Les Morticoles/Deuxième partie/Chapitre II

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Bibliothèque Charpentier (p. 191-218).


CHAPITRE II


Un dimanche matin, Trub me dit : « Mon cher Félix, Joseph Malamalle est en excellents termes avec le directeur d’une prison. Nous aurons l’aubaine aujourd’hui de contempler une exécution électrique. »

Quand nous fûmes devant l’édifice sinistre, mon compagnon présenta la carte de Malamalle à un guichet rébarbatif creusé dans le mur. Une lourde barrière de fer tourna sur ses gonds. Après une petite cour, une petite porte, puis des corridors et des grilles. J’en comptai jusqu’à six. À chacune d’elles, un geôlier nous examinait des pieds à la tête et réclamait notre passeport, auquel Trub joignait une pièce de quarante sous. Le formalisme est frère de la vénalité. Finalement nous aboutissions à un dernier couloir obscur rempli de gens. Je reconnus plusieurs silhouettes de médecins juges, le stupide Cercueillet, préposé aux exécutions, Mouste, chargé du rapport officiel, l’important Canille, un groupe d’élèves de troisième année. Ceux-ci assistent par nécessité à ces manœuvres homicides qui sont dans le programme de leur examen. Ils s’entretenaient avec un reporter de Cloaquol : « Alors, vous pariez Cortirac. Mais Sidoine ne meurt pas, et d’ici là Wabanheim est capable… On raconte que Mme Avigdeuse est à l’agonie… Qui avez-vous à votre jury du troisième Lèchement ?… Bradilin m’a promis d’agir. » Ces propos étaient pressés et comme étouffés entre des dos, des épaules, des bras, des ventres, tant était exigu le boyau où nous piétinions. Il ne recevait la lumière que d’une fenêtre basse donnant sur une cour sombre où se promenaient des guichetiers.

Il y eut un remous. Une porte s’ouvrit dans la paroi, et un gros homme au visage vultueux, dont les moustaches noires rejoignaient les favoris en un H impressionnant, articula d’une voix caverneuse : « Entrez, messieurs, l’opération commence. » Tel un filet d’eau s’échappe en murmurant par un strict orifice, tels nous nous glissâmes deux par deux dans une ample et haute cellule éclairée par trois fanaux rouges. Une seule ouverture en biseau était creusée près du plafond. Je tressaillis à la vue du supplice : un homme nu, sauf une ceinture autour des reins, était assis sur une chaise d’acier. Ses mains, ses pieds, son torse étaient entourés de liens du même métal qui aboutissaient à des plaques brillantes fixées sur ses tempes, son ventre et ses chevilles. Contre lui se dressait une énorme machine, dont les plateaux de verre et de cuir se terminaient par des boules dorées communiquant aux chaînes et à la chaise. À côté, dans des attitudes d’inquisiteurs négligents, le Cudane, notre Cudane, puis son aide, le directeur de la prison, maintes trognes féroces de valets.

Nous tenions à l’aise dans la cellule. Une corde nous séparait du personnel actif. Pour se donner plus d’envergure, Canille l’enjamba et se rapprocha des Autorités. Je regardai le condamné. C’était un individu musclé, de taille moyenne, aux yeux noirs, aux longs cheveux noirs, à la poitrine velue. Il semblait un demi-singe, un de ces êtres placés entre la bête et l’homme chers aux hypothèses morticoles. Ainsi les théories moulent les faits à leur image. Le malheureux tremblait visiblement, et certes pas de froid, car la pièce était surchauffée. Sur les grosses rides précoces, immédiates peut-être, de son front, la sueur coulait, et sa mâchoire inférieure pendait, montrant des dents blanches. Il fixait alternativement les spectateurs et la machine d’où émanerait la secousse mortelle. J’eus, en même temps qu’une terreur grande, la honte d’assister à ce drame. Cudane sortit de sa poche un papier qu’il lut prétentieusement : « Coubon, âgé de trente-cinq ans, père épileptique et alcoolique, mère prostituée, livré à lui même à l’âge de six ans, condamné quatre fois pour vol à neuf, onze, vingt-deux et vingt-sept ans. — À assassiné, il y a six mois, une vieille femme de la classe des riches et sa domestique. Reconnu responsable au huitième, 1/8, après examen des docteurs Tismet et Cercueillet. Condamné à mort pour ce fait. Va être exécuté à l’aide d’une machine d’induction, système Cudane perfectionné ; Volt 10, Farad 100, Cud 1000. Dimension des bobines, 25/30. »

