Les Masques et les Visages - Portraits de Florentine, le long de la Seine et de l’Arno/01

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Les Masques et les Visages - Portraits de Florentine, le long de la Seine et de l’Arno
Revue des Deux Mondes5e période, tome 60 (p. 160-190).
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LES MASQUES ET LES VISAGES

PORTRAITS DE FLORENTINES
LE LONG DE LA SEINE ET DE L’ARNO

I
XVe SIÈCLE


I. XVe siècle


Ne vous est-il jamais arrivé, lecteur, tandis que vous visitiez un musée, parfois bien loin de votre pays, d’y retrouver, tout à coup, le portrait d’un de vos amis ? Il est, là, vous attendant placidement depuis deux ou trois ou quatre cents ans et, hors quelque détail de costume ou de décor, il vous accueille de la même façon que votre ami vous accueillerait… Pour moi, chaque fois que je parcours un musée, je me demande pourquoi on fait encore faire son portrait… Ce portrait existe déjà, presque toujours, le plus souvent signé par quelque maître, et il n’est guère de figure rencontrée aujourd’hui dans la rue qui n’ait son double ou sa ressemblance frappante au fond d’une salle de musée, sur les murs, au coin d’une fresque, dans quelque église de notre vieille Europe. Le tout est de la trouver… Car les physionomies humaines, — si infiniment diverse que soit la Nature, — se réduisent toutes à quelques types osseux, musculaires et sanguins, très définis, dont le pinceau des maîtres a, dès longtemps, tracé la ligne-mère et fixé l’essentiel contour. Sans doute, il reste toujours quelque chose à désirer. Il reste ce point de dissemblance qui fait qu’aucune figure humaine n’a sa pareille mathématique parmi les quinze cent millions de faces qui respirent en même temps sur le globe ; mais nos portraitistes actuels l’attrapent si rarement, qu’en vérité le portrait ancien et fait d’après un autre rend, aussi bien que le nouveau, l’original vivant. De cela, tout le monde est d’accord et si quelqu’un conservait quelque doute, une rapide promenade dans les musées suffirait à le persuader.

Mais que dire de nos physionomies morales ? Nous appartiennent-elles en propre ? Ou furent-elles déjà observées dans le passé, avec leurs moindres nuances, telles que nous les voyons parmi nous ? C’est une pente invincible de notre esprit que de les croire nouvelles. Chaque génération a le sentiment qu’elle apporte au monde des curiosités, des appétits et des raffinemens, soit dans le rêve, soit dans l’élégance morale, soit dans le vice, que ses devancières n’avaient pas connus. Nous nous résignons encore à porter la même figure que nos pères, mais nous avons la vanité de nous être mis en frais d’une autre âme. Chacun de nous croit que le monde le voit pour la première fois… Et lorsque se dessine sur le fond gris de nos vies banales la silhouette inquiétante d’un sphinx, une figure qui émeut la foule par le mystère de ses aspirations, et par la perversité de ses attitudes, le sentiment général est qu’on se trouve en présence d’un produit bien spécial de son époque. Qu’y a-t-il de vrai dans cette hypothèse ?

Si nous regardions les portraits anciens, peut-être nous apprendraient-ils quelque chose ? Il y a un point sur le globe, et un moment dans la suite des temps, où chaque figure illustre a trouvé, pour la peindre, un maître artiste, où chaque destinée singulière a été résumée dans le cadre étroit d’un panneau, le tour d’un buste ou l’orbe d’une médaille. C’est Florence dans la seconde moitié du XVe siècle et dans la première moitié du XVIe. Les portraitistes de ce temps s’appelaient Botticelli, Ghirlandajo, Pollajuolo, Verrocchio, Mino da Fiesole, Donatello. Quels yeux pour voir et quelles mains pour perpétuer ce que les yeux avaient vu ! Ces témoins ne sont pas seulement grands : ils sont véridiques. Ils étaient déjà assez habiles pour faire ressembler leurs portraits à la réalité, pas encore assez pour les faire ressembler à une idée générale de la beauté. Aussi, les portraits de ce temps ne sont-ils pas interchangeables, comme ceux du XVIIIe siècle, par exemple. Il est impossible de prendre le duc d’Urbino pour Sigismondo Malatesta, ou la belle Simonetta pour Catherine Sforza ! Nous nous trouvons donc bien en présence des masques humains de ce temps, devant le plus ancien ensemble connu de portraits véridiques tracés d’après une société ardente, homogène et polie.

D’autre part, il se trouve que derrière ces masques fournis par les peintres, une foule de documens intimes, familiers, nous révèlent les visages. Les gens de ce temps tenaient volontiers leur Journal, comme ce Luca Landucci, dont le Diario fiorentino a si souvent servi aux historiens des révolutions florentines. Ils rédigeaient aussi des instructions pratiques pour leurs enfans, des Consigli, selon l’exemple qui leur avait été donné, un siècle avant, par ce Paolo di Pace da Certaldo, dont M. Guido Biagi a déterré le savoureux traité de « bons exemples » et de « bonnes manières. » Ils étaient grands épistoliers, comme cette Alessandra dei Machingi, dont les lettres à ses enfans sont célèbres. Enfin, les rapports des ambassadeurs à leurs gouvernemens, sans être des documens tout à fait intimes, s’en rapprochent beaucoup par la liberté de leurs appréciations, le pittoresque de leurs descriptions, le secret promis à leurs bavardages.

C’est donc peut-être dans les portraits florentins du XVe et du XVIe siècle, que nous avons la plus grande chance de trouver une réponse à la question que nous nous sommes posée-Regardons-les, sans parti pris, partout où nous les trouvons, au Louvre, à Chantilly, aux Uffizi, au Palais Pitti, à Santa Maria Novella. Au premier abord, nous pouvons nous croire transportés parmi des figures toutes nouvelles. Çà et là, une coiffure extravagante, un front à demi rasé, une collerette ou une fraise monstrueuse, peuvent modifier l’aspect superficiel du masque féminin, comme une mode philosophique l’esprit de la femme. Mais examinons de près ces masques, si dissemblables qu’ils puissent paraître de nos contemporaines, — et par-là dignes d’être notés, — peut-être y trouverons-nous plus d’une fois des traits des visages que nous avons connus. Et ainsi verrons-nous que la construction de la figure subsiste en dépit des coiffeurs et des couturiers.

Puis examinons sous ces masques les visages : les âmes telles que les actes et les écrits intimes, les lettres, les paroles nous les ont révélées, telles aussi qu’elles se révèlent en dépit d’elles-mêmes, en dépit parfois de leur peintre, dans les gestes et les yeux : malgré les différences de vie, d’éducation, de théories générales, peut-être que les traits les plus séduisans et aussi les plus désagréables et les plus inattendus de ce qu’on appelle aujourd’hui le « féminisme, » par exemple, ne sont pas plus nouveaux chez nos contemporaines que le dessin de leur bouche ou de leur nez. Et ainsi verrons-nous que ni les coiffeurs ni les philosophes n’ont jamais rien pu sur les traits constitutifs, sur le vrai visage de l’humanité.

En tout cas, nous aurons la joie de contempler, dans la demi-teinte des fresques, les fines et mystérieuses destinées des plus belles femmes qui passèrent, voici quelque quatre cents ans, sur les bords de l’Arno. Nous aurons l’illusion de vivre un peu plus, parce que nous vivrons avec d’autres, la vanité de découvrir des mœurs qui nous paraîtront préférables parce qu’elles sont lointaines et aussi, quand nous rencontrerons, en plein xv° siècle, les traits mêmes de nos contemporaines, la surprise de n’être pas surpris.


I. — AU LOUVRE. — GIOVANNA TORNABUONI[1]

Il en est deux, parmi nous, que tout le monde a vues ou peut voir et le hasard fait que ce sont les figures des deux femmes les plus séduisantes de leur temps, deux contemporaines, deux compatriotes, de familles semblablement illustres, d’égale beauté, d’égale jeunesse, de destinées parallèles, deux reines de l’art et des cœurs florentins aux années où ces cœurs battirent le plus fort et pour l’art le plus pur, peintes par les mêmes peintres, chantées par les mêmes poètes, pleurées par les mêmes fervens, brusquement emportées en plein éclat, en laissant sur l’océan des hommes deux sillages si longs de regrets et de larmes, qu’après plus de quatre cents ans, leur remous berce encore les cœurs des chercheurs et des naïfs. On les appelait, de leur temps, la Bella Simonetta ou, plus officiellement, Simonetta dei Cattanei épouse de Marco de’ Vespucci, et la Bella Vanna, ou officiellement Giovanna degli Albizzi, épouse de Lorenzo de’ Tornabuoni.

Quiconque a visité Chantilly connaît la première : un profil évaporé, le nez en l’air, l’œil vif, le front nu et rond comme un front d’oiseau, décrivant le hardi paraphe de sa frimousse en clair sur un nuage noir, rejetant derrière la tête un énorme paquet de tresses et de perles, pointant les seins nus, avec un serpent d’émail noir, qui ondule autour de la gorge éclatante, au loin des arbres, des collines et de l’orage, — quelque chose de joyeux, de piquant et de délibéré, une tête qui n’en fait qu’à sa tête, une reine de la mode à qui l’on ne dit pas : « Voilà ce qui se porte… » et qui s’habille, ou se déshabille, comme il lui plaît. Cela est peint sur un panneau de bois à la détrempe, par Pollajuolo, dit-on, et vraisemblablement entre 1469 et 1476, et acquis par le Duc d’Aumale en 1879. Il y a sur la bordure du tableau l’inscription Simonetta januensis Vespuccia. Voilà le premier rayon de soleil qui traversa Florence à la fin du XVe siècle.

