens son cœur royal
Ha fait son throne et son hault tribunal,
Pour juger tous
Les vrays amants, sages, hardis et doux,
Et se moquer des glorieux etfoulz
Qui font les braves,
Oultrecuidez pensans faire les graves,
Puis refusez. Bien sots sont les esclaves,
Car c’est le rolle
Qu’il faut jouer, où default la parole
Et le bon sens. Et quelque povre fole
Ou les craindra
En bravegeant, ou pour morts les tiendra,
Ne parlant plus : ce que point n’aviendra
A une sage,
Qui prend plaisir d’ouyr un bon langage,
Dit d’un bon cœur vertueux, d’un visage

Plein d’une audace,
D’une douceur et d’une bonne grace
Qui plaist tousjours à chacun. Quoy qu’il face,
Celuy aura
Du Roy l’honneur : bien choisir le sçaura
Par luy chacun bien recevoir pourra
Juste sentence.
Luy seul congnoit l’estre et la subsistence
D’amour, le bien, aussi la penitence
Qu’il peut donner.
Combien qu’il soit Roy et puisse ordonner,
Son cœur humain n’ha craint d’abandonner
L’autorité
De commander contre la charité.
Il ayme mieux souffrir l’austerité,
La passion
Que donne à tous le Dieu d’affection.
Et, comme estant d’autre condition,
Veult s’asservir
Par ferme amour, par seur et long servir,
Et par vertus, des Dames desservir
Bon traitement,
En desprisant force et commandement.
S’il lui plaisoit, il feroit autrement ;
Mais son hault cœur
Ha joint l’amour, la vertu et l’honneur.
Qui l’ha rendu de cruauté vainqueur.

Pourquoy la palme,
Louenge, et gloire, et renommée, et fame,
Luy doit d’amour tout homme et toute femme.
Puis que luy seul
Vous n’acceptez pour juge, dont j’ay dueil,
Vous qui avez fait ce piteux recueil
De notre histoire,
Vous en avez mieux qu’un autre mémoire,
Et n’estes pas sans quelque expérience,
Que c’est d’amour, je vous en vueil bien croire.
Or jugez nous en bonne conscience.
Je ne veux point de mon sens abuser,
Mes Dames, dis je, ains tresbien m’excuser,
Que je ne suis pour juger suffisante,
Et aussi peu à escrire duisante
Vostre debat ; mais desir de sçavoir
Tous voz ennuys, ignorant mon povoir,
Me feit soudain, sans y penser, promettre
De les escrire et dens un livre mettre.
Ma foy promise, aussi vostre priere,
Meirent ma peur et ma raison derriere.
Ceste premiere et trop fole entreprise
Veux mettre à fin ; mais, s’il vous plaist, reprise
Je ne seray de la seconde erreur,
Qui doit avoir de la premiere horreur.
Mes cinquante ans, ma vertu affoiblie,
Le temps passé, commandent que j’oublie,

Pour mieux penser à la prochaine mort,
Sans avoir plus memoire ny remord,
Si en amour ha douleur ou plaisir.
Donques vueillez autre juge choisir,
Qui justement vous puisse satisfaire :
Je ne le puis ny ne le sçaurois faire.
La tierce dit : Dames, voicy pitié,
Quand celuy seul nous ne povons avoir
Qui est l’abyme et source de sçavoir,
Et qui congnoit la parfaite amytié.
Seure je suis que plus tost presenté
N’eust à ses yeux ce livre pour le lire,
Que tout soudain ne nous eust bien sceu dire
Qui ha le cœur de douleur plus tenté.
Son œil defait toute feintise ruse,
Son sens entend la fin de tous propous,
Et son cœur sent mieux qu’en touchant le poulx
Qui ayme ou non : bref, nully ne l’abuse.
Si nous perdons de luy le jugement,
Et de sa sœur, qui de luy doit tenir,
Et ses propos vertueux retenir,
Un autre j’ay en mon entendement.
C’est ceste là, qui n’ha gloire petite
De nostre temps, mais la plus estimée
Est et la plus parfaitement aymée,
Ce que tresbien par ses vertus merite.
Si par beauté se congnoissent les femmes,

Allez où sont dames ou damoyselles :
Comme un Soleil au mylieu des estoilles,
Vous la verrez parmy toutes les dames.
Si par vertu son nom se doit congnoistre,
Voyez ses faits, qui ne sont point cachez,
Tous pleins d’honneur, de nul vice tachez.
Vous la verriez dessus toutes paroistre :
De ses biensfaits chacun luy rend louenge,
Ils sont congnuz de toutes gens de bien ;
Pour ses amys elle n’espargne Rien,
Et des meschants ennemis ne se venge.
Si on congnoit le nom par la fortune,
Des biens, d’honneur, de richesse et faveur,
Voyez qui ha de son maistre et seigneur
Ce qui luy plaist, sans luy estre importune.
Mais tous les biens qu’elle en peut recevoir
Ne luy sont rien : car seulement heureuse
Se tient de voir par amour vertueuse
Tenir les cœurs unis comme on peult voir
Les cœurs du plus parfait et plus parfaite
Que l’on peult voir ; en qui Dieu et Nature
N’ont Rien obmis de ce que creature.
Pour acquérir perfection, souhaite.
Acceptez donc ma dame la Princesse,
Qui en vertus et honneur passera
La plus parfaite qui fut ne qui sera,
Ne qui fut onc ; à elle je m’adresse.

