Les Merveilles de la science/Armes à feu portatives - Supplément

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Furne, Jouvet et Cie (Tome 2 des Supplémentsp. 235-288).
SUPPLÉMENT
aux
ARMES À FEU
PORTATIVES

Nous nous proposons de faire connaître, dans ce Supplément, les modifications introduites dans l’arme à feu portative militaire, depuis la guerre 1870-71 jusqu’au moment présent.

Pour introduire quelque clarté dans ce sujet complexe et quelque peu confus, en raison de la multiplicité des faits particuliers à considérer, nous diviserons ce travail en deux parties, l’une théorique, pour ainsi dire, l’autre pratique.

Les premiers chapitres seront consacrés à des Considérations générales sur les transformations du mécanisme et de l’emploi des fusils depuis 1870. Ces transformations ont consisté : 1o à diminuer le calibre des balles, et par conséquent des canons de fusils, qui, de 14 millimètres de diamètre, ont été réduits à 8 millimètres ; ce qui assure un tir plus rigoureux et une portée plus grande : 2o à adopter définitivement le fusil à répétition, au lieu du fusil coup par coup ; ce qui évite au soldat l’obligation de charger son arme, et met dans sa main la possibilité de tirer trente coups par minute, si cela est nécessaire.

Dans la deuxième partie, ou partie pratique, nous ferons connaître l’état actuel de l’armement du fantassin et du cavalier, chez les principales nations de l’Europe. Passant successivement en revue la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Russie, l’Angleterre, l’Italie, etc., nous dirons quelle est l’arme portative adoptée, chez elles et les études ou circonstances diverses qui ont déterminé l’adoption de l’arme aujourd’hui réglementaire.

Comme application des principes et des faits exposés dans ce travail, nous dirons quelques mots des revolvers pour l’usage des troupes, et nous terminerons en parlant du mécanisme adopté aujourd’hui pour les fusils de chasse.


CHAPITRE PREMIER

avantages de la réduction du calibre dans les armes à feu portatives. — études de m. hébler, de zurich. — expériences faites chez différentes nations du fusil à petit calibre. — différents modèles de ce fusil.

Un officier suisse, le professeur Hébler, de Zurich, faisait, dès l’année 1878, de profondes études sur l’avantage qu’il y aurait à diminuer le calibre des balles, et par conséquent celui des canons de fusil. Les idées du professeur de Zurich avaient beaucoup frappé les militaires français, allemands, belges et suisses ; et en 1883, les gouvernements de France et d’Autriche-Hongrie se disposaient à expérimenter d’une manière pratique le fusil de petit calibre.

Il est incontestable, en effet, que le petit calibre est préférable au gros, et même au moyen calibre. La vitesse initiale du projectile lancé par le fusil prussien, le fusil Mauser, est de 440 mètres par seconde : elle atteint 1 600 mètres avec un fusil de petit calibre.

Il faut aussi considérer la légèreté du fusil de petit calibre et de ses cartouches, ainsi que la force de pénétration de ses projectiles. Il a été prouvé que la force de pénétration des balles à manteau d’acier du fusil de 8 millimètres dépasse six fois celle des balles du fusil de 9 millimètres et demi. Trois chevaux, placés l’un derrière l’autre, ont été traversés par une balle de 8 millimètres, et cette même balle s’est ensuite enfoncée profondément dans un mur en bois.

Il est vrai que la balle de 8 millimètres ne subit aucune déformation, quand elle touche le but, et qu’ainsi les blessures qu’elle occasionne sont infiniment moins dangereuses que celles que provoquent les balles de gros calibre. Tandis que les balles du fusil Chassepot produisent, dans les parties du corps qu’elles frappent, d’énormes déchirures, la balle de petit calibre traverse, sans trop les offenser, les tissus vivants. Mais comme ce dernier projectile est animé d’une vitesse suffisante pour blesser quatre hommes placés à la file, et comme il importe, à la guerre, non de tuer des hommes, mais de les mettre hors de combat momentanément, il s’est rencontré, une fois par hasard, que les intérêts de l’humanité et ceux de l’art militaire se sont trouvés d’accord.

On obtient, au point de vue de la portée, des résultats extraordinaires avec le fusil de petit calibre.

Un soldat armé du fusil de 8 millimètres atteint, à coup sûr, un homme debout, à 520 mètres de distance. Pour la cavalerie, cette précision du tir s’étend jusqu’à 600 mètres. Si le tireur est à genoux, ce qui arrivera souvent dans les combats de l’avenir, le fusil de 8 millimètres donne une précision rigoureuse à la distance de 420 mètres, tandis que cette limite est de 300 mètres avec le fusil Gras. À 2 000 mètres, portée maximum, le fusil de 8 millimètres a les mêmes écarts en portée et en direction, que le canon de 90, dont nous avons parlé dans notre précédente notice ; c’est dire que sa trajectoire est rasante et que la zone dangereuse — pour l’adversaire — est très considérable.

Faire un petit fusil tirant à longue portée, envoyant une petite balle douée d’une pénétration suffisante, avec une grande précision, tel est donc le problème. L’histoire des dernières années nous montre qu’il a été résolu avec succès.

Les premières expériences avec le fusil de petit calibre eurent lieu en Suisse. En 1854, l’armée helvétique possédait un fusil du calibre de 10mm,4. En 1871, le major Rubin proposait un fusil de 9 millimètres ; enfin, en 1879, le professeur Hébler, de Zurich, dont les travaux sont universellement estimés, et qui fait autorité dans le monde militaire, publiait la description de son fusil, dont le calibre n’est que de 7 millimètres et demi.

La vitesse initiale du projectile du fusil Hébler est de 560 mètres par seconde ; le poids de la cartouche est de 14gr,60 ; l’arme elle-même ne pèse que 4 kilogrammes et demi. Le soldat armé de ce fusil pourrait donc emporter 140 cartouches, alors que l’homme muni du fusil Mauser n’en pourrait prendre que 80. La supériorité du premier frappe les yeux ; il n’est pas besoin de théories pour faire saisir la valeur de comparaisons aussi éclatantes.

C’est en Espagne qu’on fit, pour la première fois, des essais de tir avec le fusil Hébler. Plus tard, l’Angleterre expérimenta le fusil Magee, dont la balle, du calibre de 10 millimètres et du poids de 25 grammes, perçait, à 180 mètres, une plaque de fer de 6 millimètres d’épaisseur.

L’infanterie norvégienne emploie, depuis 1882, le fusil à répétition Jarhman.

Aucun de ces fusils ne donne les mêmes résultats que le fusil Hébler, dont la balle, à 400 mètres de distance, traverse dix planches de 3 millimètres d’épaisseur chacune.

À ceux qui objectent qu’une balle de 7 millimètres et demi n’occasionnerait pas de blessures sérieuses, M. Hébler répond par l’anecdote personnelle suivante : « Je tirais sur une cible située à 900 mètres ; un de mes amis, M. Wengi, qui relevait les coups, resta malheureusement derrière la cible, et fut atteint au bras. La balle n’avait pas touché l’os ; mon ami fut, cependant, malade pendant trois mois. »

Voilà, en effet, un exemple décisif, et la plupart des inventeurs seraient fort empêchés d’en invoquer un pareil à l’appui de leur thèse !

Est-ce à dire que le fusil Hébler soit un modèle idéal ? Nous ne le pensons pas. Le fusil français modèle de 1886, que nous décrirons dans un des chapitres suivants, est doué de qualités aussi remarquables.

Ce n’est pas tout, en effet, que de fabriquer un fusil et une cartouche, il faut encore remplir toutes sortes de conditions : la balle ne doit pas se déformer, ni dévier de la trajectoire ; la poudre ne doit pas encrasser le tonnerre, ni l’âme du fusil ; il ne faut pas que le recul soit trop fort. La plupart de ces problèmes ne sauraient être traités à l’aide de formules rigoureusement mathématiques. Il est, en tout cas, impossible d’établir ce que l’on pourrait appeler l’équation complète du fusil. On tâtonne, on cherche à tout concilier, et c’est grâce à une foule de raisonnements, qu’il serait trop long d’énumérer ici, que l’on est arrivé à ces conclusions : faire un fusil à répétition du calibre 7 à 8 millimètres, tirant une cartouche métallique, composée d’une balle entourée d’une chemise d’acier et d’une charge de poudre comprimée.


CHAPITRE II

le fusil à répétition, ses avantages.

Nous disons dans l’énoncé général qui précède, qu’il faut, avec le fusil de petit calibre, adopter le mécanisme à répétition. En effet, ces deux éléments se commandent l’un l’autre, et se combinent d’une façon nécessaire.

Nous avons mis en évidence les avantages du fusil de petit calibre, et signalé les études dont cette question a été l’objet. Parlons maintenant de l’utilité que doit présenter, dans la guerre, la faculté de mettre à la disposition du soldat un nombre considérable de cartouches, qui lui évitent le soin de recharger son arme, et lui permettent, à un moment donné, de tirer un nombre énorme de coups, en peu de temps.

Si l’on substitue au fusil de gros calibre (11 millimètres) un fusil de petit calibre (8 millimètres) à trajectoire tendue, on obtient une précision de tir incomparable, et l’on a, tout à la fois, le bénéfice d’un tir précis à grandes distances et d’un tir rapide à petites distances. Enfin, si à ce canon de petit calibre on ajoute un magasin de cartouches, on donne au soldat l’avantage de ne pas avoir à recharger souvent son arme.

C’est ce que nous avons fait.

Il a fallu quatre à cinq ans d’études à la Commission d’expériences qui travaillait à Versailles, pour décider, en 1886, d’une manière définitive, l’adoption du mécanisme à répétition, et faire choix de ce mécanisme.

Les fusils qui étaient en usage en France, en 1886, étaient presque tous du calibre de 11 millimètres. La cartouche du fusil Gras pèse 43gr,80 ; celle du fusil Mauser, 42 grammes. Le soldat français portait 78 cartouches dans son sac, et le soldat allemand 80 dans son sac, et dans ses poches. Si l’on se fût contenté, comme il en fut un moment question, de fixer au fusil Gras un magasin, c’est-à-dire si l’on eût transformé cette arme, d’ailleurs excellente, en arme à répétition, il eût fallu naturellement augmenter le nombre et le poids des cartouches mises à la disposition du tireur. Comment faire ? Le calibre ne variant pas, le poids de la cartouche reste le même, et le soldat est déjà trop chargé, pour qu’on songe à le fatiguer davantage.

On est bien parvenu à alléger la cartouche, en se servant de laiton très malléable, et en amincissant la douille. On a réduit ainsi aux 8/9 de son poids actuel le poids de la cartouche, le soldat peut alors emporter 88 cartouches au lieu de 78. Mais ce sont là des demi-solutions, et si l’on veut que le mécanisme à répétition soit utile, il faut que le soldat dispose d’un nombre considérable de cartouches. D’où cette conclusion : il faut diminuer le calibre du fusil, sans diminuer le nombre des cartouches que peut porter le soldat.

Cette vérité a été reconnue de bonne heure ; car dès l’année 1867, le gouvernement suisse fut sur le point d’adopter le fusil Winchester, fusil à répétition dont nous avons fait usage, d’ailleurs, nous-mêmes, pendant la guerre de 1870-1871.

Fig. 201. — Fusil Winchester, vue extérieure.

Le fusil Winchester (fig. 201) a une longueur de 1m,175 ; il pèse 3k,910. Le magasin, A, qui est l’organe essentiel du système à répétition, contient 14 cartouches. Pour introduire la provision de cartouches dans la culasse, on découvre celle-ci en abaissant le levier, L, qui est désigné par les armuriers sous le nom de pontet. Ce levier abaissé découvre la culasse. Après avoir placé les cartouches dans la culasse, on relève le pontet, L, pour la refermer. Un ressort à boudin placé à l’intérieur de la crosse, C, pousse les cartouches devant le percuteur P. Quand on tire la détente G, on fait partir le coup.

Plusieurs régiments de l’armée de la Loire et de l’armée de l’Est, en 1871, étaient pourvus du fusil Winchester.

Pendant la guerre d’Orient, en 1878, la cavalerie irrégulière de l’armée ottomane était armée de fusils Winchester, à 16 coups. Lors de la défense de Plevna, Osman-Pacha, qui a joué un rôle militaire si brillant, employait le fusil Winchester, pour le tir à distances rapprochées. Il avait fait distribuer dans chaque bataillon des fusils Winchester à deux compagnies, et des fusils Martini aux deux autres compagnies. Tant que les Russes étaient éloignés, les Turcs employaient les fusils Martini ; dès qu’ils se rapprochaient, les Turcs se servaient du fusil Winchester, dont les effets, à 300 ou 400 mètres, sont littéralement foudroyants.

Le fusil Spencer a été l’un des premiers adoptés en France, comme arme à répétition. En 1870, durant la retraite de l’armée de la Loire, un régiment d’éclaireurs à cheval, muni du fusil Spencer, arrêta net la marche en avant des colonnes de l’armée allemande.

C’est en 1862 que M. Spencer avait construit les premiers exemplaires de son fusil.

Fig. 202. — Coupe du fusil Spencer.

A bloc mobile formant obturateur du canon ; il tourne autour du pivot P et reçoit la cartouche, venant du magasin, poussée par le ressort H. — B, secteur mobile, qui transmet au bloc A, le mouvement de rotation du levier C et fait sortir la douille vide de la cartouche brûlée, à l’aide du doigt F. Ce secteur B est muni aussi d’une encoche circulaire, M, qui maintient les cartouches à l’état d’immobilité dans le magasin. — C, levier servant à manœuvrer le bloc de culasse. Il est recourbé de façon à servir aussi de pontet protecteur de la détente. — D, chien frappant sur le percuteur, pour déterminer l’inflammation de la cartouche. — E, tube métallique logé dans la crosse et servant de magasin à cartouches. — F, extracteur de la cartouche. — H, ressort à boudin poussant les balles en avant, pour les amener successivement dans le logement préparé au milieu du secteur mobile A.

Le magasin du fusil Spencer (fig. 202) se trouve dans la crosse, comme celui du fusil Winchester. Ce fusil pèse 4k,480 ; son calibre est de 13 millimètres. (On voit quel chemin nous avons parcouru depuis lors, puisque nous en sommes aujourd’hui au calibre de 8 millimètres.) Il y a six rayures hélicoïdales.

Pas des rayures 
1m,20
Profondeur des rayures 
0mm,25
Largeur des rayures 
3mm,6

Le bloc de culasse se compose d’une fermeture A, d’un secteur mobile B, et d’un pontet C. La fermeture renferme le percuteur, qui, frappé par le chien D, se meut en ligne droite, et s’encastre dans le secteur mobile B, quand on découvre le tonnerre. Sur la face gauche du secteur, B, on voit un extracteur F, qui rejette les cartouches vides. C’est à l’aide du pontet C, que l’on détermine la rotation du secteur mobile.

Un tube en acier, E, de 35 centimètres de longueur, constitue le magasin. Pour le remplir, on commence par introduire, à la main, une cartouche dans la chambre, puis on fait glisser dans le magasin sept autres cartouches, en les poussant à la main, la pointe en bas. On introduit ensuite un étui en fer-blanc vers le fond duquel la colonne de cartouches comprime le ressort en spirale, H. L’étui étant arrivé à fond, on le ramène à sa position première, en le faisant tourner de droite à gauche[1].

Fig. 203. — Fonctionnement du fusil Spencer.

Supposons que le coup soit parti (fig. 203) On abaisse le pontet C, la pièce de fermeture et le secteur mobile se rapprochent ; leur ensemble prend un mouvement de rotation ; un extracteur F, dont l’extrémité était engagée en avant du bourrelet de la cartouche, fait sortir la douille vide ; du même coup, l’ouverture du magasin est démasquée, et une autre cartouche vient d’elle-même se placer entre le guide et le contour circulaire du cylindre mobile.

Fig. 204. — Cartouche du fusil Spencer.

La cartouche du fusil Spencer a 41 millimètres et demi de longueur ; elle pèse 31 grammes. La balle, qui pèse 22gr,725, a un diamètre de 13 millimètres 8.

L’étui en cuivre pèse 4 grammes, et la charge 3gr,375.

Le fusil Westerli est, avec le fusil Spencer, une des premières armes portatives à répétition qui aient été employées.

Ce fusil a été fabriqué en Autriche-Hongrie, dans la manufacture d’armes de Heyer. Il est infiniment supérieur au fusil Spencer. M. Westerli avait construit, en 1867, un premier modèle ; il l’a perfectionné en 1870.

Fig. 205. — Coupe du fusil Westerli.

