Les Mendiants de la mort/09

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Michel-Lévy frères (p. 72-81).

IX

ruine

Une après-midi, Herman de Rocheboise était dans son cabinet, assis devant une table couverte de papiers. Il penchait la tête sur sa main dans une altitude accablée ; son visage était profondément altéré et soucieux. Pasqual se tenait en face de lui ; tous deux examinaient ces papiers couverts de timbres et de chiffres.

Des dépenses excessives avaient rapidement absorbé la fortune laissée par madame de Rocheboise à son mari ; le prix de l’hôtel, les rentes sur l’État avaient été engloutis dans des prodigalités journalières et sans bornes. La ruine, imminente depuis quelque temps, approchait rapidement.

C’était peu de jours après la visite nocturne et ignorée d’Herman dans le pavillon, et lorsque son amour et sa jalousie étaient exaltés au dernier degré. Ces préoccupations douloureuses l’absorbaient entièrement ; il ne pouvait en détacher ses pensées ; et sa plus vive souffrance, dans le désastre qui le menaçait, était de se trouver enchaîné à de longues discussions d’intérêt.

Tantôt il se livrait à ce travail avec une attention forcée qui lui brisait le cerveau, tantôt il rejetait les papiers sur la table avec une violente impatience, et il se promenait à grands pas dans sa chambre.

— Il m’est impossible de m’occuper d’affaires dans la situation d’esprit où je suis, dit-il enfin ; je donnerais la moitié de ma vie pour être délivré de ces choses. Je ne peux pas y penser.

Il le faut pourtant bien, monsieur, répondit froidement Pasqual. Il y a ici plusieurs assignations…

— Et pour des sommes effrayantes.… Mais, mon Dieu, où a donc pu passer tout cet argent !

— Les derniers soupers donnés par monsieur…

— Coûtent un prix fou… je le sais bien… mais encore…

— La maison de mademoiselle Hermance absorbe dix mille francs par mois… sans compter l’argent que mademoiselle me fait demander tous les jours pour des dépenses particulières.

— Que peut-elle en faire ?

— Mon Dieu, cela passe si vite… Jugez des petites choses aux grandes : une fleur de Constantin coûte 150 fr… des gants, des parfums montent souvent au même prix.

— Une fleur, 150 fr… mais cela n’a aucune valeur.

— Demandez la valeur de la plus jolie femme à l’homme qui n’en est pas amoureux, il ne lui en trouvera aucune ; cependant celui qui en est épris fait des folies pour elle. Elle en fait autant pour la fleur qu’il lui plaît d’avoir.

— Ce n’est pas le moment de paroles inutiles, dit Herman en frappant du pied.

— Et quand mademoiselle donne des fêtes, poursuivit Pasqual, vous pouvez penser…

— Des fêtes ! interrompit Herman… Il y a précisément une fête chez elle ce mois-ci, elle est annoncée, et je veux qu’elle ait lieu ; je le veux absolument.

— Alors, monsieur, venez donc vous occuper un instant de vos affaires, puisqu’il faut se débarrasser du tribunal de commerce avant de songer au bal.

Herman revint se placer devant la table.

— Au total, dit-il, nous devons aux divers fournisseurs…

— Cent sept mille cinq cent soixante-deux francs.

— Et il nous reste d’argent comptant ? demanda Herman en indiquant un portefeuille posé sur la table.

— Eh ! mon Dieu ! monsieur le sait bien : vingt-cinq billets de 1,000 fr. déjà comptés vingt fois.

— Au moins, la rente de mon père a-t-elle été exactement payée ?

— Parfaitement, jusqu’au dernier terme… mais celui-là, M. le comte de Rocheboise l’attend encore.

— Comment sortir de là ? dit Herman en se frappant le front… Je ne veux pas emprunter… Oh ! non, pour tout au monde je ne demanderais un sou à personne… On ne verra pas où j’en suis réduit… J’ai tout fait pour être admiré, envié… Pardieu, je ne veux pas qu’on me plaigne…

— On peut pourtant trouver quelques amis discrets.

