Les Mines d’or et d’argent aux États-Unis

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Les Mines d’or et d’argent aux États-Unis
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 12 (p. 285-314).
LES
MINES D’OR ET D’ARGENT
AUX ÉTATS-UNIS

LES PHASES NOUVELLES DE L’EXPLOITATION.

La découverte des placers aurifères de la Californie en 1848 a eu le privilège d’occuper longtemps l’attention. Qui ne songea un moment à émigrer vers l’eldorado du Pacifique, qui ne suivit avec avidité les étranges nouvelles qui en arrivaient par tous les courriers ? La découverte des gîtes australiens, qui eut lieu trois ans après, eut un moindre retentissement, bien que ces gîtes aient donné dès le début et donnent encore autant d’or que ceux de la Californie. La curiosité publique, surtout en France, ne voulut rien savoir au-delà des légendes californiennes, et la mise au jour des riches mines d’argent du Nevada, plus productives que ne l’ont jamais été ensemble tous les filons de l’Amérique espagnole, celle des mines d’or ou d’argent du Colorado, de l’Idaho, du Montana, du Wyoming, de l’Utah, du Dakota, qui de 1859 à 1874 ont si vivement ému la population des États-Unis, ont laissé la plus grande partie de l’Europe indifférente et distraite. Le mineur n’en a pas moins poursuivi patiemment, sans relâche, son œuvre lointaine et féconde. De 1848 à 1873, on calcule que la Californie a produit 5 milliards de francs en or, et tous les autres états ou territoires des États-Unis compris entre les Montagnes-Rocheuses et le Pacifique (il faut joindre à ceux qu’on vient de nommer l’Orégon, le territoire de Washington, l’Arizona et le Nouveau-Mexique), plus de 2 milliards en or ou en argent. Humboldt s’en fut réjoui, lui qui supputait avec satisfaction que la mine d’argent de Potosi en Bolivie, la plus riche de toutes celles de l’Amérique du Sud, avait fourni 6 milliards en trois siècles. Il aura fallu moins d’un quart de siècle à la Californie et aux pays circonvoisins pour dépasser cette production.


I. — LES TEMPS HÉROÏQUES DE L’EXTRACTION DE L’OR.

Si les étonnantes péripéties de la première colonisation californienne n’étaient encore présentes à la mémoire de tous, un mineur des placers, devenu un conteur charmant, se serait chargé de les rappeler aux oublieux : j’ai nommé Bret Harte, ce jeune écrivain dont l’Amérique est fière, plein d’une sensibilité délicate sous une apparence impassible, et qui fait revivre pour nous les temps légendaires de l’exploitation de l’or, les hauts faits des argonautes et les troubles qui ont entouré l’enfantement de la Californie. Cet autre qui égale, par son esprit alerte et vif et par l’imprévu de ses réflexions, les humoristes anglais les plus fins, Mark Twain, fut témoin de l’attaque du premier filon d’argent du Nevada, le fameux Comstock, et a rappelé en quelques traits incisifs les aventures étranges qui ont accompagné la naissance du nouveau territoire, détaché du pays des mormons. C’est le côté moral, l’âme de ces sociétés nouvelles, si mêlées, si tumultueuses à leur origine, que ces deux écrivains ont surtout voulu peindre, tandis qu’on se propose ici d’en décrire l’aspect matériel.

L’âge héroïque de la Californie, c’était hier, quand toutes les nations du monde, comme conviées à un banquet qui ne devait pas finir, se ruèrent sur les placers de l’eldorado. Ce furent d’abord les deux Amériques qui se mirent en branle, puis toute l’Europe, qui ne contenait que trop de mécontens désireux de changer de place en cette année 1848, enfin toutes les races de la mer Pacifique et de l’extrême Orient, les Kanaques polynésiens, les Chinois jusqu’alors immobiles, et qui commencèrent, eux aussi, à émigrer. Toutes les routes furent mises à contribution : le cap Horn malgré ses glaces et ses tempêtes, — l’isthme de Panama, dont on brava les fièvres pernicieuses, les animaux malfaisans, les chaleurs torrides, — les grandes plaines du far-west, plaines interminables où l’on rencontrait les surprises impitoyables des Indiens, les ouragans de neige dans les Montagnes-Rocheuses et la Sierra-Nevada, enfin la famine, qui plus d’une fois décima la caravane en marche. Arrivé sur le placer qu’on avait choisi, on travaillait seul. On campait près d’un ruisseau, armé d’un pic et d’une pelle pour fouiller le sol, et muni, pour laver les sables, d’une vaste sébile de bois, la batée des Mexicains, ou mieux d’un plat de fer battu, rappelant ceux des ménagères. On agitait les sables avec de l’eau, on inclinait la sébile; l’or, plus lourd, restait au fond du rustique appareil. Quelquefois, quand les parcelles de métal étaient microscopiques, on employait avec l’eau un peu de mercure, qui a la propriété de dissoudre l’or comme l’eau le sel ou le sucre, et le restitue ensuite par la distillation. Ce moyen primitif, qui exige des sables d’une richesse exceptionnelle, ne pouvait être longtemps employé. Bientôt on usa du rocker ou berceau. Le nouvel appareil, surmonté d’un tamis, oscillait comme le berceau d’un enfant. On balançait d’une main le tamis chargé de terre en versant l’eau de l’autre. L’or, en vertu de sa plus grande densité, s’arrêtait en route sur une toile inclinée tendue comme un tablier au-dessous du tamis. Les uns disent que ce fut un Chinois industrieux, les autres un mineur géorgien, — car le berceau était depuis longtemps en usage sur les mines d’or des états atlantiques, la Géorgie, la Virginie, les Carolines, — qui dota de ce précieux appareil les placers californiens. C’était un grand progrès. On lavait trois fois plus de terres qu’au plat ou à la batée, et l’on pouvait doubler encore ses forces par l’association, l’un fouillant les graviers et les portant au berceau, l’autre les balançant en les arrosant d’eau, et préludant par instans à la cueillette de l’or.

Le progrès ne s’arrêta point là. Après le rocker vint le long-tom, sorte de petit canal en planches établi à demeure, autour duquel se groupèrent les mineurs, puis le sluice, canal plus large, qui exigea toute une compagnie de travailleurs. Les Chiliens apportèrent aussi sur les placers leur méthode d’opérer, qui consiste à fouiller les sables sur un courant d’eau ; les grains d’or, les paillettes, les pépites, restent dans les interstices de la roche : l’orpailleur refait généralement le travail de la nature. On se mit ensuite à détourner quelques rivières qu’on supposait avec raison rouler de l’or; on en bouleversa le lit. Les Chinois se distinguèrent entre tous dans ces nouveaux essais, où une grande discipline dans le travail exécuté en commun et des moyens mécaniques à la fois ingénieux et peu coûteux pour élever l’eau, voiturer les terres, étaient impérieusement exigés. Enfin on fouilla les placers secs, les dry diggings, qui étaient pour la plupart des lits de rivières disparues, des cours d’eau préhistoriques, des collines d’alluvions anciennes, de cailloux roulés cimentés ensemble, ou des bancs de sables argileux bleuâtres, le fameux blue-bed des orpailleurs du Pacifique. Là encore on trouva de l’or, et souvent en quantité, grâce à une méthode originale, inventée en 1852 par un mineur émigré du Connecticut, qui consistait à désagréger les sables au moyen d’un jet d’eau à forte pression, sortant d’une lance comme celle des pompes à incendie, et dirigé vigoureusement contre la roche : on l’appelait pour cette raison la méthode hydraulique. De larges canaux ou flumes, le long desquels, comme dans le tom et dans le sluice, étaient interposés des obstacles pour arrêter l’or, que saisissait aussi le mercure versé en différens points du parcours, recevaient les terres et les graviers ainsi démolis, et d’autres canaux, partis souvent de très loin, amenaient les eaux à une assez grande hauteur au-dessus du placer. On avait par là une pression et par conséquent une force hydraulique suffisante, comme un bélier d’eau inflexible battant la colline à terrasser. C’était surtout dans les mines du centre et du nord que s’étendaient ces lignes de canaux. Il en avait été aussi établi dans toutes les mines pour le lavage des minerais de quartz aurifère dont.il sera bientôt parlé. On traversait les ravins, les routes, les obstacles naturels ou artificiels, par des siphons, des aqueducs d’une hardiesse étonnante, et laissant bien loin derrière eux tout ce que les Romains avaient pu faire en ce genre de plus osé. La plupart des ingénieurs improvisés qui ont exécuté ces longs nivellemens et mené à bien ces grandes choses n’y ont pas attaché leur nom. Leur œuvre en quelques endroits a même entièrement péri, car tous ces ouvrages, sauf les siphons, étaient en bois.,

Quelquefois les lits de sable et de galets étaient profondément encaissés, surmontés de roches massives, basaltiques, qui s’étaient étalées comme une table sur les alluvions; alors on les rejoignait par des puits ou par des galeries, des tunnels, poussés dans le cœur de ces collines. C’est au fond d’un de ces puits que fut écrasé un jour un mineur missourien, qui resta saisi dans l’éboulement. Plus tard le savant Whitney, qui devait attacher son nom à la géologie californienne, rencontra dans le même lieu un crâne humain fossile. L’événement fît grand bruit, même en Europe, où toutes les sociétés savantes enregistrèrent à l’envi cette étonnante découverte. On alla jusqu’à prétendre que le crâne était d’âge tertiaire, ce qui ne s’était pas encore vu : la période quaternaire ou diluvienne avait eu seule jusqu’alors le privilège de contenir des débris humains fossiles, ce dont certains maîtres de la science osaient même douter, prétendant que tous ces témoins supposés du déluge n’étaient que nos contemporains. Disons bien vite que l’homme préhistorique de la Californie ne semble pas plus authentique que celui d’Abbeville en France, où la fameuse mâchoire de Moulin-Quignon avait mis à son tour, quelques années auparavant, tous les géologues, tous les anthropologistes en émoi.

