Les Missives/Pour Madame la baronne de Germole sur l'absence de son mary

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Les Missives de Mesdames Des Roches de Poitiers Mère et Fille
Paris, Abel L’Angelier (p. 15-17).

POUR MADAME
LA BARONNE DE GERMOLE
sur l’absence de son mary.

14.


ABsente de vos yeux je sens en la pensee
Tant & tant de regretz que mon ame offencee
A voulu mainte fois laisser ce foible corps
Et s’enfuir dehors.

Vous voyant traverser les ondes marinieres,
J’ay crainte que mes vœux & mes humbles prieres
Ne puissent retirer vostre navire à bord
Vous sauvant de la mort.

Je craind que frequentant les estranges provinces
Vous soiez attiré aux delices des Princes,
Oublyant ce lien qui vous doit tout à moy
Par une juste loy.

J’ay peur que delaissant vostre fidele femme
Vous sentiez amortir vostre premiere flamme,
Pour alumer en vous le feu pernicieux
D’un amour vicieux.


O mon cher Germini & mais qui pourroit ore
Vous desrober à moy ! he qui pourroit encore
Retarder si longtemps vostre promis retour
Sinon faute d’amour ?

Vous estes eschappé des mains de la fortune,
Peut estre en ma faveur vous est elle oportune :
Et peut estre les vœux que j’ay tant faits pour vous
Appaisent son courous.

J’ay tant prié les Dieux, pour vostre heureux voyage,
Que yous estes sauvé, las moy je faiz naufrage
Dedans la mer d’amour, si vostre douce main
Ne m’en tire soudain.

Aidez moy donc amy, aidez moy donc de grace :
Monstrez moy seulement vostre amiable face :
A l’heure je perdray tout le soubçon jaloux
D’un si loyal espoux.

15.

Vous qui recevez les faveurs
Du Roy des Princes des Seigneurs,
Chantez de leurs victoires :
Gravez leurs noms dedans les cieux :
Faites les vivre entre les Dieux,
Eternisant leurs gloires.

Le cueur espoint d’un haut souci
Avec le labeur adouci
De vostre Dieu Delphique :
Chantez l’âme de l’univers

Et l’arbre roulant de travers
Par une voye oblique.

Dites comme il fait les saisons
Descrivez ses douze maisons
Et comment l’Aspec trine
Leur cause une parfaite amour,
Comme l’Opposite à son tour
Une haine maline.

Chantez aussi de ce grand Dieu,
Qui sans estre enclos d’aucun lieu,
Tient enclost tout le monde.
Je dy ce grand Dieu souverain,
Qui soutient d’une forte main
Ceste machine ronde.

Chantez le Roy son Lieutenant,
Vous pouvez dire maintenant
Que la majesté sainte.
Ne voit point un plus juste Roy.
Que celuy qui nous donne loy,
Avec amour & crainte.

Qu’il soit donc l’ame de vos vers,
Et que de mille chans divers
Sa brave renommee
Volle aux estranges Nations,
Rendant par ses perfections
Vostre gloire animee.


De moy si j’avois le pouvoir,
L’esprit, la grace, le sçavoir,
Dignes d’un plus haut stille ;
Je dirois vos esprits unis,
Et que vous estes le Phenix
De ce divin Achille.

16.

Qui a receu le bien, c’est raison qu’il le rende.
Euphrosine & ses Sœurs le demandent ainsi,
Ayant pris vostre don, vostre don me commande
Que je rende cest autre avec humble merci.

17.

Ayant receu de vous de la prose & des vers,
Ce livre rend pour nous des vers & de la prose.
Mais voyant les secrets du Seigneur descouvers,
Pourrez vous regarder vers si petite chose ?
Monsieur, pour voir le bien vos yeux seront ouvers,
Et pour les vanitez voste paupiere close.

18.

Dame belle, chaste & prudente,
Si j’avois l’arbre du Tresor,
Comme la premiere Atalante
Vous auriez les trois pommes d’or.

Jeune & gentille Cytheree
Dont chacun est ravy & pris,
De la riche pomme doree
Vous seule emporterez le pris.


Je ne cognois vostre seconde,
Si blancheur s’appelle beauté :
Et croy que de la pomme ronde
Vous eussiez le pris emporté.

Belle & courtoise Damoiselle,
N’en vueillez vostre part quiter :
Je ne croy pas qu’autre plus belle
Ait dompté le grand Jupiter.

Par arrest des Dieux & des hommes
Beauté belle en perfection,
L’arbre, le jardin & les pommes,
Sont en vostre possession.