Le second est au Louvre. Tout le monde devrait en avoir été touché, mais il est aux trois quarts éteint, étant tombé dans l’une des plus sombres solitudes de cette nécropole : la cage de l’escalier Daru, — et mis sous verre. Parfois une bande de touristes fourvoyés traverse ce Sahara froid. On frôle les murs nus, les bustes rechignes, les pierres mortes, et l’on s’en va sans se douter qu’on a passé à côté de deux destinées tendres et tragiques, rappelées en deux chefs-d’œuvre. Ce sont les fresques peintes par Botticelli sur les murs de la villa des Tornabuoni, près de Florence, pour célébrer le mariage de Giovanna degli Albizzi avec Lorenzo de’ Tornabuoni, en 1486. Longtemps dissimulées sous la chaux, retrouvées en 1872, et apportées ici, tant bien que mal, en 1881, elles sentent l’exil. On imagine, aussitôt, ce que serait cette pellicule de peinture, si elle tenait encore au tronc vivant dont on l’a séparée et dont elle n’est plus aujourd’hui que l’écorce morte ; si on la voyait là-bas, sous le soleil de Toscane, à la villa Lemmi, au Pian di Mugnone, parmi les fleurs, quand le soleil glisse entre les fentes du rideau de cyprès, et tout ce qu’y mettraient nos regards si, avant de s’y poser, ils avaient recueilli les lueurs qui glissent au loin sur les rondes collines de Fiesole, sur la loggia aux fines colonnettes, sur les fenêtres quadrillées de fer, les plantes grimpantes, les roses. Ici, on sait qu’elle existe, qu’elle est célèbre, jusqu’à en être banale, mais on ne la jamais vue.

Pourtant, par un jour exceptionnellement clair, on peut, si l’on s’approche, distinguer, sous les reflets contraires du verre, une apparition étrange, comme une vapeur colorée qui aurait flotté sous ces hautes voûtes et qui se serait fixée, çà et là, par places… Ce sont des fantômes de femmes gracieuses : têtes virevoltant sur de frêles tiges, robes éteintes, couleur de fleur séchée ou de verdure toute neuve, développant dans une nature inopérante des gestes inefficaces. Une jeune femme haute, fine, et de mise presque austère, tend un linge comme elle tendrait son tablier, pour recevoir quelque chose que d’autres femmes, dont les manches sont des petits ballons, s’avançant vers elle, vont y jeter. Ce quelque chose est peut-être un fruit, peut-être une fleur, peut-être un sort. Celle qui reçoit ne semble pas très reconnaissante. Celles qui donnent ne semblent pas très généreuses. Ce sont sans doute des fées : il n’y a que des fées pour arriver ainsi à un mariage les mains vides. C’est sans doute une philosophe : il n’y a qu’une philosophe pour se vêtir si simplement l’année de ses noces et pour si peu considérer ce qu’on lui donne. — Ces dons ne sont pas seulement médiocres : ils sont inquiétans. L’une d’elles fait de la main gauche ce geste imprécis qui a vaguement l’air d’une protestation, que Botticelli met partout, mais qui n’a nulle part un sens défini, Elles n’ont pas l’air de croire qu’elles apportent quelque chose de très bon à la jeune épousée ; celle-ci ne le croit pas non plus. Son regard passe par-dessus les jeunes Destinées : elle a l’air distrait, absent, résigné à recevoir tout ce que ces femmes jettent dans son mouchoir. Et qu’y jettent-elles ?

Elles y jettent la mort, une mort prompte, terrible, dès la venue du second enfant. C’est leur cadeau de noces. Cette jeune femme que nous voyons, là, va mourir en couches, comme est morte la mère de son mari Lorenzo Tomabuoni, comme est morte la première femme de son père, Maso degli Albizzi, comme sont mortes, par une fatalité mystérieuse, tant et tant de jeunes femmes de la Renaissance… Dans deux ans, elle aura passé. Jusque-là, sa vie est un rayon de soleil, quelque chose de droit, de lumineux, de simple, une joie pour les yeux de tous, une faveur pour tout ce qu’il touche.

Se figure-t-on ce qu’était, dans la vieille et noire Florence du XVe siècle, le pas sur les dalles d’une jeune patricienne, fine, simple, charitable et docte, au buste droit, aux paroles mesurées, aux plis parallèles, aux gestes lents et harmonieux, quand elle traversait cette foule de marchands de laine, marchands de soie, banquiers, changeurs et politiciens, vivant entre la hache et le comptoir, esprits inquiets, consciences obscures, lèvres verrouillées comme leurs portes, figures plissées comme leurs bourses, curieux cependant de toutes les grâces de lame et du corps, capables d’enthousiasme pour tout ce qui, — femme, idée ou statue, — trouait parfois leur ciel bas et lourd ?

Elle subsiste encore, la rue où elle a vécu, longue, étroite, sombre. : On s’y aventure comme en une fissure de rocher, pour aller du centre de Florence à la porte San Piero et à la seconde enceinte de la ville. Elle demeure, là, comme un vieux chaînon oublié dans une chaîne neuve de quartiers modernes ou rebâtis. C’est l’ancien Corso di Por san Piero, aujourd’hui via degli Albizzi, du nom de la famille qui y posséda tant de maisons et l’habita si longtemps. Parmi les hauts palais noirs dont elle est faite, on voit encore celui où est née Giovanna : parois nues, sombres, renfrognées, fenêtres en amande très haut perchées, avec l’écusson des Albizzi ; deux anneaux de pierre, l’un encerclant l’autre, tout cela endormi sous une poussière cinq fois séculaire. C’est là qu’a grandi notre figure du Louvre, la plus fameuse des onze filles de. Maso degli Albizzi, qui fut podestat de Prato, gonfalonier de justice, ambassadeur à Rome. Cette maison, neuve alors, n’était pas le sombre rempart que nous voyons aujourd’hui. Cette rue, alors bâtie d’un seul côté, recevait la lumière du midi. Çà et là, les palais les plus beaux l’égayaient de leur vie. C’était le quartier le plus animé, le plus aristocratique, celui où l’on faisait les courses, le Palio, et d’où partaient le plus de chevaliers pour le carrousel. Nous pouvons donc retrouver, en nous y promenant, le fond coutumier sur quoi se découpait la fine silhouette de Giovanna, allant faire ses dévotions à San Piero Maggiore, — église dont il ne subsiste plus rien, marquée seulement par un reste de portique du XVIIe siècle, où on lit encore : DEO IN HONOREM. PRINCIP. APOSTOL. LUCAS DE ALBIZZI.

Mais ce portique, lui-même, a changé de destination et joue, au naturel, le rôle de ces ruines savoureusement dessinées par Hubert Robert. Une maison a poussé par-dessus, des boutiques l’ont bouché par-dessous et l’arc triomphal d’autrefois, travesti en une bête de somme, semblable à un gros éléphant serviable, arrondit aujourd’hui, sur les jarres de lait et les chapelets d’andouilles, la majesté de ses arcs, le haut latin de ses dédicaces et l’acanthe de ses chapiteaux. Le pied cherche inutilement les dalles qui recouvraient Lorenzo di Credi et Luca della Robbia, enterrés là. Tout a disparu et le rare pèlerin qui vient, sans s’égarer, dans ce coin de la vieille Florence, n’y peut être attiré que par le fantôme léger de la Bella Vanna.

Elle y a vécu toute sa jeunesse, dans la gloire et dans la lumière. Les joies intellectuelles l’éclairaient aussi. Elle était formée aux belles-lettres par un futur pape, Tommaseo Parentucelli. Ses admirateurs étaient Laurent le Magnifique et les plus grands peintres du XVe siècle, son promis le plus beau jouvenceau de Florence, le plus riche et le plus élégant cavalier. Il suffit pour s’en assurer de voir à Santa Maria Novella, — à gauche de la fresque de saint Joachim chassé du temple, — ce jeune homme qui se retourne vers nous, le poing droit sur la hanche, le bout du pied droit en avant, avec une désinvolte impertinence : grand érudit d’ailleurs, poète formé par Politien, fin connaisseur en médailles antiques : Lorenzo Tornabuoni.

Son mariage est un événement national. Arrangé par le roi de Florence, Laurent le Magnifique, il n’est point célébré à la paroisse de la jeune fille, mais à la cathédrale, à Sainte-Marie des Fleurs, où Giovanna paraît escortée de cent jeunes filles des plus grandes familles, parées de blanc, et de quinze jeunes chevaliers en armures de tournoi. L’ambassadeur d’Espagne auprès du Saint-Siège y assiste, ainsi que de nombreux chevaliers florentins et étrangers. La presse est représentée par Politien. Au lieu de kodaks braqués sur la sortie de l’Eglise, ce sont les yeux de Botticelli, de Verrocchio, de Ghirlandajo, de Niccolo Fiorentino, fixés sur ce profil qui passe… Le décor, ce sont les bas-reliefs de Giotto et les portes de bronze de Ghiberti. La foule, tassée entre Sainte-Marie des Fleurs, le Baptistère, le Campanile, la Tour des Adimari, le Bigallo, bat de ses flots des montagnes de chefs-d’œuvre. Un Guichardin et un Castellani escortent la mariée au palais des Tornabuoni. On danse le soir sur la place San Michèle Berteldi, — maintenant Piazza san Gaetano, — proche des palais Tornabuoni aujourd’hui entièrement disparus. De l’autre côté de la ville, tout le long du Borgo degli Albizzi, les torches brûlent passées aux grands anneaux de fer. Toute Florence est en fête. Jamais femme n’entra d’un pas plus léger dans la vie.

Puis les peintres et les modeleurs se mettent à l’œuvre. Ils se hâtent, comme s’ils se souvenaient qu’elle est d’une famille d’éphémères, où la pose ne dure pas, où le profil se perd bientôt dans l’ombre que rien n’éclaire. Botticelli se rend à la villa Tornabuoni, aujourd’hui villa Lemmi, où se sont retirés les deux jeunes époux durant les premiers temps de leur mariage ; il cause un peu mythologie avec Politien et peint sur les murs les fresques qui sont maintenant au Louvre. Niccolo Fiorentino modèle la médaille que nous voyons au Bargello. Ghirlandajo la peint deux fois au moins : la première fois, d’après nature, sur le panneau fameux longtemps appelé la Laure de Pétrarque, passé de la famille Tornabuoni à celle des Pandolfini, et aujourd’hui en possession de M. Pierpont-Morgan. La seconde fois, de souvenir, d’après le portrait précédent simplement reporté sur le mur et continué par une robe, dans la fresque de Santa Maria Novella, où elle figure à la suite de sainte Elisabeth (scène de la Visitation).