T, canon. — C, magasin à cartouches logé sous le canon, dans la monture. Une sorte de piston (a) poussé par un ressort à boudin amène successivement les cartouches sur le levier E. — b, b, cartouches. — L, levier se mouvant de droite à gauche, pour décaler la culasse mobile, et ensuite d’avant en arrière pour ouvrir cette culasse. — R, ressort à boudin produisant pression sur la croisière A et l’extracteur et donnant l’impulsion au percuteur P. — B, culasse mobile contenant dans son milieu le percuteur P, et formant par son extrémité (n) le tire-cartouche ou extracteur. La partie (n) extrait et rejette la cartouche vide. Quant à la partie m, aussitôt que par l’effet de recul de la culasse mobile elle vient toucher l’extrémité du levier D, elle le force à reculer en pivotant autour de la charnière (O). Ce mouvement fait lever la branche longue E, qui élève alors une cartouche et la place en face du tonnerre. À ce moment, à l’aide du levier L, on ramène la culasse mobile B en avant, ce qui engage la cartouche dans le canon. Puis, en ramenant ce levier L de gauche à droite, on replace la croisière A dans l’axe du canon, ce qui ferme complètement la culasse et met l’arme en état de tirer.

Le canon du fusil Westerli (fig. 205) est vissé dans la boîte de culasse ; il a cinq rayures, dont les pleins sont égaux aux vides ; le calibre est de 10mm,5 ; le pas des rayures de 0m,60. Quand on fait tourner le levier L à gauche, la croisière A est forcée de reculer ; en ramenant ensuite le levier en arrière, on entraîne la culasse mobile, jusqu’à ce qu’elle soit arrêtée par une clavette. Alors la partie postérieure de l’extracteur, n, qui fait ressort et qui était maintenue primitivement par la boîte de culasse, se relève, et quand on ramène la culasse mobile en avant, la queue de l’extracteur, poussée par la boîte de culasse, quitte l’entaille. La noix ou croisière, A, revient à sa position en arrière de la tête de gâchette, en s’appuyant sur le sommet des rampes. La partie antérieure de la culasse mobile, B, pousse alors une cartouche en avant.

Fig. 206. — Cartouche du fusil Westerli.

La cartouche du fusil Westerli pèse 30 grammes et demi. La balle est en fil de plomb et pèse 20gr,4 ; la charge est de 3gr,6. Cette cartouche a une longueur de 26 millimètres ; le fusil peut en contenir 13, dont 11 dans le magasin, 1 dans le transporteur et 1 dans le canon. Pour exécuter la manœuvre, il faut relever le levier et retirer le cylindre en arrière, puis pousser le cylindre en avant. On peut brûler les 13 cartouches en 25 secondes, soit 80 cartouches en une minute.

Le fusil Westerli pèse 500 grammes de moins que le fusil Gras, et il est muni d’une hausse graduée jusqu’à 1 800 mètres. La vitesse initiale est de 500 mètres. On voit par là toute la supériorité du fusil de petit calibre (8 millimètres) sur un fusil de fort calibre (11 millimètres) du même modèle. On a tiré, avec ce fusil, 40 balles en 8 minutes, sans qu’il ait été nécessaire de s’arrêter, pour nettoyer l’âme du canon. La chambre de la cartouche est un peu plus courte que la cartouche, de sorte que la cartouche est forcée, au moment de la fermeture de la culasse.

Tels sont les premiers fusils à répétition qui aient fait partie de l’armement militaire depuis 1862 jusqu’à 1870-1871.

Après cette époque, les essais de fusils à répétition ont été poursuivis, en divers pays, avec une égale persévérance. En Suisse, quelques officiers et deux ou trois ingénieurs avaient pris les devants. En Portugal, M. Diaz, lieutenant au 3e régiment de chasseurs, faisait adopter un modèle de fusil à tir rapide, avant même que le gouvernement allemand se fût décidé à transformer le fusil Mauser en fusil à répétition, et que le gouvernement français eût commencé la fabrication du fusil Lebel.

Le lieutenant Diaz a publié un résumé très exact de ses travaux, dans un numéro du journal l’Exercito Portuguez.

Le lieutenant Diaz avait d’abord construit un fusil qui tirait, avec une charge de poudre de 10 grammes, une balle qui pesait 50 grammes.

La vitesse initiale était de 477m,50 ; la vitesse du tir, de 18 coups par minute. On tirait sur une cible qui avait 8 mètres de largeur sur 3 mètres de hauteur. À 1 000 m. de distance, on constata que la zone périlleuse avait une longueur de 21 mètres et que 60 balles sur 100 atteignaient la cible.

Ces résultats étaient satisfaisants, mais pendant que M. Diaz se livrait à ses recherches, M. Hébler, en Suisse, et le colonel Lebel, en France, démontraient, d’une façon péremptoire, que le fusil de petit calibre était supérieur à tous les autres, par sa portée aussi bien que par la précision de son tir. M. Diaz n’hésita pas, dès lors, à transformer son fusil, et il fit adopter par le gouvernement de la Grèce un fusil de 8 millimètres de diamètre, dont la cartouche pèse 30 grammes et la balle 16 grammes seulement. Le pas de la rainure du canon est de 30 centimètres, avec une profondeur de 2 millimètres.

Dans les armes dont nous avons donné jusqu’à présent la description, le magasin est placé dans la crosse, ou un peu en avant du fût.

En Allemagne, Dreyse, l’inventeur du fusil à aiguille, qui a fait toute une révolution dans l’armement des peuples modernes, s’appliqua à transformer cette arme en un fusil à répétition. Il plaça le magasin de cartouches à la même hauteur que le canon (fig. 207). On a vu, dans les fusils qui ont été représentés plus haut, que chaque cartouche est amenée jusque dans l’axe de la chambre par l’effet d’un appareil spécial appelé transporteur, qui est mû par un levier à ressort, poussé par le pontet. Dans le fusil Dreyse, les cartouches du magasin étant à la même hauteur que le canon, il suffit d’un ressort placé, non dans la crosse, mais dans le magasin, pour les pousser en arrière, et les tenir prêtes à être tirées. Cette disposition permet, en outre, de regarnir le magasin pendant le tir, en chargeant après chaque coup tiré.

Fig. 207. — Fusil Dreyse à répétition.

A, culasse mobile contenant le percuteur P avec son ressort et le chien. — B, chien. — M, levier servant à ouvrir et fermer la culasse mobile. — E, crochet extracteur des douilles vides. — T, entrée du canon, — C, douille de cartouche vide, rejetée au dehors par l’extracteur et faisant place à la cartouche pleine venant du magasin. — O, orifice du magasin qui est placé sur le côté. Au-dessus de cet orifice, et dans une chambre faisant corps avec la culasse mobile, se trouve un petit ressort à boudin qui, à l’aide d’une tige, prend et pousse la cartouche vers le canon. — R, ressort mis en mouvement par la détente et qui fait élever les cartouches du magasin à hauteur de la culasse. — L, détente.

Voici les dimensions du fusil Dreyse, ou fusil à aiguille allemand transformé en fusil à répétition :

Longueur du fusil 
1m,34
Poids du fusil 
5k,500
Nombre de rayures 
5
Pas des rayures 
0m,55
Profondeur des rayures 
0mm,3
Largeur des rayures 
5mm,75

On tire, avec ce fusil, la cartouche de fusil Mauser, en ayant soin de diminuer un peu la charge. Il y a dans le magasin sept cartouches qui peuvent être tirées en 18 secondes.

Les essais faits en Allemagne avec le fusil Dreyse à répétition n’ont pas dû être très satisfaisants, puisque, en 1888, le général Bronsard de Schellendorf, qui était alors ministre de la guerre à Berlin, a fait définitivement adopter, à sa place, le fusil Mauser à répétition.


CHAPITRE III

le tir à grandes distances. — appréciation des distances sur le champ de bataille. — feux de salve. — inconvénients du fusil à répétition. — conséquences qui résultent de l’adoption du fusil à répétition pour la tactique et pour la stratégie.

Il ne suffit pas d’avoir entre les mains une arme excellente, ni de disposer d’un nombre suffisant de cartouches ; il faut encore, comme nous l’avons montré dans notre Supplément à l’artillerie moderne, apprécier la distance qui vous sépare du but à atteindre, c’est-à-dire de l’ennemi. Pour l’infanterie, comme pour l’artillerie, il est indispensable de régler la hausse. Si l’on néglige cette précaution élémentaire, les balles tomberont au delà ou en deçà du but, et l’ennemi laissera les bataillons gaspiller leurs munitions, en se réservant de les attaquer au moment opportun. Comme nous l’avons indiqué dans la Notice précédente, les officiers d’artillerie utilisent, pour apprécier les distances, l’observation des points de chute des obus, mais ce procédé ne saurait être employé par l’infanterie. Une balle, en touchant terre, soulève si peu de poussière, et le nombre de balles tirées au même instant et envoyées dans la même direction, est si considérable, qu’une telle façon d’évaluer les distances serait absolument illusoire. On a bien proposé de faire exécuter des feux de salve : on aurait alors une gerbe de cinquante ou de cent balles, dont on pourrait observer le point de chute ; mais cette méthode, expérimentée au camp de Châlons, a été jugée inapplicable.

Les moyens d’appréciation des distances dont dispose l’infanterie sont de deux sortes : la vue et le son, d’où résultent deux procédés absolument distincts. La vue d’abord. Les commandants de compagnie apprennent à leurs soldats à étalonner leur pas, c’est-à-dire à mesurer une distance quelconque en comptant le nombre des pas qu’ils ont faits pour la franchir ; puis, on exerce les hommes à apprécier les distances à la vue. On cite des montagnards qui ont l’œil assez exercé pour ne commettre, dans l’appréciation d’une distance de 1 500 à 2 000 mètres, tout au plus qu’une erreur de 10 à 50 mètres. Mais ce sont là des exceptions.

En se basant sur ce fait que le son parcourt 333 mètres par seconde ; on peut essayer d’apprécier la distance en comptant le temps écoulé entre la vue et l’audition d’un coup de feu. Ce procédé n’est applicable que si l’on a en face de soi une batterie, car l’observation sur un coup de fusil, déjà très difficile au delà de 300 mètres, devient impossible au delà de 1 000 mètres. L’appréciation des distances est d’autant plus difficile, sur un champ de bataille, que l’adversaire se déplace presque constamment. Aux petites distances, en dehors du moment très court de l’attaque décisive, l’ennemi profite de tous les accidents de terrain, pour se dérober. Sa présence ne se révèle alors que par la fumée des coups de fusil, le déplacement des blessés, le mouvement des hommes qui quittent un abri pour un autre, ou pour gagner du terrain en avant. Encore les grandes puissances européennes possèdent-elles, à présent, une poudre qui brûle sans produire le plus léger nuage de fumée.

Il existe, toutefois, quelques instruments destinés à atteindre ce but. L’armée française et l’armée belge font usage de télémètres compliqués et d’un usage difficile. Nous ferons connaître, en raison de sa simplicité, le télémètre en usage dans l’armée autrichienne, ou télémètre de Roksandic (fig. 208).

Fig. 208. — Télémètre autrichien.

Cet instrument, tel qu’il est décrit dans l’ouvrage allemand de Schmidt, consiste en une chambre cubique, A, longue de 4 centimètres et haute de 3 centimètres. Le côté postérieur, qui fait face à l’œil de l’observateur, est complètement ouvert. La paroi antérieure est munie du regard, D, et la paroi latérale de droite, du regard, E. La paroi latérale de gauche ainsi que les parois inférieure et supérieure ne sont pas percées. Deux miroirs, B, C, inclinés à angle aigu, permettent de voir, à l’extérieur, les objets par la réflexion de la lumière sur le miroir B, puis sur le miroir C. Une vis micrométrique, contenue dans le fourreau F, fait varier l’inclinaison des deux miroirs. Une lunette, graduée en minutes et en secondes, se trouve à la partie inférieure du miroir, et qui n’est point visible sur notre dessin, pour mesurer le déplacement des images.

Dans sa traduction du Tir de l’infanterie, par un officier supérieur allemand, M. Ernest Jæglé donne de cet instrument la description suivante :

« Le télémètre Roksandic s’appelle aussi télémètre-monocle. Si on le tient devant l’œil droit, on verra dans le miroir C les objets qui se trouvent dans un angle droit par rapport à la direction du regard, et, en même temps, on apercevra au-dessus du rebord supérieur du miroir, par le regard D, ceux des objets qui se trouveront dans la direction même dans laquelle on regardera de telle façon que l’angle formé par les miroirs projettera l’image du terrain latéral sous le terrain s’étendant en avant et les fera voir tous les deux à la fois, le rebord supérieur du miroir formant la limite entre les deux terrains.

En avançant en ligne droite — et pour ne pas dévier de cette ligne, on devra avoir soin de constamment observer un point de direction et un point intermédiaire — on constatera que toutes les images qu’on verra dans le miroir se déplacent de gauche à droite ; celles qui sont les plus rapprochées se déplaceront plus vite, celles qui sont les plus éloignées moins vite.

Si l’objet que nous observons dans le miroir est éloigné de 100 pas, il se déplacera à chaque pas en avant que nous ferons de 34 minutes 4 secondes, et comme la vitesse angulaire est en rapport inverse avec la distance, un objet éloigné de 200 pas ne se déplacera que de la moitié, soit de 17 minutes 2 secondes.

Dès lors, pour employer le télémètre-monocle à déterminer une distance, — on devra faire les opérations suivantes :

1. Un à-gauche, placer l’appareil devant l’œil, chercher dans le miroir l’objet dont il s’agit de déterminer la distance, réunir par la pression des doigts les poignées des miroirs. (Tout cela demandera de 3 à 5 secondes.)

2. Choisir un point de direction et un point intermédiaire, se graver dans la mémoire l’image du miroir par rapport à la direction et au terrain s’étendant en avant. (Temps nécessaire : de 3 à 5 secondes.)

3. Mesurer la base au pas et disposer l’image du miroir par rapport à la direction. (Cette opération demandera un temps plus ou moins long selon que la base sera plus ou moins étendue ; chaque pas exigera tout au plus une seconde de temps.)

Il est donc facile, quand une fois on a acquis une certaine pratique, de mesurer les distances inférieures à 3 000 pas dans un tiers de minute, une demi-minute au plus, en employant le rapport 1 : 100.

Les erreurs, avec ce rapport, ne montent en aucun cas à 2 p. 100 de la distance, dit-on.

Il résulte, des considérations qui précèdent, que les limites de l’emploi des feux de l’infanterie dépendent, non seulement de la justesse et de la portée de l’arme, mais aussi de la connaissance des distances, des dimensions, du but, de l’habileté des tireurs et de la forme du terrain. À la guerre, il convient encore de tenir compte de l’état moral de la troupe qui tire, et de la quantité de munitions dont elle dispose. On ne saurait donc fixer d’une façon absolue les limites de l’emploi des feux de l’infanterie.

On a constaté, pourtant, à l’aide de nombreuses expériences, que les distances auxquelles on a des chances d’atteindre le but, avec le fusil Gras ou le fusil modèle de 1886, sans faire une consommation exagérée de munitions, sont les suivantes : à 200 mètres, sur un homme abrité ou couché ; à 300 mètres, sur un homme debout ou à genoux ; à 450 mètres, sur un cavalier isolé ; à 500 mètres, sur une escouade ; à 600 mètres, sur une ligne de tirailleurs ; à 800 mètres, sur une compagnie en ordre dispersé ; à 1 500 mètres, sur des compagnies, des sections d’artillerie ou des escadrons de cavalerie. Ces limites qui, d’ailleurs, n’ont rien d’absolu, peuvent être dépassées quand les circonstances atmosphériques sont favorables ou que le réglage du tir est facile.

Au surplus, les feux sur un but éloigné, même s’ils n’ont pas d’effet matériel, peuvent avoir pour résultat d’ébranler le courage de l’ennemi, de retarder son entrée en ligne ; ils peuvent rendre difficile l’occupation d’un point important, tel qu’un pont, un croisement de routes, un débouché de défilé.

On se livra en Suède, en 1883, et en France, en 1887, à des essais de tir comparatif, avec le fusil ordinaire et le fusil à répétition. À 200 mètres, soixante-huit tireurs ont tiré 1 544 coups en deux minutes avec le fusil à répétition, et 1 374 coups avec le fusil ordinaire, soit 20 et 23 coups par soldat. En revanche, on a mis 35 balles p. 100 dans la cible, avec le fusil à répétition.

La conclusion est aisée à formuler : on ne doit employer le tir à répétition qu’à des distances de 200 à 300 mètres, sur des buts de grande largeur. Pendant l’assaut, quelques instants avant que les soldats engagent le combat à l’arme blanche, le tir à répétition sera aussi très utile. Mais aux distances éloignées les officiers devront toujours s’opposer à l’emploi du tir à répétition ; on n’aboutirait, de la sorte, qu’au gaspillage des munitions.