Après les placers d’eau et les placers secs vinrent les mines de quartz. Quand on eut assez remué la terre meuble ou les graviers et les conglomérats cimentés, qui tous avaient été lavés une première fois par la nature, on commença d’attaquer la roche massive, restée en place et intacte. D’où venait tout l’or qu’avaient roulé les alluvions? Évidemment de roches solides, de ces filons siliceux ou quartzeux dont on rencontrait en différens points les masses inclinées, blanches, vitreuses, cristallines, très dures, adossées à des granits, à des porphyres, à des roches vertes ou dioritiques, qui forment comme l’épine dorsale de la Sierra-Nevada et de ses contre-forts, ou recoupant les schistes noirs, ardoisés, feuilletés, d’âge primitif, qui s’appuient sur la grande chaîne et ses ramifications. Les têtes de ces filons, les parties qui se montraient au jour, avaient été désagrégées, labourées, avant l’apparition de l’homme sur le globe, par d’effroyables déluges, d’autres disent par d’énormes glaciers en marche, et l’or, entraîné avec les débris de la roche quartzeuse, s’était déposé avec ceux-ci dans les vallées. Une de ces veines de quartz, la veine-mère ou mother-lode de Californie, a 300 milles de long, la distance de Lyon à Paris. Elle peut être suivie comme une véritable muraille de silex blanc du sud au nord du pays, dans les vallées du San-Joaquin et du Sacramento, sur 5 degrés de latitude. Entre matin et soir, je ne l’ai pas perdue de vue pendant une de mes excursions dans les comtés de Mariposa et de Tuolumne. Plus tard je l’ai également retrouvée au centre de l’état, dans les comtés de Calaveras et Amador, où elle semble disparaître, car plus au nord, dans les comtés d’Eldorado, de Placer, de Nevada, ce sont des filons différens qu’on exploite. Partout la grande veine est aurifère, mais avec des richesses et des épaisseurs différentes suivant les localités. La direction reste toujours la même et court du nord-ouest au sud-est, comme l’axe de la Sierra-Nevada ou la ligne générale du rivage le long du Pacifique et à ces latitudes. Des filons secondaires se détachent de la veine-mère, la croisent sous des angles plus ou moins aigus; d’autres veines courent parallèlement à elle. Dans les comtés du nord, le faisceau métallifère est d’une direction et d’un âge différens. Quant au mode de formation de tous ces filons, les uns invoquent pour l’expliquer la seule action du feu souterrain, qui aurait amené du centre du globe la silice avec l’or en fusion; d’autres, plus réservés, font intervenir ensemble l’eau et le feu, et admettent que des sources minérales bouillantes, contenant en dissolution la silice et des combinaisons très peu stables d’or, ont laissé déposer le quartz et le métal à travers les fissures des roches préexistantes.

Le mineur californien mit une grande indécision à l’attaque des mines de quartz. Dans le comté de Nevada, près Grass-Valley, la veine d’Allison-Ranch, qui devait rendre vingt fois millionnaires les trois pauvres Irlandais illettrés qui l’avaient rencontrée par hasard, fut à peine fouillée en 1851, année de la découverte, et immédiatement bouchée. On croyait alors que les mines de quartz « ne payaient pas. » Ce ne fut que quatre ans après, quand il fut bien démontré par quelques exemples frappans que les filons rapportaient plus que les placers, que la veine d’Allison fut exploitée avec tant d’autres. Dès lors toute la Californie se précipita sur le quartz comme elle l’avait fait sur les sables. Bientôt la pierre fut extraite par les moyens les plus savans de l’art des mines, puis broyée en poussière ténue sous des pilons mécaniques analogues aux bocards allemands ou de la Cornouaille, que différens inventeurs s’attachèrent à perfectionner. L’or, entraîné par un courant d’eau avec le quartz pulvérisé, était recueilli au moyen du mercure dans des moulins ou appareils tournans, en fonte ou en pierre, qui furent bien vite, eux aussi, entièrement transformés en moulins hongrois, moulins chiliens, arastras mexicaines, agitateurs russes ou sibériens. On employait encore des plaques de cuivre amalgamé, c’est-à-dire revêtues d’une couche de mercure, adhérente par alliage avec le cuivre ; sur ces plaques passait et s’arrêtait l’or. Pour finir, on étendait devant les derniers résidus ou tailings, au moment où ils s’échappaient, des couvertures de laine ou même des toisons de brebis, dans les filamens desquelles s’engageaient les dernières parcelles du lourd métal. La toison d’or n’est pas une fiction, et les anciens argonautes avaient peut-être employé, dans les placers de la Colchide, le moyen ingénieux remis en usage par leurs frères californiens.

L’âge héroïque de l’exploitation de l’or commence avec la découverte de la première pépite dans la vallée du Sacramento en 1848, et finit vers 1859. Cette découverte fut entièrement due au hasard, et le mormon Marshall, milicien libéré de la guerre du Mexique, en route vers l’Utah et momentanément employé à la scierie du capitaine Sutter, n’en fut que l’inconscient opérateur. Sutter lui-même, ancien capitaine des gardes suisses de Charles X, émigré en 1830 en Amérique, colon en Californie, avait établi une scierie de bois sur un affluent du Sacramento, et ne se doutait point qu’on trouverait un jour autant d’or sur ses terres.

Les onze années qui suivirent cette découverte inattendue, laquelle allait si profondément remuer le globe, marquent l’ère des trouvailles fabuleuses, celle de la plus grande production, et celle aussi des temps troublés, des formidables incendies, de la loi de Lynch, des comités de vigilance. Le désordre un moment est à son comble. On risque dans un jeu effréné tout ce qu’on gagne, et le revolver prononce partout en dernier ressort. Jamais le mineur, inquiet, mécontent, avide, ne reste un moment en place. Les nouvelles les plus mensongères le trouvent crédule. On annonce une fois qu’un lac d’or fluide, une autre fois qu’une montagne aurifère massive, viennent d’être découverts, et il accourt naïvement pour avoir sa part de ces trésors; ainsi firent jadis les Espagnols au temps de Cortez et de Pizarre. En 1851, la Californie faillit être entièrement abandonnée pour l’Australie, où un mineur du Pacifique venait de signaler les premiers placers. En 1858, elle manqua de nouveau d’être dépeuplée à l’annonce de la découverte des champs d’or de Fraser-River, dans la Colombie-Britannique, qui furent l’occasion d’un immense exode. J’assistai l’année suivante au retour des derniers orpailleurs désabusés, et j’eus aussi l’occasion de noter l’apaisement définitif et la transformation surprenante de l’Eldorado, qui d’état purement minier devenait peu à peu agricole. Tout était réglé désormais, et la période héroïque était close.

L’étape qui suit, et qui va de 1859 à 1870, peut être regardée comme une étape de transition. Les placers, du moins les gîtes sableux superficiels, sont de plus en plus abandonnés, les mines de quartz aurifère fouillées toujours plus activement et plus profondément. Cependant la production de l’or va en diminuant d’année en année jusqu’à être réduite de moitié, et de 250 millions de francs qu’elle atteignait encore en 1859 tombe à 125 millions en 1870. En 1853, année du rendement maximum, elle avait dépassé 325 millions. Toutefois la richesse agricole du jeune état du Pacifique augmente de plus en plus, les manufactures, les usines, se fondent, et le pays produit et exporte des vins, des alcools, des céréales, des farines, des bois. En 1868, revoyant la Californie, j’ai pu constater que l’évolution qui se dessinait neuf ans auparavant était définitive, et que la production du blé à elle seule venait d’atteindre en valeur celle de l’or. La vigne avait donné 135,000 hectolitres de vin; de la tonte des troupeaux, on avait retiré 4 millions de kilogrammes de laine. En deux ans, de 1865 à 1867, la valeur de la propriété foncière avait augmenté d’un cinquième. Depuis tous ces chiffres ont été maintenus ou dépassés. Voilà bien des résultats qui compensaient une diminution dans l’extraction de l’or. Après tout, ces progrès, ces transformations, n’étaient-ils pas dus à la production continue, bien que peu à peu décroissante, du précieux métal? C’est du reste dans cette période intermédiaire de 1859 à 1870 qu’a lieu la découverte des mines d’argent du Nevada, et celle des mines d’or et d’argent du Colorado et des autres territoires attachés aux flancs des Montagnes-Rocheuses ou de la chaîne des monts Wahsatch. Le rendement de ces nouvelles mines comble le déficit de celles de la Californie; prise dans son ensemble, la production des deux métaux précieux suit même une progression ascendante.


II. — LES NOUVEAUX PLACERS CALIFORNIENS.

La troisième période de l’exploitation de l’or est peut-être la plus curieuse et toute pleine d’enseignemens, si elle n’est pas la plus productive. Elle commence à 1870 et se continue sous nos yeux. C’est l’étape actuelle, celle où les gisemens jusqu’ici à peine explorés, les placers souterrains d’époque diluvienne ou glaciaire, — les autres, les placers superficiels, appartiennent à l’époque alluviale ou contemporaine géologiquement parlant, — sont attaqués, avec une audace et une patience qui étonnent, par le moyen de la méthode hydraulique perfectionnée. Nulle part on ne recule devant la dépense. Les compagnies les plus puissantes se fondent, afin de poursuivre et de mener à bien ces immenses travaux, qui exigent des avances considérables. On construit des canaux sur des centaines de kilomètres au milieu de difficultés de tout genre, non plus des canaux de faible débit, mais dont le volume d’eau est tel qu’il pourrait suffire à l’alimentation d’une grande ville. Le jet hydraulique que fournissent ces masses aqueuses acquiert une puissance décuple de celle qu’il avait dans les exploitations précédentes; la force en est irrésistible, toute roche est démolie par lui. Est-ce tout? On jette en travers des vallées d’énormes digues pour emmagasiner les pluies qui tombent si abondamment en automne et en hiver, et avec ces vastes réservoirs abreuver les canaux toute l’année. Ce qu’un état n’oserait tenter, de simples particuliers le font, grâce à la législation libérale qui régit ici le travail des mines, grâce à l’esprit d’association qui règne partout dans ce pays de seIf-government.