C’est, là, le plus fameux des portraits de Giovanna Tornabuoni, le plus connu même de ceux qui épellent son nom et ne savent rien de sa vie. Tous les visiteurs de l’église dominicaine ont remarqué cette belle dame, en toilette éclatante, jupe de satin rouge couverte d’un treillis d’or semé de boutons d’argent, robe en tissu d’or broché, qui s’avance de profil coupant, haute et droite, au milieu des modestes femmes de l’Evangile, soucieuse de ne rien déranger à l’économie de sa toilette, tenant son mouchoir à la main, comme une dame en visite son porte-cartes, avec une coiffure à chignon plat et à anglaises, et un fil autour du cou qui tient en suspens une grappe de perles… Le tout découpé à l’emporte-pièce sur un fond de remparts, de ponts-levis, d’arcs de triomphe ruinés, de campaniles, ressemblant très vaguement à Florence. Ce costume est un peu ostentatoire et le moins pieux des visiteurs en est presque choqué. Il ne faut pas croire que ce luxe parût naturel aux contemporains. Peu d’années après la peinture de cette fresque, alors que les couleurs en brillaient encore d’un éclat que nous ne voyons plus, Savonarole tonnait en chaire contre ces bijoux, ces boutons, ce brocart. Et cent ans avant, toute Florence avait retenti des objurgations des magistrats contre le luxe des modes féminines. Le portrait de Giovanna, en pleine église, nous montre ce qu’avaient pu faire cent ans de sermons et de lois, la crainte des peines éternelles ou celle des amendes. Il y a, là-dessus, un conte fameux de Franco Sacchetti. Il nous montre les tribulations d’un juge, Messer Amerighi da Pesaro, chargé d’assurer l’exécution des règlemens somptuaires. Il est bon de le relire devant la fresque de Santa Maria Novella :

« Mes seigneurs, dit-il, s’adressant aux Priori, mes seigneurs, j’ai étudié toute ma vie pour apprendre à juger sainement, et aujourd’hui, après avoir cru savoir quelque chose, je m’aperçois que je ne sais rien du tout. Car en faisant mon enquête sur les ornemens qui sont interdits à vos femmes, selon les ordres que vous m’avez donnés, ces dames ont produit, pour leur défense, des argumens dont je n’avais jamais eu idée auparavant et, entre autres, je vais vous en dire quelques-uns. Voici une femme qui arrive avec une cape festonnée et roulée en spirale. Mon notaire dit : « Donnez-moi votre nom, car vous avez une cape festonnée. » La bonne dame tire le bout de ce feston qui est attaché à la cape avec une épingle et, le tenant dans sa main, dit : « Ça, c’est une guirlande !… » Alors mon homme passe outre et trouve une femme qui porte de nombreux boutons sur le devant de sa robe. Il dit à celle-là : « Voilà des boutons que vous n’avez pas le droit de porter. » Elle répond : « Messer, parfaitement, j’ai le droit de les porter, car ce ne sont pas, là, des boutons, mais des coupelles, et si vous ne me croyez pas, regardez : elles n’ont pas de queue et de plus il n’y a aucune boutonnière… » Alors le notaire va à une autre qui porte des hermines et dit : « Qu’est-ce que celle-ci va bien pouvoir alléguer pour sa défense ? — Vous portez des hermines ! » Et il veut prendre son nom. La dame dit : « Ne m’inscrivez pas, car ce ne sont pas des hermines, mais des fourrures de nourrisson. » « Et qu’est-ce que c’est que ce nourrisson ?… » demande le notaire. Et la dame répond : « C’est une bête… » Après cela, on comprend le mot inscrit, par un membre de la Guilde des marchands, en marge des statuti somptuaires :


S’il est quelqu’un à qui tu souhaites du mal,
Envoie-le à Florence pour être official…


Mais les peintres, loin d’être choqués de ce déploiement de luxe, y ajoutent, s’ils le peuvent. Rien ne leur paraît assez beau pour Giovanna Tornabuoni. Ils appliquent à ses portraits des cartouches laudatifs. Ils y mettent des dédicaces enthousiastes.


ARS UTINAM MORES

ANIMUMQUE EFFINGERE
POSSES, PULCHRIOR IN TER>
IS NULLA TABELLA FORET

MCCCCLXXXVIII


écrit Ghirlandajo sur une tablette au fond du portrait de la collection Pierpont-Morgan. Niccolo Fiorentino inscrit, autour de sa médaille, ces mots que vous pouvez lire, si vous vous penchez, par un clair matin, sur la vitrine, au second étage du Bargello : CASTITAS — PULCHRITUDO — AMOR. Botticelli n’écrit rien sur la fresque aujourd’hui au Louvre, mais il peint un délicieux petit amour soutenant un écusson : c’est l’enfant, le premier-né qui soutiendra et perpétuera les armes des Tornabuoni.

A peine ces artistes ont-ils fini leur ouvrage, avant même peut-être qu’ils aient fini, le don fatal des Belles Dames a fait le sien. La belle Giovanna est emportée à ses secondes couches : elle a vingt-deux ans. Ainsi ni l’âge, ni l’abandon, ni les regrets ne viendront décolorer l’image du monde reflétée dans ces beaux yeux naïfs, grands ouverts : « Noblesse du sang, beauté, fils richesse, amour conjugal, esprit, distinction des manières et de l’âme, toutes ces choses m’ont faite heureuse, mais toutes ces choses, les cruelles Destinées, — pour me rendre la mort plus amère, — me les ont montrées plutôt que données !… « Ainsi la fait se plaindre Politien, dans l’épitaphe qu’il composa pour elle. Sans le vouloir, il explique, là, notre fresque du Louvre, — « Montré plutôt que donné… » — c’est bien le geste de ces incompréhensibles figures…

Tout aussi secrète est la fresque jumelle du Louvre, encore plus difficile à voir peut-être et encore plus sombre, placée de l’autre côté de la porte qui conduit à la salle du XVIIIe siècle. Pourtant, en regardant bien, on finit par apercevoir le profil d’un jouvenceau, à longs cheveux, en soutane, qu’une jeune femme, aux airs penchés, amène, par le bout des doigts, vers un aréopage de femmes assises en demi cercle, dans quelque bois sacré. Après un moment d’attention, on reconnaît ce profil : c’est celui de la médaille gravée ou au moins inspirée par Niccolo Fiorentino, avec cette inscription : Laurentius Tornabonus, et qui porte à son revers un Mercure habillé et armé avec ces mots : Virginis os habitumque gerens et virginis arma. C’est bien la même tête, le profil pointu, les joues lourdes, les yeux saillans, la ligne du front et du nez quasi concave, que nous devinons ici. C’est donc bien, là, le mari de Giovanna degli Albizzi, « le miroir de l’élégance, » c’est le même jouvenceau qu’on voit dans le chœur de Santa Maria Novella, en la fresque de Saint Joachim chassé du temple, à peu près vis-à-vis de la scène de la Visitation où figure sa jeune femme derrière sainte Elisabeth.

Ici, il est moins désinvolte. Il a l’air d’un jeune homme timide qu’une protectrice présente à un comité de dames chargé de décerner quelque prix. Il se trouve que c’est justement cela, ces dames étant la Philosophie, la Musique, l’Astronomie, la Grammaire, la Rhétorique… Elles lui décerneront le prix de belles-lettres, le prix d’élégance, le prix de goût et de tact en belles médailles qu’il collectionne pour Laurent le Magnifique, enfin le prix de la jeunesse, qui est le plus enviable de tous. On voit mal leurs attributs effacés : parmi ces dames, il y en a qui ont un faux air de Parques, ou de sorcières. Tandis qu’on regarde ce bizarre aréopage, la lumière qui ne se fixe jamais longtemps dans cet escalier Daru se met à passer, le mur se drape d’ombre. Vite, ces figures changent d’aspect et deviennent sinistres. On ne voit plus que des silhouettes, et ces silhouettes sont rangées moins comme des Muses dans un bois sacré que comme des juges dans un tribunal.

A mesure que l’ombre s’épaissit, des souvenirs nous viennent, des souvenirs de l’histoire de Florence sous la République. On se rappelle un autre aréopage devant lequel comparaît ce même jeune homme. C’est dans un vieux palais qu’il siège. Ce sont les Huit de la Paix. Nous sommes en 1497. Il y a onze ans que le jeune Tornabuoni a fait peindre cette fresque. Il y en a neuf qu’il a conduit Giovanna au tombeau de famille, à Santa Maria Novella. Depuis, la ville a changé de maîtres. Les Médicis ont été chassés de Florence. Nous sommes sous le règne de Savonarole. Le brillant « miroir de l’élégance » est resté dévoué à la famille qui fit son mariage : il est impliqué dans une conspiration pour le retour des Médicis. Un obscur comparse, un certain Lamberto de l’Antella, l’a dénoncé ainsi que quatre autres seigneurs. Il est arrêté, soumis à la torture de la corde. Quiconque était mis à la torture était perdu. On possède donc les aveux qui suffisent à sa condamnation, mais on discute indéfiniment la sentence. Toutes les juridictions se récusent successivement. Les Huit de la Paix renvoient les accusés à la Seigneurie qui les renvoie aux Huit, qui les renvoient devant le Conseil des Quatre-vingts, qui demande la constitution d’une Consulte. On sait que l’Italie est favorable aux accusés. On cherche des faux-fuyans. On envoie demander à une visionnaire, alors fort en vogue, ce que le ciel lui inspire. Elle répond qu’il lui a été révélé que le vieux Bernardo del Nero doit être jeté par la fenêtre. Mais les autres ? Qu’en fera-t-on ?