Nous ajouterons maintenant que les désavantages du tir à répétition sont assez nombreux. Un fusil à répétition nécessite une plus forte consommation de cartouches ; son entretien est, en général, difficile et délicat ; son poids est relativement plus considérable ; il cause une plus grande fatigue au soldat, pendant toute la campagne, pour obtenir l’avantage, qui se présentera bien rarement, d’envoyer à l’ennemi beaucoup de plomb, à un moment donné.

En outre, les essais entrepris jusqu’à ce jour, essais faits, non dans les arsenaux ou les villes de garnison, mais à la guerre, n’ont pas mis en évidence la supériorité du fusil à répétition sur le fusil Gras.

Nos marins, dans la campagne de Tunisie, avaient cette arme, et on a pu constater, à Sfax notamment, qu’ils n’avaient point fait usage du magasin, quoiqu’ils eussent eu à répondre à un feu des plus vifs. Au Tonkin, certaines unités ont été armées du fusil à répétition, et rien n’a montré qu’elles fussent supérieures aux autres.

Au surplus, même en admettant que le fusil à répétition soit supérieur au fusil coup à coup, l’histoire des dernières guerres nous montre que l’armement de l’infanterie n’a pas une importance tout à fait primordiale.

En Italie, en 1859, les Autrichiens sont battus par nous, quoique leur fusil soit meilleur que le nôtre. En 1870, nous sommes battus à notre tour, et cependant notre arme, le chassepot, est incomparablement supérieure au fusil à aiguille. C’est que l’armement de l’artillerie a une bien autre importance que celui de l’infanterie. C’est grâce à la supériorité de leurs canons que les Français furent vainqueurs en Italie, en 1859.

Pour ces raisons on ne devrait donc pas adopter l’arme à répétition ; mais un facteur de la plus haute importance est à considérer.

Il est évident que notre infanterie aura sa valeur morale considérablement augmentée le jour ou chaque soldat, étant pourvu d’une arme à répétition, se sentira capable d’envoyer, en un très court intervalle de temps, neuf ou dix balles à l’ennemi. Notre infanterie sera alors irrésistible, et on n’éprouvera aucune difficulté à la mener à l’assaut ; car elle se sentira capable, la position une fois conquise, de repousser tout retour offensif de l’ennemi, grâce à son magasin de cartouches de réserve. En serait-il de même si, armée du fusil à un coup, elle se trouvait en présence d’un ennemi pourvu lui-même de l’arme à répétition ?

C’est en raison de cette considération capitale qu’on s’est vu forcé d’adopter en France le fusil à répétition.

Mais, bien téméraire serait celui qui voudrait assigner d’avance le rôle de l’arme à répétition dans les guerres futures ; et ce n’est pas sans raison que toutes les nations ont longtemps hésité à adopter ce nouveau système. Une arme vaut surtout par l’emploi que l’on en fait. Souhaitons, dans l’intérêt de l’humanité, que cette expérience, qui sera décisive, mais qui ne laissera pas que d’être horriblement meurtrière, soit retardée le plus longtemps possible.

Rien n’est plus difficile que de déterminer dès à présent quelle sera l’influence de l’adoption du fusil à répétition sur la tactique et sur les combinaisons stratégiques futures. Tout ce que l’on peut dire, c’est que la guerre aura, dans l’avenir, grâce au fusil à petit calibre et au mécanisme à répétition, une physionomie toute différente de ce qu’elle a eu jusqu’ici. Les batailles, très courtes et très meurtrières, auront six phases distinctes : déploiement de tirailleurs et de colonnes d’attaque ; — feu de salve et feu rapide de répétition ; — feu rapide coup par coup, quand on sera à brève distance ; — attaque à la baïonnette, victoire ou défaite, tout cela en un temps fort court.

Batailles instantanées, siège d’un jour, la guerre sera aussi rapide dans sa marche que meurtrière dans ses résultats.


CHAPITRE IV

le renouvellement de l’armement en france. — le fusil chassepot cède la place au fusil gras. — description de ce fusil.

Après ces considérations théoriques sur les raisons qui ont fait adopter le petit calibre et le mécanisme à répétition dans les fusils de guerre de toutes les nations, nous passons à l’exposé de l’état actuel de l’armement des troupes chez les différents peuples de l’Europe, en commençant par la France.

Fig. 209. — Bataille de Sadowa.

On a dit que les fusils à aiguille avaient déterminé la défaite des Autrichiens à Sadowa, en 1866, et l’on a ajouté que le canon Krupp avait été le facteur des victoires prussiennes en 1870. L’une et l’autre de ces assertions sont peu exactes. Certes, le tir de l’infanterie prussienne causa de grands ravages dans les rangs de l’armée autrichienne à Sadowa (fig. 209), et l’artillerie allemande a joué un rôle considérable à Sedan, à Wœrth et même à Villersexel ; mais croit-on que ces canons et ces fusils auraient rendu les mêmes services entre les mains de soldats inexpérimentés ? Aucun général n’oserait uniquement compter sur tel ou tel armement, pour assurer sa victoire. Le canon Krupp, comme le fusil à aiguille et le fusil à répétition, exigent une tactique spéciale de la part du chef de l’armée, et une instruction approfondie de la part des troupes. C’est ce que nous expliquerons plus péremptoirement quand nous aurons décrit les armes à feu portatives qui sont actuellement en service dans les armées d’Europe.

Un général français écrivait en 1883 : « Un fusil médiocre entre les mains de tireurs habiles et bien commandés produira, toutes choses égales d’ailleurs, des effets supérieurs à ceux d’une arme parfaite entre les mains de tireurs maladroits et mal commandés. »

Il n’en faut pas d’autre preuve que celle-ci :

En 1870, l’infanterie française était armée du fusil Chassepot, qui était infiniment supérieur au fusil Dreyse ou Mauser, dont l’infanterie prussienne était pourvue.

Un écrivain allemand s’exprime à ce sujet en ces termes :

« Le fusil Chassepot portant très loin, l’infanterie allemande se voyait obligée d’ouvrir, elle aussi, le feu à des distances relativement considérables, et d’entretenir un feu plus vif qu’elle n’avait coutume de le faire. »

Seulement, nous n’avions pas assez préparé nos troupes, ainsi que leurs cadres, et la tactique des feux était alors à peu près à l’état de néant. C’est pour cela qu’en dépit de la supériorité de notre fusil Chassepot sur le fusil Dreyse ou Mauser, dont les Prussiens faisaient usage, nous n’avons eu que rarement l’avantage dans les batailles, les combats ou les sièges.

Aujourd’hui, la tactique a été forcément transformée. Les colonnes d’attaque profondes et larges ont été supprimées. Puisqu’on a le moyen de tirer vingt coups par minute, et de mettre cinquante balles sur cent dans le but, on est bien obligé d’adopter l’ordre dispersé, et de soustraire, en les éparpillant, les soldats au tir, trop bien réglé et trop fréquent de leurs adversaires. Cela est si vrai qu’à la bataille de Solferino, nous n’eûmes qu’un homme hors de combat pour 700 coups de fusil tirés par les Autrichiens, tandis qu’en 1870, on a eu un blessé pour 300 coups de fusil tirés par les Allemands.


Fig. 211. — Vue extérieure du fusil Gras.

Arrivons à la description du fusil en usage en France, aujourd’hui.

En 1870, le fusil Chassepot était réglementaire dans nos régiments. Nous avons décrit dans les Merveilles de la science[2], avec beaucoup de détails et de soin, le fusil Chassepot. Il nous suffit donc de renvoyer le lecteur à notre principal ouvrage, et aux dessins qui accompagnent la description de l’arme dont il s’agit.

Le fusil Chassepot était une arme extrêmement remarquable pour l’époque où il vit le jour. Cependant on lui reconnut de graves inconvénients : la difficulté de chasser le culot métallique de la cartouche, après son explosion, la délicatesse extrême de son mécanisme, et le poids trop considérable de l’arme.

Fig. 210. — Le général Gras.

En 1870, le fusil Chassepot fut modifié par le colonel Gras, aujourd’hui général et inspecteur de nos manufactures d’armes, de façon à faire disparaître tous les défauts qu’on lui reprochait ; et le fusil Chassepot, ainsi modifié, devint le fusil Gras. Cette transformation s’opéra d’ailleurs, sans grandes dépenses. Ce qui décida surtout l’adoption du fusil Gras, c’est que l’on put conserver les fusils Chassepot pour les transformer en fusils Gras.

Le fusil Gras, dit fusil modèle 1874, se divise en cinq parties principales :

Le canon,

La culasse mobile,

La monture,

Les garnitures,

L’épée-baïonnette.

Toutes les pièces du canon sont en acier, sauf la hausse, qui est en fer. Le canon est à l’extérieur ; sa forme est celle d’un tronc de cône ; son épaisseur va en diminuant depuis le tonnerre, où se place la cartouche, jusqu’à la bouche du canon. L’âme du canon est creusée de quatre rayures, en hélice qui tournent de droite à gauche et dont le pas est de 55 centimètres. Profondes d’un quart de millimètre, larges de 4mm,32, ces rayures se raccordent aux pleins de l’âme par des arcs de cercle. Elles impriment à la balle un mouvement de rotation rapide autour de son axe.

Voici les dimensions du fusil Gras, dont la figure 211 donne la vue extérieure :

Diamètre de l’âme : 11 millimètres ;

Longueur du canon : 820 millimètres et demi ;

Longueur de la partie rayée : 760 millimètres et demi.

Du côté du tonnerre l’âme se termine par la chambre, qui est destinée à recevoir la cartouche ; cette chambre se compose de troncs de cône successifs qui sont placés de telle façon que, la cartouche étant dans la chambre, la balle se trouve à l’entrée des rayures. Vers sa partie postérieure la chambre est terminée par un chanfrein. Deux tenons servent à fixer l’épée-baïonnette au bout du canon.

Fig. 212. — Hausse du fusil Gras.

La hausse du fusil Gras se compose de neuf pièces. Le pied de hausse, qui est en fer, est brasé à l’étain, sur le canon du fusil. Ce pied de hausse, a (fig. 212), comprend une partie plane, qui sert d’appui au ressort de hausse b, b. Le ressort b, b est destiné à maintenir la planchette dressée ou couchée. La planchette porte, à sa partie inférieure, un autre cran de mire, de 1 300 mètres ; ce sont les deux limites extrêmes du tir du fusil Gras avec la hausse ordinaire ; mais un curseur à rallonge, C, permet de viser jusqu’à 1 800 mètres.

Le pied de la hausse est bronzé, comme le canon ; les autres parties de la hausse sont en couleur bleue.

Fig. 213. — Fermeture de culasse du fusil Gras et culasse.
A, vue en plan. — B, vue en élévation.

La boîte de culasse (fig. 213) est vissée sur le canon et bronzée extérieurement ; on y loge la culasse mobile.

Il faut distinguer, dans cette boîte de culasse : l’écrou a, dans lequel se visse le canon, l’échancrure b, qui reçoit le renfort du cylindre et qui permet de placer la cartouche dans le canon, le rempart r, qui donne appui au cylindre pendant le recul et qui est taillé en forme hélicoïdale de façon à permettre d’achever sans brusquerie la fermeture du tonnerre. Cette boîte est pourvue, en outre, de quelques pièces qui ont un rôle à jouer dans le maniement de l’arme. Ce sont : la vis-arrêtoir m, qui limite le jeu de la culasse mobile en avant et en arrière ; le ressort-gâchette, l, dont la tête, sous l’action de la branche de ressort, fait saillie à l’intérieur de la boîte de culasse et de la détente, qui, sous la pression du tireur, glisse en roulant, sur la boîte de culasse, et détermine ainsi l’abaissement de la tête de gâchette.

La culasse mobile se compose de sept pièces : l’extracteur, — la tête mobile, — le cylindre, — le chien, — le percuteur, — le manchon — et le ressort à boudin.

Il est à peine nécessaire de dire que cette culasse mobile est la partie essentielle des fusils qui se chargent par la culasse. C’est cette culasse mobile dont on parlait tant avant 1870, et surtout après la victoire de Sadowa.

C’est la tête mobile qui donne appui, par sa branche antérieure, au culot de la cartouche, et qui sert, en outre, à loger l’extracteur. Elle est constituée par un corps de forme à peu près cylindrique, et qui se termine à l’arrière par un collet qui pénètre dans le cylindre. Le corps de cette tête mobile est percé, suivant son axe, d’un canal, pour le passage du percuteur. Le canal et le percuteur ont une forme absolument identique, de sorte qu’ils ne peuvent pas se mouvoir indépendamment l’un de l’autre.

Fig. 214. — Extracteur.

L’extracteur se compose de deux branches a et b qui forment ressort, et d’un pivot c, fixé à la branche supérieure b. À la branche inférieure a est attachée une griffe, inclinée à l’avant et munie d’une entaille, à l’arrière. Les deux branches a et b sont séparées par une fente. La griffe passe, quand on ferme le tonnerre, par dessus le bourrelet de la cartouche ; la branche supérieure se comprime alors, réagit sur la branche inférieure, et l’extracteur est tendu.

Fig. 215. — Cylindre du fusil Gras.

C’est le cylindre (fig. 215) qui est la pièce essentielle du mécanisme de fermeture. Ce cylindre, qui est creux, loge le ressort à boudin et le percuteur, autour duquel le ressort à boudin est enroulé. Le renfort, a, sert à guider les mouvements de la culasse mobile dans la boîte de culasse ; et pour assurer la fermeture du canon, on l’engage à fond dans l’échancrure ; il sert, en outre, d’embase au levier A, qui permet de manœuvrer la culasse mobile.

Fig. 216. — Percuteur du fusil Gras.

Le chien du fusil produit, par l’intermédiaire du percuteur, l’inflammation de la cartouche. Ce percuteur (fig. 216) est une tige d’acier, dont la pointe frappe l’amorce de la cartouche. Enfin le ressort à boudin, qui est le véritable moteur du mécanisme de percussion, consiste en un fil d’acier d’un millimètre et demi de diamètre, qui est enroulé en hélice sur une longueur de 75 millimètres. Ce ressort entoure le percuteur ; il s’appuie, à l’une de ses extrémités, contre le fond du cylindre et à l’autre extrémité contre l’embase du percuteur. Lorsque les spires hélicoïdales du ressort à boudin se touchent, ce ressort peut résister à un effort de 17 kilogrammes.

Fig. 219. — Fonctionnement du fusil Gras.
A, levier de culasse mobile. — B, cartouche engagée dans le canon. — C, chien. — D, détente. — E, extracteur de la cartouche. P, percuteur avec sa tige et son ressort.

Nos lecteurs connaissent maintenant le fusil Gras ; voyons comment on s’en sert.

Le coup est parti ; le tonnerre est fermé (fig. 219). Le soldat tourne franchement le levier A de droite à gauche et il retire la culasse mobile en arrière, jusqu’à ce que la tête mobile soit arrêtée par la vis-arrêtoir. Il rejette ainsi l’étui de la cartouche brûlée. Quand le levier est relevé, le coin d’arrêt a pénétré dans le cran de l’arme et le ressort à boudin est comprimé ; le tireur introduit la nouvelle cartouche et ferme le tonnerre en poussant très doucement la culasse mobile en avant. Il tourne ensuite le levier pour le rabattre complètement à droite. Dans ce mouvement la partie antérieure de la griffe achève de pousser la cartouche dans sa chambre. Il ne reste plus alors qu’à agir sur la détente D, pour que le chien C, devenu libre, ramène le ressort à boudin sur le percuteur, dont la pointe atteint alors l’amorce et détermine l’inflammation de la cartouche.

Fig. 217. — Baguette du fusil Gras.

La baguette du fusil (fig. 217), qui est en acier, sert à laver le canon et à décharger l’arme, dans le cas, très rare, où l’extracteur n’aurait pas agi avec efficacité. Enfin, l’épée-baïonnette (fig. 218), dont l’usage devient de moins en moins fréquent à mesure que les progrès de l’artillerie et les transformations de la tactique rendent moins probable les combats à l’arme blanche, se compose d’une lame, d’une monture et d’un fourreau.

Fig. 218. — Épée-baïonnette du fusil Gras.

La lame est en acier ; la poignée comprend le pommeau en laiton et le poussoir, sur l’extrémité duquel il faut appuyer pour enlever l’épée-baïonnette, une fois qu’elle a été fixée au bout du canon. Le fourreau est en tôle d’acier, bronzé à l’extérieur.

Dans ses parties essentielles, le fusil Gras, adopté en 1874, ne diffère pas radicalement du fusil Chassepot, dont on commença la fabrication en 1866. Quand le fusil Gras fut choisi, le Ministre de la guerre et les membres des commissions de Châlons et de Versailles se rendaient bien compte que l’heure n’était plus très éloignée où nous serions forcés de modifier de fond en comble l’armement de notre infanterie. Il s’agissait donc de dépenser le moins d’argent possible, tout en assurant à nos fantassins un armement supérieur à celui des fantassins allemands. C’est ce problème qu’avait résolu le général Gras. Mais comme les fusils Lebel que nous possédons ne seront peut-être pas en nombre suffisant, il est à peu près certain qu’en cas de mobilisation, l’armée active aurait seule des fusils Lebel et que l’armée territoriale serait armée de fusils Gras, autrement dit de fusils modèle 1874 ; c’est pour ces raisons que nous avons cru devoir donner une description détaillée du fusil Gras.