Avant d’aborder de front les nouveaux placers, on les rejoint, on les sonde par des puits, par de longues galeries, foncés sur les plateaux ou au flanc des collines. Ces galeries, véritables tunnels, dépassent souvent 1 kilomètre en longueur. L’exécution en dure plusieurs années et coûte, si la roche est rebelle, un prix excessif, au-delà de 1,000 francs le mètre d’avancement. Le gîte une fois reconnu, il faut l’abattre. On l’éventre par une galerie beaucoup plus courte. De l’extrémité intérieure de celle-ci s’en détachent deux autres à angle droit, de manière à donner à tout l’ouvrage la forme d’un T. On dispose méthodiquement dans l’excavation plusieurs centaines de barils de poudre ou de dynamite, contenant chacun 25 livres ou environ 12 kilogrammes; on les réunit l’un à l’autre par un fil métallique, puis on mure solidement l’entrée du tunnel, et l’on met le feu du dehors au moyen de l’étincelle électrique. Un ébranlement énorme se produit, comme une commotion volcanique, un véritable tremblement de terre; toute la masse de conglomérat se soulève, et un espace de 50,000 mètres cubes est fissuré, désagrégé, prêt à être attaqué par le jet hydraulique.

Cependant les hommes s’approchent, manœuvrant l’eau comprimée au moyen d’ajutages perfectionnés en fer et en acier, dits monitors, qui permettent de diriger le jet à droite ou à gauche, en haut ou en bas, sans la moindre difficulté. Naguère c’était par une manche imperméable en toile qu’arrivait l’eau; aujourd’hui c’est par des tuyaux de fer portés sur des chevalets ; une pression de 2 atmosphères ou 20 mètres en hauteur et un volume quotidien de 50 pouces d’eau[1], mesure à l’usage des mines, étaient jugés suffisans; aujourd’hui on emploie au moins 1,000 ou 2,000 pouces, et la pression est de 8 à 10 atmosphères. Le mot de monitor est bien appliqué, c’est un vrai canon que le tube que l’on manœuvre. La lame liquide en sort raide et transparente, ferme comme une barre de cristal, point contractée, point divisée, et frappe les bancs de gravier comme ces béliers de guerre qui jadis battaient les remparts des places fortes. Elle a l’impétuosité du boulet et frappe, frappe sans trêve. La roche ne tarde pas à céder : une espèce d’arche s’ouvre d’abord, dont on abat les piliers; c’est alors comme une vaste caverne, dont le toit porte à faux et s’écroule. Il faut beaucoup d’attention et de coup d’œil dans la conduite de ce travail délicat, et prendre garde d’être atteint par les éboulemens. S’il est permis de comparer les petites choses aux grandes, nous dirons que les arroseurs publics, qui promènent l’eau en pluie sur les chaussées et sur les gazonnemens des squares de Paris, manœuvrent un appareil analogue à celui des mineurs hydrauliques californiens.

Démolis, pulvérisés sous le choc indomptable qui les mine, les bancs de gravier sont entraînés avec l’eau. Le seuil du canal de lavage, qui s’ouvre devant le front d’attaque, est formé de pavés en pierre ou en bois. La pierre est du galet, les dés en bois sont disposés de façon que les fibres soient en travers du courant. Dés et galets retiennent l’or dans leurs interstices. Il y a aussi des godets de mercure interposés sur le parcours des graviers. Presque partout le travail n’a lieu que pendant la saison des pluies, à cause du volume d’eau si abondant dont on a besoin, et parce qu’il ne pleut jamais en Californie de juin à octobre dans la région où sont les placers. Les canaux de lavage ne sont vidés qu’à des intervalles éloignés, et l’on comprend avec quelle émotion : toute la récolte d’or est là. Il en est que l’on n’arrête que deux fois dans une campagne, d’autres seulement à la fin. La longueur peut aller jusqu’à 2 kilomètres entre le banc exploité et le ruisseau où se déversent les terres lavées. Sur cette longueur, on ménage des chutes, de sorte que la ligne d’écoulement n’est pas continue; elle a aussi une pente variable. Il n’est pas rare que le poids de mercure jeté dans le canal soit de 2,000 kilogrammes; au prix de 16 francs le kilogramme que le métal a coûté un moment en 1874, cela faisait pour ce chapitre seul une dépense de 32,000 francs. — La quantité moyenne d’or recueilli est variable suivant les gîtes, et descend jusqu’à 1 franc et même 50 centimes par mètre cube de gravier abattu et lavé. Ces titres sont des minimums qui ne peuvent être utilement atteints que grâce aux moyens à la fois si perfectionnés et puissans et en même temps si économiques dont on use. Naguère, avec le système hydraulique primitif, on se tenait pour satisfait de laver avec avantage des graviers qui ne donnaient pas plus de 2 à 3 francs d’or par mètre cube. Il en aurait coûté beaucoup plus, seulement pour abattre un mètre cube de graviers solides, si l’on n’avait pas eu l’eau à sa disposition, l’eau si ingénieusement adoptée ici comme moyen mécanique, tant pour l’abatage que pour le lavage et l’entraînement des sables et des galets. Depuis, les perfectionnemens apportés à la méthode hydraulique ont été tels, que des terres six fois plus pauvres peuvent maintenant être lavées avec profit.

Citons quelques exemples. La Compagnie américaine à Sébastopol, comté de Nevada, avait lavé, à la fin de 1871, environ 6 millions de mètres cubes de graviers, dont elle avait retiré 9 millions de francs en or, ce qui mettait le rendement moyen à 1 fr. 50 par mètre cube. Le banc de gravier qu’elle exploitait avait une hauteur moyenne de 50 mètres et reposait sur un lit de granit. De 1871 à 1873, le rendement en or avait été le même. Quelques compagnies voisines, plus favorisées, tiraient jusqu’à 3 dollars ou 15 francs par mètre cube. D’autres, dont les graviers étaient trop durs et refusaient de se désagréger sous la pression hydraulique, étaient obligées de les abattre à la poudre et de les broyer sous des pilons mécaniques. Ces graviers avaient rendu jusqu’à 30 francs par tonne. Avec le travail à la poudre et le broyage, il faut naturellement que les graviers soient beaucoup plus riches, sinon les frais d’exploitation dépasseraient le rendement en or.

Il ne faudrait pas croire que tout cet or soit à l’état microscopique, engagé en poussière imperceptible dans le ciment des graviers. On trouve aussi des pépites, souvent volumineuses, et des feuilles, des nids d’or semi-cristallin, contenus dans les fissures et les cavités de noyaux de quartz. Quand on lave à la sébile le ciment des graviers, on y rencontre, comme dans les sables des placers superficiels, mais en moins grande quantité, du fer oxydulé magnétique noir, qu’une barre d’aimant sépare des autres corps rassemblés avec lui, des grains de platine, reconnaissables à leur couleur grisâtre et à leur grande densité, des rubis d’un beau rouge, mais trop petits pour avoir de la valeur, quelques saphirs bleus translucides, des grenats, des zircons, également sans nul prix, des débris de cristal de roche, quelques-uns disent aussi du diamant; il a été reconnu qu’il n’avait pas plus de valeur que les gemmes précédentes. En somme, l’or seul forme la véritable récolte de ces grandes exploitations.

De toutes les compagnies du comté de Nevada, la plus puissante est celle de North-Bloomfield, dont nous avons suivi en 1868 les travaux à leurs débuts. Elle possède en propre une étendue de 635 hectares de gravier aurifère. Dans une étroite vallée, elle a construit une grande digue qui barre un immense réservoir pouvant contenir 21 mètres de hauteur d’eau, lesquels seront portés à 30. A la première de ces profondeurs, le volume d’eau emmagasiné est de 15 milliards de litres ou 15 millions de mètres cubes. Le canal qui va de la digue aux bancs de gravier a 72 kilomètres de long, et n’a pas coûté moins de 2,500,000 francs. Il est attaché aux flancs des collines rocheuses qui enserrent le lit de la Yuba du Sud ou South-Yuba, et le voyageur qui parcourt cette vallée sauvage admire d’en bas cette audacieuse construction. Le canal débouche à 300 mètres au-dessus des mines, et là se trouve un second réservoir. Un nouveau canal de 32 kilomètres de long était en construction en 1873, pour rejoindre le précédent vers le milieu du parcours de celui-ci. Si cet ouvrage est maintenant terminé, la compagnie de North-Bloomfield pourra travailler toute l’année et dépenser par jour, sur tous ses points d’attaque à la fois, environ 380 millions de litres, correspondant au volume de 5,000 pouces d’eau de mineur. L’ensemble de la dépense totale, pour tous ces gigantesques travaux, atteint 5 millions de francs, dont 3 millions 1/2 pour les 104 kilomètres de canaux, et 1 million 1/2 pour les digues et les réservoirs. La compagnie possède en outre une part sur des dépôts de graviers voisins, et là elle a encore construit environ 50 kilomètres de canaux, et dépensé 1 million ¼. A elle seule, elle est ainsi propriétaire d’une ligne d’eau canalisée de plus de 150 kilomètres, s’étendant du sommet des montagnes, des flancs neigeux de la sierra au pied des vallées adjacentes. Tout cela aura été construit sans le secours de l’état, sans aucune subvention ou garantie ni des comtés, ni des communes, et par la seule initiative des individus. Le fameux canal de la Durance, qui porte à Marseille les eaux boueuses de cette rivière, qu’on n’a pas encore pu filtrer, n’y verse, au débit maximum de 9 mètres cubes par seconde, qu’un volume double de celui que le canal de North-Bloomfield amène sur ses graviers aurifères. Il a une longueur moindre que celui-ci ; il devait d’abord coûter 10 millions de francs, il en a coûté 40 ; on a mis plus de dix ans à en discuter les projets, dix ans à le construire, et l’état, le département et la commune sont tour à tour intervenus.