Pendant neuf heures consécutives, cent quatre-vingts juges, rouges de passion ou pâles de peur, enfermés dans le Palais Vieux et mis au secret, écoutent les rapports, parlent, discutent, mangent, — car il ne leur est pas permis de sortir de la salle avant d’avoir clôturé le débat, — tandis qu’au loin, du fond d’une cellule de San Marco, un moine terrible, le moine au profil de mouton, les fait mouvoir. On est au mois d’août, au mois des grandes chaleurs et des pestes. Le Palais Vieux ressemble à une chaudière où bout quelque chose d’infernal. Après cinq jours de discussions et d’atermoiemens, la sentence est arrachée par les violens aux autres : c’est la mort pour les cinq accusés, dont le plus âgé, Bernardo del Nero, a soixante-treize ans et le plus jeune, celui dont nous voyons ici l’image, vingt-neuf. On sait l’Italie tendrement émue pour cette noble tête, pour cette jeune tête de savant et d’humaniste, toute meublée des trésors de la Renaissance. Il faut mettre les indécis et les voisins en présence du fait accompli. On hâte l’exécution. On n’attend pas au lendemain. On descend aux torches. Les Huit assurent l’exécution de l’arrêt. Le billot est prêt dans la cour d’un des palais annexes au Palais Vieux, probablement à l’endroit où sont aujourd’hui les bureaux et les paperasses de la municipalité pour des distributions de secours. Bernardo del Nero passe le premier. Le dernier qui vient sous la hache est Lorenzo Tornabuoni. Au matin, tout est fini… Sur le livre des morts, à sa paroisse, Santa Maria Novella, on inscrit son nom suivi de la mention terrible qui revient si souvent en ce temps-là après la date du décès : cum sanguine… « Tout le peuple les plaignit, dit, dans son Journal, Luca Landucci, chacun fut stupéfait qu’une telle chose ait pu être faite et voulut à peine le croire. Ils les firent mourir dans la même nuit et ce ne fut pas sans larmes de ma part, que je vis passer à Tornaquinci, dans une bière, ce jeune Lorenzo, un instant après sa mort… »

Ainsi s’éteignirent, après un bref éclat, les deux apparitions que nous voyons par les jours clairs flotter encore dans l’escalier du Louvre, et que l’on voit tous les matins, à Florence, derrière l’autel de Santa Maria Novella : Lorenzo et Giovanna Tornabuoni. Sans les peintres et les modeleurs, leurs destinées nous seraient indifférentes, auraient passé enveloppées dans les plis de cette grande dissimulatrice qu’est l’histoire : quelques coups de pinceau sur un mur, la pression d’un doigt sur une cire, les dégagent et les profilent, jeunes et nets, sur le brouillard confus des foules. Par la grâce de l’art, les deux beaux enfans revivent et sont aimés. Leur culte ne cesse guère. Sans doute, on ne le voit pas souvent célébrer au Louvre. L’ombre qui baigne leurs images empêche les visiteurs mal avertis de s’y arrêter. Leur histoire y est mal connue.

Mais à Santa Maria Novella, c’est autre chose ! Il fait clair tous les matins dans le chœur de la vieille église dominicaine, derrière l’autel. En même temps que nous déchiffrons cette figure sur l’escalier du Louvre, aux bords de la Seine, nous pouvons être sûrs que là-bas, aux bords de l’Arno, d’autres la regardent et cherchent à en pénétrer le sens. Accotés dans les stalles, ou debout autour des lutrins, étages sur les marches de bois, guettant le jour favorable, — ils la voient s’avancer de profil, de profil gauche, toute droite dans sa robe aux plis droits et lourds, derrière sainte Elisabeth qui embrasse la Vierge. En face, sur la muraille opposée, dans ce groupe de gens du XVe siècle, au premier plan du saint Joachim chassé du temple, ils cherchent son jeune mari Lorenzo Tornabuoni.

Dès que les offices s’arrêtent, la longue théorie des visiteurs recommence à défiler et à épeler, dans toutes les langues du globe, les litanies de l’admiration. Ces dévots s’intéressent autant à la vie si vite tranchée de la belle Giovanna qu’à la scène de la Visitation, et il n’en est aucun qui ne soit plus touché par la fin tragique de Lorenzo Tornabuoni que par la mésaventure de saint Joachim… Ils célèbrent obscurément, à leur insu, ce culte sans rite et sans dogme qui réunit, dans une même communion, des âmes bien diverses : le culte des beaux types de l’humanité.

D’ailleurs, il importe peu pour quelle cause ces beaux types ont vécu : il suffit qu’ils aient vécu ardemment, passionnément, et pour autre chose qu’eux-mêmes. Notre goût pour les héros ne se mesure pas du tout aux harnais philosophiques dont ils se sont empêtrés ou dont ils ont voulu bâter les hommes. Savonarole a fait brûler les « vanités » dont Giovanna est parée ; il a fait ou a laissé décapiter Lorenzo : il a été brûlé à son tour, Les mêmes touristes qui étaient tout à l’heure, au couvent de Saint-Marc, à vénérer sa mémoire dans sa cellule, viennent ici vénérer la leur. Notre piété réconcilie sans effort tous ces héros qui se combattaient, qui se proscrivaient, qui croyaient détruire, en se détruisant, les passions humaines. Nous savons qu’ils poursuivaient un songe. Nous les aimons pour l’ardeur dont ils l’ont poursuivi.


II. — À CHANTILLY. — LA BELLE SIMONETTA[2]

Parmi ceux, en 1486, qui suivaient des yeux Giovanna Tornabuoni à son entrée dans le monde, beaucoup se rappelaient une autre reine des cœurs florentins dis parue dix ans auparavant, en pleine jeunesse, celle que nous voyons à Chantilly, dans la salle dite de la Tribune : la belle Simonetta, car tous l’avaient connue et qui ne l’avait pas pleurée ? Giovanna elle-même, d’ailleurs, et les yeux que nous voyons peints dans la fresque du Louvre ont plus d’une fois miré le profil que nous voyons dans le petit panneau de Chantilly, lorsqu’ils n’étaient encore que des yeux d’enfant… Mais tandis que la belle Vanna est fameuse par sa vie et a été l’objet de portraits définis, d’après nature, dans les costumes de son temps, si la belle Simonetta n’était pas morte, on douterait qu’elle ait vécu, je veux dire qu’elle ait été autre chose qu’un rêve : un rêve de poète et de peintre, ou qu’un symbole : le symbole d’une saison de l’année pu d’un moment de la sensibilité humaine, une rencontre d’art et d’âme que le monde ne connut qu’une fois. Ne vous est-il jamais arrivé d’assister à une fête où le soleil, la saison, la jeunesse, quelque artiste venu de loin, les avenirs entrevus, les amitiés formées, les communs souvenirs, composaient une harmonie si rare qu’on avait le sentiment, même si l’on n’était point versé dans le calcul des probabilités, que des années, des siècles passeraient avant que cet ensemble ne se rencontrât… Telle fut la venue de Simonetta dans le monde.

C’était en 1469. Il y avait un rajeunissement universel de la pensée et de l’art ; il y avait des statues sortant de terre, il y avait des carrousels éblouissans, il y avait de jeunes artistes dans le premier enthousiasme de la jeunesse : Botticelli avait vingt-cinq ans, Ghirlandajo avait vingt ans, Verrocchio avait trente-quatre ans. L’imprimerie paraissait pour la première fois en Italie. Un nouveau règne commençait à Florence. Les navigateurs voyaient poindre de nouveaux mondes au fond des mers. Les archéologues tiraient de terre des figures nouvelles. Le regard creusait deux horizons immenses : le nouvel hémisphère et l’antiquité. Il y avait la paix. Il y avait le printemps. Il y avait l’amour. Une femme vint alors, qui parut apporter tout cela dans les plis de sa robe, dans le déroulement doré de sa chevelure, dans le geste de ses dix doigts ouverts. Elle s’appelait Simonetta dei Cattanei. Elle avait seize ans. Elle était née à Porto Venere, près de Gênes, d’une grande famille de marchands, et venait d’être ramenée à Florence par un jeune Florentin qui avait seize ans comme elle et, comme elle, était d’une famille de grands marchands et de découvreurs.

Il s’appelait Marco Vespucci. Son cousin et camarade d’études, Amerigo Vespucci, devait un jour découvrir l’Amérique. Lui, il n’avait découvert que Simonetta, mais pendant un temps, sa découverte intéressa bien plus prodigieusement Florence. C’était aussi un monde nouveau qu’il ramenait avec lui : c’était la Renaissance faite femme, la nymphe antique qui respirait, qui marchait, qui parlait une langue de fantaisie et de liberté. Elle la parlait à tous ces commis et à ces clercs mal lavés encore de toutes les crasses scolastiques, encore un peu ahuris des terreurs du moyen âge. Les âmes se détendirent comme après une longue contrainte. Les chaînes tombèrent. Sur la cire, molle encore, de son imagination, Botticelli reçut l’empreinte idéale qui ne devait plus jamais s’effacer.

On était au moment précis où deux frères, deux jeunes gens, savans et poètes tous les deux, montaient sans bruit sur un trône invisible et commençaient, insensiblement, de régner : Laurent de Médicis, dit « le Magnifique, » et Julien de Médicis qu’on eût pu appeler, lui aussi, « le penseur. » Dès qu’ils virent paraître celle qu’on appelait « l’étoile de Gênes, » les deux frères furent éblouis, la suivirent d’une admiration qui ne devait cesser qu’à la mort. Elle dura sept ans. Pendant ces sept ans, Simonetta préside à toutes les fêtes que donnent les Médicis, dans leur palais de la Via Larga (aujourd’hui palais Riccardi) dans leurs villas de Careggi, de Fiesole, de Cafaggiuolo ; elle répand sa gaieté dans tous les cœurs. Laurent en est distrait par les affaires de l’État, mais Julien ne la quitte plus. Il est partout où elle est, perdu dans son rêve d’amour, — rêve trop connu, trop public, trop chanté par les poètes, trop symbolisé par les peintres, — et trop peu décrié par les femmes, — pour avoir été autre que platonique. Le mari, Marco Vespucci, apparaît peu dans tout cela, mais qu’importe le mari d’un symbole ?