« Eh, eh ! marmotta Canille en hochant la tête, tandis que Cercueillet et Mouste franchissaient la barrière à leur tour et que les yeux de mes voisins exprimaient une curiosité cruelle. Eh, eh ! Fort intéressant, fort intéressant ! Et le courant durera, mon cher confrère ?…

— Dix secondes sept dixièmes, maître, répliqua l’obséquieux Cudane.

— Eh, eh ! Très bien, très bien. Et par où passera le courant ?

— Il est double, de la tête aux pieds et en ceinture. Il saisira le front, les chevilles et le ventre, ainsi que vous l’indiquent les plaques ajustées.

— Eh, eh ! Très bien ! Parfait ! » Le front de Canille se plissa comme un potiron, exprima l’attention la plus vive. Mouste haussait les épaules en silence ; Cercueillet remuait ses lèvres épaisses.

Rien ne peut rendre la sauvagerie de cette scène, la lueur louche et macabre où nous étions plongés, le mélange de scélératesse et de sottise qui composait l’atmosphère morale et semblait se conjoindre avec la lourde atmosphère physique. Le directeur s’approcha du condamné : « Coubon, n’avez-vous pas une dernière recommandation à nous adresser ? — Celle de vous dépêcher, répondit sinistrement le patient. — Les barbares vous enjoindraient de prier Dieu, poursuivit l’imperturbable Torquemada. Moi, je vous conseille le calme et la correction qui conviennent à un homme de cœur. » Puis, tirant sa montre : « Allez, messieurs ! »

L’aide repoussa une petite tige fixée à droite de la bobine. On entendit un ronflement sourd, accompagné de crépitations et d’étincelles, et, comme un chat qui fait le gros dos, le misérable commença de s’étirer. Les muscles de son ventre, de ses bras, de ses jambes se gonflèrent comme de la baudruche. Je crus que les liens allaient éclater : « Eh bien, qu’y a-t-il ?… La machine est mal chargée !… Allez donc… Un de plus… Poussez… Maladroit… » Cudane s’activait autour de son meuble de cuir et de verre. Il y eut un hurlement, suivi d’un bruit sec. Une chaîne des jambes venait de se rompre. Le membre prit à l’instant la plus extravagante posture : il décrivit une courbe circulaire, puis se fixa dans une attitude rigide et tortueuse, comme s’il vivait à part du corps. Il paraissait immense, le mollet tel qu’un ballon tendu, les orteils écartés et disloqués, sorte d’éventail de cauchemar. Le masque revêtit une expression fantastique. La bouche se distendit, et la langue s’en échappa, droite comme un I, entre deux jets de salive. Les globes des yeux tournèrent rapidement, et, sortant de l’orbite, proéminèrent sur leurs pédicules rouges. Les cheveux raides pétillaient d’étincelles. Le cou formait une échelle de cordes. La poitrine et l’abdomen étaient parcourus de secousses folles, comme si des serpents grouillaient sous la peau. On perçut plusieurs craquements consécutifs ; c’étaient les os qui se rompaient sous l’effort de la contraction musculaire. Certains assistants murmuraient : Comme c’est curieux ! D’autres : Qu’il est laid ! Ah ! Qu’il est dégoûtant ! Cudane et son aide étaient dissimulés par le groupe du directeur, des geôliers, de Cercueillet et de Mouste. Canille affirma : « Évidemment, le tonus est exagéré. » Le supplicié ne gémissait plus. Il émettait un râle atroce, espèce de rugissement étouffé par cette langue gigantesque, trois fois rouge comme la lumière rouge. Il avait une silhouette hors de l’humanité, qui se rapprochait des chimères. Il rejoignait tout ce que forment les rêves les plus hideux. Ses yeux, chassés décidément des orbites, coulèrent sur les joues, telles deux colossales larmes écarlates. C’était trop, je me détournai. Il y eut du tumulte. À travers l’affreux roulement continu de la machine, Trub me répétait : « Mais vois donc, vois donc ! Ah, l’infortuné ! C’est horrible ! » Quelqu’un cria : « Du cyanure, du cyanure ! J’ai ma seringue. » Je rouvris les paupières : un jeune homme s’approchait de Coubon, lui piquait le pied. Une détente immédiate se produisit. La masse de chair cessa sa danse forcenée, et le corps se replia, s’affaissa sur lui-même, aussi flasque et mou qu’il était raide, la tête inclinée sur le cou. On avait complété la mort.