Les 635 hectares de gravier de la compagnie de North-Bloomfield s’étendent sur une longueur de 4 kilomètres de rivière desséchée, main gravel channel, et sur une hauteur qui varie de 75 à 180 mètres. Des puits traversant toute la série des bancs, de longs tunnels d’essai ont été foncés dans ce dépôt diluvien. Ces derniers ont démontré que la largeur moyenne en était de 800 mètres : il y a là 300 millions de mètres cubes à laver, contenant en or dans l’ensemble des centaines de millions de francs. Le gîte est divisé en deux bancs principaux : le gravier blanc ou supérieur, le bleu ou inférieur ; celui-ci a une hauteur de 40 mètres, l’autre varie de 15 à 105, suivant les inégalités de la surface ; c’est le plus pauvre, il ne renferme quelquefois que 25 centimes d’or par mètre cube lavé ; le bleu donne jusqu’à 12 francs. La compagnie vient de foncer dans le gravier bleu un tunnel de 2 kilomètres 1/2, attaqué par huit puits à la fois ; c’est le tunnel de mine le plus long de toute la Californie : il a coûté 2 millions 1/2 ou 1,000 francs par mètre courant. On y a employé les forets armés de pointes en diamant, ce qui a permis d’achever entièrement cet ouvrage en deux ans, du mois d’avril 1872 au printemps de 1874, époque où il a dû être entièrement terminé. On calcule que ce tunnel assure l’exploitation du gravier pour une quarantaine d’années. En 1873, on employait sur le gravier blanc des lances de 20 centimètres de diamètre avec une pression de 150 mètres d’eau ou 15 atmosphères. Il fallait, pour alimenter toutes les lances, 2,000 pouces ou environ 150 millions de litres d’eau par jour[2]. L’habile ingénieur de cette compagnie, qui en est en même temps le directeur, mérite qu’on mentionne son nom, c’est M. Hamilton Smith.

Telle est la phase nouvelle de l’exploitation des placers californiens. Quel pas franchi depuis les premiers tâtonnemens, alors que le mineur lavait si péniblement les terres à la sébile, au berceau, quel progrès réalisé depuis le temps où fonctionna le premier système hydraulique ! Nous sommes en présence non-seulement d’une méthode scientifique aussi ingénieuse qu’elle est puissante et hardie, mais encore d’autres gisemens qui ne seraient pas exploitables sans la découverte de cette méthode et les perfectionnemens successifs qu’elle a reçus. Le professeur Silliman de New-Haven a calculé que, la journée du mineur californien étant comptée à 3 dollars, le lavage de 1 mètre cube de terre coûte à la sébile 15 dollars, au rocker 3 dollars, au long-tom 75 cents, et seulement 10 cents par le procédé hydraulique[3]. Ces chiffres donnent les limites inférieures des quantités d’or que les terres doivent contenir pour être utilement lavées par telle ou telle méthode, et en même temps le volume de ces terres qu’un homme peut laver dans sa journée par chaque méthode : c’est le cinquième de 1 mètre cube à la sébile et 30 mètres cubes par le procédé hydraulique. On peut donc dire que ce dernier augmente dans le rapport de 1 à 150 les résultats du plat californien, et permet par conséquent de laver des terres cent cinquante fois plus pauvres.

Les volumineux débris de ces nouvelles exploitations ont été souvent une cause d’embarras à la surface du sol et même dans le lit des rivières, qu’ils troublent et qu’ils barrent. On comprend quel désordre doivent jeter dans le système hydraulique naturel d’une contrée ces immenses amas de cailloux, portés tout à coup par la vidange des canaux de lavage dans les lits réguliers des cours d’eau. Des bancs de sable exhaussant le fond, des barres transversales changeant la direction du courant, se sont formés dans le Sacramento lui-même. Ce fleuve et ses affluens ne roulent plus que des eaux troubles, tenant en suspension des argiles et des sables rougeâtres. En 1859, descendant par eau de Marysville à la ville de Sacramento, je pouvais déjà noter les premières apparences du mal. Si le lavage d’une partie des placers superficiels et des minerais de quartz en était la cause, combien cette cause n’a-t-elle pas grandi devant l’impulsion donnée au travail des placers souterrains! L’hydrographie elle-même de la baie de San-Francisco est aujourd’hui affectée par les décharges provenant de ces formidables exploitations. Comment en serait-il autrement? La longueur de tous les canaux des mines atteint maintenant 10,000 kilomètres, de quoi faire une ceinture au quart de la circonférence du globe. A la surface, les tas de déblais amoncelés donnent l’idée d’un déluge récent. C’est un désordre, une ruine sans nom. Nous ne savons pas de spectacle plus triste, quand les mineurs ne sont plus là et qu’un morne silence a succédé à la bruyante activité du placer. On a refait le travail de la nature, mais plus brusquement, plus brutalement; on n’a rien laissé en place, et l’on n’a pas pris le soin, comme elle, d’empiler régulièrement les matériaux. Heureusement que l’agriculture occupe d’ordinaire des comtés différens de ceux où sont les graviers aurifères, ou au moins d’autres sites, et que le danger de ces exploitations n’est qu’apparent pour elle ou restreint à quelques cas particuliers. S’il devait un jour devenir plus grave, on peut se fier au bon sens public et à la pratique éclairée des législateurs pour parer à cette difficulté.

C’est principalement dans le bassin du Sacramento, dans les comtés de Nevada, Sierra, Placer, Butte, Eldorado, Amador, Tuolumne, Calaveras, que l’on peut étudier les bancs de graviers. La plupart des géologues voient dans ces dépôts, qui occupent souvent des étendues et des hauteurs considérables, des dépôts glaciaires, d’autres des formations purement diluviennes, c’est-à-dire des lits desséchés de torrens, de cours d’eau disparus. Il est certain que l’on est devant un dépôt régulièrement orienté; le mouvement des blocs quartzeux, des galets, des cailloux roulés, des sables, a suivi une pente et une direction données. La direction générale est presque toujours perpendiculaire à celle des cours d’eau actuels de la contrée. On a quelque peine à admettre que des glaciers, à une époque où il faut supposer que les froids polaires auraient régné dans ces parages, aient charrié si bien toutes ces masses, puis les aient si régulièrement laissé tomber sur place, quand ils auraient fondu par suite d’un changement de climat, d’une élévation de la température. Que de données hypothétiques introduites dans l’explication du phénomène! Les cailloux sont ronds et bien roulés, bien polis, au moins dans tous les endroits où il nous a été donné d’étudier ces formations. Nulle part nous n’avons remarqué, sur les roches quartzeuses même les plus considérables, ni ces angles aigus indiquant que le bloc, empâté par les glaces, n’a pas souffert dans son parcours, ni ces stries caractéristiques qui témoignent que la roche voiturée a frotté sur la roche sous-jacente. Le soulèvement de la Sierra-Nevada, s’il a été brusque, a dû donner naissance à des torrens qui, déchaînés tout à coup, ont labouré les flancs de cette chaîne en descendant dans les vallées, et, passant sur la tête des filons, ont entraîné les galets aurifères avec eux. Que si l’on veut à toute force faire intervenir les glaciers, qu’il est de mode maintenant d’invoquer partout dans l’explication des derniers phénomènes terrestres, ne serait-il pas mieux de supposer que ces glaciers, ou même de simples bancs de neige, se seraient naturellement fondus par une faible élévation de la température sur les flancs de la sierra, et, transformés en torrens, auraient entraîné dans les vallées des amas de roches, de cailloux roulés, qu’ils auraient déposés en chemin? N’avons-nous pas, à propos des récentes inondations du midi de la France dans le bassin pyrénéen, un exemple frappant que les choses se passent souvent ainsi?

A quelle époque a eu lieu le grand phénomène que nous étudions? Tous les savans sont d’accord pour le placer au commencement de la période quaternaire, celle où devaient apparaître l’homme, les animaux et les végétaux contemporains, dont quelques-uns avaient eu déjà des précurseurs vers la fin de la période tertiaire. Nous avons un chronomètre certain pour marquer l’heure du phénomène. Les alluvions anciennes de Californie sont recouvertes en quelques points, notamment dans les comtés de Tuolumne, de Calaveras, par des tables basaltiques. Or ces basaltes ont apparu lors de la grande éruption volcanique qui a marqué tout le long du Pacifique la fin de la période tertiaire et l’aurore de la période suivante. Ce soulèvement a donné aux côtes leur relief actuel, et jalonné, du détroit de Behring au détroit de Magellan, la grande chaîne des Andes, peut-être la plus haute et dans tous les cas la plus longue du globe et la dernière formée. Dans la région du Pacifique où nous sommes, la coulée basaltique a pris des dimensions stupéfiantes. Elle couvre la moitié du territoire de Washington et d’Idaho, empâte l’état d’Orégon, s’épanche en Californie et en Nevada, et sur tous ces points réunis couvre une superficie égale à celle de la France. Nos volcans éteints de l’Auvergne et du Vivarais feraient piètre figure à côté de cette gigantesque éruption. En Californie, le feu central est resté en communication avec le sol : on rencontre en divers comtés des geysers ou jets de vapeur, des solfatares, des dégagemens de gaz, des volcans à peine éteints; les tremblemens de terre sont fréquens, parfois terribles. Dans le Nevada, des sources bouillantes, siliceuses et alcalines se dégagent aussi des flancs de la sierra; quelques géologues de l’école neptunienne pure croient trouver dans ces sources la clé du mode de formation des filons quartzeux.