CHAPITRE V

passage du fusil gras au fusil lebel. — la commission de versailles étudie les armes à répétition qui lui sont proposées par les armuriers et les ingénieurs. — résultats de ses recherches. — le fusil modèle de 1886. — la poudre sans fumée employée pour le fusil lebel.

Le fusil Gras était excellent, mais il était à peine adopté en France, que les Allemands poursuivaient, sans perdre un instant, la transformation de leur armement, et décidaient l’adoption du fusil à petit calibre. En même temps, ils songeaient sérieusement à munir leur fusil Mauser d’un mécanisme à répétition. Il fallait se hâter, pour n’être point inférieur à nos adversaires, au point de vue de l’armement de l’infanterie.

Le ministre de la guerre, — c’était le général Thibaudin — nomma, en 1883, une commission chargée de s’assurer, par une comparaison entre différents systèmes d’armes, si le fusil Gras devait être conservé, modifié ou remplacé.

Cette commission se réunit à Versailles, le 1er avril 1883. Présidée par le général Dumond, elle était composée du colonel Tramond, sous-directeur de l’infanterie, du colonel Gras, inspecteur des manufactures d’armes, du lieutenant-colonel Bonnet, commandant l’école normale de tir du camp de Châlons, du colonel Lebel, commandant l’école régionale de tir du camp de Châlons.

La construction d’un fusil à répétition irréprochable présente bien des difficultés.

Un fusil à répétition doit avoir 600 ou 700 mètres de portée et une trajectoire assez tendue pour que la flèche n’en dépasse point, en hauteur, la taille moyenne de l’homme. Il faut que le mécanisme de répétition soit assez perfectionné pour que, sans désépauler, le tireur puisse faire, à jet continu, emploi de toutes les cartouches enfermées dans le magasin. Le mode de chargement de ce magasin doit être assez ingénieux pour que le soldat puisse le remplir aussi facilement, aussi rapidement qu’il remplace aujourd’hui la cartouche simple du fusil Gras, rejetée par l’extracteur. En outre, il faut que le mécanisme servant à l’introduction de la cartouche dans la chambre fonctionne correctement, depuis le premier coup jusqu’au dernier, afin que le tir n’ait point d’interruptions à subir ; — que le passage du tir par coups successifs au tir roulant rapide, ou réciproquement, s’effectue d’une manière simple ; — que le magasin puisse, jusqu’au moment décisif, garder intact l’approvisionnement qu’il contient ; — que le poids de l’arme ne dépasse point la moyenne du poids généralement admis pour les armes portatives ; — que le centre de gravité en soit convenablement situé ; — que l’entretien du mécanisme soit simple et facile ; — que le prix de revient n’en soit pas trop élevé.

Telles sont les principales conditions à remplir.

D’après ce qui a été dit précédemment, on peut distinguer trois catégories de fusils à répétition :

1o Les armes à magasin placé dans la crosse ; de la crosse, les cartouches arrivent dans la boîte à culasse, poussées par un ressort. Tels sont les fusils Winchester, Spencer, Hotchkiss, Evan.

2o Les fusils à verrou, dans lesquels un mécanisme spécial fait arriver les cartouches dans la boîte à culasse, que l’on ouvre pour y placer le magasin à cartouches. Tels sont le fusil autrichien Mannlicher, le fusil Westerli et le fusil Gras à répétition.

3o Les fusils dans lesquels les cartouches sont placées le long du canon, c’est-à-dire dans la monture, dans un canal ménagé le long de cette monture, et qui sont poussées par un ressort à boudin dans la boîte à culasse.

La Commission de Versailles examina et étudia comparativement plus de cinquante formes de fusils, et au mois de décembre 1883 elle fit procéder, par différents corps de troupes, à des essais pratiques et comparatifs sur les deux systèmes les plus rationnels qui avaient été proposés pour l’emmagasinement des cartouches dans les fusils à répétition, à savoir, le système à chargeur, à magasins multiples et amovibles, constitués par de petites boîtes métalliques, dans lesquelles les cartouches sont superposées horizontalement ou juxtaposées verticalement, et le système à répétition proprement dit, dont le magasin fixe et unique, logé le long du canon, dans la monture, contient des cartouches placées à la suite l’une de l’autre, et qui sont poussées par un ressort à boudin, jusqu’au point où le percuteur doit les emflammer.

En 1883 et 1884, le général Campenon, qui était alors Ministre de la guerre, avait songé à pourvoir le fusil Gras d’un magasin. Or, le fusil Gras coûtait déjà 65 francs ; la nouvelle boîte de culasse eût exigé un supplément de dépense de 11 francs 90, et le mécanisme de répétition (magasin) eût coûté 12 francs 60. Cette solution, d’ailleurs, avait le grave défaut d’être incomplète. Car, d’une part, le fusil de petit calibre se serait imposé tôt ou tard ; et d’autre part, il faut qu’une armée n’ait qu’un seul modèle de fusil. Pour le démontrer, il suffirait de se reporter aux événements de la guerre de 1870, où la plus grande cause de confusion et d’arrêt dans les opérations provint de ce que l’on recevait des magasins de la guerre des munitions qui n’entraient pas dans les calibres des canons ou des fusils.

Au mois de mars 1884, la commission de Versailles terminait ses expériences de tir et ses comparaisons, en proposant de remplacer le fusil Gras par un autre type d’arme, soit à répétition, soit à chargeur, soit même à tir coup par coup, qui jouirait, grâce à son faible calibre, d’une plus grande puissance balistique.

La réduction du calibre à 8 millimètres avait surtout été soutenue par le colonel Luzeux, du 22e d’infanterie, aujourd’hui général. Toutefois, aucun des modèles proposés n’avait paru réunir toutes les conditions nécessaires ; de sorte que pour prononcer en dernier ressort sur la question des dernières études elle institua une sous-commission, dite Commission des armes à répétition et de petit calibre.

Présidée par le général Tramond, que l’armée a perdu trop tôt, cette sous-commission était composée du colonel Gras, du lieutenant-colonel Bonnet, du colonel Lebel du commandant d’artillerie Tristan, chef du service des armes portatives au dépôt central de l’artillerie, des capitaines Heimburger et Desaleux, Elle devait, dans les plaines du camp de Châlons, inaccessibles aux curieux, essayer les modèles qui avaient paru les meilleurs.

Les premiers essais eurent lieu au mois de juin 1884, sur deux fusils construits suivant ses indications. L’un, du calibre de 8 millimètres, était présenté par la manufacture de Châtellerault ; l’autre, de 9 millimètres, par celle de Saint-Étienne. L’arme de Chatellerault, à tir coup par coup, fut sur le point d’être adoptée. Différant seulement du fusil Gras par le calibre du canon, elle aurait permis une transformation rapide de notre matériel.

Cependant, la Commission voulait trouver mieux. Elle se remit au travail, et elle créa, cette fois, une arme à répétition irréprochable, qui prit le nom de fusil modèle de 1886, Le colonel Lebel, et les colonels Gras et Bonnet, déterminèrent la forme et le fonctionnement des différentes pièces de ce fusil.

Il restait à faire choix de la poudre destinée à ce nouveau fusil.

Pendant que les officiers de la sous-commission de Versailles s’appliquaient, de concert avec MM. Lebel, Tramond, Gras et Bonnet, à créer le nouveau fusil modèle de 1886, M. Vieille, alors jeune ingénieur des arts et manufactures, cherchait, comme nous l’avons dit dans le Supplément aux poudres de guerre, la poudre sans fumée, et il finissait par la trouver. L’une des inventions s’adapta à l’autre ; la poudre sans fumée fut le complément nécessaire du fusil modèle de 1886, et ainsi fut créée l’arme nouvelle, avec laquelle la France peut attendre tranquillement, sans bravade, mais avec confiance, les agressions étrangères, qu’elles viennent de l’Est ou du Nord, des bords du Rhin ou du côté des Alpes.

Les cartouches chargées de la poudre sans fumée de M. Vieille et l’arme de petit calibre à répétition, ayant été définitivement adoptées sous le nom réglementaire de fusil modèle de 1886, le général Gras se rendit aussitôt en Amérique, pour y acheter les machines-outils nécessaires à la fabrication de cette arme.

En décembre 1886, on commença à fabriquer dans les manufactures de l’État le fusil dit modèle de 1886.

En résumé, le fusil modèle de 1886 est improprement nommé fusil Lebel, puisque plus d’un officier a concouru à sa création. Il est dù à la collaboration active du général Tramond, qui commandait alors l’école de Saint-Cyr, du colonel Lebel, qui était directeur de l’école normale de tir au camp de Châlons, et du colonel Gras, aujourd’hui général et inspecteur général de nos manufactures d’armes. On a pris l’habitude d’appeler cette arme fusil Lebel ; mais pour éviter toute équivoque, il faut la désigner sous le nom que lui attribuent les règlements militaires : fusil modèle de 1886.

Il serait, en effet, extrêmement difficile de faire la part de chacun des officiers très distingués qui ont aidé à résoudre le problème dont ils étaient saisis. Le général Tramond a surtout insisté sur la nécessité d’adopter un petit calibre ; le colonel Lebel a établi ce que l’on appelle la trajectoire du fusil, en multipliant les essais de tir, en faisant varier à l’infini le rapport du poids de la charge au poids de la balle. Avec sa haute expérience, le colonel Gras, qui nous avait donné déjà un très bon fusil, au lendemain des défaites de 1870, a rectifié certains détails de construction, particulièrement ceux qui concernent la fermeture de culasse. Enfin, les officiers de la commission de Versailles, qui était présidée par le général Dumond, avaient soumis cinquante modèles successifs de fusils à des épreuves très utiles.

C’est le cas de dire que ce fusil ne s’est pas fait tout seul !

Arrivons maintenant à la description de cette arme.

La fermeture du fusil modèle 1886 (fig. 220) est à verrou, comme celle du fusil Gras, que nous avons décrit plus haut. Cette fermeture est donc dissymétrique ; seulement on a fait disparaître, par une modification ingénieuse, l’un des principaux inconvénients de la fermeture à verrou. La pression des gaz développés au moment du tir s’exerce contre la cuvette de la tête mobile ; cette cuvette s’appuie sur le cylindre ; elle lui communique donc la pression qu’elle subit, et le cylindre, à son tour, transmet cette impulsion au renfort de la boîte de culasse ; il en résulte qu’au moment où le coup part, l’arme tend à tourner. En outre, la pression des gaz est suffisante pour fausser, à la suite d’un tir prolongé, l’une ou l’autre des pièces que nous venons d’énumérer. Ce sont les inconvénients propres aux fusils Dreyse et Chassepot.

Pour obvier à cet inconvénient, le colonel Gras a garni la partie antérieure de la culasse mobile du fusil modèle 1886, de deux tenons, qui reçoivent directement la pression des gaz, et la transmettent symétriquement jusqu’à l’arrière du fusil, c’est-à-dire jusqu’à l’épaule du tireur.

Voyons maintenant comment fonctionne la fermeture de culasse ; nous ferons en même temps la description du fusil, que représentent dans son aspect général les figures 220 et 221.

Supposons (fig. 222) la culasse ouverte ; le magasin est placé sous le canon, d’une façon à peu près analogue à celle dont est disposé le magasin du fusil Mauser. L’auget A, dont nous avons expliqué le fonctionnement au chapitre précédent, élève les cartouches contenues dans le magasin jusqu’à l’entrée de la chambre. À l’aide du levier de manœuvre b, le soldat peut immobiliser l’auget ou le mettre en mouvement ; dans le premier cas, on tire coup par coup, en chargeant le fusil à chaque fois ; dans le second cas, on emploie le tir à répétition. Admettons que l’auget fonctionne librement. Au moment où le tireur refoule la culasse en arrière pour expulser l’étui vide n, le cylindre de culasse heurte un taquet t qui fait basculer l’auget ; alors la cartouche qui a été refoulée dans l’auget A par le ressort à boudin R pénètre dans la chambre T. Le soldat ramène la culasse mobile en avant pour la fermer ; la cartouche est chassée dans la chambre et le levier du cylindre, par l’intermédiaire du butoir (fig. 222), abaisse l’auget et l’incline jusqu’à ce qu’il ait reçu une nouvelle cartouche.

Le magasin contient dix cartouches, qu’un tireur exercé peut brûler dans d’assez bonnes conditions de précision, en 30 et 40 secondes ; si l’on ne fait pas usage du mécanisme de répétition, on tire facilement dix coups par minute.

Nous avons donné les dimensions essentielles du fusil modèle 1886, et fait voir que le poids de la cartouche est notablement inférieur au poids de la cartouche du fusil allemand. Le fantassin français en porte 118 sur lui. Les caissons de munitions de première ligne contiennent 100 cartouches par soldat d’infanterie, et les sections de parcs qui marchent à l’arrière en renferment 85 par homme, de façon que, sur le champ de bataille, chaque soldat dispose de 218 cartouches et que, dans l’espace de deux jours au plus, il peut en brûler 303.

La balle du fusil modèle 1886, qui est en plomb durci (90 parties de plomb pour 10 parties d’antimoine), a 32 millimètres de longueur. Elle est animée d’une vitesse initiale de 625 mètres par seconde ; sa trajectoire est tellement rasante qu’elle ne s’élève pas à plus de 2m,50 au-dessus du sol, tandis que la flèche du fusil Gras atteignait une hauteur de près de 5 mètres. Au camp de Châlons, le capitaine Journée a démontré que, pendant 6 secondes au moins, la balle traverse l’espace avec la même rapidité que le son. À 300 mètres de distance, ce projectile traverse des planches épaisses d’un mètre ; à 1 000 mètres, il percerait quatre hommes et deux chevaux.

Toute notre armée active est munie aujourd’hui du fusil modèle 1886 ; mais, en outre, deux fusils à répétition, d’une construction particulière, font partie de notre armement : le fusil Kropatchek, qu’emploient les équipages de la flotte, ainsi que les régiments de l’infanterie de marine et le fusil Gras transformé en fusil à répétition.

Fig. 223. — Coupe du fusil Kropatchek
.

A, la cartouche amenée dans le tonnerre par l’auget. — B, l’auget, recevant la cartouche du magasin et l’élevant jusqu’au tonnerre T. — I, ressort faisant lever l’auget. — H, le logement de l’auget servant d’entrée au magasin. — G, articulation de l’auget. — D, détente. — J, tire-cartouches. — L, levier de manœuvre, ou verrou. — C, le chien.

Le fusil inventé par le colonel autrichien Kropatchek (fig. 223) est une arme à verrou ; le magasin est situé dans le fût ; la culasse mobile ne diffère pas de celle du fusil Gras ; le magasin est en laiton, et contient sept cartouches, que le tireur y introduit à la main. C’est une arme assez ingénieusement combinée, mais qui ne peut servir longtemps, car la plupart des pièces qui constituent le mécanisme à répétition s’usent, à la suite d’un tir prolongé. En outre, comme arme à tir à un coup, le Kropatchek ne rend que de médiocres services.

On a procédé, à Cherbourg, à des expériences comparatives entre le fusil Kropatchek et deux autres modèles adoptés par des marines étrangères, et l’on s’est aperçu que le chargement du Kropatchek exigeait trop de temps, et qu’il valait mieux, sur le champ de bataille, une fois que l’on aurait brûlé toutes les cartouches contenues dans le magasin, continuer le tir coup par coup, plutôt que de s’attarder à remplir de nouveau le magasin. Dans ces conditions l’emploi du fusil Kropatchek ne peut guère être mis qu’entre les mains des troupes de la marine, qui n’ont pas à soutenir des combats prolongés, mais qui, soit pendant un débarquement, soit durant une reconnaissance à terre, peuvent obtenir de brillants résultats en tirant coup sur coup sept ou huit balles. Le ministre de la marine a prescrit toutefois d’allonger le magasin, de façon qu’il puisse recevoir désormais huit cartouches.

Le fusil Gras à répétition est une transformation du fusil Gras modèle 1874, à peu près analogue à celle qu’a subie le fusil allemand.

En 1884, au moment où l’on apprit que l’Allemagne s’occupait avec activité de transformer ses fusils Mauser en fusils à répétition, le ministre de la guerre craignit que nous ne fussions attaqués à l’improviste avant l’achèvement du matériel de calibre réduit, et on crut devoir créer un armement transitoire, en mettant à profit les études faites pour la création de ce matériel. Nos manufactures entreprirent donc, en toute hâte, l’exécution de fusils Gras à répétition, auxquels on a donné la dénomination de fusils modèle 1884 et modèle 1885. Elles continuèrent à les fabriquer jusqu’au moment où le nouvel outillage exigé pour le forage des canons des fusils Tramond-Lebel et le fraisage de leurs différentes pièces fût arrivé d’Amérique.