Tandis que les geôliers s’empressaient autour du cadavre, nous sortîmes en masse : « Messieurs, disait l’affable directeur, voulez-vous examiner nos condamnés en expérience ? Il en est un que M. le professeur Boridan a empalé sur une tige de bismuth. C’est une tentative curieuse. À un autre, M. le professeur Bradilin a remplacé une moitié du cerveau par la moitié correspondante d’une cervelle de chien. » Mais j’en avais assez, et j’entraînai Trub hors de cet enfer. Je pensai que les corridors, les portes et les guichets n’en finiraient plus.

Quand les œufs et les côtelettes de la mère Pidou nous eurent un peu calmés, je remis à Trub quelques-uns de mes livres et le priai de m’interroger, car mon premier examen aurait lieu bientôt. Je répondis à toutes ses questions et me félicitai de l’excellence de ma mémoire. Puis, comme le jour baissait, nous descendîmes prendre de l’appétit pour le dîner que mon compagnon voulait m’offrir au restaurant.

Il m’était déjà arrivé de remarquer, à la nuit tombante, de tristes créatures mal vêtues qui adressaient des signes aux passants. La situation des pauvres est telle que beaucoup de femmes gagnent leur vie en vendant leur chair misérable. Grâce à cette prostitution, se propage la syphilis, que Pridonge étudie, réglemente et diffuse suivant un système compliqué. Ce soir-là, deux de ces rôdeuses, maigres à faire pitié, vêtues avec ce faux luxe usé dont elles ont l’apanage, nous prirent par le bras, Trub et moi, au tournant d’une rue. Elles s’appelaient Louise et Serpette, n’avaient pas mangé depuis deux jours. Cela se connaissait à leurs haleines, à leurs regards fiévreux, à leurs mains pâles, au bruit de leurs estomacs tandis qu’elles nous parlaient. Il flottait un brouillard humide qui semblait augmenter leur détresse. Ému, je les emmenai souper avec nous. C’était de ma part une imprudence, car le contact des prostituées est interdit aux étudiants dont les plaisirs se passent dans des maisons spéciales tenues par des sénateurs vertueux ; mais la brume favorisait mon audace. Nous arrivions à une enseigne brillante : Au bon chirurgien. Je demandai au garçon, étonné à la vue de nos pauvresses, un cabinet où nous fussions seuls.

Louise et Serpette étaient intimidées. Elles se chauffaient devant un feu clair, soulevant leurs robes élimées, et montrant leurs souliers aussi mous, aussi minces que deux feuilles de papier noirci. Nous autres, installés devant la table joyeuse et que l’on couvrait de vaisselle, observions ces figures défaites, ces corps qui avaient droit au respect, au désir, à la nourriture, et qui seraient un jour la proie creuse de Trouillot. Par-dessus la faim, se lisait maintenant la reconnaissance, tant les misérables sont touchés de la main qui les relève. Dès que nous fûmes seuls, elles attaquèrent les hors-d’œuvre avec une sorte de rage, ne se donnant même pas le temps de mâcher les gros morceaux de pain dont elles se gonflaient les joues, ce qui leur créait un embonpoint factice. Une nuance de rose empourpra leurs pommettes. L’une d’elles toussait.