Nous voudrions donner une idée nette de l’aspect des alluvions anciennes de Californie. Le meilleur exemple que nous puissions offrir d’un dépôt analogue, si ce n’est que celui-ci est moins consistant et n’est pas aurifère, est l’ancien lit de la Seine autour de Paris. La Seine a occupé là un espace dix fois plus considérable que celui qu’elle baigne aujourd’hui. Des hauteurs de Montmartre à celles de Montrouge, il y avait comme une immense cuvette où les eaux ont passé rapides, torrentielles, charriant peut-être sur des glaces flottantes des blocs de porphyre et de granit partis du sommet des montagnes bourguignonnes. Si l’on en pouvait douter, on n’aurait qu’à parcourir les carrières de sable et de galets aux environs de Bercy, du Champ-de-Mars et dans la plaine d’Argenteuil. A l’époque de la grande exposition de 1867, quand le Champ-de-Mars fut nivelé, on y retrouva, entre autres débris curieux arrachés aux formations géologiques que l’ancienne Seine avait labourées, des blocs granitiques venus du Morvan. Deux de ces blocs, les plus volumineux, ont été déposés au Muséum comme de véritables et authentiques témoins des premières inondations du fleuve. Sur d’autres points, des mâchoires et autres ossemens de mastodonte, de cerf géant, de bœuf primitif, d’ours des cavernes, de rhinocéros à narines cloisonnées, des défenses d’éléphans velus ou mammouths, ont été découverts. Tous ces animaux sont aujourd’hui éteints ou émigrés vers d’autres régions, comme le bœuf primitif et le cerf géant. On a même trouvé en quelques endroits des crânes et des ossemens humains fossiles, et avec eux ces armes, ces outils de silex, que l’on rencontre en tant d’autres lieux, restes de la primitive industrie de l’humanité à son aurore, qui racontent les commencemens de l’histoire du travail, mais aussi celle de la guerre. Tout cela réapparaît dans les dépôts de gravier californien, même l’homme fossile, moins authentique toutefois que celui du bassin parisien; tout cela avec l’or en plus et une coloration un peu différente des galets, qui sont généralement blancs, laiteux, tandis qu’ils ont dans l’ancien lit de la Seine une apparence ambrée, jaunâtre. Des troncs de bois pétrifiés, carbonisés, des filets cristallins, métalliques, de pyrite jaune de fer, se retrouvent dans l’une et l’autre formation, et dans celle de la Californie on rencontre des débris de schiste ardoisé, de serpentine et de porphyre vert, comme dans celle de Paris des blocs de craie, de calcaire et de granit. Certains poudingues aux galets de silex, cimentés par une argile ou un sable ferrugineux, donnent aussi une idée assez nette des amas de gravier californien. Il nous souvient d’en avoir vu dans le midi de la France, aux confins du département du Gard et de l’Ardèche, qui étaient aussi aurifères. Le Gardon et ses affluens, le Rhône lui-même, ont roulé, roulent encore de l’or, et deux ou trois orpailleurs y pratiquent toujours le lavage des sables, surtout après les grandes pluies. Cette industrie fut jadis très prospère. On rencontre à la surface du sol des tas amoncelés de galets quartzeux blancs, dont aucune tradition n’indique clairement la provenance, et que le paysan attribue aux Anglais. Ceux-ci n’ayant pas occupé cette partie du sol de la France pendant la guerre de cent ans, il est probable que ces débris remontent beaucoup plus loin, à l’époque romaine ou gauloise, et sont peut-être les traces toujours vivantes d’une méthode hydraulique rudimentaire mise en œuvre par nos premiers aïeux.

Pendant que les Californiens appliquent à leurs nouveaux placers les procédés d’attaque qui ont été décrits, ils ne restent pas inactifs sur leurs mines de quartz, et c’est ainsi qu’ils ont créé insensiblement la véritable métallurgie de l’or, qui avant eux n’existait pas. Sur ces mines sans cesse fouillées, non-seulement on extrait toujours le quartz aurifère des profondeurs du sol, mais on reprend aussi les résidus des premières exploitations, qui furent si hâtives, conduites avec de grossiers appareils, et l’on cherche à retrouver économiquement une partie de l’or qui est demeuré dans ces résidus. Pour cela, on a de plus en plus perfectionné les méthodes de broyage, de lavage et d’amalgamation. Enfin on a depuis quelques années résolument appliqué au traitement des pyrites aurifères (sulfures de fer, de plomb, de zinc, de cuivre) que l’on trouve mêlées à l’or natif et devant lesquelles le mercure reste sans effet, des méthodes chimiques, dont quelques-unes, paraît-il, ont réussi. Dans le comté de Nevada, nous avons vu à l’essai deux de ces méthodes, l’une due à un ingénieur français, professeur à l’École des mines de Paris, le regretté M. Rivot, l’autre à un Allemand, Plattner. M. Rivot croyait avoir trouvé le moyen d’extraire tout l’or contenu dans les sulfures aurifères, et le procédé qu’il employait consistait à oxyder entièrement le minerai, réduit en poudre impalpable, dans un four cylindrique tournant en tôle de fer, chauffé en dessous, une façon d’énorme rôtissoire de la forme de celles à griller le café. A l’intérieur, on admettait de l’air et de la vapeur d’eau surchauffée. Après ce grillage, on amalgamait le minerai dans des cuves à la manière ordinaire. Un jeune Parisien, que j’avais connu en France quelques années auparavant, expérimentait près de la ville de Nevada, capitale du comté, le procédé de M. Rivot. Il avait quitté, pour la rude vie des placers, les salons élégans dont naguère il faisait les délices comme musicien. La métallurgie lui fut moins souriante que la musique, et il a dû renoncer à l’application économique du procédé de l’ingénieur français. Ce procédé avait été déjà et non moins vainement essayé par d’autres de nos compatriotes sur les mines d’argent du Mexique et de l’état de Nevada. Depuis, un inventeur germano-américain, Brückner, a mis en usage un four cylindrique tournant analogue à celui de M. Rivot. Ce four fonctionne, dit-on, convenablement dans les mines du Colorado et du Nouveau-Mexique, où il a été introduit en 1871. Dans le four de Brückner, la chloruration suit le grillage du minerai. C’est aussi par la chloruration que l’Allemand Plattner traite les minerais d’or rebelles, et son procédé, comme celui de M. Pavot, était appliqué dans le comté de Nevada il y a quelques années; il l’est sans doute encore. Par le procédé de Plattner, on grille le minerai sulfuré dans un four à réverbère à deux soles ou aires planes consécutives, sur lesquelles on étend la matière à oxyder, puis on attaque par le chlore en dissolution les sulfures entièrement grillés. Le chlore est produit d’abord à l’état gazeux au moyen de l’oxyde de manganèse, du sel marin ou chlorure de sodium et de l’acide sulfurique. Le chlorure d’or est mis en présence d’une solution de sulfate de fer. Cette substance dégage le précieux métal de sa combinaison peu stable; il se forme du chlorure de fer au lieu de chlorure d’or, et l’or, remis en liberté, tombe à l’état de poudre noirâtre au fond des bassines servant à l’expérimentation. On recueille cette poudre, on la fond dans un creuset, on la coule dans une lingotière, et l’on obtient une barre d’or métallique entièrement pur. Tel est le procédé allemand, qui a été appliqué aussi sur quelques autres mines, par exemple celles du Colorado.

Diverses expériences, qu’il suffira de rappeler en passant, ont été également tentées depuis quelques années dans le traitement des minerais d’or sulfurés. On est allé jusqu’à s’adresser à l’électricité pour les espèces les plus réfractaires. Le fluide mystérieux favorise l’association ou la désunion des corps, et on lui a prêté un instant le don de rendre possible l’amalgamation de tous les minerais d’or ou d’argent. Nous avons assisté à quelques-uns de ces essais, entièrement abandonnés depuis, entre autres ceux que tentèrent deux Français, MM. Nolf et Pioche, à San-Francisco. Que d’espérances ne fondaient-ils pas sur leur réussite ! Ils oubliaient que les procédés de laboratoire, trouvés le plus souvent par des théoriciens éloignés des mines, par des savans de cabinet qui n’ont jamais vu les exploitations et n’en connaissent point les exigences économiques, ne constituent pas des opérations métallurgiques de même nature que celles qu’on exécute quotidiennement. Ces naïfs chercheurs passaient sous silence une chose, le prix de revient de la matière qu’ils entendaient produire, et c’est à cela surtout qu’il aurait fallu viser. Nous en avons entendu un autre, tout fier de sa découverte, qui de Paris comptait en remontrer aux Californiens, et traiter les quartz aurifères dans des fours avec la litharge, sans se rendre compte de la difficulté de fondre ces grandes masses de silice, du coût de la litharge, dont l’application n’est pas celle-là, et du prix élevé des matériaux, de la main-d’œuvre et du combustible en Californie. Plus d’un médecin, parce qu’il était un peu chimiste, s’est improvisé praticien en métallurgie, prétendant traiter indistinctement, par une méthode inventée dans les livres, tous les minerais aurifères, quelque rebelles qu’ils fussent. Retirer de sables métallifères un culot d’or de la valeur d’une pièce de vingt francs en faisant pour 100 francs de dépenses préliminaires est presque partout possible, même avec les sables de Meudon, comme le démontra un jour l’ingénieur Sage, le fondateur de l’École des mines de Paris. Ce qu’il faut, c’est de produire avec 5 ou 10 francs la valeur d’une pièce d’or de vingt francs, et voilà ce que les vrais Californiens ne perdent jamais de vue. En outre, dans le traitement de ces sortes de minerais, il y a une perte d’or ou d’argent qu’il faut se résoudre à subir. Cette perte, qui est inhérente à toutes les opérations de ce genre, on peut la réduire au minimum par tous les perfectionnemens possibles; mais vouloir atteindre dans la pratique le rendement de la théorie, vouloir même le dépasser, comme l’entendent quelques-uns, c’est chercher la pierre philosophale.

L’attention est particulièrement concentrée aujourd’hui en Californie sur l’exploitation des placers souterrains. De nouveaux gisemens de ces graviers aurifères sont chaque jour atteints, et l’on calcule qu’il y a là des milliards d’or à extraire et une durée de plusieurs siècles réservée à ces gigantesques travaux. Qu’il faille ou non rabattre de ces calculs, où les Américains se grisent volontiers, mais dont généralement les résultats ont été jusqu’ici en leur faveur, il n’en est pas moins vrai que les capitalistes étrangers commencent de nouveau à porter leurs regards vers ces lointaines entreprises. Dernièrement des financiers de Londres avaient envoyé des ingénieurs étudier les graviers de North-Bloomfield et une série d’autres gîtes non moins importans. L’or ne se remue plus à la pelle comme aux jours fortunés de l’Eldorado. Les grosses pépites sont devenues de plus en plus rares, et l’on ne gagne plus, à laver isolément les sables, des milliers de francs dans sa jour- née. Si l’on se lève pauvre le matin, il est rare qu’on s’endorme riche le même soir. Il faut aujourd’hui extraire péniblement le métal précieux à coups de millions et non plus à l’aveuglée, mais en s’inspirant des données les plus certaines de la science. La possession de gros sacs d’écus, la connaissance des lois de la géologie, de l’hydraulique, voilà ce qu’il faut maintenant pour commencer ces sortes d’entreprises. Il est indispensable que des associations financières puissantes en prennent la direction. Au milieu de tout cela, la production totale de l’or va baissant, non pas que les compagnies exploitantes ne réalisent point de bénéfices, bien au contraire : proportionnellement au nombre des mineurs occupés, le rendement moyen en or est même plus grand qu’il n’a jamais été ; mais la production va se réglant, et les accumulations superficielles des placers ou des gîtes quartzeux ont été partout enlevées. Comme une sorte d’harmonie règne dans les choses de ce monde, le stock métallifère du globe arrive de plus en plus à sa composition normale ; en même temps qu’on trouve moins d’or, on produit beaucoup plus d’argent.