Le fusil Gras transformé en fusil à répétition pèse 4 kilogrammes 250, et n’a que 1m,24 de longueur, le poids du mécanisme à répétition ayant imposé l’obligation de lui donner le canon de la carabine de cavalerie.

Fig. 224. — Fusil Gras à répétition, fermeture de la culasse.

C, chien. — L, levier de manœuvre ou verrou. — D, détente. — E, partie extérieure de la culasse. — F, levier faisant sortir le chien du cran d’arrêt, au moment du tir. — B, ressort de l’auget. — M, levier permettant d’utiliser les cartouches du magasin ou d’en immobiliser l’emploi. — A, cartouche. — A′ A″, cartouches dans le magasin. — R, ressort du magasin. — T, tonnerre. — K, plaque obturatrice de la chambre. — m, la hausse, rabattue.

La figure 224 représente la fermeture de culasse de ce fusil au moment où la culasse a été ramenée en arrière, et où l’auget amène la cartouche à l’entrée de la chambre.

Depuis que le fusil modèle de 1886 a été adopté dans l’armée française, le capitaine d’artillerie Pralon, attaché à l’École de pyrotechnie, à Bourges, a soumis au ministre de la guerre un fusil, dont on a fait le plus grand éloge, mais qui n’a jamais été décrit. Le général Ferron, alors qu’il était ministre de la guerre, en 1887, fit tout exprès le voyage de Bourges, pour assister aux essais de tir du fusil Pralon.

La cartouche de ce fusil est recouverte d’une enveloppe en acier malléable, et l’on assure qu’elle est douée d’une force de pénétration cinq ou six fois supérieure à celle de la balle du fusil modèle 1886 ; une de ces balles suffirait pour percer un caisson en tôle métallique, et pour déterminer l’explosion des obus renfermés dans ce caisson.

C’est tout ce que nous pouvons dire à ce sujet : le capitaine Pralon, qui a été décoré de la Légion d’honneur par le général Ferron, en témoignage de haute considération, continue ses recherches.


CHAPITRE VI

principaux modèles d’armes à répétition en usage à l’étranger. — le fusil mauser, ou fusil allemand. — sa description et ses propriétés. — méthode de tir en usage dans l’armée allemande. — comparaison entre le fusil français et le fusil allemand.

Les Allemands ont mis beaucoup d’hésitation à adopter le fusil à répétition, et à choisir un modèle définitif de cette arme. Ils ont longtemps tâtonné, soit que la dépense nécessitée par une transformation ainsi radicale de l’armement leur parût excessive, soit que leur choix ne fût pas encore bien arrêté.

Quand on apprit, au mois de février 1887, que le gouvernement allemand convoquait 100 000 réservistes, pour leur faire apprendre le maniement du fusil à répétition, l’émotion fut profonde en France, et dans toute l’Europe. Toutes les puissances qui avaient hésité jusque-là à substituer le fusil à répétition au fusil ordinaire à aiguille furent, en quelque sorte, obligées, sous la pression de l’opinion publique, de renouveler leur armement. Et le renouvellement de l’armement d’une nation, comme la France, n’est pas chose de mince importance ; car il ne demande pas moins de 500 millions de dépenses, et exige un temps considérable, pour sa fabrication dans les manufactures de l’État.

Nous avions déjà commencé, dans nos manufactures de Tulle et de Saint-Étienne, la fabrication du fusil modèle de 1886, mais on comprit, à l’annonce de l’adoption du fusil à répétition en Allemagne, qu’il n’y avait plus une minute à perdre, et qu’il fallait, par tous les moyens possibles, activer cette fabrication. La lutte engagée entre les différentes nations de l’Europe est à l’état tellement aigu, bien qu’elle ait, momentanément, un caractère pacifique, que nul ne doit laisser prendre l’avance à son voisin. Dans vingt ou trente ans, quand on aura découvert quelque nouvel engin de destruction, canon ou fusil, tout sera peut-être à recommencer, et le matériel actuel des armées d’Europe ne sera plus qu’une vieille quincaillerie ; on créera un armement non encore soupçonné, et les nations continueront de jeter des milliards dans le gouffre sans fond du budget de la guerre. Mais, en attendant, il faut parer aux dangers actuels.

En ce qui concerne la transformation de l’armement en Europe, c’est la France qui a pris les devants, et le fusil qu’elle possède et que nous avons décrit est bien supérieur au fusil allemand.

C’est ce qui sera établi à la fin de ce chapitre.

On a prétendu un moment que les Allemands se contentaient de modifier provisoirement le fusil Mauser, qui était en service depuis 1871, en lui adaptant un chargeur, et qu’ils se réservaient de fabriquer plus tard un fusil à répétition de petit calibre, construit, ajoutait-on, sur des plans du professeur Hébler, de Zurich. C’était une double erreur. Le gouvernement allemand a si peu cherché à réaliser une économie que pas une seule des pièces de l’ancien fusil n’a été utilisée pour la fabrication du nouveau fusil, dont il est temps de donner la description.

Le fusil Mauser à répétition, ou fusil allemand, comprend : une monture en bois de noyer, une culasse mobile, un canon en acier, un mécanisme de répétition et les garnitures.

La figure 225 représente ce fusil au moment où la culasse mobile est fermée ; alors, une cartouche sortie du magasin a été transportée par l’auget A, jusque dans la chambre, le soldat peut faire feu. En même temps, une autre cartouche est venue se loger dans l’auget.

La figure 226 montre le fusil au moment où la culasse mobile est ouverte. L’auget, A, qui s’est soulevé a poussé une cartouche b dans la chambre, et quand l’auget sera redescendu, la cartouche viendra s’y placer.

Comme on le voit sur nos deux dessins, la partie inférieure de la boîte de culasse, qui affecte une forme rectangulaire, contient tout le mécanisme de répétition. Le magasin dans lequel sont renfermées huit cartouches est un tube en tôle d’acier, parallèle au canon du fusil, et situé au-dessous de ce canon, dans la monture. À l’avant, un ressort à boudin, B, s’appuie sur la pointe de la dernière cartouche. L’auget A est une sorte de demi-cylindre creux, qui se meut autour d’un pivot C, une petite saillie empêche l’auget de s’élever trop haut. Quand on ouvre la culasse, l’extracteur entraîne l’étui vide ; une targette D, dont la partie supérieure est repoussée par le butoir de la culasse, relève alors l’auget, qui présente une cartouche à l’entrée de la chambre. Le tireur referme la culasse, et pousse ainsi la cartouche dans la chambre ; l’auget redescend, et le ressort à boudin, B, renvoie la première cartouche b dans l’auget. Le tir continue ainsi, jusqu’à ce que le magasin soit vide.

On a dit, dans quelques journaux étrangers, que les expériences faites jusqu’à présent avec ce fusil n’avaient pas donné des résultats excellents ; le mécanisme de répétition ne marcherait pas dans des conditions convenables et s’encrasserait trop rapidement. Nous reproduisons ces critiques sous toutes réserves. Les officiers, pas plus en Allemagne qu’en France, n’ont l’habitude de communiquer leurs impressions aux journaux.

Quoi qu’il en soit, une bonne partie des contingents allemands est pourvue du fusil Mauser.

Il n’est pas difficile, pourtant, d’établir que le fusil Mauser à répétition est bien inférieur au fusil français modèle de 1886.

D’abord, le nouveau fusil allemand a 11 millimètres de calibre, et nous avons établi plus haut que le fusil de petit calibre (7 ou 8 millimètres) jouit de propriétés balistiques (portée, hauteur et précision du tir) bien supérieures à celles du fusil de gros ou de moyen calibre.

Si l’on veut s’assurer, par d’autres comparaisons, de la supériorité du fusil français sur le fusil allemand, on n’a qu’à jeter un coup d’œil sur le tableau suivant :

  Fusil Mauser. Fusil Lebel.
Poids du fusil 
4k,600 4k,100
Calibre 
11 millim. 8 millim.
Poids de la cartouche 
33 grammes 29gr,7
Vitesse initiale 
410 mètres 625 m.
Portée maximum 
2 000 m. 3 000 m.

Le fantassin français porte 118 cartouches sur lui ; le fantassin allemand n’en a que 100 ; la différence est sensible.

Les Allemands se sont efforcés, pour compenser autant que possible une évidente infériorité, de simplifier jusqu’à l’excès les opérations préliminaires de la charge, afin d’obtenir, le cas échéant, une extrême rapidité de tir ; et d’autre part, ils multiplient les séances de tir, afin de familiariser leurs soldats avec le maniement du fusil à répétition, et d’éviter, sur le champ de bataille, le gaspillage des munitions. Il faut reconnaître qu’ils avaient obtenu ce résultat, avec le fusil Mauser ordinaire, en 1870, et que la régularité, aussi bien que la parfaite exécution de leur tir, nous ont alors coûté bien cher.

Il est intéressant de voir comment les Allemands pratiquent le tir, d’autant plus que d’importantes modifications ont été consacrées par le règlement du 1er septembre 1888. Dans l’Avant-propos de ce nouveau règlement, l’empereur Guillaume II s’exprime en ces termes :

« Tout manquement aux prescriptions de ce règlement sera sévèrement réprimandé. Je réprimerai, sans considération, par la mise à la retraite toute résistance à cette expression de ma volonté.

« Au commandement : Au magasin ! Bataillon, pour charger ; chargez ! Soulever l’arme de la main droite et l’abattre en avant. Saisir l’arme de la main gauche vers le centre de gravité, le pouce étendu sur le fusil. Le guidon environ à hauteur de l’œil, le bord inférieur de la crosse à un travers de doigt au-dessus du bord supérieur de la cartouchière droite. Poser le bras droit sur le bord extérieur de la crosse. Tourner la tête vers le chien, saisir le levier de la main droite, tourner le cylindre vers la gauche et le ramener en arrière, d’un seul coup et avec vigueur. Porter la main à la cartouchière, saisir une cartouche, l’introduire dans le magasin et continuer jusqu’à ce que le magasin soit rempli. La 9e cartouche n’entre plus dans le magasin, mais elle est ramenée par le ressort à boudin dans l’auget.

« Ramener la culasse en arrière pour relever l’auget avec la cartouche. Pousser la culasse mobile contre le canon et rabattre le levier à droite. »

Hâtons-nous d’ajouter que ni les soldats, ni les sous-officiers, ni même les officiers, ne sont astreints à apprendre par cœur cette interminable nomenclature. Ce que l’on veut, c’est que le soldat exécute tous ces mouvements machinalement, et dans l’ordre exact indiqué par le règlement ; c’est la condition essentielle à remplir pour obtenir, sur le champ de bataille, un tir bien réglé. En se reportant aux figures 225 et 226, nos lecteurs pourront aisément se figurer les mouvements de la charge, et s’assurer ainsi que le règlement allemand n’indique absolument que les opérations indispensables.

Les Allemands ont essayé trois cartouches pour le fusil Mauser. La cartouche définitivement adoptée est composée d’un étui en laiton, qui est verni à l’intérieur. La charge de poudre est de 5 grammes ; une rondelle en cire et deux rondelles en carton séparent la charge de poudre de la balle.

Comme nous l’avons dit plus haut, le fantassin allemand emporte 100 cartouches. Les caissons de munitions qui accompagnent chaque bataillon renferment, en outre, 80 cartouches par homme ; enfin, les voitures à bagages, les caissons de munitions des colonnes de corps d’armée qui suivent les régiments, à dix ou quinze kilomètres en arrière, contiennent encore 72 cartouches par homme. Au total l’approvisionnement en cartouches dans l’armée allemande, est de 252 par soldat d’infanterie.

On croit que la poudre employée par les Allemands, dans la cartouche du fusil Mauser est, comme la poudre de notre nouveau fusil, une poudre sans fumée. Mais les renseignements précis font jusqu’à présent défaut à ce sujet. Il paraît, toutefois, que les poudres sans fumée essayées en Allemagne ont de grands défauts


CHAPITRE VII

le fusil autrichien et le fusil suisse.

Un armurier de Vienne, Mannlicher, a créé quatre types de fusils à répétition, dont le quatrième (par la date de sa fabrication) a été introduit en 1889 dans l’armée austro-hongroise. Le ministre de la guerre a obtenu des Délégations un premier crédit de 80 millions, pour subvenir aux frais de la fabrication de près de 800 000 fusils de ce type.

Ce type de fusil à répétition est peut-être celui de tous dont le maniement est le plus facile et le plus rapide, le tir pouvant donner 35 coups par minute. Nous décrirons pourtant les trois autres types.

Fig. 227. — Premier type du fusil autrichien.

A, l’un des tubes servant de magasin. — B, tambour cannelé mettant successivement en mouvement les tubes A. — c, coulisse à répétition transmettant le mouvement aux tubes A. — R, section intérieure de l’un des tubes magasins montrant le ressort propulseur. — D, une partie de l’ouverture de chargement du magasin. — L, détente. — C, culasse mobile. — P, percuteur. — T, canon.

Le premier type (fig. 227) est destiné à l’armement des dragons, des servants de l’artillerie de campagne et des équipages de la flotte. C’est dans la crosse du fusil qu’est le magasin, qui renferme 15 cartouches. Ce magasin A se compose de trois tubes contenant chacun 5 cartouches ; à sa partie antérieure, ce magasin est en rapport avec un tambour cannelé, B, qui détermine son mouvement de rotation, grâce à une coulisse à répétition c. Quand on veut remplir le magasin, on le fait tourner de droite à gauche et on le garnit le long de la rainure D.

Pour le tir, il faut exécuter cinq mouvements :

Soulever le levier ; — ramener le cylindre en arrière ; — repousser le cylindre en avant ; — rabattre le levier ; — presser la gâchette.

Ces mouvements sont élémentaires, presque instinctifs, nous n’y reviendrons pas puisque l’emploi des trois autres modèles Mannlicher exige la succession des mêmes opérations.

Ce premier fusil ne pèse que 5 kil. 500 quand il est chargé de 15 cartouches.

Fig. 228. — Deuxième type de fusil autrichien.

A, magasin. — bbb, les cartouches placées obliquement, la balle en bas. — B, le ressort propulseur. — R, l’aujet. — M, la crosse du fusil. — C, culasse mobile et percuteur. — L, levier de manœuvre. — T, canon. — D, détente.

Le second modèle (fig. 228) est muni d’un magasin fixe, qui contient 12 cartouches placées diagonalement. Ce magasin, A, est une boîte métallique enfermée dans le fût et la crosse. On y introduit les cartouches par la partie latérale, O, de la monture.

Le fonctionnement de ce système est d’une merveilleuse simplicité ; seulement, le chargement du magasin est long, et, de plus, par la disposition même des cartouches dans le magasin, le centre de gravité de l’arme est trop reporté vers l’arrière.

Le troisième et le quatrième modèles ont des chargeurs séparés. Comme ils ne diffèrent l’un de l’autre que par des détails de construction, nous nous contenterons de décrire le quatrième modèle, c’est-à-dire le fusil dont est munie actuellement l’infanterie de l’armée autrichienne.

L’obturation de cette arme est assurée par un verrou ; la fermeture à cylindre a été transformée de telle façon (fig. 229) que pour l’ouvrir ou la refermer il suffit de faire avancer ou reculer le cylindre A, sans être obligé de le faire tourner à droite ou à gauche. On voit tout de suite que cette modification simplifie singulièrement les opérations préliminaires du tir ; aussi ne sera-t-on pas surpris d’apprendre qu’un soldat exercé tire aisément, comme il a été dit plus haut, avec le fusil Mannlicher, trente-cinq coups par minute.

Toutes les cartouches que le fantassin emporte dans son sac, en campagne, et celles aussi qui sont contenues dans les caissons de munitions d’infanterie, sont réparties par groupes de cinq, dans les boîtes-chargeurs (fig. 230). Une enveloppe rigide est fixée au fusil, au-dessous du système de fermeture ; elle entoure une boîte à cartouches, dans laquelle le tireur introduit la boîte-chargeur, constituée par une lame en tôle très légère. Un ressort soulève successivement chacune des cinq cartouches, et les amène à la hauteur du canon. Ce ressort, lorsque l’on ramène le système de fermeture en avant, saisit la cartouche supérieure par son bord, et par pression, l’introduit dans la chambre à cartouche du canon. En même temps que l’on ramène la fermeture en arrière, la cartouche vide et l’étui sont extraits automatiquement.

Les figures et coupes réunies sous les numéros 229-231 montrent ces différents organes.