Elles se ressemblaient d’ailleurs, comme la plupart des pauvres. Les visages n’ont de différence que dans le bien-être et atteignent chez les docteurs leur maximum de variété. Mais les souffrances, la crainte, le métier dur, l’action du froid et de l’humide prêtent aux physionomies des déshérités une fraternité désolante. Jusque-là, elles n’avaient pas dit un mot. On leur servit de chauds potages. Chacune d’elles but un verre de vin. Alors, la vie renaissant, elles répondirent à nos questions. L’oiseau de la confiance revint percher sur ces âmes muettes. Son chant nous charma tout le soir.

Elles s’étaient connues dès l’enfance et faisaient en commun depuis cinq ans leur déplorable métier. L’une avait dix-sept ans, l’autre dix-huit. Elles étaient nées de l’autre côté des égouts, dans les quartiers d’usines et de tortures : « C’est la troisième fois, ajoutait Louise, que nous mangeons à notre appétit. Une fois à la fête de la Matière et une seconde… — Tais-toi donc, tu ne te rappelles pas. » Et Serpette empiétait sur le récit de sa voisine. L’autre lui cédait la parole avec une jolie moue de l’épaule : « Monsieur, nos maisons se touchaient. Nos familles n’avaient pas le sou. Moi, mon père m’a prise un soir qu’il était gris. J’ai été malade longtemps et l’on a cru que j’allais mourir. On n’avait pas voulu m’envoyer à l’hôpital, de peur que je n’éveille la police. Je grelottais presque nue devant une lucarne cassée. Louise venait me voir et m’apportait la moitié du pain de son dîner. — Oh ! un pain, interrompit Louise, qui ne ressemblait guère à celui-ci ! Qu’il est bon, celui-ci ! On dirait du gâteau. Je n’ai jamais mangé le pareil. Le nôtre est noir et fait dans la bouche comme de la poussière.

— Et puis, reprit Serpette, nous avions un voisin riche, qui mangeait de la viande, et c’est lui qui a eu Louise d’abord et il lui a donné un châle et il m’invitait à déjeuner aussi. Ma mère est morte des coups que mon père lui donnait. On l’entendait crier la nuit. Ça réveillait les voisins et j’avais tant de honte que je n’osais plus descendre l’escalier. Moi, il ne me battait pas. J’avais des frères et des sœurs qu’il fallait garder à la maison, pendant qu’il allait à la fabrique. Et puis il est tombé dans une machine terrible, une machine qui fait le sucre, et il est entré à l’hôpital.

— Et vous, y êtes-vous entrée, à l’hôpital ? » dis-je en leur découpant un morceau de viande rôtie. Trub avait son bon visage. Je me sentais le cœur gonflé. La petite pièce où nous dînions était chaude, honnête et allègre. Louise répondit, la bouche pleine :

« Sûr que nous y sommes allées. Dans notre métier on en voit de toutes les couleurs. Il y a eu un moment… laisse-moi donc parler, Serpette ; tu causes tout le temps… où nous avons été cossues, mais voilà — elle montra piteusement sa robe — tout ce qui nous reste de l’époque. J’avais fait la connaissance d’un joli blond, et j’habitais chez lui avec mon amie, et il m’offrait ce que je voulais, des chapeaux, des bottines et du linge brodé. On mangeait plus qu’à sa faim. Seulement, un jour, la famille de mon amant s’est fâchée. Elle a eu peur que je ne le ruine et on nous a enfermées, Serpette et moi, aux Corps perdus, un sale hôpital, monsieur.

— En somme, je n’avais rien fait, moi, fit Serpette qui commençait à s’émouvoir. Pourquoi qu’on nous a traitées comme des criminelles, coffrées avec des voleuses et des folles ? Au dortoir, je couchais entre une qui demandait à boire et une autre qui pleurait, parce qu’elle avait tué son enfant à coups de marteau. J’avais tellement peur que je restais la tête sous mes draps jusqu’à m’étouffer. C’est qu’on était sévère aux Corps perdus. Pour un oui, pour un non, boum, au cachot ! Tu te souviens, Louise, de cette petite femme que son mari avait fait mettre là, parce qu’elle l’avait trompé. C’était un homme influent, un du Parlement, qu’on disait. Elle était si mince et si jolie que nous en étions toutes amoureuses et on n’osait pas lui parler, parce qu’elle avait été honnête. Elle sanglotait. Elle réclamait ses gosses à genoux. Une fois j’ai pu tout de même la prendre dans mes bras, la câliner, et elle a pleuré, tout contre moi, ici. J’avais ses petits cheveux dans la figure. Ah, que c’était doux !