En 1874, la Californie n’extrayait plus que 88 millions de francs en or, le quart de ce qu’elle avait extrait vingt ans auparavant, et tous les autres états ou territoires aurifères ne donnaient ensemble que 42 millions ; mais la production de l’argent, de plus en plus croissante, arrivait à 235 millions. La portion des États-Unis comprise entre les Montagnes-Rocheuses et le Pacifique atteignait ainsi, dans l’extraction des métaux précieux, le chiffre de 365 millions de francs, qui n’avait pas encore été constaté et qui sera certainement dépassé en 1875, où l’on compte produire 400 millions. La première en date de ces régions minières si étonnamment fécondes, la Californie, est depuis longtemps définitivement organisée. C’est désormais un pays tranquille et prospère, où les mines, l’agriculture et l’industrie manufacturière se donnent heureusement la main. Aujourd’hui, la population de cet état atteint 750,000 âmes et la ville de San-Francisco, justement appelée la reine du Pacifique, compte 250,000 habitans. Dans cette région privilégiée, sous ce bienfaisant climat, qui est véritablement celui d’un paradis terrestre, tous les arbres fruitiers, tous les légumes d’Europe, en même temps que les plantes des pays chauds, sont utilement cultivés, et la terre, à peu près vierge et plus fertile qu’ailleurs, donne des produits incomparables ; on connaît partout le volume, la saveur des fruits, des légumes de Californie. Les céréales, la vigne, fournissent des récoltes de plus en plus abondantes. En 1874, il a été produit 30 millions de boisseaux ou 10 millions d’hectolitres de blé, 4 millions de gallons ou 150,000 hectolitres de vin. Comme en Australie, l’élève des moutons s’est beaucoup répandu ; la tonte a produit 18 millions de kilogrammes de laine. On rencontre dans les comtés du centre et du nord des champs de lin, de chanvre, de houblon, et dans ceux du sud le mûrier, le coton, le tabac. Peu de pays offrent à la marine et à l’architecture de plus beaux bois de construction. Sur tous les marchés d’Amérique, le blé et les farines de Californie sont cotés au premier rang. Le Chili, qui fut un moment le nourricier de l’Eldorado, reçoit de lui depuis longtemps des farines et même des céréales. Il est rassurant de constater que 15,000 Français, émigrés en 1848, sont restés dans le pays, y vivent contens, y font bien leurs affaires. Le jardinage, la culture de la vigne, les occupent particulièrement. La Californie n’est pas du reste le seul pays métallifère où l’on signale ce bien-être et un progrès agricole continu. Tous les nouveaux états ou territoires qui gravitent autour d’elle doivent également à l’exploitation de l’or et de l’argent et leur prospérité toujours plus grande et leurs merveilleuses transformations.


III. — LES MINES D’ARGENT.

L’état de Nevada et le territoire d’Utah sont les deux principales régions qui produisent l’argent aux États-Unis. Le seul rendement du Nevada, toujours croissant depuis six ans, a dépassé 175 millions de francs en 1874, et celui de l’Utah a été d’environ 30 millions. À ces deux régions argentifères, il faut joindre le Colorado, l’Idaho, le Montana, l’Arizona et le Nouveau-Mexique, qui ont produit tous ensemble, en tenant compte aussi de la part afférente à la Californie, environ 30 millions de francs d’argent. Sur cette somme, plus des deux tiers appartiennent par moitié à la Californie et au Colorado. Les mines de l’Arizona ont été jadis plus prospères. Elles sont sur le prolongement de celles si riches de la Sonora, et appartenaient même à ce groupe avant l’annexion de l’Arizona aux États-Unis. Elles ont été en partie détruites, inondées, incendiées, à la suite des terribles incursions des Apaches lors de la guerre de sécession. Depuis cette époque, elles ne se sont plus relevées, et la production n’a fait qu’y décroître.

Les mines de l’Utah ne sont exploitées que depuis 1870. Elles étaient connues ou du moins soupçonnées depuis longtemps des mormons; mais leur président Brigham Young, imitant en cela la politique du sénat de Rome vis-à-vis de l’ancienne Italie, n’entendait pas autoriser l’exploitation de ces mines, de crainte que la culture agricole, celle qui a véritablement fondé l’Utah, ne fût négligée pour les travaux souterrains. Il était à craindre aussi que les gentils (c’est le nom que donnent les mormons à tous ceux qui ne sont pas de leur église) ne fissent irruption sur le territoire sacré, si les mines étaient ouvertes. Les événemens se sont joués de la politique du pape des saints. Quand l’heure a sonné, quand le chemin de fer du Pacifique a été ouvert, les pionniers, le pic sur l’épaule, sont venus éventrer les filons qui gisaient aux flancs des monts Wahsatch, et les mines ont immédiatement donné de tels bénéfices, que la fièvre des recherches s’est communiquée non-seulement aux chefs mormons eux-mêmes, mais encore au dernier des saints.

Ces nouvelles mines paraissent devoir être un jour presque aussi importantes que leurs aînées, celles du Nevada. Quant à la fertilité de celles-ci, elle dépasse tout ce qu’on avait vu jusqu’à ce jour, fût-ce aux époques les plus productives de la colonisation hispano-américaine. Prises ensemble, les mines du Mexique, de la Bolivie, du Pérou, du Chili, ne viennent qu’après celles de Virginia-Gity et ne les suivent même que de très loin. Au temps de l’antiquité grecque, les fameuses mines du Laurium dont parlent tous les auteurs, Thucydide, Démosthène, Aristophane, elles qui formaient le plus beau revenu de la république d’Athènes, et qui, retrouvées de nos jours, ont fait tant parler d’elles, ces mines n’ont jamais fourni, même sous Périclès, où elles furent le mieux exploitées, une quantité de lingots d’argent comparable à celle qu’on extrait de certaines mines du Nevada. Le rendement de cette seule région atteindra 200 millions de francs en 1875. Récemment les plus volumineux amas de minerai massif ont été rencontrés dans la célèbre veine de Comstock, la plus riche du pays, près de Virginia-City. Cette découverte est bien autrement importante que celle autour de laquelle on a fait depuis deux ou trois ans tant de bruit, celle des mines de Caracoles, dans le district d’Atacama, sur la frontière qui sépare le Chili de la Bolivie. Là, comme c’est l’habitude partout, les mineurs se sont portés en foule sur les nouveaux gisemens et s’en sont disputé une part. Il y a eu des milliers de concessions délimitées alors qu’il n’aurait dû y en avoir qu’une centaine, et qu’une dizaine seulement de ces mines devaient fournir une campagne régulière.

Le Nevada n’a pas échappé à ces sortes d’excitations, d’abord à ses débuts, ensuite à diverses reprises. J’ai assisté en 1859 au premier exode vers ce qu’on appelait alors les mines de Washoe, qui manquèrent de dépeupler la Californie, et en 1868 à une seconde poussée des pionniers. En avant! tel est resté leur cri. C’était à White Pine, vers la limite orientale de l’état, un lieu qui n’était pas encore marqué sur les cartes et qui depuis est devenu fameux. Malgré les froids, qui furent précoces et qui à ces hauteurs et sous ce climat particulier sont très vifs, les settlers campèrent bravement tout l’hiver sur les nouveaux filons. Les rigueurs des hivers suivans ne les découragèrent pas davantage. Un certain nombre de ces exploitations ont prospéré, les autres ont dû être abandonnées. Le mineur reste rarement en place, et comme le joueur tente de toute façon la fortune, jusqu’à ce qu’elle lui sourie; mais dans ce jeu, tout de hasard, que de joueurs éternellement malheureux, si quelques-uns sont favorisés outre mesure!

L’exploitation des mines métalliques passe par des péripéties étranges. A la fin de 1874, une découverte inespérée, faite dans le filon de Comstock, sur les mines de Consolidated-Virginia, California et Ophir, limitrophes les unes des autres et formant ensemble un même gîte, a mis en ébullition tous les mineurs du Pacifique et le monde financier de San-Francisco. La Californie, qui commence à être blasée sur ces sortes de choses et a perdu son ingénuité première, s’est émue des nouvelles découvertes et s’est sentie remuée dans ses entrailles comme au temps de ses argonautes. Que s’était-il donc passé? Une masse énorme, sans analogue jusque-là, de sulfure et de chlorure d’argent, c’est-à-dire des deux minerais les plus riches de ce métal, venait d’être rencontrée. Elle traversait de part en part les trois mines, commençant à Virginia, finissant dans Ophir, sans qu’on pût dire encore jusqu’à quelle profondeur elle s’étendait. On en estimait la longueur à 1,200 pieds ou 360 mètres. Le filon s’était considérablement renflé sur ce point, comme pour donner passage à cette masse énorme et l’enserrer solidement entre ses deux murs, l’un de granité, l’autre de porphyre. La largeur de l’amas métallifère n’était pas moindre que la longueur. On a travaillé depuis lors, on travaille toujours dans cette montagne souterraine d’argent. On estimait à 215 millions de francs la quantité seule de métal précieux que la mine Virginia aurait dû extraire à partir du dernier niveau souterrain qu’elle avait atteint et en s’élevant au-dessus, vers les niveaux supérieurs, et l’on calculait qu’elle distribuerait de ce chef 135 millions de dividende à ses actionnaires. Au-dessous, un puits de sondage de 15 mètres était resté en plein minerai, et quelques-uns croyaient pouvoir porter à 100 mètres la limite que le gisement atteindrait de ce côté sur l’inclinaison du filon. Toutes les autres parties de la mine, bien que considérées jusqu’alors comme très riches, avaient été abandonnées pour celle-là. Le filon de Comstock, par momens si fertile, n’avait pas encore présenté, même au plus beau temps des mines Gould et Curry, Yellow-Jacket, Savage, etc., de telles masses de minerai compacte, et les ingénieurs pensaient que, pour la mine seule de California, le rendement total dépasserait 500 millions de francs. A Ophir, le minerai valait en moyenne 6,000 francs par tonne de 1,000 kilogrammes, et l’on avait trouvé des nids qui donnaient au-delà de 40,000 francs. La quantité de minerai dégagée, mise en vue, entre deux niveaux ou galeries horizontales, était évaluée en poids à 150,000 tonnes pour Ophir seulement, d’où on en extrayait 240 par jour, lesquelles alimentaient quatre moulins d’amalgamation. Jamais dans aucune mine, en aucun temps de l’histoire, un amas aussi riche et aussi puissant n’a été signalé. Pour la mine seule de California, il a 180 mètres de long, autant de large, et atteindra peut-être une profondeur de 120. Les Hispano-Américains, qui connaissent de longue date ces sortes de renflemens métallifères, ces amas énormes de minerai d’argent tout à coup rencontrés, les appellent des bonanzas.