— Obtenez donc le silence des gens que l’orgueil et la jalousie poussent à parler. Il y a rivalité entre les hommes de luxe et d’opulence, mon cher, comme dans les autres corps ; celui qui a été un instant le plus fort ne pourrait pas plus se taire que le soldat cacher sa croix. Le siècle, en formant l’aristocratie d’argent, lui a donné, à défaut de gloire, la gloriole pour se soutenir.

Pasqual réfléchit quelques minutes, mais en paraissant découragé et à bout de ses ressources. Enfin, passant la main sur son front sans relever la tête, il dit avec une extrême hésitation :

— En désespoir de cause, je vous proposerais bien quelqu’un qui, sous le rapport de la discrétion, ferait parfaitement votre affaire Un homme qui verse de l’argent comme un coffre, et reste aussi muet.

— Eh bien ?

— Mais je ne sais si je dois…

— Seriez-vous sûr de son silence ?

— Oh ! son intérêt même le force à cacher des prêts faits au-dessus du taux légal et d’une manière peu licite…

— Dieu me pardonne ! dit Rocheboise en l’interrompant je crois que vous voudriez m’envoyer chez un usurier.

— Non, en vérité, monsieur, j’aurais fait la commission moi-même.

— Pardieu ! la différence est grande… et j’irai bien ainsi me livrer à un de ces suppôts de ruine… Emprunter d’un usurier, mais c’est comme un pacte avec Satan ; il vous sauve d’un danger pour posséder ensuite votre âme…

— Monsieur parle de fortune à conserver, de ruine à éviter…

— Comme si j’en étais encore là, n’est-ce pas ? Je connais très-bien la situation de mes finances. Je dois quatre fois plus que je n’ai d’argent ; mais il me reste un mobilier, des objets d’art, des équipages dont le prix peut s’évaluer à cent cinquante mille francs. Je veux garder encore mon train de maison cet hiver ; et j’y parviendrai, après avoir fait face aux premières affaires, soit en marchant sur le crédit, si j’en obtiens encore, soit en vendant mon mobilier à un acquéreur qui, pour une diminution de prix, m’en laissera encore la jouissance, la possession apparente, pendant quelques mois Ensuite, avec cette vente, je paierai mes dettes… Et dans ce temps-là, dit Herman en se parlant à lui-même, il me sera doux de vivre de peu, avec le seul bien que je désire… ou il me sera indifférent de ne plus vivre du tout !

— Mais ce n’est pas de l’avenir qu’il s’agit, reprit imperturbablement Pasqual, c’est de demain ; demain il faut payer les créanciers les plus pressés, ou bien…

— Eh ! certes, c’est là tout ce qui m’inquiète.

— Monsieur craint le danger de s’adresser à la personne que je propose ?

— Le dégoût seul d’avoir affaire à de tels gens suffirait pour m’en éloigner.

— Cependant l’argent nous est indispensable, et pour s’en procurer il faut choisir entre les inconvénients.

— Sans doute, je ne veux laisser soupçonner à personne la position critique où je me trouve… Je veux encore moins aller mendier de l’argent auprès de messieurs mes amis… S’il fallait en venir a de pareilles extrémités, j’aimerais encore mieux l’usurier, la Providence de l’enfer… En attendant, je tâcherai fort de m’y soustraire.

— Monsieur a sans doute d’autres resources, dit Pasqual avec une froide indifférence ; j’attends les ordres qu’il voudra me donner pour les mettra en usage.

— Eh bien, oui, monsieur Pasqual ! tandis que vous rêvez à des moyens extrêmes et dangereux, je viens d’en entrevoir un plus près de nous et plus facile… Il y a encore vingt-cinq mille francs dans ce portefeuille ?

— Oui, monsieur.

— Nos principaux marchands, Delisle, Mombro, se contenteront de renouvellements ; il faut faire le sacrifice de l’argent comptant qui nous reste et le répartir en à-comptes parmi les autres fournisseurs… Cela vous regarde, Pasqual ; mesurez la somme offerte à chacun d’eux d’après leurs diverses exigences, et tâchez d’obtenir du temps pour les fins de comptes.

— En effet, monsieur, c’est une démarche qu’on peut tenter.

