Les Moines (Recueil)/Agonie de moine

La bibliothèque libre.
Les MoinesSociété du Mercure de France (p. 262-264).

AGONIE DE MOINE


Faites miséricorde au vieux moine qui meurt,
Et recevez son âme entre vos mains, Seigneur.

Quand ses maux lui crieront que sa vie en ce monde
A fini de creuser son ornière profonde ;

Quand ces regards vitreux, obscurcis et troublés,
Enverront leurs adieux vers les cieux étoilés ;

Quand se rencontrera dans les affres des fièvres,
Une dernière fois, votre nom sur ses lèvres ;


Quand il s’affaissera pâle, brisé d’effort,
La chair épouvantée à l’aspect de la mort ;

Quand, l’esprit obscurci du travail des ténèbres,
Il cherchera la croix avec des mains funèbres ;

Quand on recouvrira de cendres son front ras
Et que pour bien mourir on croisera ses bras ;

Quand on lui donnera pour suprême amnistie,
Pour lampe de voyage et pour soleil l’hostie ;

Quand les cierges veillants pâliront de lueurs
Son visage lavé des dernières sueurs ;

Quand on abaissera sa tombante paupière,
À toute éternité, sur son lobe de pierre ;

Quand, raides et séchés, ses membres verdiront,
Et que les premiers vers en ses flancs germeront ;

Quand on le descendra, sitôt la nuit tombée,
Parmi les anciens morts qui dorment sous l’herbée ;


Quand l’oubli prompt sera sur sa fosse agrafé,
Comme un fermoir de fer sur un livre étouffé :

Faites miséricorde à son humble mémoire,
Seigneur, et que son âme ait place en votre gloire !