La mise en valeur des mines d’argent, plus encore que celle des mines d’or, a de tout temps tenté les banquiers, qui non-seulement font des avances aux mineurs, mais encore s’intéressent directement dans la poursuite de ces exploitations. Ils s’imaginent qu’il y a là des bénéfices plus certains que ceux du change ou de l’escompte, et mille fois plus fructueux. Quelques-uns y réussissent, et souvent au-delà de toute espérance; beaucoup y perdent, et c’est le cas le plus commun. Les banquiers de New-York, de Boston, de San-Francisco, en ont fait les premiers la triste épreuve. A lui seul, le Colorado a occasionné plus d’une débâcle financière. En Europe, les hommes d’affaires les plus madrés d’Angleterre ou de Hollande s’y sont aussi laissé prendre. Ceux qui ont conclu, il y a quelques années, à Londres, l’achat de la trop célèbre mine Emma, dans l’Utah, au prix de 1 million de livres sterling ou 25 millions de francs, les banquiers d’Amsterdam qui ont acheté à un prix non moins fou les mines de Caribou dans le Colorado, n’ont certes pas eu lieu, au moins les premiers, de se féliciter de leur marché de dupes.

La mise en action de la mine Emma est citée à New-York comme un des plus jolis tours de Yankee que frère Jonathan ait joués à son cousin John Bull. Le minerai de ce filon fut d’abord envoyé aux usines de Swansea, dans le pays de Galles, qui traitent le minerai d’argent. Il y rendit 600 francs par tonne. La moitié de la mine fut alors offerte par l’un des exploitans pour 15,000 francs, et ne trouva pas d’acquéreur, bien que la veine se montrât de plus en plus riche. Quelques mois après, en mai 1870, un banquier de la ville du Lac-Salé payait 150,000 francs pour un sixième d’intérêt dans l’Emma. L’année suivante, la moitié de la mine était vendue 3,750,000 francs à des capitalistes de New-York, et enfin au commencement de 1872 toute la mine était placée sur le marché de Londres au capital de 25 millions de francs ou 1 million de livres sterling, dont la moitié était immédiatement souscrite et l’autre affectée aux vendeurs. Dès le printemps de la même année, la mine était envahie par les eaux, entièrement inondée, et l’on dit que depuis le minerai est de plus en plus rare et pauvre.

Toute découverte, toute exploitation de mine, est par instans la cause de fortunes inespérées qui troublent toutes les cervelles, et quelquefois tout d’abord celle de l’heureux gagnant. C’est une loterie et des plus dangereuses. Un pauvre ouvrier mineur met par hasard la main sur une veine riche; comme le découvreur est propriétaire du filon qu’il trouve, misérable la veille, il est millionnaire le lendemain. Qui n’a entendu parler de quelques-unes des rencontres incroyables qui ont été faites dans les premiers temps sur les placers aurifères? Dans les mines de quartz de Californie, j’ai cité la chance inouïe des trois pauvres Irlandais d’Allison Ranch. On en pourrait rappeler vingt autres dont quelques-unes ont échu à des Français. Ces fortunes quelquefois s’écroulent comme elles sont venues, instantanément. C’est un tableau des Mille et une Nuits. La tête se trouble, les folies commencent, la ruine vient. Au Chili, les frères Bolados, pauvres âniers, découvrent une mine d’argent, en tirent 3 millions 1/2, perdent tout dans le jeu, la dissipation, l’orgie; la mine s’épuise, et ces millionnaires d’un jour n’ont plus même leurs ânes pour reprendre leur premier métier! Que de frères Bolados on pourrait citer dans les mines de Californie, du Colorado, du Nevada! Et ce n’est pas seulement le cas pour les mines de métaux précieux, ce l’est aussi pour d’autres mines. Sur les gîtes d’huile minérale de Pensylvanie, celui qu’on appelait familièrement Johnny, que tout le monde acclama un jour comme le roi du pétrole et qui posséda un moment 100 millions, celui-là se vit bien vite ruiné par des folies que nul n’a égalées; lui qui donnait comme gratification à son cocher les chevaux et la voiture qui venaient de le conduire, se jugea fort heureux à la fin de trouver un emploi de portier à ce même théâtre que la veille, à Oil-City, il avait monté à ses frais.

Les grandes maisons de banque à San-Francisco, plus prudentes en cela que celles d’Europe, n’achètent guère de mines ; mais en prêtant de l’argent aux compagnies exploitantes, en leur faisant les avances nécessaires pour la continuation de leurs travaux, et ce à beaux deniers, au taux de 1 pour 100 par mois, en provoquant la hausse et la baisse sur les stocks ou actions minières qu’elles accaparent, elles drainent peu à peu dans leur caisse tout l’argent extrait des filons. Ces fortunes princières, comme celles des mineurs, s’en vont souvent au premier souffle. La Bank of California, qui a fait récemment une formidable faillite dont le retentissement est arrivé jusqu’en Europe, opérait surtout de la façon qui vient d’être dite. A la tête de cette banque était le fameux Ralston, qui est mort subitement à la suite de sa déconfiture, le 29 août dernier, en prenant un bain de mer, si bien que l’on a pensé un moment qu’il avait dû se suicider. L’existence de ce manieur d’argent, qui était à peine âgé de quarante-neuf ans, avait été au début pleine d’aventures comme celle de tant d’Américains. Né dans l’Ohio, il avait commencé par être homme de peine à bord d’un steamer du Mississipi. A l’âge de vingt-quatre ans, il attira par sa bonne mine, son intelligence, son énergie, l’attention d’un des plus grands financiers de l’époque, Garrison, qui venait de fonder une maison de banque à San-Francisco. Garrison envoya son protégé diriger une de ses succursales dans l’isthme de Panama; en 1855, il le rappela près de lui et l’intéressa dans toutes ses opérations. En 1864, Ralston, désireux de voler de ses propres ailes, fondait pour son compte la Banque de Californie. Depuis cette époque, aucune mine, aucune voie ferrée, aucune entreprise industrielle ne s’était ouverte ou fondée sur la côte du Pacifique que cet homme n’y ait eu une part. Nous l’avons vu dans tout l’éclat de son triomphe, plus entouré, plus sollicité qu’un ministre. Sa fortune était évaluée à 100 millions de francs, sa maison de campagne citée comme la plus somptueuse de Californie. Il y avait réuni jusqu’à cent convives à table, et pouvait y abriter une vingtaine de ses hôtes dans une série d’appartemens royalement meublés. Ce financier ne se posait pas en Mécène, comme ceux du siècle dernier en France, mais il faisait des sénateurs : à coups de dollars, il envoyait les électeurs voter pour eux. Les mineurs du Nevada ne marchaient que sur un signe de lui. Récemment il jetait la première pierre et prenait à sa charge la moitié des frais de construction du Palace Hôtel de San-Francisco, cet hôtel palais, qui coûtera, dit-on, 35 millions de francs, pourra donner asile à 1,500 personnes à la fois, et dépassera en grandeur, en confort et en magnificence les hôtels américains les plus renommés de l’Atlantique au Pacifique.

On n’est pas impunément le roi de San-Francisco. Ralston avait un rival, Mackay, parti de très bas comme lui, et qui était, il y a quelques années encore, ouvrier mineur dans le Nevada. Aujourd’hui, c’est l’homme le plus riche de toute la Californie, et sa fortune est évaluée à 75 millions de dollars. Il est un des directeurs de la fameuse mine Consolidated-Virginia et l’un des plus forts actionnaires de California et d’Ophir, dont on connaît l’incroyable richesse. Toutes les trois forment ensemble ce qu’on appelle sur la place de San-Francisco les big bonanzas, les gros filons. D’autres mines très importantes du Nevada, entre autres Savage et Caledonia, comptent aussi Mackay parmi leurs intéressés, et il a récemment fondé à San-Francisco, pour combattre l’influence toujours plus prépondérante de Ralston, la bank of Nevada. Deux de ses associés sont d’origine aussi humble que lui, O’Brien et Flood, qui ont débuté par être garçons de buvette, puis patrons buvetiers à San-Francisco. Ces vendeurs de brandy, à force de verser rasade aux spéculateurs qui opéraient devant leur comptoir, ont spéculé à leur tour sur les actions de mines, y ont gagné quelques centaines de mille francs, et avec cela ont acheté des pieds de filon, comme on dit en Nevada, parce que chaque action ne représente qu’un pied de la veine, et souvent même un pouce. À ce nouveau commerce, encore plus fructueux que le premier, ils sont devenus bien vite millionnaires et se sont associés avec Mackay.

L’une et l’autre banque, celle de Nevada et celle de Californie, ayant presque une égale part d’intérêt dans les mêmes mines d’argent, on s’est disputé les actions des mines. Peut-être aussi que certaines exploitations n’ont pas donné tout ce qu’on en attendait, si bien que, dans cette lutte à mort, la banque de Californie a sombré, et que Ralston a eu la fin que l’on sait. Le peuple de San-Francisco ne lui en a pas moins fait de splendides funérailles, comme on en fit à New-York au financier Fisk, tué d’un coup de revolver il y a près de quatre ans. Trop de gens ont eu part aux largesses de ces millionnaires improvisés pour que ceux-ci ne soient pas pleurés à leur mort et sincèrement. Ce n’est pas d’ailleurs sans provoquer une émotion d’un autre genre que disparaissent subitement ces hommes, pour la plupart indignes, et dont beaucoup finissent par se faire justice eux-mêmes ; ils ont tenu un moment dans leur main une partie de la fortune publique. La fermeture de la banque de Californie a occasionné sur la place de San-Francisco une crise qui heureusement n’a été que temporaire. Le 3 octobre, un télégramme annonçait au Times de Londres que la banque venait de rouvrir ses guichets, et que les déposans y affluaient de plus belle. Le croira-t-on? la foule encombrait les rues avoisinantes et poussait des hurrahs, des bannières avaient été déployées dans la ville, un salut de coups de canon avait été tiré; au dire d’un témoin oculaire, on se serait cru à la fête nationale du 4 juillet. Ce qui était plus consolant, c’est que le commerce de San-Francisco, un moment si troublé, était rentré dans ses voies habituelles.