Hâtons-nous de faire observer qu’avec le fusil Mannlicher le soldat est à peu près dans l’impossibilité de faire usage du tir ordinaire. En effet, toutes les cartouches dont il dispose sont groupées, cinq par cinq, dans les boîtes-chargeurs ; le tir à répétition est donc le seul tir que l’on puisse pratiquer avec le fusil autrichien. Sans doute, le soldat pourra, bien qu’il ait cinq cartouches à brûler, viser posément et tirer lentement. Mais avec les troupes actuelles, instruites à la hâte, il ne faut pas compter sur le sang-froid, ni sur la sagacité des soldats. Excités, entraînés par la fièvre du combat, ces jeunes gens qui, tous, verront le feu pour la première fois, brûleront leurs cinq cartouches — et dix autres ensuite — quand ce ne serait que pour faire du bruit. On a remarqué que, durant les dernières campagnes, en 1866, en 1870, en 1871, le rendement du fusil avait été très faible ; ce qui revient à dire que pour un nombre très considérable de cartouches consommées, il y a eu très peu de morts et de blessés.

À la bataille de Gravelotte, en 1870, les Allemands tirèrent deux cent trente coups de fusil pour faire tomber un Français, et douze coups de canon pour obtenir le même résultat. Ce fut pourtant une rencontre singulièrement meurtrière, où les deux adversaires se rapprochèrent de bien près, puisque sur cent blessés français ou allemands on en compta cinq qui avaient été frappés à l’arme blanche !

La Suisse s’est distinguée, dans ces vingt dernières années, par ses études approfondies sur les armes portatives. La balle de petit calibre et le fusil à répétition ont été mis en usage de très bonne heure, dans la république helvétique.

Le fusil à répétition, aujourd’hui adopté en Suisse, est le fusil du major Hébler ; mais il avait précédé d’autres types remarquables, auxquels nous devons une mention.

Rien n’est plus intéressant, à ce titre, que le fusil Rubin, qui a été construit par trois Français, le major Rubin, le chef armurier Pariès et le soldat Herla.

Le fusil Rubin fut soumis, en 1883, à la Commission de Versailles, qui crut devoir l’écarter, parce qu’il ne répondait pas aux conditions d’ensemble exigées, avec juste raison, par cette Commission. Toutefois, son mécanisme, tel qu’il a été décrit par le journal La France militaire, est ingénieux et mérite une mention.

Nous représentons cette arme dans la figure 232. Son mécanisme de répétition diffère des autres par cette particularité très curieuse : le tireur peut continuer le tir à répétition sans cesser d’épauler et sans déplacer la main droite. On augmente ainsi notablement la rapidité du tir, tout en diminuant la fatigue du soldat. La première de ces considérations nous touche médiocrement, puisque sur le champ de bataille le soldat ne sera déjà que trop enclin à gaspiller ses munitions ; mais la seconde a une valeur incontestable.

Fig. 232. — Fusil Rubin (fusil suisse).

A, magasin. — B, levier de manœuvre de la culasse mobile. — C, chien, ou percuteur. — D, canon. — E, couvercle. — FF, les charnières du magasin A. — R, la détente.

Le chargement de l’arme se fait en vrac, de telle sorte que, lorsque le magasin est épuisé, il est possible de le regarnir sans déplacer l’arme.

Le magasin, A, est placé sur le côté gauche de la boîte de culasse, et il tourne autour d’une charnière, F, qui permet de mettre le mécanisme à nu. Composé d’une boîte en tôle d’acier, qui contient six cartouches, il est muni d’un couvercle, E, maintenu par un ressort, qui assure l’adhérence du magasin à la boîte de culasse, au moyen d’un bouton-arrêtoir. La partie postérieure du magasin et du couvercle forme une sorte de gueule, par laquelle on introduit les cartouches, pour le tir coup par coup. Le distributeur ne forme qu’une seule pièce ; il comprend le transporteur et l’auget.

Quand le magasin est vide, le soldat, ainsi qu’il est dit plus haut, ne cesse pas d’épauler, et de sa main gauche il vide dans le magasin un paquet de six cartouches empaquetées d’une façon spéciale.

On a fait, avec ce fusil, quelques expériences au polygone de Langres, où M. Rubin était en garnison, et l’on a constaté que la durée du chargement du magasin n’excédait pas huit secondes. En tirant vingt balles par minute, à une distance de 50 mètres, sur un panneau de 1 mètre de côté, des tireurs exercés ont réussi à mettre les vingt balles dans le panneau, tandis qu’ils n’en mettaient que treize avec le fusil Gras.

Si l’on veut avoir une idée exacte des travaux de tout genre qu’exige la transformation de l’armement d’une nation, que l’on parcoure l’aperçu sommaire que nous allons donner des recherches faites par l’ordre du gouvernement suisse. Dans ce pays, où la guerre de montagne est imposée par la configuration du sol, l’infanterie joue naturellement le rôle tout à fait prépondérant, et le soldat de la Confédération helvétique, s’il avait à défendre les défilés des Alpes, devrait avoir fréquemment recours au tir à répétition.

Aussi, dès 1882, le département militaire fédéral avait-il chargé le chef de l’Infanterie de commencer des études relatives à l’adoption d’un nouveau fusil. En 1886, cette mission fut transférée à un comité spécial, présidé par le colonel Feiss, et dont faisaient partie M. Amsler, professeur à Schaffhouse, six colonels, deux députés aux États et un conseiller national. Après une longue série d’études et d’expériences pratiques, cette commission s’est prononcée en faveur d’un nouveau fusil à répétition, de petit calibre.

Déjà, en 1881, le major Rubin, alors directeur de la fabrique de munitions de Thoune, avait présenté au département militaire fédéral un fusil, du calibre de 9 millimètres, qui tirait une balle, revêtue d’un manteau de cuivre. Les expériences faites avec ce fusil conduisirent bientôt à la fabrication d’armes des calibres de 8 millimètres et même de 7mm,5. En même temps, on reconnaissait qu’il serait impossible d’utiliser pour la fabrication du nouveau fusil aucune pièce du Westerli, qui était alors en service.

Vers la même époque, le professeur Hébler, de Zurich, dont nous avons déjà mentionné le beau travail, présentait une balle à revêtement d’acier, dont l’emploi paraît extrêmement avantageux. Cette balle, qui pèse 14gr,6, n’est pas cylindrique (fig. 233) ; elle a une longueur totale de 50 millimètres ; sa partie cylindrique a 21 millimètres de longueur, dont 16 millimètres pour la portion qui est enfoncée dans l’étui de la cartouche. Elle se termine, à son extrémité antérieure, par une partie conique, suivie d’une partie ogivale. La portion cylindrique de la balle qui s’engage dans les rayures de l’âme du fusil n’a donc que 5 millimètres de longueur ; le frottement, qui cause une déperdition notable de force vive, et par conséquent de vitesse initiale, est considérablement diminué.

Fig. 233. — Balle du fusil suisse.

Enfin, vers le milieu de l’année 1887, M. Schenker avait réussi à produire une poudre sans fumée, qui résiste mieux aux influences atmosphériques que la poudre noire, jusqu’alors utilisée dans l’armée helvétique, et qui s’emploierait exclusivement dans les cartouches du fusil Hébler.

La trajectoire du fusil Hébler est très tendue. À 300 mètres de distance, sa précision est trois fois supérieure à celle du fusil Westerli. La précision du tir est encore augmentée par le revêtement en acier du projectile, puisque la balle subit moins l’influence des inégalités de l’âme du canon. Le magasin est placé sous l’ouverture de la culasse ; un mécanisme très simple permet d’interrompre le fonctionnement de ce magasin.

Cela fait, il s’agissait d’armer l’infanterie confédérée avec le nouveau fusil. Aux termes de la loi, l’effectif de l’infanterie suisse et de sa réserve est de cent trente-neuf mille sept cent soixante-seize hommes ; il faut donc fabriquer cent cinquante mille fusils, soit une dépense de 12 millions de francs pour la fabrication de l’arme elle-même, et de 5 millions pour l’approvisionnement en cartouches, à raison de 300 cartouches par soldat.

Le conseil fédéral a décidé, en 1889, qu’il solliciterait du peuple suisse, en 1890, les crédits nécessaires à la transformation de son armement.


CHAPITRE VIII

les fusils en russie, en allemagne, en italie, etc.

Les dépenses énormes qu’exige le renouvellement de l’armement d’une nation deviennent un obstacle insurmontable, si cette nation comporte une armée active de plus d’un million d’hommes. Tel est le cas de la Russie, et l’on comprend que le Czar hésite à entreprendre cette réforme militaire. Le gouvernement a décidé, jusqu’à ce jour, de ne point modifier son armement. Il ne manque pas, d’ailleurs, en Russie, d’officiers très distingués et avantageusement connus par leurs publications militaires, qui blâment l’emploi du fusil à répétition. Il ne nous appartient pas d’entrer dans les détails de cette polémique, ni d’essayer de résoudre une question aussi controversée. Constatons seulement que, parmi les armées européennes, l’une des plus puissantes s’en tient encore au fusil ordinaire, c’est-à-dire à percussion centrale et à décharges successives. C’est le cas de répéter le titre de la comédie de Diderot : A-t-il tort, a-t-il raison ?

Après de longs tâtonnements, l’Italie a adapté le petit calibre à son fusil Westerli, muni d’un chargeur, de M. Westerli.

L’Angleterre avait fabriqué, en 1883, plus de cent mille fusils de Magée, contre-maître à la manufacture d’armes d’Enfield. Mais les effets de cette arme ont paru peu satisfaisants, puisqu’on a fait transformer cette arme en fusil Martini, tirant coup par coup.

Le fusil à répétition n’a donc pu s’introduire, ou du moins persister en Angleterre. Chez nos voisins, l’armement de l’infanterie est aussi imparfait, aussi fautif, que celui de l’artillerie. Les fabricants d’armes de ce pays se sont si bien gâté la main, à fabriquer et à vendre aux nègres des fusils de pacotille, qu’ils ne savent plus se faire, pour eux-mêmes, de bons fusils de guerre.

Le dernier fusil belge est du système autrichien. C’est un Mannlicher perfectionné, et tirant à répétition, avec sécurité.

L’Espagne, qui possède un énorme approvisionnement de fusils Remington, modèle de 1871, s’occupe de les transformer en armes de répétition. Un chargeur, inventé par deux de ses officiers, MM. Freyre et Brüll, est adapté à ce fusil.

Le gouvernement portugais a adopté, en 1887, un fusil Mauser à répétition et de petit calibre (8 millimètres) fabriqué par l’usine d’Oberndorf-sur-Neckar. Cette arme pèse 4 kil. 550, et 4 kil. 867 avec son approvisionnement de dix cartouches. Le poids de la cartouche est de 35gr,2, dont 16 grammes pour la balle enveloppée de cuivre, qui est animée d’une vitesse initiale de 532 mètres. La hausse est graduée jusqu’à 2 200 mètres.

La même usine d’Oberndorf fournit au gouvernement turc des fusils Mauser à répétition de petit calibre (9 millimètres).

Le Danemark a adopté, en 1887, un fusil du calibre de 8 millimètres.

La nouvelle arme danoise est à chargeurs, contenant cinq cartouches, du poids de 32 grammes. La balle, enveloppée de cuivre, est animée d’une vitesse initiale de 534 mètres.

La Serbie a adopté un fusil du calibre de 10mm,15, inventé par le capitaine Milanowitch. Simple modification du fusil Mauser, ce fusil est fabriqué par l’usine d’Oberndorf-sur-Neckar. Il lance, avec une vitesse initiale de 512 mètres, une balle, pesant 24gr,9, dont la portée s’élève à 3 250 mètres. La hausse est graduée jusqu’à 2 025 mètres ; dix balles peuvent être envoyées successivement.

En Suède-Norvège on a distribué aux troupes, en 1883, un fusil à répétition, inventé par l’ingénieur Jarhmann, et fabriqué par la manufacture de Karl Gustave Stad. Ce fusil, analogue au kropatchek, pèse 4 kil. 435, et 4 kil. 770 quand il est approvisionné ; il a 10gr,25 de calibre, son magasin s’approvisionne de dix cartouches. La cartouche lance, avec une vitesse initiale de 487 mètres, un projectile, pesant 21gr,85, dont la portée est de 2 800 mètres.

Nous ne voulons pas terminer ce qui concerne les fusils proposés ou mis en service depuis 1870, sans dire un mot des essais qui ont été faits pour appliquer l’électricité aux armes à feu portatives. Depuis trente ans, et dans tous les pays, une foule de chercheurs ont poursuivi ce problème, qui nous paraît pourtant d’une parfaite inutilité, dans les conditions actuelles de nos ressources pour la production de l’électricité. La seule solution vraiment pratique a été donnée, en 1883, par un armurier de Liège, M. Pieper, qui présenta à l’Exposition universelle d’électricité de Vienne (Autriche) un fusil électrique, lequel, sans doute, ne saurait être admis dans les armées européennes, mais qui offre des particularités curieuses.

Fig. 234. — Coupe du fusil électrique de M. Pieper.

A, le canon. — R, mouvement de bascule du fusil semblable à celui des fusils de chasse. — D, détente, établissant contact entre les deux tiges T et P. — T, petite tige communiquant l’électricité à la cartouche. — C, la crosse. — V, verrou de fermeture du canon. — P, tige de fer traversant la crosse et conduisant à la cartouche le courant électrique.

La crosse de ce fusil (fig. 234) est percée dans toute sa longueur. Le canal, C, ainsi pratiqué, contient une baguette en fer, qui communique avec la détente D. Quand on appuie sur la détente, la baguette en fer, T, est mise en contact avec une autre baguette, plus courte, qui touche à la charge de la cartouche. Le tireur porte dans sa poche un petit accumulateur électrique, dont il relie, au moment du tir, les deux pôles à l’extrémité de la crosse, P. Quand il presse sur la détente, le courant passe dans la baguette T, et l’étincelle électrique enflamme une amorce, qui met le feu à la charge de la cartouche. On peut, de cette manière, enflammer, si on le veut, la charge par sa partie antérieure, et obtenir une combustion plus complète, une perte de gaz moins considérable.

C’est là un appareil ingénieux, mais superflu aujourd’hui. Qui peut dire, toutefois, qu’avant qu’il s’écoule un siècle, les armées ne seront pas pourvues de fusils et même de canons électriques ? L’électricité n’est-elle pas un véritable nid à surprises ? La guerre faite avec l’électricité pour agent général aurait ainsi un caractère tout scientifique. Mais combien alors l’humanité aurait le droit de maudire certains inventeurs !


CHAPITRE IX

les revolvers. — description du revolver français. — revolvers en usage dans les armées étrangères. — comparaison des différents modèles. — usage du revolver en temps de guerre.

Le ministère de la guerre, en France, adopta, dès l’année 1873, un modèle de revolver à six coups, qui est encore en service dans l’artillerie et dans la cavalerie. Ce revolver a 242 millimètres de longueur et pèse 1 kilogramme 195. C’est une arme de précision. À 40 mètres de distance, un bon tireur peut réussir à loger toutes les balles dans une cible de 50 centimètres de diamètre.

Notre revolver réglementaire pour la cavalerie et l’artillerie (fig. 235) se compose de six parties : le canon, la carcasse, le barillet, la platine, la monture et les garnitures.

Le mécanisme de percussion comprend un chien relié à son ressort par une chaînette, une détente, avec son ressort et une gâchette. En agissant seulement sur la détente, on fait tourner le barillet, qui s’arrête au moment juste où la chambre est en face du canon. On fait alors partir le coup, en armant le chien et en tirant la gâchette. La détente est pourvue d’une élévation — came, qui pénètre successivement dans les six échancrures pratiquées sur le pourtour du renfort du barillet, et qui arrête ainsi ce barillet, au moment voulu. Le chien est maintenu par le cran de sûreté et par le crochet du mentonnet ; de sorte que le tir peut être continué sans que l’on ait à redouter aucune interruption ni aucun accident.

Pour charger le revolver, il faut mettre le chien au cran de sûreté, rabattre la chambre mobile en arrière, introduire une cartouche dans chaque chambre, en faisant tourner le barillet avec la main, et refermer la chambre.

On peut exécuter, avec le revolver, le tir intermittent, ou le tir continu. Si l’on veut exécuter le tir intermittent, c’est-à-dire faire une pause et viser après chaque coup, on arme en faisant effort sur la crête du chien ; si l’on veut, au contraire, exécuter le tir continu, il suffit, une fois le coup parti, de presser avec l’index sur la queue recourbée de la détente.

La cartouche de ce revolver pèse 16 grammes, et comprend : un étui en cuivre rouge, de 11mm,2 de diamètre intérieur et de 11mm,8 de diamètre extérieur, une capsule à double enveloppe en laiton et en cuivre rouge, qui renferme 35 milligrammes de composition fulminante, une charge de 35 centigrammes de poudre de chasse superfine, et une balle en plomb dur, de forme cylindro-ogivale, qui a 11mm,7 de diamètre, 15 millimètres de hauteur, et qui pèse 11gr,6.