Elle congnoist que c’est de bien aymer ;
Le vray amant la tient en son escole,
On le peult bien congnoistre à sa parole
Qui tant se doit priser et estimer.
Quand elle aura veu notre doux combat,
Seure je suis que, sans favoriser
L’une partie et l’autre despriser,
Fera la paix de nostre long debat.
Toutes voyans sa bonne election,
A la Duchesse, où gist perfection,
Le jugement ont remis de leur fait ;
Et moy, voyant que juge plus parfait
L’on ne pourroit en ce monde trouver,
Leur bon advis vouluz bien approuver,
En leur disant : Possible n’est de mieux,
Dames, choisir pour moy dessoubs les cieux.
Par son bon sens de Justice usera,
Et sa douceur ma faulte excusera.
Et s’il advient et que bon il luy semble
Que le propos et l’escriture ensemble
Devant le Roy puisse estre descouvert,
Seure je suis qu’ayant le livre ouvert.
Regardera les poincts où le lecteur
Se doit monstrer advocat de l’Acteur.
Et, en louant vos entreprises haultes,
Excusera mon ignorance et faultes ;
Et servira de douce couverture

Sa grand bonté à ma povre escriture.
Et si povez croire que sa sentence
Telle sera comme le Roy la pense.
Ainsi pourrez, par ce tresseur refuge.
Avoir le Roy, que desirez, pour juge ;
Qui, sans refus, d’un cœur doux et humain,
Regardera, venant de telle main,
Tout ce discours, qui est digne de luy ;
Et l’Escriture aura pour son appuy
Celle qui peult la defendre de blasme,
Et l’excuser comme une œuvre de femme.
Ainsi pourra couvrir sa charité
Devant les yeux de la severité
Du Roy, qui fait à tous jugement droit,
Ce que j’ay trop failly en chasque endroit.

Lors d’un accord, sur le poinct, nous trovasmes ;
Dedens la Coche au logis arrivasmes.
La nuict me feit aux trois donner l’Adieu,
Non pour dormir, mais pour trouver un lieu
Ou, sans avoir de nul empeschement,
Peusse acquiter ma promesse et serment.
Mais, en voyant du propos la grandeur,
De mon langage et termes la laideur,
Honte me fait finer ma mauvaise œuvre,
Mais verité veut que je la descœuvre
A celle là que je prends pour mon ayde.
Pour mon secours et souverain remede.
C’est donc à vous, ma cousine et maistresse,
Que mon labeur et mon honneur j’adresse,
Vous requerant comme amye parfaite,
Que vous teniez cette œuvre par moy faite
Ainsi que vostre, et ainsi en usez,
Et la monstrez, celez ou excusez.
Faites au roy entendre la substance,
Pour à ces trois donner juste sentence.
Vostre parler luy fera mieux sçavoir
Tout le discours, que de luy faire voir
Ce livre auquel mon escriture efface
Tout le plus beau et la meilleure grace
De leurs propos, desquels j’ai bien suivie
La verité, mais la grace et la vie,
Qui est dedans, je l’ay toute souillée,

De fascheux mots empeschée et brouillée.
Tant que je doy, en lieu d’augmenter, craindre
La grand’valeur du propos faire moindre.
Quand est de vous, honteuse je ne suis
De vous monstrer le mieux que faire puys.
S’il y ha riens digne de moquerie,
Moquez vous en, point n’en seray marrie,
Car seure suis qu’à un second ne tiers
Ne monstrerez ma faulte volontiers,
Fors à celuy qui sur tous ha povoir ;
Envers lequel vous ferez tout devoir
De m’excuser, j’en suis bien asseurée.
Car ceste Amour, en noz cœurs emmurée,
Soit de monstrer ce livre ou le cacher,
Sera si bien qu’on ne pourra toucher
A mon honneur, qu’entre vos mains je metz,
Comme à la Dame en qui, je vous prometz,
J’ay mys cœur, corps, amour, entendement,
Où ne verrez jamais nul changement.
Parlant de moy, oublier je ne doy
Celles de qui la douleur, je le croy,
Merite bien que vous vueillez entendre
Leur passion, car elles veulent tendre
A qui aura de bien aymer l’honneur,
Et d’avoir plus dans le cœur de douleur,
Ou ceste là qui en suspens demeure
Pour un Amy chassant l’autre à toute heure,

Ou ceste là de l’Amy delaissée,
Qui de regret importable est pressée ;
Ou l’autre qui laisse un Amy parfait
Pour ressembler et en dit et en fait
Aux autres deux et l’union tenir
Où ferme amour leurs trois cœurs fait unir.
Et ceste là se tiendra bienheureuse
Que vous direz des trois plus doloreuse ;
Et son malheur à tresgrand bien tiendra,
Quand sur les deux votre arrest obtiendra
De plus avoir qu’elles d’aspre douleur,
Ennuy, torment, desespoir et malheur.
Les deux aussi, quand jugées seront
De vostre main, bien s’en contenteront ;
Et je serai trop plus qu’elles contente
Si mon labeur, lequel je vous presente,
Vous donne autant, en lisant, de plaisir,
Qu’en l’escrivant j’en ay eu de desir.
Or le prenez, et pensez qu’il procede
De qui le lieu à nulle autre ne cede
De vous aymer. Et, attendant le bien
Que Dieu, un jour, me donne le moyen
De vous monstrer par effect ma pensée,
Je luy requiers qu’ainsi que commencée
Il ha en vous fortune si tresbonne,
Que maintenant et pour jamais vous donne
Autant de bien, d’honneur et de santé,

Comme il en fault pour estre contenté,
A vostre cœur plein d’Amour et de Foy,
Et tout autant que j’en desire au Roy.