Pendant que les hommes de finance président d’une manière aussi fiévreuse à la hausse et à la baisse des actions minières, souvent la provoquent eux-mêmes, le mineur poursuit paisiblement ses travaux souterrains, n’ayant pas quelquefois conscience de ce qui se trame au-dessus de sa tête, et ne se doutant pas de tous les jeux qui s’organisent autour du filon dont il suit si patiemment et si attentivement les capricieuses allures. De leur côté, les ingénieurs, les métallurgistes, s’attachent à exploiter de mieux en mieux les veines et à retirer toujours une plus grande quantité de l’argent contenu dans le minerai, pendant que les géologues dressent avec un soin méticuleux la carte des gisemens, et que les statisticiens, toujours en éveil, tiennent un compte exact et presque quotidien de toutes les circonstances économiques de la production. Rien ne reste en souffrance, et dans les mines d’argent comme dans les mines d’or le progrès est continu, et la même vigueur est partout appliquée à l’exploitation et à l’extraction du métal.

On peut dire qu’une métallurgie nouvelle s’est formée pour l’argent comme pour l’or. Les systèmes les plus perfectionnés sont adoptés partout pour le fonçage des puits et des galeries, l’extraction du minerai, l’assèchement des eaux souterraines, la ventilation des chantiers intérieurs. Les travaux sont solidement étayés, et le foret à pointe de diamant, qui a été inventé par un Français, mais qui n’a pas été adopté en France, est employé dans quelques-unes de ces mines, dont il accélère singulièrement l’avancement des travaux. La dynamite, la poudre géante, ainsi nommée à cause des effets étonnans qu’elle produit sur la roche massive, sont de plus en plus en usage. L’emploi de ces matières détonantes s’est transmis de la Californie au Nevada et s’y généralise. En ce qui regarde le broyage et l’amalgamation du minerai (on sait que le minerai d’argent est généralement traité comme le minerai d’or par le mercure), tous les procédés connus ont été essayés, étudiés et bien vite modifiés heureusement, de même dans les cas où la fusion est nécessaire, car il est des minerais d’argent qui sont rebelles au mercure et ne peuvent se traiter que par le feu. Dans ces sortes de recherches, où la chimie est mise sans cesse à contribution, l’état de Colorado s’est toujours distingué au premier rang comme celui de Nevada; quant à la Californie, elle ne cède le pas à personne dans le domaine du traitement des minerais aurifères. Il n’est pas jusqu’à la ville de Chicago qui, profitant d’une situation des plus favorables au voisinage de riches houillères, et sur le réseau de chemins de fer qui mène au grand railway du Pacifique, n’ait établi, elle aussi, une vaste usine pour traiter par la fusion, la liquation par le zinc et la coupellation, les minerais d’argent de l’Utah et une partie de ceux du Colorado. Toutefois le dernier mot n’est pas dit encore, car une partie des mattes argentifères et aurifères continue d’être envoyée en Europe, par exemple à Swansea, dans le pays de Galles, et à Freyberg en Saxe, où l’on achève de les traiter. Une plus rigide économie devra aussi être adoptée par les Américains, pour l’ordinaire trop gaspilleurs.

Pour subvenir aux opérations métallurgiques où le feu est indispensable, on trouve dans la plupart des états miniers un combustible fossile de qualité à peu près satisfaisante, et des forêts dont on tire du bois et du charbon de bois; mais c’est là le côté faible de ces régions : elles n’ont pas véritablement le combustible qu’il leur faudrait, et celui qu’elles ont coûte cher. Le même inconvénient se présente, et plus grave encore, dans toutes les mines d’argent de l’Amérique espagnole. A Cerro de Pasco, dans le Haut-Pérou, on est réduit à faire usage de la fiente de lama desséchée. Pour l’amalgamation, on dirait au contraire que la nature s’est plu à disposer d’avance en Californie des mines de mercure inépuisables, entre autres celles de New-Almaden dans le comté de Santa-Clara. Celles-ci et quelques autres mines voisines, New-Idria, Redington, Guadalupe, fournissent à tous les états et territoires du Pacifique tout le mercure dont ils ont besoin pour le traitement des minerais d’or et d’argent. Les vues de la nature sont étranges. Avait-elle quelque pensée préconçue quand elle jetait si près de l’or et de l’argent le mercure de Californie, et qu’elle réservait à l’Espagne les mines de mercure d’Almaden? Sans mercure, pas d’amalgamation possible, et par conséquent pas de traitement économique de l’or et de l’argent.

Le vif-argent se rencontre en Californie à l’état de cinabre ou vermillon natif d’un beau rouge, dont les Indiens, les premiers découvreurs et exploitans de ces mines, se servaient jadis pour se tatouer le visage. Le cinabre ou mercure sulfuré est presque le seul minerai de mercure. On en retire le métal liquide par une simple distillation. La quantité totale de vif-argent produite par les mines californiennes a été d’environ un million de kilogrammes en 1874, dont celles de New-Almaden ont fourni le tiers. Précédemment la quantité était plus considérable, et New-Almaden seulement rendait 1 million 1/2 de kilogrammes. Cette diminution dans la production, qui est due ici à des circonstances purement géologiques, a concordé avec une diminution correspondante dans les mines d’Espagne, à la suite des événemens dont la péninsule ibérique était alors le théâtre. Il en est résulté une hausse continue sur le métal, qui, de 6 francs le kilogramme, prix auquel il s’est tenu pendant bien des années jusqu’à 1869, est monté insensiblement jusqu’à 16 francs en 1874; il est aujourd’hui tombé à 10 francs. La mine d’Almaden en Espagne, depuis longtemps louée à la maison Rothschild, et qui produit environ 1 million 1/2 de kilogrammes par an, est la seule concurrente sérieuse des mines de mercure californiennes. Celles-ci alimentent non-seulement tous les états du Pacifique, mais même le Japon et la Chine. Dans les mers de l’Inde, elles retrouvent le mercure d’Espagne comme dans la mer des Antilles : la Chine d’un côté, le golfe du Mexique de l’autre, marquent la limite des marchés respectifs. Les quelques gîtes mercuriels qu’on rencontre en Italie, notamment en Toscane, et à Idria dans la Carniole autrichienne, ou en Hongrie et en Transylvanie, enfin dans le duché des Deux-Ponts en Allemagne, voire au Pérou à Huancavelica, qui fut jadis si productive, terminent l’inventaire du globe en mines de mercure et ne méritent pas de figurer à côté d’Almaden d’Espagne ou de New-Almaden de Californie. Toutes ensemble, les diverses mines qu’on vient de citer ne dépassent pas dans leur rendement annuel 250,000 kilogrammes ou le sixième de ce qu’une seule des deux autres peut fournir dans une bonne année d’exploitation.

Telle est cette région heureuse qui court des bords du Missouri au rivage da Pacifique, et qui se développe principalement sur les flancs des Montagnes-Rocheuses, des monts Wahsatch et de la Sierra-Nevada, région féconde en mines de tout genre, surtout en mines de métaux précieux. En 1874, ces mines ont produit pour une valeur totale de 365 millions de francs d’or et d’argent, dont 130 millions en or ; c’est la moitié de tout ce que le globe fournit. L’Australie, la Sibérie, ont livré chacune environ 100 millions d’or, et les mines de l’Amérique espagnole la même somme en or et en argent, dont 80 millions de ce dernier métal. Tous les autres pays ont extrait à leur tour pour une valeur de 60 à 70 millions des deux métaux précieux. Le chiffre afférent aux États-Unis est le plus fort que l’on y ait jusqu’ici obtenu, et il est certain qu’il sera encore dépassé en 1875. Quelques-uns des pays miniers comme la Californie, après avoir atteint le maximum, produisent moins chaque année ; d’autres, comme le Nevada, l’Utah, rendent toujours davantage ; non-seulement il y a compensation, mais dans l’ensemble le total monte, monte sans cesse. Ne l’oublions pas, c’est surtout aux institutions libérales dont tous ces états et territoires jouissent, à la facilité qu’on y trouve à exploiter une mine à peine découverte, au peu de règles restrictives imposées au travail industriel, au bon accueil qu’on fait aux immigrans, à la possibilité pour tous d’occuper immédiatement des terres et de les cultiver, c’est à tant d’avantages réunis que ces divers états et territoires ont dû surtout leur développement si prodigieux. Tirons-en pour nous-mêmes une leçon profitable à l’amélioration de nos colonies et comme un encouragement pour nos affaires, car une partie de cet or ou de cet argent nous arrive soit en lingots, soit en monnaie. Si jamais quelque économiste, inquiet da développement inusité que les échanges prennent autour de nous, craignait que l’or et l’argent ne vinssent à manquer aux transactions, qu’il se rassure : les gisemens des États-Unis, disséminés au voisinage du Pacifique, sont chaque jour plus productifs, plus étendus, et sont loin d’avoir donné toute leur mesure. Le mot que le président Lincoln a prononcé à propos de ces mines si fécondes se vérifie de plus en plus : « c’est là qu’est le trésor du globe ! »


L. SIMONIN.

  1. 3,800,000 litres.
  2. Les derniers rapports du commissaire des mines aux États-Unis donnent sur l’application du système hydraulique californien les plus minutieux renseignemens. Voyez notamment Statistics of mines and mining in the States and territories west of Rocky mountains, by R. W. Raymond, Washington 1874.
  3. Le cent est le centième du dollar, et le dollar vaut un peu plus de 5 francs.