— Oui, oui, continua Louise qui, tout entière à ses souvenirs, fixait de ses beaux yeux fiévreux un point ignoré de l’espace. Nous avons passé là des jours qu’on ne voudrait pas revoir. Et ça vous reste ; on ne peut pas les chasser. C’est comme un remords. Et celles qui mouraient ! Comment l’avait-on surnommée celle-là ?… Ah, j’y suis ! le Poisson, parce que la maladie lui avait dessiné des tas d’écailles d’argent sur la gueule. En sortant des Corps perdus, monsieur, on nous a donné, au Secours universel, un permis de raccrochage. C’est moi qui ai été syphilitique la première. Serpette, ça n’a été qu’ensuite. Je m’en suis aperçue par des petits boutons roses. Boum ! Encore à l’hôpital, un sérieux celui-là, chez le docteur Pridonge, le bavard. Des gueuses, qu’il nous appelait, et il riait, parce que ça l’amusait de voir de belles lésions, comme il dit. Venez voir, messieurs, la belle lésion de la gueuse ! Il nous a soignées. Mais ça n’était pas encore fini avec les médecins. » La chaleur, la nourriture et quelques doigts de vin avaient produit des effets divers. Tandis que Louise, les coudes sur la table et les mains dans ses paumes, nous racontait avec volubilité son existence, Serpette s’était peu à peu engourdie. Elle avait reculé sa chaise, et le front appuyé sur une main, les paupières battantes, elle s’efforçait de suivre le récit de son amie, l’approuvant parfois d’une légère moue comique.

« Monsieur — Louise nous prit chacun par le bras, — imaginez-vous que dans le service de Pridonge venait un petit bonhomme à l’air méchant, et sec, sec comme un couteau. Quand nous étions convalescentes, il causait avec nous et s’asseyait au pied des lits, nous demandant s’il nous restait un peu d’argent, si nous allions nous prostituer, si nous n’avions pas peur d’avoir des enfants, enfin une masse de détails drôles. Il se nommait Sorniude. Enfin, un jour que Serpette était là, et comme il savait que j’allais quitter l’hôpital, il nous dit : Écoutez, je vous propose une bonne affaire. J’ai un docteur de mes amis qui fait collection d’ovaires. Il a besoin des vôtres. Nous vous les retirerons. Vous recevrez, chacune, cinq cents francs. Ni vu, ni connu ; et jamais, jamais plus vous ne risquerez d’avoir de gosses. Vous pensez si nous étions contentes, Serpette et moi. Nous avions bien un peu le trac. Mais Sorniude jurait qu’il n’y avait pas de danger. Il est venu chez nous, dans notre mansarde, avec un autre qui s’appelait… qui s’appelait… Comment donc ? Serpette !… Serpette, tu dors ? — Tismanque, grogna Serpette. — Mais non, t’es bête, et Louise éclata de rire. Tismet d’Ancre, c’est ça, et encore un deuxième. Ils nous ont choroformé, ouvert le ventre, il ne reste même pas de cicatrice, et tout enlevé en un tour de main. Mes petites, qu’ils ont dit en nous réveillant, vous êtes vidées comme des lapins. Oh, ce qu’il travaille, monsieur, ce Sorniude ! Toutes les femmes que nous connaissons, toutes il les a nettoyées. Dans notre quartier, vous ne trouveriez pas un ovaire à prix d’or. Je me demande ce qu’ils en font. Toujours, ça rend joliment service. Et il n’y a pas qu’à nous autres, vous savez… Il paraît qu’ils opèrent aussi les dames de la haute qui veulent faire leurs farces. Pensez, donc ! C’est si commode !… Où en étais-je ?… Ah !… Eh bien après, on a claqué les mille francs, et puis ç’a été la misère, la misère et toujours la misère. Jamais de feu, ni à manger, ni à boire que des choses qui brûlent, et des hommes, des hommes ! — Louise eut un geste de dégoût. — Heureusement qu’il n’y en a plus pour longtemps. J’ai l’âge où ça claque, les femmes comme nous. »