Là-dessus, se donne la giostra de 1475, une de ces fêtes qui sont pour une génération comme un faisceau lumineux, un épanouissement spontané, un miroir où la nation se reconnaît avec toutes ses réserves de forces, d’art, de richesses, de volonté, — quelque chose comme ce que fut, pour la France de notre temps, l’Exposition de 1889, pour l’Angleterre la revue de Spithead, — un de ces microcosmes éblouissans et disparus, dont les témoins fatiguent les générations qui suivent, en les leur décrivant sans pouvoir leur en montrer le moindre vestige. Cette giostra, ou tournoi, est donnée en l’honneur de la belle Simonetta, au jour anniversaire de son baptême, le 28 janvier 1475. Sur cette triste place Santa Croce, dont le nom n’évêque plus aujourd’hui chez les touristes qu’une idée de tombeaux, on voit Julien de Médicis s’avancer dans la lice avec une bannière où Simonetta est peinte en Pallas casquée et soulignée de ces mots écrits en français : La sans pareille. Il y triomphe naturellement, les Florentins étant experts à bien ordonner toute fête, et Simonetta le couronne, de ses mains, aux applaudissemens de tout un peuple, — un peuple échafaudé sur les marches de la vieille église franciscaine, tassé dans les tribunes en planches, serré dans les fenêtres en encorbellement d’où pendent de longs tapis. Florence tout entière se mire avec orgueil dans ce couple, parfait exemplaire de l’humanité que son effort vers le Beau a produite.

A partir de cette heure, l’amour platonique des deux héros ne pouvait plus grandir ni se fixer que dans la mort. Les destinées qui avaient si bien composé ces deux vies, comme une œuvre d’art, n’y manquèrent pas. Un an après, en avril 1476, Simonetta mourait de phtisie. Deux ans plus tard, presque jour pour jour, le 26 avril 1478, Julien tombait frappé par les gens des Pazzi, dans le chœur de Sainte-Marie des Fleurs. Les deux amoureux entraient dans l’histoire, comme Lorenzo Tornabuoni et Giovanna devaient plus tard y entrer : par la porte étroite de ceux qui sont aimés des Dieux.

Cette arrivée de Gênes, cette passion d’un jeune prince promis à une fin tragique, cette giostra, ce triomphe : voilà tout ce que nous savons de la belle Simonetta. Le reste n’est que peinture et psychologie, mais quelle peinture ! Le type de Botticelli indéfiniment repris, raffiné, idéalisé ; le type de la Primavera et de la Naissance de Vénus, — la Naissance de Vénus étant, si l’on veut, son arrivée de Gênes, la Primavera étant son triomphe à la fête du printemps… Et quelle psychologie ! Celle de la Reine-née, — je veux dire d’une femme qui a le premier don d’une Reine : être la lumière de tous, n’être une ombre pour personne, entraîner les cœurs de tous les hommes sans être jalousée d’aucune femme, donner à chacun l’illusion qu’on ne voit que lui, sans qu’aucun autre se croie oublié ; — une beauté, dont le triomphe dans un tournoi était une joie publique, dont la mort, en pleine jeunesse, devait être un deuil national, pleurée de tous, — hors peut-être de son mari qui se remaria tôt après, — laissant un trait si profondément pénétré dans les cœurs, que trente-quatre ans après sa mort, son peintre Botticelli, encore fidèle, demandait à être enterré à ses pieds… « Parmi ses autres dons excellens, écrivait Politien, elle a des manières si douces et si attrayantes que tous ceux qui sont quelque peu dans son intimité, ou à qui elle accorde la plus légère attention, se croient les uniques objets de son affection. Cependant aucune femme, en réalité, n’est jalouse d’elle, toutes la louent sans restriction. Cela semble aussi une chose extraordinaire que tant d’hommes puissent l’aimer à en perdre la tête, sans exciter de jalousie… » Voilà le témoignage de ceux qui écrivent.

Maintenant, le diagnostic de ceux qui peignent. Arrêtons-nous devant le portrait de Chantilly, par une bonne lumière, c’est-à-dire à la fin de l’après-midi, tandis que les ombres commencent à s’allonger sur la piste et que les meutes, en promenade, foulent silencieusement l’herbe courte. Regardons ce profil découpé sur un nuage verdâtre et violâtre, ce nez retroussé, qui hume les feuillages, cette bouche qui goûte l’air, ce long cou dressé comme une tige qui cherche à s’orienter dans le ciel. Ecartons ce qui n’est pas de la femme même, mais du temps et de la mode : ces tresses et ces joyaux jetés en arrière, — un combat de serpens dans des chaînes de perles, — ces rubis qui pendent comme des cerises, cette « brocchetta da testa » fixée sur le sommet du crâne, en paratonnerre, toute cette apothéose de la fantaisie. Quel est le trait décisif de cette physionomie, le trait de dissemblance qui tranche sur cent autres portraits du même temps ? C’est le regard, c’est la paupière, imperceptiblement trop soulevée, et l’œil regardant un peu plus haut que sa ligne d’horizon, c’est le regard qui nous frapperait au front, au lieu de nous frapper aux yeux : — ce qui, combiné avec une bouche souriante, donne toujours à une figure l’expression de l’émerveillement.

Dès lors, la « chose extraordinaire » dont s’étonne Politien s’explique. Car le secret des sympathies populaires est bien simple : nous aimons ceux qui aiment la vie, la femme qui nous dit : Voyez comme la vie est belle ! et qui nous le prouve en étant belle elle-même ; qui, d’ailleurs, admire les autres femmes parce que son bonheur est de s’émerveiller ; qui découvre, sans cesse étonnée et ravie, les couleurs, les sons, les rythmes, les souffles, les parfums, les gestes et les âmes, comme si elle les voyait pour la première fois et, par-là, les renouvelle à nos yeux ; qui propage, parmi les blasés et les fatigués, la contagion de l’enthousiasme et les gagne à la cause sacrée de la vie : — le contraire de la « femme fatale » qui n’est jamais aimée que d’un ou de quelques-uns et pour leur perte, la femme providentielle qui est aimée de tous, et pour leur salut.

C’est autre chose que le vice ; c’est autre chose que la vertu, indépendant de l’une comme de l’autre ; cela répond à Un tout autre sentiment que l’admiration ou que le désir : au besoin de croire en la beauté de ce monde, malgré toutes les raisons qu’on a d’en douter. Les pessimistes sont souvent des héros, parfois des saints ; ils peuvent être des bienfaiteurs pratiques et matériels de l’humanité : les optimistes, seuls, sont populaires ; seuls, ils sont universellement aimés. Et de la popularité d’un être humain, lorsqu’elle nous est attestée par l’histoire, nous pouvons conclure hardiment à son optimisme.

Telle nous apparaît Simonetta, figure surprise et ravie de se trouver sur la terre, heureuse du bonheur des autres, organisatrice de leurs plaisirs, inspiratrice de fêtes, d’images et d’œuvres par l’émerveillement qu’elle y prenait, jouissant pleinement de la vie, de cette vie prompte qu’elle sentait peut-être lui échapper, entassant sensations, notions, souvenirs dans le cadre étroit de sa destinée, comme on entasse des choses précieuses dans un coffre, au moment du départ, — réceptive au plus haut degré, pressée de tout voir en ce monde avant de le quitter…

Il suffit de regarder les figures qu’on peignait d’après elle, à cette époque, pour le deviner : la mort est proche. De portraits authentiques, hors celui de Chantilly, nous n’en connaissons pas, mais nous savons que Botticelli n’a jamais peint qu’elle. Ses Vierges, ses Vénus, ses allégories, c’est elle. C’est elle, cette figure au menton pointu, aux pommettes saillantes, aux yeux agrandis par la fièvre, dont Taine a dit : « Elle nous promet l’infini et elle n’est pas sûre de vivre… » C’est elle, cette Vénus malade qu’on voit au milieu de la Primavera et qui s’enveloppe d’un manteau pour ne pas prendre froid, parmi les Grâces, vêtues de gazes et de cristal. Souvent les peintres sont des prophètes. Un portrait est un diagnostic. Combien de fois, durant les longues heures de pose, le portraitiste, en scrutant son modèle, n’a-t-il pas vu s’approcher ce que ni la famille, ni les amis ne soupçonnaient encore ! Combien de fois s’est-il dit tout bas, à mesure qu’il atteignait la ressemblance : « Elle est perdue ! »