— Nous resterons alors sans le sou, mais en faisant encore assez bonne contenance pour avoir du crédit quelque temps… Ensuite… oh ! ne parlons plus de cela… ma tête se fend…

— Je vais écrire à vos fournisseurs, dit Pasqual en se levant.

— J’attends votre retour dans ce cabinet. Vous me direz, tout compte fait, ce que vous aurez pu offrir à chaque créancier, et nous en finirons pour ce soir avec ces insupportables affaires.

Herman, demeuré seul, se laisse tomber dans une chaise longue, et le front appuyé dans sa main se livra à ses pensées.

Ses soucis de fortune étaient moins cruels que les angoisses d’un amour repoussé, d’une ardente jalousie. S’il voulait conserver encore quelque temps l’éclat de sa vie de luxe et de plaisir, c’était par les idées troublées, incohérentes d’un amour désespéré. Il voulait se venger de Valentine par les apparences de la liberté d’esprit et du bonheur ; il voulait dans d’autres instants se montrer à elle, égaré, insensé, consumant follement sa fortune et sa vie, prêt à se perdre dans le désordre et la ruine, pour qu’elle eût pitié de lui et revînt lui tendre la main, toujours par cet amour de mère qu’elle avait avoué conserver pour lui.

— Étrange fatalité ! disait Herman en lui-même pendant ce moment de repos qui lui était laissé. J’ai appelé à moi toutes les ivresses pour m’étourdir, pour perdre la raison, le souvenir, et je suis toujours au même point de tristesse et de regrets. Le malheureux qui n’a que sa gourde d’eau-de-vie boit, s’endort et oublie !… moi qui ai absorbé en si peu de temps une fortune entière, je n’ai rien oublié ; j’aime Valentine plus que jamais, je sens plus que jamais qu’elle est nécessaire à ma vie.

« Cette existence de faste, de bruit, de mouvement ne me semble rien qu’un spectacle continuel et fastidieux, où j’assiste sans y être pour rien. Si je regrette encore cette fortune, c’est qu’elle me venait de Valentine, c’est qu’elle était tout ce qui me restait d’elle… l’amour ! toujours l’amour ! je ne sens que lui !…

« Et c’est maintenant, lorsque j’ai bien atteint cette certitude d’être, quoi que je fasse, enchaîné à Valentine, sauvé ou perdu à jamais par ce qu’elle voudra décider de mon sort ; c’est maintenant que je me vois séparé d’elle non seulement par cette indifférence qu’elle m’a si bien montrée, mais peut-être par son amour pour un autre, pour cet homme qui ose hautement lui demander de fuir de la France avec lui, de ne voir et de n’aimer que lui !… En cet instant, Herman cessa presque de penser pour ne sentir qu’une rage jalouse.

La nuit commençait à tomber ; mais, absorbé dans sa douloureuse rêverie, il avait oublié de demander de la lumière.

Il tourna par hasard la tête du côté de sa chambre, où une grande glace était incrustée dans le lambris, et une apparition sombre, étrange s’offrit tout à coup à ses yeux.

Il se dressa de son siège pour la regarder plus attentivement.

Dans la profondeur de la glace, entourée de tentures cramoisies, se peignait un personnage entièrement noir de figure et de vêtements ; cette figure d’ébène détachait nette ses contours dans la limpidité blanchâtre du cristal, rehaussée du reflet chaud et vigoureux des draperies rouges.

Quoique les traits de ce visage fussent indistincts dans l’enfoncement, il semblait voir passer sur cette face ténébreuse un regard errant et un sourire.

Rocheboise se rejeta en arrière, et sans prendre le temps de s’avouer, encore moins de s’expliquer l’effroi que lui causait cette vue, il voulut sortir du cabinet.

À la porte, il se trouva face à face avec une figure semblable à celle de la glace, ou plutôt avec l’original qui jetait son image dans le cristal. Il laissa échapper un cri de surprise et il allait appeler ses gens, quand le premier mot prononcé par le sombre personnage éclaircit pour lui le mystère, et en même temps lui ôta l’envie de rendre personne témoin de la visite qu’il recevait.