Nous représentons dans la figure 235 le revolver français avec les diverses pièces qui le composent.

Fig. 235. — Revolver français (modèle 1873).

A, le CANON. — B, la CARCASSE. — C, le BARILLET. — D, la PLATINE. — E, les GARNITURES et la MONTURE.

Carcasse, — a, console supportant le canon. — b, rempart portant l’axe du barillet. — c, bande réunissant la console et le rempart. — d, corps de platine. — E, poignée. — z, calotte ou crosse.

Barillet. — I, trou par où passe l’axe du barillet T. — 1, 2, 3, 4, 5, 6, chambres où se placent les cartouches. — f, crémaillère à 6 dents. — gg, échancrures au nombre de 6.

Platine. — h, le chien et la noix. — i, gâchette. — k, détente. — m, grand ressort. — n, ressort de gâchette. — o, ressort de détente. — p, pontet.

Garnitures. — T, l’axe du barillet. — q, le poussoir. — r, la tête quadrillée de la baguette. — S, plaque de recouvrement. — t, l’anneau.

Le revolver modèle 1873 est une arme à percussion centrale, c’est-à-dire que le chien frappe la cartouche en son milieu.

Il se compose, avons-nous dit, de six parties principales : le canon, A ; la carcasse, B ; le barillet, C ; la platine, D ; les garnitures et la monture, E.

Le canon, A, est en acier puddlé ; il mesure 114 millimètres de long et a un calibre de 11 millimètres. L’intérieur, ou âme, a quatre rayures dont le pas est de 35 centimètres, et qui ont 2 dixièmes de millimètre de profondeur. À l’extérieur il est formé d’un cylindre portant à son extrémité le guidon x, d’une partie centrale à huit pans, et en arrière d’une partie tronconique qui touche le barillet.

La carcasse, B, est, avec le barillet, la partie la plus importante de l’arme, en ce sens qu’elle supporte tous les organes du revolver. Elle est comme la colonne vertébrale d’un animal, car toutes les pièces viennent s’y fixer, et par les points d’appui qu’elles y trouvent, elles y puisent leurs forces respectives.

Par la console, a, la carcasse supporte le canon et la partie d’avant de l’axe du barillet, ainsi que la gaine de la baguette. Le rempart, b, achève de soutenir l’axe du barillet, et la bande c, qui porte le cran de mire, y, réunit ces deux parties, leur donne la rigidité voulue et forme la cage du barillet.

Le corps de platine, d, qui est logé dans la poignée, sert de support à toutes les pièces du mécanisme de percussion, et aux deux parties en bois formant la poignée E.

Il sert aussi à retenir l’anneau t, qui termine la poignée, et se complète par une partie bombée z, que l’on appelle, pour cela, calotte et qui remplace, dans le revolver, la plaque de couche des fusils.

Le barillet, C, est ce gros cylindre percé de six trous (fig. 235) qui est placé entre le canon et le chien. Il est traversé en son milieu par une tige de fer, T, qui lui sert d’axe, autour duquel il prend son mouvement de rotation. Parallèlement à cet axe, sont percés six trous, appelés chambres, 1, 2, 3, 4, 5 et 6, dans lesquels on introduit les six cartouches qui forment l’approvisionnement du revolver chargé. Chacune de ces chambres vient successivement se placer, avec son projectile, devant le canon. À l’arrière du barillet, et en son milieu, se trouve une crémaillère f, formée de six crans correspondant à chacune des chambres. Cette crémaillère donne au barillet le mouvement de rotation qu’elle reçoit du mécanisme spécial de la platine. On a pratiqué sur le pourtour extérieur du barillet six encoches, g, g, permettant de faire mouvoir le barillet avec le doigt, sans le secours de la platine. Seulement ce mouvement de rotation n’est possible que quand le chien est armé et qu’on le maintient fortement avec le pouce pour détruire l’effet des ressorts. Cette opération se fait soit pour retirer les cartouches brûlées, soit pour charger l’arme.

La platine, D, est l’ensemble de toutes les pièces mécaniques qui forment l’âme du revolver, utilisant toutes les forces qui en ont déterminé la forme et l’emploi. Elle se compose de trois parties principales : le chien h, qui frappe les cartouches et les fait brûler ; la gâchette i, qui maintient le chien en arrêt ou le fait partir, la détente k, qui reçoit l’effort produit par le doigt du tireur.

Le chien se termine à sa partie inférieure par un demi-cercle, appelé noix, dans lequel se trouvent divers crans où viennent se fixer ceux de la gâchette, i, et qui permettent de l’arrêter à différents espaces que l’on appelle cran de sûreté et cran de l’armé. Un troisième cran, le plus grand, reçoit la tête du grand ressort, m. C’est ce grand ressort qui, en se détendant brusquement quand la détente, k, dégage la noix des crans de la gâchette, donne l’impulsion au chien, et le fait frapper la cartouche avec la force voulue pour produire l’inflammation.

La gâchette, i, est une petite pièce formée de deux queues, dont l’une, munie de crans, engrène sur la noix du chien, et l’autre s’appuie sur la détente, pour en recevoir le mouvement d’oscillation, nécessaire au déclanchement du chien.

La gâchette est maintenue rigide par un ressort n, qui lui donne toute sa force.

La détente, k, est cette partie découpée en demi-cercle qui dépasse l’arme en dessous et sur laquelle le tireur appuie le doigt pour tirer.

Cette détente a un double mouvement : d’abord de faire partir le chien et la balle ; ensuite, à l’aide d’un mécanisme spécial, placé en o, de faire tourner le barillet au fur et à mesure du tir des cartouches pour en amener une nouvelle devant le canon.

La détente est protégée, comme dans les fusils, par une pièce annulaire P, appelée pontet, qui la garantit contre les contacts involontaires en dehors de ceux du soldat au moment du tir.

Les pièces accessoires ne formeront pas l’objet d’une description plus détaillée, qui serait en dehors du cadre de cet ouvrage. Nous nous contenterons de les indiquer sommairement.

Ce sont : l’axe du barillet, T, tige de fer traversant celui-ci et se vissant à l’arrière dans le rempart b, par une partie taraudée qui lui donne sa stabilité ; — le poussoir q, qui vient s’engager encore dans des crans pratiqués dans l’axe T et l’empêche ainsi de se déplacer en avant ou en arrière ; — la baguette r, dont on aperçoit, dans la gravure, seulement la tête quadrillée. Elle est placée, à droite de l’arme, à la même hauteur que l’axe T, et s’engage au besoin dans une des chambres du barillet pour en paralyser la rotation et rendre l’arme hors d’usage. Elle sert aussi, après le tir, à extraire les douilles des cartouches et à laver le canon.

La plaque de recouvrement, S, est une partie métallique qui se visse sur la crosse à l’aide d’une vis v, et met toute la platine à l’abri de la poussière et des chocs qui la détérioreraient.

L’anneau de culasse, t, sert à attacher l’arme à l’aide d’une courroie ou d’une corde, soit à la selle du cavalier, soit même à son bras, ou à toute autre partie de son équipement.

La monture, E, est formée de 2 plaquettes de bois de noyer, bombées extérieurement et quadrillées, et s’ajustant avec la plaque de recouvrement et la queue de culasse, ceci pour la partie gauche. La partie droite est entièrement fixe.

La cartouche du revolver, établie sur les mêmes principes que celle du fusil Gras, se compose (fig. 235) :

1o D’un étui A, en laiton rougi, de 11mm,2 de diamètre intérieur, refoulé à sa base, b, pour former deux épaulements, dont l’un est le bourrelet extérieur, et l’autre intérieur sur lequel s’appuie le porte-capsule ;

2o D’une alvéole porte-capsule, B, percée au fond d’un trou e, pour le passage des gaz qui enflammeront la poudre ;

3o D’une enclume C, en laiton, appuyée à sa base sur l’alvéole, B ;

4o D’une capsule D, à double enveloppe, chargée de 0gr,035 de fulminate ;

5o D’un tampon h, h, en carton comprimé ;

6o D’une charge de poudre P, de 65 centigrammes. C’est de la poudre de chasse superfine ; 7o D’une balle N, en plomb pur, de forme cylindro-ogivale, mesurant 11mm,7 de diamètre, 15 millimètres de hauteur, et pesant 11gr,6.

La cartouche totale pèse 16 grammes.

En 1874, le ministère de la guerre a fait fabriquer un revolver spécial pour les officiers. Il ne pèse que 995 grammes, soit environ 200 grammes de moins que le revolver modèle 1873. Pour obtenir cette diminution de poids, on a réduit les épaisseurs des pièces du mécanisme ; mais dans son ensemble, comme dans la plupart des détails de sa construction, ce revolver ne diffère pas du précédent. La carcasse, la plaque de recouvrement, le canon, le pontet et le barillet, ont été bronzés au feu.

On a donné ce revolver à tous nos officiers d’infanterie.

Dans l’armée allemande, au contraire, on a longtemps jugé que l’emploi du revolver était, sinon dangereux, tout au moins superflu. Aussi les officiers allemands ne possédaient-ils, pendant la guerre de 1870-1871, que des pistolets à canon lisse. Ce n’est qu’en 1879 que le ministère de la guerre allemand s’est décidé à faire fabriquer des revolvers, et à les distribuer aux officiers de toutes armes, à la cavalerie et même aux servants de l’artillerie de campagne, qui, eux, n’ont pas de mousqueton, comme les servants de notre artillerie montée.

Fig. 236. — Revolver allemand.

A, barillet. — B, partie à 8 pans du canon. — T, canon. — E, axe de rotation du barillet. — M, chien. — F, carcasse. — C, platine contenant le mécanisme, — G, crosse. — H, anneau. — D, détente.

Ce revolver (fig. 236) n’est pas, comme le revolver français, susceptible d’être employé à volonté pour le tir intermittent ou pour le tir continu ; il ne se prête qu’au tir intermittent.

Poids du revolver 
1k,300
Calibre 
10mm,6
Longueur d’âme 
181 millimètres
Nombre des rayures 
4

Comme le revolver français, le revolver de l’armée allemande est à percussion centrale. La charge est de 1 gramme et demi ; la balle pèse 17 grammes, et la cartouche a une longueur totale de 36mm,5.

L’armée autrichienne possède deux revolvers : le revolver Gasser, qui est une arme d’arçon, pesant 1 kil. 350, destinée à la cavalerie de ligne et que l’on porte dans les fontes de la selle ; et le revolver Smith et Wesson, beaucoup plus léger.

Le revolver Gasser est de calibre de 11 millimètres ; il a une longueur totale de 325 millimètres. Le canon, qui est long de 184 millimètres, est muni de six rayures. La cartouche, à percussion centrale, pèse 28 grammes.

Fig. 237. — Revolver autrichien (Smith et Wesson).

T, canon. — A, barillet. — C, chien. — E, détente. — N, mécanisme de rotation du barillet. — H, baguette.

Le revolver Smith et Wesson (fig. 237), moins long de 3 millimètres, tire la même cartouche.

L’armée des États-Unis emploie un revolver, dû à MM. Mervin et Hulbert, qui mérite une mention spéciale. Ce revolver se compose d’un canon, de l’axe du barillet, qui se relie à la poignée du chien et de la platine, qui sont portés par la poignée. Quand on a tiré les six coups, on dégage la pièce qui retient à la poignée le canon et le barillet, et alors les étuis vides sortent du barillet. Ce revolver est donc à extracteur automatique.

Fig. 238. — Revolver américain.

A, canon. — D, chien. — C, barillet, — a, a, cartouches rejetées par l’extracteur.

Les revolvers qui sont en usage dans les différentes armées européennes ont les calibres suivants :

Calibre de 11 millimètres et au-dessus. — Angleterre, Autriche-Hongrie, Belgique, Espagne, France, Suède.

Calibre de 10 millimètres. — Allemagne, Danemark, Hollande, Norvège, Russie, Suisse, Italie.


CHAPITRE X

les fusils de chasse. — différence entre les fusils de chasse et les armes de guerre. — définition du calibre des fusils de chasse. — qualités que doit posséder un fusil de chasse. — le fusil à broche, ou fusil à percussion centrale. — le fusil sans chien ou fusil hammerless. — le fusil de chasse à répétition. — fabrication des fusils à saint-étienne et à liège.

Si nos forêts et même nos plaines se dépeuplent avec une rapidité inquiétante, ce n’est pas seulement parce que le nombre des chasses bien gardées a diminué depuis trente ans, presque à vue d’œil ; c’est aussi parce que, de nos jours, tout le monde est, ou se prétend chasseur. La chasse n’est plus une distraction captivante, privilège de quelques-uns : c’est une mode générale. Le gibier n’y trouve pas son compte, mais les fabricants de fusils ont largement profité de cette révolution cynégétique, et il est juste de reconnaître qu’ils ont redoublé d’efforts pour faciliter les plaisirs du chasseur. Celui qui comparerait le fusil de chasse actuel au fusil à piston, dont se servent encore les gardes-chasse des Vosges ou des Alpes, demeurerait singulièrement surpris.

Nous n’avons pas l’intention de décrire ici tous les fusils de chasse des armuriers ; ce serait une entreprise ingrate et difficile. Ce que nous voulons seulement, c’est bien marquer les différences d’ensemble et de détail qui existent entre le fusil de guerre et le fusil de chasse, et décrire les deux types de fusil actuellement entre les mains des chasseurs, avec quelques mots sur les tentatives que l’on a faites pour adapter au fusil de chasse le mécanisme à répétition des fusils de guerre. Ainsi limitée, notre tâche sera vite remplie.

Commençons par dire que les calibres des fusils de chasse les plus petits sont encore supérieurs aux calibres des plus gros fusils de guerre. Et cela, pour deux raisons. On ne saurait employer, dans un fusil de chasse, la même charge de poudre, ni surtout la même force de chargement que dans un fusil de guerre, parce que le recul, très considérable, nuirait à la précision du tir. Ensuite, il est absolument inutile d’obtenir, avec le fusil de chasse, une portée de plus de 80 à 100 mètres. Enfin, le poids de la cartouche n’est pas strictement limité, comme dans le fusil de guerre ; puisque le chasseur n’est pas lourdement chargé, comme le soldat, qu’il peut se faire accompagner d’un porteur, et qu’au cas où il aurait brûlé toutes ses cartouches, le mal ne serait pas grand.

Le calibre des fusils de chasse varie entre 6 et 10 millimètres ; mais il faut bien remarquer que la désignation de leur calibre n’a pas les mêmes bases que celles des fusils de guerre. Quand on dit qu’un fusil de chasse est du calibre 12, par exemple, cela ne veut pas dire que son calibre soit de 12 millimètres, comme lorsqu’il s’agit des pièces d’artillerie ; cela veut dire que douze balles de ce fusil pèsent une livre : seize balles du fusil calibre 16 pèsent une livre. En réalité, le fusil dit du calibre 21 a un diamètre de 19 millimètres, et le fusil dit du calibre 16 a un diamètre de 17 millimètres.

Le meilleur fusil de chasse est un fusil de poids moyen, ni trop lourd, ni trop léger. S’il est trop lourd, le chasseur se fatigue vite à le porter ; s’il est trop léger, le recul produit par le tir est trop violent. On admet ordinairement qu’un fusil de chasse doit peser environ 3 kilogrammes, et que le canon doit être long de 60 à 75 centimètres. Si l’on dépasse ces limites, le tir à grenaille de plomb, qui est presque le seul usité à la chasse, ne donne plus de bons résultats.

Il faut se préoccuper aussi de l’équilibre des différentes parties du fusil : s’il est trop pesant à la bouche du canon, le chasseur risque de tirer trop bas ; si c’est la crosse qui est trop lourde, le fusil s’épaule difficilement.

Les types des fusils de chasse les plus généralement en usage ne sont qu’au nombre de trois : 1o le fusil à piston, type aujourd’hui passé de mode, 2o le fusil Lefaucheux, ou fusil à broche, 3o le fusil à percussion centrale.

Fusil à piston. — Nous avons parlé du fusil à piston dans notre Notice sur les Armes à feu portatives, des Merveilles de la science[3]. Nous avons dit que l’armurier Pauly, en 1812, remplaça la batterie des armes à silex, par une cheminée verticale, sur laquelle on posait une capsule fulminante, en communication avec la charge de poudre. Le chien venant frapper la capsule fulminante déterminait l’inflammation de la poudre.

Le fusil à piston, ou à percussion verticale, n’est plus en usage aujourd’hui. C’est tout au plus, comme nous le disions en commençant, si les gardes-chasse de quelques forêts, dans des contrées ou des montagnes reculées, s’en servent encore.