Ce récit nous ouvrait une série d’abîmes que nous ne soupçonnions pas encore, et, quand Louise cita son âge, l’idée qu’à dix-sept ans elle était déjà vieille me fit tressaillir. Je ne comprenais que vaguement ces histoires d’ovaires, mais elles m’intriguaient d’autant plus que les Morticoles se plaignent sans cesse de la dépopulation ou diminution des enfants. Or Louise m’assurait que des milliers de femmes étaient ainsi mutilées. Trub, dont l’attention se fatigue vite, voulait partir. Serpette s’était endormie, et son visage, incliné sur ses menottes en croix, souriait à quelque rêve furtif. Divin sourire, qui illuminait la créature, ses petits doigts noirs, ses dentelles souillées, ses pauvres lèvres desséchées par la fièvre et les baisers sans nom ! Et dans le tendre geste de Louise, lui passant les bras autour du cou pour la réveiller, il y avait l’emblème de toutes les amitiés et de toutes les amours, de la chair qui, devant le dur destin, se cache et se tapit contre la tiédeur de la chair.

« Vous vous en allez ? soupira Louise bourrant ses poches de dessert. Vous avez été bien bons. Je ne vous ai pas ennuyés ? Ils s’en vont, Serpette ! Debout, paresseuse ! » Trub appela le garçon, régla la note et laissa en plus deux pièces d’or sur la table : « Pour vous, mes petites. » Louise le considéra avec étonnement : « Vous êtes étranger, vous. Vous n’avez pas eu de plaisir et vous nous payez cependant ! — Nous reverrons-nous jamais, ô mes charmantes ! Tous mes respects au docte Sorniude ! » s’écria Trub, qui tient à dissimuler son cœur sous des plaisanteries…

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Le lendemain matin, fatigué par ma journée de la veille, j’étais plongé dans un sommeil profond, où il n’était question que d’ovaires arrachés, quand je fus réveillé en sursaut par des coups brusquement frappés à ma porte. C’est toujours une impression dramatique et dure. J’allai ouvrir en chemise, et fus stupéfait de voir entrer Savade. Il avait l’air encore plus révolté qu’à l’ordinaire ; la méchanceté plissait ses lèvres minces : « Je me suis procuré votre adresse à la Faculté, me dit-il d’un ton saccadé, et je suis monté chez vous, parce que vous êtes étranger, parce que j’ai besoin de raconter à quelqu’un l’acte immense que je viens d’accomplir, parce qu’enfin je vous aime comme très différent des coquins qui nous entourent. » Je le regardai avec des yeux stupéfaits, rouges et bouffis de sommeil, mais il poursuivit avec feu : « Dans quelques heures, la plupart des Morticoles auront disparu ; leur race sera sur le point de s’éteindre. Voilà : j’ai fracturé cette nuit le laboratoire de Bradilin. Il y avait au moins trois mois, depuis que le projet avait germé dans ma tête, que je guettais l’occasion favorable. J’ai pris, dans une de ses fameuses étuves, une dizaine de tubes où il conserve précieusement la morve, le choléra, la fièvre jaune, la typhoïde, et je suis allé les casser en plein fleuve, à l’entrée de la ville. D’autres, sur lesquels était écrit : Contage possible par l’air, je les ai brisés sur la place du Parlement. Ils renferment, à l’état essentiel, les plus redoutables des germes. Nous subirons donc un déchaînement de fléaux qui, je l’espère, atteindront cette fois ces bons docteurs. Ce n’est pas pour rien qu’ils auront passé des jours et des nuits à extraire des poisons. Les voici maintenant qui circulent, ces virus ! Quiconque est atteint, tombe et ne se relève plus. » Tout ce discours était prononcé par Savade d’une voix inspirée, haché par des soupirs, ponctué de gestes terribles et vibrant d’une joie de carnage. Je ne savais si j’avais affaire à un fou. Il éclata de rire : « Ah, ah ! Ça vous étonne ? Vous ne me croyez pas ? En ce moment les venins travaillent. Ils ont déjà atteint une poitrine humaine. Ils commencent leur course. Il me semble que je les vois grouiller, que je les suis dans les artères et les veines, des pauvres comme des riches, des riches comme des docteurs, car eux se moquent des classes et des catégories. Hein, ce n’est pas mal, pour un élève de première année ? Voilà ce que c’est, Canelon, que d’ouvrir les laboratoires à tout le monde. Ah, j’étouffe ! Laissez-moi m’asseoir et m’expliquer un peu ! »