— Monsieur avoir pas peur, c’est Jupiter, le bon serviteur à lui qui vient le voir.

À ces mots du nègre, Herman avait fait un mouvement de répulsion en arrière, dont Jupiter avait profité pour avancer, et celui-ci se trouvait ainsi installé dans le cabinet.

— Vous ici ! dit Rocheboise en s’adossant contre son bureau et en regardant le noir avec une violente impatience. Qui vous a permis de venir ?

— Moi demande seulement une audience à bon maître.

— Pas de mots inutiles… Parlez, que voulez-vous ?

— Dix mille francs, dit le nègre, obéissant à cet ordre d’aller droit au but.

— Vous êtes fou… Et de quel droit demandez-vous celle somme ?

— Vous savoir mieux que moi, dit Jupiter avec son rire méchant et silencieux.

— Apparemment non, puisque je le demande.

— Oh ! oh ! mauvaise raison ; monsieur de Rocheboise oublier chose dont lui veut pas se souvenir… Oh ! mauvaise raison !

— Je n’ai rien oublié, dit Herman en frémissant. À mon service, vous étiez devenu incapable de travailler, je vous ai donné de quoi vivre sans rien faire… vous voyez que je me souviens.

— Moi ai bien obéi à monsieur, moi ai vécu sans rien faire… Mais monsieur avoir pas dit a moi combien de temps il fallait vivre avec l’argent, moi ai vécu cinq ans.

— Misérable ! trois mille francs par an !

— Ah ! si bon maître aurait pas voulu que serviteur à lui vécût comme un chien.

— Peut importe ce que vous avez fait… mais maintenant, sortez, ou je vous fais jeter dehors.

— Que non… parce que Jupiter s’en irait chez le procureur du roi, et conterait à lui une histoire… une histoire véritable.

— Malheureux ! s’écria Herman avec trouble et colère, vous seriez le premier puni.

— La prison… moi en avoir pas peur du tout… à preuve que moi viens d’y passer plus d’une année bien gentiment… Sans quoi, vraiment, moi être venu plus tôt voir le bon maître.

On se rappelle que Jupiter, après avoir signalé M. de Rocheboise à ses camarades pour le haut personnage duquel il pourrait tirer une forte contribution en se présentant à sa vue, s’était solennellement engagé à remettre ce bénéfice entre les mains de la société. Mais lorsque deux jours après, les compagnons du nègre s’étaient réunis au Trou-à-Vin pour opérer le partage, ils n’avaient point vu venir Jupiter, et même celui-ci s’était éclipsé pendant quelque temps. C’est que, peu d’instants après celui où ce conciliabule s’était tenu, le pauvre nègre, surpris en flagrant délit de mendicité, avait été arrêté et conduit en prison, d’où il venait seulement de sortir.

Il répétait encore :

— Oh ! la prison pour Jupiter, partie de plaisir, mais pour monsieur de Rocheboise, oh !

— Il vous faudrait des preuves que vous ne possédez pas, dit Herman en se contraignant. D’ailleurs, le temps écoulé…

— Non, non, Jupiter entend les affaires… Et puis il a consulté son avocat… un bien honnête homme… D’après le code, pas encore prescription pour le délit… Et quant aux preuves, l’avocat avoir dit à Jupiter qu’il y aurait des témoins assez pour amener la condamnation de monsieur de Rocheboise… et de Jupiter aussi comme complice.

Herman, au milieu de la colère que lui inspirait celle insolente menace, sentit ce qu’elle enfermait de positif. Une condamnation à obtenir contre lui au sujet de la catastrophe de la famille Augeville, dans les circonstances données, ne paraissait pas vraisemblable, mais une accusation du moins était possible. La pensée seule d’un scandale public, d’un procès allant retentir dans les journaux, dans le monde, glaçait son âme d’épouvante… Il eût donné sa vie pour se soustraire à cette honte !… Il pouvait bien sacrifier dix mille francs, puisque le silence du misérable était à ce prix… C’était lui maintenant qui aurait voulu rassasier le nègre d’argent pour étouffer la parole dans sa gorge. Heureusement le portefeuille était encore sur la table.