En avril 1476, apparut à tous l’usure de cette nature ardente. Une fièvre intermittente se déclara. On soupçonna la phtisie. Les Vespucci, pris de peur, emmenèrent la malade à la grande purificatrice d’alors, à la mer. On l’installa à Piombino, en face de l’île d’Elbe, là où Julien de Médicis avait fait une cure et s’était guéri d’une blessure. Sa mère accourait de Gênes. Les deux Médicis, retenus par les affaires de l’État, l’un à Florence, l’autre à Pise, se faisaient expédier, jour par jour, des courriers pour suivre les phases de la maladie, ou les lueurs d’espoir. On a encore les lettres qu’ils recevaient, de Piero Vespucci, le beau-frère de Simonetta, et l’on y voit la place que la nymphe tenait dans la vie de tous. Le 18 avril 1476, il écrit : « Simonetta est presque dans le même état où vous l’avez laissée, mais il y a un peu d’amélioration. Nous attendons et maître Stefano et tout autre médecin avec diligence, et nous ferons aussi vite que possible… » Le 20 avril : « La maladie de Simonetta, par l’aide de Dieu et grâce à l’habileté de maître Stefano, s’est considérablement améliorée. Il y a moins de fièvre et moins de faiblesse, moins de difficulté à respirer, et elle mange et dort mieux. Selon les médecins, sa maladie sera de longue durée, et il n’y a que peu de remèdes, sinon les bons soins. Et voyant que ce progrès vous est dû, nous tous et sa mère, qui est à Piombino, nous vous envoyons, avec ferveur, nos remerciemens… » Six jours après : « Je vous ai écrit, il y a quelques jours, le mieux survenu dans l’état de Simonetta ; malheureusement, il n’a pas continué comme je l’attendais et comme nous le désirions. Ce soir, maître Stefano et maître Moyse ont eu ensemble une consultation au sujet de la médecine à lui donner ; ils ont décidé qu’elle devait la prendre et ainsi fut fait. Nous ne pouvons dire quel bien cela fera, mais que Dieu exauce nos désirs !… Ces médecins ne sont pas d’accord sur les causes de la maladie. Maître Stefano a déclaré que ce n’était ni une fièvre hectique, ni de la consomption, et maître Moyse a soutenu le contraire… » Enfin, quelques jours après, Laurent le Magnifique, étant à Pise, reçoit la nouvelle redoutée : « Lame bénie de Simonetta est allée en paradis, lui écrit un de ses familiers. En vérité, on peut dire que ç’a été un second Triomphe de la Mort, car vraiment si vous l’aviez vue, comme elle gisait morte, vous l’auriez trouvée aussi belle et aussi gracieuse que vivante. Requiescat in pace ! »

C’est alors que se place le premier acte de ce culte qui ne devait pas finir. Au reçu de la nouvelle, Laurent sortit dans la nuit calme de printemps pour errer, çà et là, avec un ami, et, comme ils s’entretenaient de la morte, tout d’un coup il s’arrêta pour regarder une étoile qui ne lui avait jamais paru jusque-là si brillante. « Vois, s’écria-t-il, c’est l’âme de cette délicieuse femme ! Ou bien elle s’est changée en cette étoile nouvelle, ou bien elle s’y est jointe… » Et un autre soir du même printemps, comme il passait par les jardins d’une de ses villas, il observa un tournesol qui « le soir demeure la face tournée vers l’horizon occidental qui est celui qui lui a dérobé la vision du soleil jusqu’à ce que, au matin, le soleil reparaisse à l’Orient… » et il vit là une « image de notre destinée, quand nous venons à perdre un être que nous aimons, laquelle est de demeurer avec toutes nos pensées tournées vers la dernière impression de la vision perdue… »

Chose curieuse, cette impression dure encore. Morte depuis quatre siècles et demi, la belle Simonetta halluciné les critiques, affole les historiens, donne un semblant d’imagination aux chartistes… Ils croient la voir paraître et disparaître dans les vieux cadres des portraits, comme une figure aimée à toutes les fenêtres, ou entre tous les fûts d’une forêt, à tous les coins de fresque, à l’angle de toutes les chapelles, à demi enfumée par les cierges, à tous les recoins obscurs, à demi effacée par le plâtre de la vieille ville des lys et dans tous les musées du monde ! .. Toutes les fois qu’ils voient une figure de Botticelli, dont ils ne savent pas le nom, ils s’écrient : C’est elle ! c’est la belle Simonetta ! Ils croient la voir : tantôt présidant à la danse des grâces et à la distribution des roses, tantôt poussée par les zéphyrs joufflus vers le rivage où l’attend une nymphe pour la revêtir d’un peignoir à fleurs que ballonne le vent, tantôt levant le doigt vers le ciel, attestant les dieux de l’injustice commise sur ce malheureux Apelles que des furies traînent par les cheveux. Ils disent, devant la Primavera : « C’est celle-ci qui a des fleurs plein la bouche… » — « Non pas, la voilà drapée et bénissante, l’air triste comme dans sa dernière maladie… » — « Non, c’est celle qui s’avance en robe fleurie, semant des roses ! » Fuis un critique finit toujours par venir, qui leur dit : « Vous vous êtes tous trompés ! L’attribution est absurde, l’identification impossible, la belle Simonetta est perdue : vous ne la reverrez plus… » Mais ils ont été heureux un instant.

Et l’instant d’après, ils recommencent. Quand on est à la National Gallery, on s’essaie à déchiffrer un jeu singulier que joue dans un vallon une jeune femme, en tenue de tennis, sur un gazon semé de fleurs ouvertes et de flèches cassées. Elle repoussé de la main gauche avec son bouclier, bosselé comme une carapace de tortue, les traits d’un bel Amour aux jambes fines, aux bras nerveux, tandis qu’elle lève haut la main droite pour jeter sur lui, en manière de lasso, une espèce de chapelet. Et l’on dit encore : « C’est elle ! C’est la Chasteté, sous les traits de Simonetta, qui lutte avec l’Amour sous les traits de Julien de Médicis… » Et, dans la salle à côté, devant une Vénus étendue regardant dormir Mars, que des faunins lutinent, en lui soufflant des airs de conque à l’oreille, les amoureux de Simonetta chuchotent : « Ne serait-ce pas elle ? » Ils croient la voir à Pitti, aux Uffizi, à Francfort, à Berlin, car « le désir est le père de la pensée… » L’hallucination est si forte qu’ils sont allés la reconnaître jusque dans une longue figure chevaline, au cou de girafe et aux bandeaux « à la Botticelli, » qui est au Pitti, — l’antipode mathématique de notre frimousse de Chantilly. Enfin, à l’église des Ognissanti, à Florence, lorsque, devant l’autel des Vespucci, le sacristain soulève, du bout d’un roseau circonspect, la courtine rouge qui cache la fresque de Ghirlandajo, dite la Vierge de la Miséricorde, qui est cette jeune femme au front nu vis-à-vis du jeune Amerigo Vespucci ? N’est-ce pas sa cousine ? N’est-ce pas Simonetta ? Ainsi, morte depuis quatre siècles et demi, elle vit encore, parmi nous, de la vie multiple et incertaine des apparitions…

La plus belle, tout le monde la connaît : elle est à l’Académie, à Florence, sur la place Saint-Marc. L’Europe entière a défilé devant la Primavera, des centaines de gens l’ont copiée ; personne n’y a jamais rien compris. Les innombrables gloses dont on l’a chargée ne l’ont pas rendue plus raisonnable. Elle est absurde comme autrefois, absurde à plaisir, absurde sans espoir, sans excuse, sans fin. Elle nous arrive droit dessus, revêtue de cette ridicule gandoura où sont collées des touffes de fleurs tirées telles quelles de terre, et bordée d’une dentelle de papier qui se rebrousse, le cou encerclé d’une couronne de distribution de prix trop large et les manches en écailles de poisson. Elle jette des fleurs qu’elle semble arracher aux broderies de sa robe. Elle en jette à foison sur le gazon qui n’en a nul besoin, étant déjà fleuri à ne pouvoir mettre le pied. Et, légère, ailée, elle est délicieuse…

A côté d’elle, une grosse fille, qui mange du foin, se retourne en fuyant devant une sorte de noyé vert et gonflé qui sort d’un arbre pour lui souffler dans le cou. Et le vent chasse ses cheveux comme des flammes… Plus loin, les longs corps nus de trois blondes phtisiques s’étirent longuement sous les toiles d’araignée qui les vêtent, en une danse qui fait qu’elles touchent terre par le bout des pieds et se tiennent en l’air par le bout des doigts. Un jeune homme leur tourne le dos et gaule des oranges avec sa canne. Qui est-ce ? A voir le coupe-choux pendu à son côté, et son allure à demi militaire, on soupçonne le gardien du square. Mais, il paraît que ce jeune homme est Mercure, que cette canne est un caducée et qu’il dissipe les nuages… C’est bien possible, car tout est possible dans cette étonnante rencontre et rien n’est probable. On dit aussi que c’est Julien de Médicis et voilà une singulière tenue pour le père d’un pape ! Enfin, au milieu de tout ce monde dévêtu, une triste et fine femme, chargée d’un lourd manteau, la tête découpée en clair sur un noir buisson de fer, fait un geste hésitant dont on ne pourrait dire s’il bénit ou s’il proteste. Et par-dessus, ballonne le petit ventre d’un Cupidon qui tire une flèche au jugé, car il a les yeux bandés et va manquer tout le monde.

Nous seuls serons touchés : — touchés par la grâce de cette fantaisie, et nous ne lui demanderons rien de plus que la joie toute sensorielle qu’elle apporte au monde depuis quatre cent trente ans ! Nous ne chargerons pas ces figures légères de l’épais embu des commentaires. D’ailleurs, Botticelli défie l’exégèse. A-t-il voulu peindre ceci ? A-t-il voulu signifier cela ? Ses figures sont-elles des portraits ? Ses portraits sont-ils des allégories ? Ses allégories sont-elles les illustrations d’un poète ? Peut-être que oui, peut-être que non, et peut-être que oui et non tout ensemble ? Les savans sont des gens très exigeans : il leur faut des choses logiques, mais les pauvres artistes comme Botticelli se contentent de nous donner des choses belles.

Il a pu créer cette figure du Printemps par mille voies différentes. Il a pu commencer par une allégorie, et finir par un portrait. Il a pu tracer une étude d’après un modèle et transformer ensuite ce portrait en une allégorie. Il a pu tout simplement reproduire une fête, un bal costumé, donné par Simonetta… Qui peut dire ce qui se passe dans le cerveau d’un artiste, dans le mystère de la création, de la composition ? Quel étrange abus de mots, quelle présomption inouïe n’y a-t-il pas dans ce seul terme d’« identification, » quand l’auteur lui-même serait peut-être fort embarrassé de faire le départ de ce qu’il a vu, de ce qu’il a rêvé, de ce qu’il atteint sans le poursuivre, de ce qu’il a poursuivi sans l’atteindre, de ce qu’il a voulu, de ce qu’il a subi ! S’il était là et si nous l’accablions des questions dont on charge son œuvre, peut-être qu’il s’écrierait, les mains au ciel : Est-ce que je sais, moi !