Fusil à broche. — Les fusils à broche, ou à percussion verticale, sont universellement connus sous le nom de fusils Lefaucheux. Ils sont essentiellement caractérisés par la séparation du canon de la culasse, qui s’effectue, pour opérer le chargement, en brisant l’arme au canon, à l’aide d’un long levier mobile appliqué sous les deux canons et à leur base. Le fusil est muni de deux clefs, l’une qui sert à faire jouer le levier mobile et basculer l’arme, pour y introduire les cartouches, l’autre qui sert à le démonter, quand on veut le nettoyer et séparer les canons de la culasse. Pour ouvrir la grande clef, il suffit de la pousser de gauche à droite ; la petite clef s’ouvre dans le sens opposé. C’est un genre de fermeture extrêmement solide.

Nous avons représenté, dans les Merveilles de la science[4], le fusil Lefaucheux, et décrit son mécanisme dans tous ses détails. Nous renvoyons le lecteur à cette description et aux dessins qui l’accompagnent.

Fusil à percussion centrale. — Une modification d’une certaine importance a été apportée, depuis Lefaucheux, au procédé d’inflammation de la cartouche. On sait que la cartouche du fusil Lefaucheux porte une tige verticale, laquelle, frappée par le chien, détermine l’inflammation de la capsule et celle de la poudre. On a imaginé, de nos jours, de faire frapper la capsule par une tige horizontale. Le chien en s’abattant déclanche un levier qui retenait un ressort coudé, d’une grande force. Ce ressort une fois libre vient frapper, par son extrémité, la capsule fulminante, et enflamme l’amorce.

Tel est le mécanisme dit de percussion centrale. Le fusil à percussion centrale diffère donc du modèle primitif de Lefaucheux en ce que la tige qui détermine l’inflammation est horizontale, comme celle du fusil à aiguille, et qu’elle fait elle-même partie du ressort.

Fig. 289. — Fusil à percussion centrale à verrou simple.

Nous représentons dans la figure 239 le fusil à percussion centrale.

On obtient une fermeture plus sûre en employant une fermeture à double verrou.

Fig. 240. — Double verrou.

La figure 240 représente les crochets du canon de fusil à double verrou. Le double canon pénètre, par sa base, dans les encoches A et B. On accroche ensuite les deux tenons du canon dans la partie inférieure de la bouche du canon.

Fig. 241. — Fusil à percussion centrale à double verrou.

On voit dans la figure 241 le fusil à percussion centrale à double verrou.

On ajoute quelquefois un prolongement de la bande qui s’ajuste dans une entaille ménagée dans la bascule, entre les deux chiens. Un trou est pratiqué dans ce prolongement de la bande, et un troisième verrou sortant du côté gauche de la bascule pénètre automatiquement dans ce trou, le traverse, et va se fixer dans l’autre partie de la bascule. Ce crochetage des trois verrous s’opère donc simultanément, sans que l’on ait besoin d’agir sur la clef. Si l’on veut fermer le fusil, on le tient par la poignée avec la main droite ; avec la main gauche, on relève vivement le canon, et les trois verrous prennent leur place respective.

Nous devons une mention particulière à un fusil qui se distingue des précédents modèles par ce fait qu’il est pourvu d’un éjecteur automatique de la cartouche, après le coup tiré, et que le chien est supprimé. À l’imitation de ce qui existe dans les fusils de guerre, la cartouche, une fois tirée, est rejetée au dehors par un extracteur opérant automatiquement.

Les amateurs d’anglomanie appellent cette arme fusil Hammerless, du nom de l’armurier anglais qui l’a popularisée. Il est plus simple de l’appeler fusil sans chien.

L’invention d’un fusil sans chien est loin, d’ailleurs, d’être récente ; car le créateur du fusil à piston, Pauly, fabriquait des fusils sans chien, en 1821. Malgré ses efforts, il ne put parvenir à produire avec ce système une arme irréprochable, parce que la cartouche alors en usage ne se prêtait pas bien à la percussion centrale. La découverte et l’usage devenu général de la cartouche composée d’une capsule de cuivre, c’est-à-dire la cartouche dite Gévelot, ont rendu possible ce système, et de nos jours le fusil sans chien, sous le nom de fusil Hammerless, a conquis une vogue générale.

Nous représentons dans la figure 242 le fusil sans chien.

Fig. 242. — Fusil Hammmerless, ou fusil sans chien.

Il existe plusieurs modèles de fusil sans chien. Celui que nous représentons ici renferme deux extracteurs indépendants, et qui agissent énergiquement, après le coup tiré, pour expulser la douille vide. L’arme se charge absolument comme tout autre système de fusil à percussion centrale. Si le fusil est ouvert sans avoir tiré, le mécanisme de l’éjecteur n’opère pas ; il n’agit que juste assez pour permettre de prendre et sortir les cartouches chargées, mais il reste prêt à fonctionner dès que l’un ou l’autre des deux coups est tiré. L’arme étant alors ouverte, la douille vide se trouve projetée en arrière, et une nouvelle cartouche peut même instantanément être introduite dans la chambre : si les deux coups sont déchargés, les deux douilles vides sont de même instantanément rejetées. En un mot, il est impossible d’éjecter, de faire jaillir du canon une cartouche non tirée, mais toutes les deux sont expulsées par l’éjecteur, isolément ou simultanément, dès que le marteau percuteur les a frappées, dès qu’elles sont tirées.

Il est des fusils sans chien à trois coups et à quatre coups, mais ces armes deviennent alors bien lourdes et d’un prix fort élevé. Le fusil sans chien à deux coups est déjà une arme assez chère (de 300 à 500 francs).

Comme il fallait s’y attendre, le grand développement qu’a pris, dans ces derniers temps, la fabrication des armes à répétition, a décidé quelques armuriers à fabriquer des fusils de chasse à répétition. Mais disons tout de suite que la nécessité d’une telle arme pour la chasse est très contestable.

En premier lieu, le prix des fusils à répétition, quand ils ne sont pas fabriqués sur une très vaste échelle, est très élevé ; ensuite, l’entretien du mécanisme de répétition exige beaucoup de soins ; enfin, le poids de la plupart de ces armes est très considérable.

Fig. 243. — Fusil de chasse à répétition (système Winchester).

Le fusil Winchester à répétition et à six coups, que nous avons représenté dans cette même Notice (fig. 497), a servi de modèle à ce genre de fusil de chasse, que nous représentons dans la figure 243. Comme nous avons décrit tout le mécanisme du fusil Winchester, nous n’avons pas à y revenir. Disons seulement que le fusil de chasse à répétition pèse 3k,600. Il ne peut guère servir que pour les chasses à l’ours, au lion, en un mot aux bêtes fauves, chasses au cours desquelles le tir à répétition offre d’incontestables avantages. Mais on ne saurait songer sérieusement à l’appliquer à la chasse, dans les conditions ordinaires. Un fusil qui porte à 300 mètres, qui tire six coups, qui pèse près de 4 kilogrammes, et coûte 500 francs, ne peut faire l’affaire d’un pacifique Nemrod de la plaine Saint-Denis.

Les opérations nécessaires pour la fabrication d’un fusil sont peu nombreuses. Nous les décrirons rapidement, telles qu’elles s’exécutent, soit à Saint-Étienne, soit à Liège, la fabrication étant à peu près la même dans tous les pays.

La pièce principale du fusil de chasse, c’est le canon. Les autres pièces auraient beau être parfaites, si le canon est défectueux, le chasseur n’a plus entre les mains qu’un instrument dangereux pour lui-même, plutôt que pour le gibier.

Les canons des fusils de chasse sont doubles. Ils se composent de deux tubes juxtaposés horizontalement, et reliés par deux bandes, soudées à l’étain ou au cuivre.

Fig. 244. — Ruban pour former un canon de fusil.

Voici comment on fabrique un tube de canon pour un fusil dit à ruban. Sur une tige métallique, on enroule, en spirale, comme le montre la figure ci-dessus, une lame de fer, de 3 centimètres de largeur, plus épaisse à l’extrémité qui doit former le tonnerre du canon, qu’à l’autre extrémité, qui constituera la bouche. Cette lame, que l’on désigne sous le nom de ruban, est alors soumise au travail de la forge. On lui fait ainsi perdre toute solution de continuité, on en fait un tube homogène, et l’on élimine, en même temps, du métal, tous les corps étrangers, tels que le phosphore, le soufre ou le carbone. Ensuite, on façonne le canon, à l’extérieur, à l’aide de meules puissantes, et on le fore à l’intérieur, avec une machine spéciale, qui en creuse les parties saillantes, et donne au canon exactement le calibre qu’il doit avoir. Les deux tubes sont enfin ajustés l’un contre l’autre, et attachés ensemble par un fil de fer, ainsi que les deux bandes et les crochets qui doivent servir de fermeture au canon sur le levier à bascule.

Toutes ces parties étant ajustées sont maintenues l’une contre l’autre avec des fils de fer, puis soudées au cuivre.

On distingue le canon à ruban, qui se fabrique comme il vient d’être dit, avec une lame de fer étirée au martinet, le canon en acier fondu, qui est forgé, non à ruban, mais d’un seul bloc, comme le canon du fusil Lebel, et le canon moiré.

Ce dernier se fabrique à l’aide d’arbillons en acier et en fer, que l’on réduit en baguettes carrées, et que l’on tord régulièrement, afin d’épurer la matière. Ces baguettes, une fois tordues, sont aplaties légèrement, et liées ensemble, par deux, trois ou quatre. Quand elles ont été soudées, on les étire de façon à ce qu’elles offrent une résistance supérieure au tonnerre, puis on les réduit en lames, qu’on enroule, et l’on en fait un ruban, qui est travaillé comme nous l’avons montré plus haut.

La plupart de nos fusils de chasse sont fabriqués à Saint-Étienne, pour la France, et à Liège, pour la Belgique.

Les premières fabriques d’armes de Saint-Étienne ont été créées vers le milieu du seizième siècle. En 1535, François Ier fit fabriquer, dans cette ville, des mousquets à mèche et des arquebuses à rouet ; et depuis cette époque, Saint-Étienne est resté en possession de la fabrication, presque privilégiée, de la confection des fusils de chasse, en France.

En Belgique, Liège est le siège principal de cette fabrication.

Avant 1789, la ville de Liège était l’arsenal du continent. Elle fournissait plus de 200 000 fusils, mousquets et mousquetons, au commerce de l’Allemagne du Nord, de la Hollande, de la France, de l’Espagne, du Portugal, de la Turquie et de l’Amérique du Sud.

En 1800, on commença à fabriquer, à Liège, les armes à percussion, et jusqu’à nos jours on y a produit tous les modèles de fusils de chasse et de guerre, au fur et à mesure de leur invention, ou de leur adoption par les États.

Fig. 245. — Un atelier d’armurerie mécanique, à Liège.

Nous représentons dans la figure 245 (page 284) le principal atelier mécanique de l’armurerie liégeoise, atelier qui a environ 30 mètres de largeur, sur 40 de longueur. On peut y placer 200 à 300 métiers, en y joignant les annexes.

Depuis l’adoption des nouveaux systèmes de fusils de chasse à chargement par la culasse, l’industrie armurière de Liège a réuni dans ses fabriques toutes les machines-outils nécessaires à la confection des petites pièces. Nous représentons dans la figure 246 les principales de ces machines-outils. C’est avec leur aide que, par une division infinie du travail, les ouvriers appareilleurs et ajusteurs produisent, avec une célérité étonnante, quantité d’armes de tout calibre.

Fig. 246. — Machines-outils pour la fabrication des fusils, à Liège.
A, machine à forer les chambres. — B, machine à percer les verrous. — C, machine à percer les canons. — D, machine à finir les chambres.

Il existe, à Liège, outre les grands ateliers d’armurerie, spécialement affectés aux armes de guerre, un nombre considérable de familles, que l’on peut évaluer à plus de 20 000, qui se livrent à la fabrication des canons de fusil, et qui vont les apporter aux fabriques. Là, après les épreuves nécessaires, on les reçoit, pour les achever, en y joignant les bois et les accessoires.

L’industrie des canons de fusil est particulièrement localisée dans la vallée de la Verdre, depuis Chaudfontaine jusqu’à Nessonvaux.

Toutes les armes à feu fabriquées dans le pays, de quelque calibre et dimension qu’elles soient, sont apportées à l’usine, et présentées à la réception, qui est prononcée, après toute une série d’épreuves.

Les canons apportés à l’usine (fig. 247) sont placés sur une manne, et amenés sur des rails (fig. 248) aux chambres de chargement.

Fig. 247. — Réception des canons au bureau de l’usine.
Fig. 248. — Conduite des canons aux chambres de chargement.

On peut s’imaginer ce que doit être la salle de tir, pour les épreuves des canons de fusil, quand on saura que plus de 60 000 armes de tout calibre sont expédiées annuellement des ateliers de Liège. Dans ces chambres, bardées de fer, on se croirait en pleine batterie, au milieu de feux de peloton continuels.

Les canons doubles sont soumis au tir, avant l’assemblage des deux canons, et à un second tir, après l’assemblage.

Toutes les armes sont éprouvées avec une charge de poudre correspondant aux deux tiers du poids de la balle applicable à leur calibre. Pour les armes de guerre, la charge de poudre est égale au poids de la balle.

Après les épreuves de tir faites dans les chambres de chargement, les canons sont soumis à un examen attentif, pour la constatation des effets du tir (fig. 249).

Ceux qui ont convenablement supporté les épreuves sont marqués d’un poinçon (fig. 250).

Fig. 249. — Visite des canons, pour la constatation des effets du tir.
Fig. 250. — Poinçonnage des calibres.

Le poinçon d’admission définitive, indiquant les calibres, doit toujours demeurer attaché à l’arme mise en vente. Les fabricants ne sauraient enfreindre cette règle sans encourir certaines pénalités.

Il en est de même des armes à feu importées de l’étranger, à moins qu’elles n’aient été éprouvées dans les pays de leur provenance, et que le poinçon constatant cette épreuve ne s’y trouve déjà apposé.

Les poudres de chasse sont fabriquées dans les manufactures de l’État. Nous n’avons rien à ajouter à ce que nous en avons dit dans notre Supplément aux poudres de guerre.

Bien que l’État ait le monopole de la fabrication de la poudre de chasse, ainsi que de la poudre de guerre et de mine, le gouvernement a autorisé l’emploi d’une poudre de chasse inventée en Allemagne, la poudre Schultze, ou poudre au bois, qui ne contient pas de soufre, mais seulement du salpêtre, du charbon, et une petite quantité de bois, non carbonisé. Cette poudre produit très peu de fumée, de sorte que le chasseur peut suivre du regard la pièce qu’il a tirée ; mais elle a des effets brisants, qui la rendent parfois dangereuse.

Nous ne terminerons pas sans mentionner le grand développement qu’a pris, depuis plusieurs années, la fabrication des armes de tir pour les salons, les parcs et les jardins. Tout le monde connaît le pistolet Flobert, qui se tire avec une simple capsule à fulminate de mercure, armée d’une petite balle de plomb ; le pistolet Remington, le pistolet anglais Tranter, etc. Les petits fusils pour amorce Flobert, qui sont connus sous le nom de carabines Flobert, et sont à canon lisse, sont également très répandus, en France et en Angleterre.

Aujourd’hui, les armuriers de tous les pays possèdent des types variés de ces pistolets et carabines de salon ou de jardin, provenant des manufactures de Saint-Étienne, Liège, Châtelleraut, Paris, Londres, Manchester, etc. C’est toujours le même principe, qui reçoit dans ses détails d’exécution des modifications infiniment variées.

On ne saurait trop encourager la diffusion générale de ces réductions d’armes à feu portatives, dans lesquelles une simple capsule fulminante remplace la poudre et la balle, car elles sont d’un usage infiniment commode et ne présentent aucun danger. Avec une carabine ou un pistolet de ce genre, pourvu que sa portée soit juste, on peut s’exercer, en toute sécurité, pour acquérir la sûreté du coup d’œil et la délicatesse du doigté, dans le maniement d’une arme à feu. C’est un passe-temps à recommander à tout le monde ; car le tir de salon et de jardin prépare à l’école de tir et aux concours de tir, aujourd’hui si nombreux, et qui rendent d’inestimables services, comme préparation aux exercices du tir au régiment. Aujourd’hui que tout le monde, en France, est appelé à passer plusieurs années sous les drapeaux, il faut que chacun se prépare de longue main au maniement des armes à feu et à leur emploi efficace en temps de guerre. L’adage, Si vis pacem para bellum, coûte, chaque année, des milliards aux grandes nations de l’Europe ; mais c’est une nécessité qu’elles doivent subir, puisque la politique prussienne les contraint à une mesure sociale qui écrase leurs budgets, et dévore leurs meilleures ressources, en hommes et en argent.

fin du supplément aux armes à feu portatives
  1. Cours théorique de tir, par le capitaine Bert.
  2. Tome III, p. 499-502.
  3. Tome III, p. 476.
  4. Tome III, p. 491-492.