Restait l’humiliation de céder à cet être infâme, de plier sous son insolence ; Rocheboise la subit et dit d’une voix altérée :

— C’est dix mille francs que tu demandes ?

— Pas un sou de moins… Jupiter voulait quinze mille… mais l’avocat… un bien honnête homme… a décidé que c’était assez de dix, et Jupiter s’est rendu.

— Et qui me répondra qu’après avoir dissipé cette somme tu ne viendras pas en demander d’autres ?

— Ah ! voilà le diable, dit l’effronté mendiant, vous n’avoir pas d’autre garantie que la parole du noir, et vous être forcé de vous en contenter.

— Eh bien, finissons-en.

— Jupiter veut bien.

— Tu auras tes dix mille francs…

— Ah ! dit le nègre avec un épanouissement de joie qui fit étinceler au milieu de sa face sombre ses yeux blancs et ses dents d’ivoire.

— Mais tu vas jurer sur le dieu de tes pères de ne jamais, à l’avenir, me montrer ton atroce figure.

Le nègre frissonna ; il n’était pas dans sa résolution, de s’en tenir à ce seul rapt d’argent envers Rocheboise et en faisant le serment contraire, il croyait fermement que le dieu des bords de l’Orange verrait le parjure au fond de son cœur. Sa religion sauvage était même tellement enracinée en lui, qu’il se sentait petit et tremblant en entendant rappeler le souvenir de sa divinité dans l’instant où il commettait un acte de bassesse et de rapacité.

Cependant les billets de banque étaient à ce prix.

Rocheboise l’en assura de nouveau par ces paroles :

— Jure donc !… car rien ne me coûte pour me débarrasser de ton odieuse vue ! mais si je ne puis acheter ton éloignement par ce sacrifice, je le jure, moi, que tu vas sortir à l’instant, et que tu n’emporteras rien d’ici que l’exécration dont je charge ta tête.

Herman disait vrai, car son irritation toujours croissante était arrivée à une colère aveugle, dans laquelle il aurait pu se perdre lui-même.

Le nègre le sentit ; il jeta un coup d’œil sur le porte-feuille que Rocheboise tenait déjà ouvert, et la cupidité l’emportant, il essaya de proférer les paroles demandées.

— À genoux ! malheureux, à genoux !… et songe que tu vas parler devant le dieu que ton père t’a appris à adorer.

Le nègre tomba prosterné ; tous ses membres tremblaient ; au milieu de l’ombre, on voyait briller les lueurs jaunes que dardaient ses prunelles dilatées… Sur un commandement plus impérieux de Rocheboise, il prononça le serment de ne jamais reparaître devant son ancien maître.

— Tiens, misérable ! dit Herman en jetant devant le nègre le paquet de billets de banque.

Il mit dans ce geste tant de mépris écrasant, tant d’indignation foudroyante, que le noir, déjà étourdi, altéré, frémit sous la puissance de son maître et tomba la face inclinée contre terre, appuyé sur ses deux mains, dans l’attitude de l’animalité.

Mais à la même minute, il bondit sur le tapis, saisit les billets, et, s’élançant vers la porte, disparut dans l’escalier dérobé par lequel il était venu.

Rocheboise demeura quelques instants immobile sous le coup de cette funeste apparition.

Il n’était pas encore revenu de sa stupeur pénible, lorsque Pasqual descendit tenant à la main les lettres dans lesquelles il offrait des à-comptes à divers fournisseurs, dans le but d’obtenir d’eux un sursis au paiement.

— Déchirez ces lettres, Pasqual ! s’écria Herman encore exaspéré. Et puisque le diable veut se mêler de mes affaires malgré moi, il faut bien qu’il soit le maître… Allez conclure avec l’usurier… qu’il vole tout ce qu’il voudra, puisqu’il est maintenant notre unique ressource ; mais qu’il donne de l’argent et se taise, puisque nous avons encore cela à espérer.

Pasqual, toujours impassible, s’inclina devant l’ordre de son maître, et sans s’informer de ce qui avait amené cette nouvelle détermination chez M. de Rocheboise, répondit qu’il allait se conformer à ses instructions et terminer cette affaire à l’instant même.