Au fond, de tous ces portraits, vrais ou supposés, de toutes ces figures que s’acharnent à identifier les savans, il n’en est qu’une qui ait exactement la même construction que notre profil de Chantilly, et ce n’est pas un chef-d’œuvre. C’est la figure de l’Abondance peinte dans le coin droit de la chambre de sainte Elisabeth, à Santa Maria Novella. Cette figure est malheureusement mal dessinée et peu digne de Ghirlandajo. Elle n’est même pas très originale. Elle répète de profil une figure identique de Pollajuolo qu’on peut voir au petit musée du Dôme, dans le Paliotto d’argento. Mais comme elle est évocatrice ! Elle arrive en coup de vent dans la chambre d’Elisabeth, portant sur la tête un plateau gonflé de fruits comme un chapeau monumental qui serait fait d’une tourte, de raisins et de grenades entr’ouvertes, suivie par une écharpe liberty que le vent enfle en anse de panier, laissant pendre au bout de son bras gauche deux fiaschi ceints de cordes, la taille coupée par un gros pli bouffant, vêtue à la grecque, en couleurs claires. Du train dont elle va, elle aura traversé toute la fresque avant que la belle dame compassée qui la précède soit arrivée au lit de l’accouchée.

Si ce n’est pas Simonetta, c’est son symbole. Ainsi elle a traversé la vie. L’entrée de cette allégorie folle, incorrecte, prestigieuse dans cette scène grave et domestique que jouent les bonnes dames florentines du XVe siècle, c’est l’arrivée même de la Renaissance. Toutes les autres figures sont vraies, en des costumes de leur temps, font les gestes exacts, mesurés, utiles, de la servante qui apporte la collation à sa maîtresse, de la nourrice qui donne le sein au bébé, de la bonne qui lui tend les bras pour l’attirer à elle, de la visiteuse en cérémonie qui apporte ses complimens. Simonetta précipite dans tout cela un costume de fantaisie, une action incompréhensible, une exubérance inutile. Elle détonne, elle étonne, elle rajeunit. On sent que son arrivée va tout bouleverser dans cette chambre avec un souffle nouveau qui fait flotter les idées et les écharpes. Mous comprenons, dès lors, pourquoi elle fut tant aimée. Elle fut le retour de la fantaisie dans le monde.


III. — A SANTA MARIA NOVELLA. — LUCREZIA DE MEDICIS[3]

Ne quittons pas ce chœur de Santa Maria Novella sans regarder pour qui et vers qui se précipite Simonetta, c’est-à-dire la sainte Elisabeth assise sur son lit dans la chambre d’un palais du XVe siècle, avec un voile blanc sur la tête. Car voici une troisième figure de femme bien caractéristique des Florentines de ce temps. Cette dame mûre n’est autre que la mère des deux amans platoniques de Simonetta, Laurent et Julien de Médicis : c’est Lucrezia Tornabuoni, femme de Piero de Médicis, ou Pierre le Goutteux. La trouver ici, transformée en sainte Elisabeth, ne doit pas nous surprendre. De même que l’histoire de la république florentine n’est que l’histoire de quelques grandes familles : les Albizzi, les Tornabuoni, les Bardi, les Médicis, les Vespucci, les Pazzi, les Acciajuoli, projetée sur un fond de démocratie et d’émeutes, de même l’histoire sainte, à Florence, n’est que l’histoire de ces mêmes familles projetée sur le plan divin. La tournée de visites que fait Giovanna Tornabuoni, en grande toilette, se continue à la suite de sainte Elisabeth, vers la sainte Vierge. Laurent de Médicis (au Palais Riccardi), se promenant à cheval, est pris on ne sait comment dans le cortège des rois mages. Et Lorenzo Tornabuoni, étant venu à l’église, assiste, sans s’y intéresser le moins du monde, aux affronts qu’on fait à ce pauvre saint Joachim. Ces messieurs et ces dames sont entourés de saints, d’apôtres, de prophètes, qu’ils veulent bien recevoir dans leurs palais, comme des cliens célestes, mais on sent, à la forte caractérisation de leurs traits et à l’éclat de leurs costumes, que le vrai sujet du tableau, ce sont ceux qui le paient : ce sont les donateurs.

Or, ici, le donateur, c’est Giovanni Tornabuoni, c’est-à-dire le chef de la maison de banque des Médicis à Rome, le trésorier de Sixte IV, le financier artiste et lettré du XVe siècle. C’est lui qui a commandé la décoration du chœur de Santa Maria Novella à Ghirlandajo, et Ghirlandajo s’y est employé pendant quatre ans, de 1486 à 1490. Le vrai su jet de la fresque, c’est donc la famille des Tornabuoni. Ils prennent les meilleures places. On y trouve d’abord Giovanni Tornabuoni, puis sa femme (à droite et à gauche de la fenêtre), puis son fils Lorenzo Tornabuoni, puis la femme de son fils, la belle Giovanna. Il est naturel qu’on y trouve aussi sa sœur Lucrezia, mariée à Piero de Médicis ou Pierre le Goutteux. Et il est naturel qu’on la trouve en sainte Elisabeth, parce que cette femme pieuse et lettrée a voué son fils à saint Jean-Baptiste, patron de Florence, qu’elle a traduit la vie de ce saint en ottava rima.

Elle est vue ici, dans une des principales manifestations mondaines d’une Italienne au XVe siècle : l’accouchée recevant des visites, et si l’on regarde bien sa physionomie au moment où la servante lui apporte sa collation sur un plateau et où les visiteuses s’avancent en grande toilette, toutes chargées de complimens et de perles, on reconnaît bien la femme que nous peignent les lettres de Lucrezia de Médicis. Ce pourrait être une autre matrone : Alessandra Machingi, par exemple, ou Isabella Sacchetti Guicciardini, mais c’est assurément une matrone de ce temps. Et tout fait croire que nous sommes en présence de la plus notable, celle qu’on appelait : « la Reine de Florence. »

Belle-fille du vieux Cosme, mère de Laurent le Magnifique et de Julien l’Assassiné et grand’mère de deux papes, Lucrezia de Médicis se tient dans l’histoire de Florence comme la Laetitia Ramolino de David dans la loge du Couronnement : attentive, puissante, effacée. Ce serait une curieuse étude à faire que celle des mères des grands hommes. Je crois qu’on leur trouverait à toutes un trait commun, et que ce trait serait une indéfectible constance. Malheureusement, c’est des enfans des grands hommes que s’occupe l’histoire bien plus que de leurs parens, et ainsi les causes de dégénérescence familiale nous sont beaucoup mieux connues que les causes d’ascension physiologique et morale. Pourtant, il faut faire une exception pour l’Italie du XVe et du XVIe siècle. Là, il arrive souvent que le rayon de lumière qui éclaire les grandes fresques de l’histoire, tombe aussi sur le coin où se tiennent les mères des hommes célèbres, ces veuves tragiques et indomptables qui ont ramassé et recollé les morceaux d’une fortune brisée. On a souvent leur portrait, leurs lettres à leurs enfans, leurs comptes avec leurs fermiers, leurs inventaires, mille petites touches infimes qui, une fois rassemblées, composent une ressemblance humaine. A Florence, ou autour de Florence, on trouverait beaucoup de femmes qui offrent ce caractère de constance avec une âpreté parfois farouche : Isabella Sacchetti Guicciardini, la mère de l’ambassadeur, Alessandra Machingi, la mère de Filippo Strozzi, Maria Salviati, la mère de Cosimo I, ou encore Catherine Sforza, la mère de ce Jean des Bandes noires, dont la médaille par San Gallo évêque invinciblement le profil de Napoléon ; mais la plus représentative de toutes est cette femme austère que nous voyons ici, assise sur son lit, recevant ses visites, gouvernant tout de son regard.

C’est une Tornabuoni, elle a épousé toute jeune le fils de Cosme, le Père de la Patrie. Son beau-père est un homme de génie, un solide vieillard, mais son mari n’est qu’un malade assez rusé, peu capable de volonté, et, quand il veut, d’action. Ce mari saura-t-il succéder à son père dans le gouvernement de Florence, et léguera-t-il à ses fils le pouvoir suprême ? Du vieillard qui s’éteint à ces enfans qui jouent encore, s’il n’y avait que ce malade pour transmettre le sceptre, l’histoire des Médicis serait close, et l’histoire même de notre France changée. Mais il y a aussi cette femme. Il y a Lucrezia de Médicis. Pendant seize ans, elle tient l’emploi bizarre de régente dans une république. Femme d’une sorte de président, capo della republica, toujours vacillant, mère de deux candidats à cette présidence ; elle fait une sorte d’interrègne. De la mort du vieux Cosme à la majorité de son fils Laurent, ce sont ses fortes mains qui retiennent le pouvoir. Son mari règne, elle gouverne, et à la mort de son mari, dans la nuit qui suit les obsèques, si les chefs de la Cité décident de remettre le pouvoir à ses fils, c’est parce qu’elle est à côté d’eux. « Elle est l’homme de la famille, » disait le vieux Cosme. Et tout cela, elle l’est sans bruit, sans faste, sans titre officiel, à peine visible, et, — comme dans cette fresque même, — toujours au second plan.

