Les Merveilleux Voyages de Marco Polo dans l’Asie du XIIIe siècle/Partie I/Chapitre 3

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CHAPITRE III

Le grand Khan charge les frères Polo d’une mission pour le Pape


Les deux frères partirent donc et, pendant une année entière, chevauchèrent de compagnie avec les seigneurs mongols, si bien qu’ils arrivèrent auprès du grand Khan. Petit-fils du fameux Gengis-Khan, Khoubilaï-Khan, alors âgé de 59 ans, régnait depuis cinq ans sur toutes les tribus de sa race. L’empire mongol était en pleine croissance. La Perse venait d’être conquise. Maître de la Chine du Nord, Khoubilaï préparait la conquête du Midi. C’était le mouvement inverse de celui qui s’est accompli sous nos yeux quand les nationalistes de Canton ont remonté vers Nankin, puis vers Pékin.

Koubilaï, esprit avisé et doué d’un grand sens politique, voyait que les musulmans étaient les âpres rivaux des Mongols dans la conquête de l’Asie. Il comprit tout l’intérêt que présentait pour lui cette occasion d’entrer en relations avec les peuples d’Occident. Il pressa ses hôtes de questions. Il voulait savoir comment était organisée la société chez les Latins, comment les princes exerçaient leur autorité et rendaient la justice, comment les armées se comportaient en guerre. Il s’informa aussi de la religion chrétienne ; du Pape et de l’Église. Les deux Vénitiens, au cours de leur long voyage, avaient acquis une pratique parfaite de la langue mongole que parlaient les conquérants. Ils furent en mesure de répondre à l’Empereur et, comme ils étaient gens sages et pleins d’expérience, ils le renseignèrent très exactement sur tout ce qu’il désirait savoir. Ils plurent à Khoubilaï qui apprécia leur hardiesse et leur prudence. Ces hommes d’Occident, qui étaient venus à lui, il fallait tirer parti de leur visite. Il leur proposa de se charger d’un message pour le Pape. Les frères Polo n’avaient garde de laisser échapper cette occasion de jouer un rôle considérable. Ils acceptèrent avec joie l’offre de Khoubilaï. Le prince leur remit donc une lettre pour le Pape. Il y demandait au pontife de lui envoyer cent hommes versés dans les sciences d’Europe et dans la foi chrétienne.

— Nous les mettrons en présence, disait-il, de ceux qui pratiquent ici d’autres religions. Si vos envoyés prouvent clairement que la loi du Christ est la meilleure, nous l’adopterons et tout notre peuple l’adoptera avec nous.

Magnifique promesse, que Khoubilaï n’eût peut-être pas tenue volontiers ni surtout facilement. En tout cas, la perspective était pour satisfaire, chez les Polo, à la fois le chrétien, le politique et le commerçant. Si leur ambassade réussissait, ils gagneraient à l’Évangile un peuple nombreux, assureraient à l’empire latin un puissant allié et ouvriraient à leurs propres affaires un marché immense.

Sans doute, depuis deux ans déjà, Michel Paléologue, restaurant la grandeur grecque autant qu’elle pouvait être restaurée, avait détruit l’empire latin de Constantinople, mais les frères Polo, qui erraient depuis neuf ans sur les routes d’Asie, ne savaient rien de ces événements. Roulant en tête les plus vastes projets, ils prirent congé de Khoubilaï et se mirent en route vers l’Europe. Cette fois, ils n’avaient plus rien à craindre : le grand Khan leur avait remis une tablette d’or où était gravé l’ordre de leur procurer, sous peine de mort, tout ce qui était utile pour leur voyage. Partout où ils passaient, il leur suffisait de montrer leur tablette pour être aussitôt servis, honorés et pourvus de tout en abondance.

Ils chevauchèrent ainsi pendant trois ans sans sortir des territoires soumis à l’autorité de Khoubilaï. La durée de leur voyage semble, à première vue, incroyable. Elle s’explique pourtant : ils allaient à petites journées et, quand venait l’hiver, ils s’arrêtaient pendant des mois entiers. On peut d’ailleurs penser que les Vénitiens ne manquaient pas de commercer chemin faisant. Ils arrivèrent enfin à Aïas, sur le golfe d’Alexandrette. S’étant rendus de là à Saint-Jean d’Acre, ils y apprirent que le Pape Clément IV était mort. En attendant qu’un successeur lui fût désigné, ils s’en furent à Venise d’où ils étaient restés absents près de quinze ans. La femme de Nicolo Polo était morte, mais lui avait laissé un fils, Marco, qui entrait dans sa quinzième année. Nicolo et Matteo séjournèrent deux ans à Venise et y réglèrent leurs affaires en attendant l’élection du nouveau Pape.

Comme celle-ci tardait, ils craignirent que le Grand Khan ne s’impatientât et se décidèrent à retourner vers lui. Plutôt que de laisser le jeune Marco sans guide et sans conseils, ils l’emmenèrent, pensant que ce lui serait bonne occasion de s’instruire et de se former au commerce. Le jeune homme partit de Venise à 17 ans. Il ne devait y revenir que 24 ans plus tard, en 1295.