Ce second plan, il est facile à une femme de s’y tenir, quand il s’agit de ces tableaux de la grande histoire où combattent les hommes, et l’on a vu, maintes fois, des reines descendre les degrés du trône avec une grâce incomparable. Il lui est bien plus malaisé de s’y résoudre quand il s’agit de ces tableautins domestiques, de ces scènes de genre qui composent ce qu’on appelle la « vie de famille. » C’est là que Lucrezia de Médicis est d’une modestie admirable. Elle conseille son mari, elle attache des cliens à la cause des Médicis, elle choisit une femme pour son fils ; mais dans toutes ces œuvres ménagères, elle demeure aussi déférente vis-à-vis du chef de la famille qu’active et décidée. On a, d’elle, des lettres qui nous redessinent la physionomie aperçue à Santa Maria Novella, sans y changer un seul trait. Lisez ceci qu’elle écrit de Rome à son mari, en mars 1467 :

« Jeudi matin, comme j’allais à Saint-Pierre, j’ai rencontré Mme Madeleine Orsini, la sœur du cardinal, ayant avec elle sa fille âgée de quinze ou de seize ans. Celle-ci était habillée à la romaine, avec un grand voile blanc, un lenzuolo, et elle m’a paru, dans cette toilette, très belle, blanche et grande ; mais comme elle était toute couverte par ce voile, je n’ai pu la voir à mon aise. Le hasard a fait qu’hier, j’allais rendre visite audit Mgr Orsini, lequel était dans la maison de sa sœur déjà nommée, laquelle maison communique avec la sienne propre. Quand j’eus fais de ta part la visite nécessaire à Sa Seigneurie, sont survenues sa sœur et la fille de sa sœur, qui était en robe serrée à la romaine et sans lenznolo. Nous sommes restées un long temps à discourir, et j’ai pu bien examiner la jeune fille. Comme je l’ai dit, elle est d’une taille convenable et blanche et de très bonnes manières, quoiqu’elle ne soit pas si agréable que nos filles, mais elle est d’une grande modestie et facile à former promptement à nos us et coutumes. Elle n’est pas blonde, car il n’y a pas de blondes ici, mais ses cheveux tirent sur le rouge et elle en a beaucoup. Son visage est un peu rond, mais il ne me déplaît pas. Son cou est agréablement long, mais me semble un peu frêle ou, pour mieux dire, mignon. Nous ne pouvions pas voir sa poitrine, parce que c’est la coutume ici de la cacher, mais elle semble bien faite. Elle ne porte pas la tête haute, comme nos filles, mais un peu inclinée, ce que j’attribue à ce qu’elle est timide. En elle, je ne vois aucun défaut, sinon son attitude embarrassée. Sa main est longue et fine, et, tout compte fait, nous jugeons la jeune fille bien au-dessus de la moyenne, quoiqu’elle ne puisse pas être comparée à notre Maria, notre Lucrezia, ou notre Bianca. Lorenzo l’a vue lui-même et combien il en est satisfait, tu pourras le lui entendre dire. Je jugerai que tout ce que, toi et lui, vous déciderez sera bien fait et je m’y rallierai. Que Dieu nous inspire le meilleur parti à prendre !… Ta Lucrezia. »

Lorsque cette fille « timide, » et qu’on devait aisément former aux us et coutumes des Médicis, fut dûment épousée en grande pompe, elle releva ce front baissé et fit apparaître le profil volontaire, arrogant et têtu que nous voyons sur la médaille de Bertoldo ; mais sa belle-mère, par un prodige de sagesse et de volonté, sut disparaître au second plan. De loin, effacée, elle continua de gouverner sa famille, mais comme elle avait su gouverner Florence, sans se montrer. Elle se dévoue à ses petits-enfans. Elle leur récite les Laudes qu’elle a composées jadis, durant les longues veillées de la via Larga ou de Cafaggiuolo, et l’Histoire sainte qu’elle a mise en vers.

Lorsque son fils Julien, sur qui elle a tant veillé, tombe frappé à mort dans le chœur de Sainte-Marie des Fleurs, le 26 avril 1478, elle ne se croit pas encore quitte envers lui : elle recherche l’enfant naturel qu’il a pu laisser et prend soin de cet enfant de l’amour, qui devait être le pape Clément VII. Comme, avec cela, elle éduque son petit-fils Giovanni, fils de Laurent, et qui deviendra plus tard Léon X, ce sont deux futurs papes qu’elle fait sauter sur ses genoux… La tragédie des Pazzi ne lui donne pas un moment de désespoir. Elle ne recule devant aucun devoir, sèche ses larmes, se remet à la tâche, reportant sur les jeunes générations les espoirs brisés, ayant les yeux fixés sur l’avenir de sa famille autant que sur le passé, venant pleurer à Santa Maria Novella, devant l’autel érigé pour son fils l’assassiné. Elle réapparaît au chevet de sa belle-fille en danger et préside à ses couches. Elle est partout où l’on croit sa présence nécessaire, nulle part où on la croit inutile. Elle prie et elle agit, digne en tous points que le grand homme d’État que fut Laurent de Médicis, dise d’elle à sa mort, en 1482 : « J’ai perdu non seulement ma mère, mais mon unique refuge dans mes nombreuses peines, et mon réconfort dans beaucoup de labeurs… »

Est-ce bien elle que nous voyons, ici, un peu au-dessus de Giovanna qu’épousa son neveu Lorenzo Tornabuoni, et tout près de la belle Simonetta qu’aima son fils ? Est-ce bien son apparence que Ghirlandajo a choisie pour figurer cette sainte Elisabeth à qui elle pensa si souvent quand elle écrivit la vie de saint Jean-Baptiste ? Rien ne le prouve, mais tout le fait croire. Dans cette fresque commandée par son frère le banquier Tornabuoni et peinte à la gloire des Tornabuoni, elle occupe exactement la place que lui assigne son rôle dans la grande famille. Il n’est pas un trait de sa physionomie morale qui ne se superpose exactement à ce portrait. Nous croyons donc que nous avons vu « la reine de Florence. » Et tandis que l’ombre du soir enveloppe le chœur de Santa Maria Novella, nous emportons, jointes dans notre souvenir, comme il semble bien qu’elles le soient dans cette fresque, ces trois apparitions : Simonetta Vespucci, Giovanna Tornabuoni et Lucrezia de Médicis, — c’est-à-dire l’étrangère que les Florentins virent entrer chez eux comme le symbole de la Renaissance et les deux Florentines les plus pures qu’annoncèrent jamais au monde fèves blanches en tombant dans la boîte du Baptistère…


ROBERT DE LA SIZERANNE.

  1. Portraits de Giovanna degli Albizzi, épouse de Lorenzo de’ Tornabuoni. Authentiques : les deux médailles de bronze de Niccolo Florentino, au Bargello, l’une, n° 106, portant en exergue ces mots Ioanna Albiza uxor Laurentii de Tornabonis, — et au revers les trois Grâces avec ces mots : Castitas — Pulchritudo — Amor ; l’autre, n° 107, semblable, quant à la face et portant au revers une Diane chasseresse avec ces mots : Virginis os habitumque gerens et virginis arma. Portraits présumés avec ressemblance : 1° la figure de femme de profil gauche, sur bois, dite Giovanna degli Albizzi par Ghirlandajo, autrefois au palais Pandolfini à Florence, aujourd’hui à la collection Pierpont-Morgan ; 2° la figure en pied, de profil gauche, en grande toilette du XVe siècle, à la suite de sainte Elisabeth, « dans la Visitation, fresque du chœur de Santa Maria Novella, par Ghirlandajo ; 3° le buste de terre cuite intitulé Giovanna Tornabuoni et attribué à l’école de Léonard, collection Gustave Dreyfus. Portrait présumé, selon toute vraisemblance, mais sans ressemblance avec les précédens : la figure de femme seule en face d’un groupe de femmes et leur tendant un mouchoir, de la fresque de la villa Lemmi, par Botticelli, aujourd’hui au Louvre, escalier Daru. Portrait présumé : la Vierge du bas-relief de marbre, la Vierge et l’enfant de Verrocchio, autrefois à l’hôpital Santa Maria Nuova, aujourd’hui au Bargello, à Florence.
  2. Portraits de Simonetta dei Cattanei, épouse de Marco de’ Vespucci, dite la Bella Simonetta.
    Authentique : le portrait de femme de profil peint sur bois, hauteur 0, 57, largeur 0, 42 dans la salle dite la Tribune à Chantilly, attribué à Pollajuolo. Présumés avec ressemblance : 1o la figure dite de l’Abondance, au coin de la Naissance de saint Jean-Baptiste, dans le chœur de Santa Maria Novella à Florence, et attribuée à Ghirlandajo ; 2o la figure dite de Vénus dans la Primavera de Botticelli, à l’Académie, à Florence ; 3o celle de Vénus dans le tableau dit de Mars et Vénus de Botticelli, à la National Gallery ; 4o celle de Vénus, dans la Naissance de Vénus, de Botticelli, aux Uffizi. Présumés sans aucune ressemblance : 1o le portrait de la Della Simonetta, attribué à Botticelli, au musée de Berlin ; 2o la figure de profil, dite portrait d’une femme et attribuée à Botticelli, au Staedel Institut, à Francfort ; 3o la Bella Simonetta du palais Pitti, attribuée à Botticelli, puis à l’inconnu, dit Amico di Sandro ; 4o la figure de la Chasteté, dans le Combat de l’Amour et de la Chasteté, à la National Gallery ; 5o celle de Procris dans la Mort de Procris, de Piero di Cosimo, à la National Gallery ; 6o la seule figure de jeune femme dont les cheveux soient visibles, représentée à genoux auprès de la Vierge de la Miséricorde, fresque de Ghirlandajo, au-dessus de l’autel ou « chapelle » des Vespucci, à l’église des Ognissanti, à Florence.
  3. Portraits de Camilla Lucrezia Tornabuoni, épouse de Piero de Médicis, dit Pierre le Goutteux :
    Portrait présumé avec vraisemblance : la sainte Elisabeth dans les fresques de Ghirlandajo, au chœur de Santa Maria Novella, à Florence, notamment la sainte Elisabeth, au lit, dans la Naissance de saint Jean-Baptiste.
    Portrait présumé sans vraisemblance : le portrait de Femme inconnue, de face, par Verrocchio, à la galerie Lichtenstein, à Vienne.