Il saisit l’unique chaise, se mit devant ma table et changea subitement d’allure. Ce n’était plus l’enthousiaste de tout à l’heure. C’était un Morticole, théoricien froid et sec, qui développait des arguments, tel Lestingué à son cours. Ses cheveux se hérissaient au-dessus de son immense front et ses yeux verts me fixaient. Moi, cependant, je m’habillais en hâte : « Canelon, je suis un pauvre par amour. J’ai toujours eu de l’argent ; je passe pour riche, mais mon zèle va aux malheureux. Ma famille a été désorganisée par les médecins. L’un d’eux, un être abject, comme Avigdeuse, comme Tismet, s’est insinué chez nous à la faveur de sa science et a été l’amant de ma mère. Je suppose même qu’il a empoisonné mon père. Ce que je sais, c’est qu’entrant un jour à l’improviste dans la chambre de maman, je l’ai trouvé, ce monstre de docteur, à côté de la chère figure que j’aimais tant à embrasser, dont l’image fut désormais pour moi un dégoût. Pouah ! La vie s’écrasa d’un seul coup, comme un fruit pourri, sur mon âme d’enfant. Je gardai le secret infâme. Bientôt mon pauvre père tomba dans une mélancolie noire, et plus l’ombre se faisait en lui, plus le traître venait coucher avec ma mère, tellement qu’ils sont partis ensemble, laissant le vieux à l’agonie. Il en voulait sans doute à son argent, le bellâtre, ainsi que les crapules de son espèce. Ils se glissent dans les demeures et les ruinent. Il est impossible aux femmes de leur résister. Songez donc : rien n’est caché pour un médecin. Ah, ah ! nos professeurs parlent des horreurs de la confession et de l’action dissolvante du prêtre ! Mais le prêtre, Canelon, — Savade se leva et arpenta la pièce d’un pas trépidant, — le prêtre n’a pas une pareille puissance. L’autre peut promener partout ses mains et ses regards, frôler, tordre et martyriser la chair, ou la réjouir honteusement, sans que les lois l’atteignent jamais. Pour eux tous, les femmes sont nues. Oh ! — Et il montrait le poing aux murs. — Tu es peut-être mort, bandit, mais je hais ton cadavre que rongent les vers… Après, j’ai été élevé chez des vieilles tantes. Je grandis et j’observai, j’aimais à me promener seul dans les quartiers pauvres ; je me mêlais à la foule qui sort des ateliers ; je voyais les muscles tordus par des besognes inutiles et je sentais en moi des jets brûlants de haine, mêlés à des bouffées de je ne sais quoi que je n’ai point, peut-être une foi, une croyance en Dieu, que m’a enlevée la stupide éducation de ce pays. Ce qu’on m’avait appris me remontait aux lèvres en vomissement, puisque j’y devinais la cause de tant de tortures. J’avais soif d’apostolat. J’ai souhaité trouver un remède, participer à cette science pour la modifier. Mais j’ai compris qu’elle était un engrenage, qu’elle m’ôterait toute énergie si je me laissais prendre à sa chaîne. J’ai voulu détruire. Ce qui a armé mon bras ce matin, Canelon, c’est un idéal sublime ! Je maudis ce matérialisme qui m’a ballotté de la pitié à la colère et de la colère à la pitié, sans jamais satisfaire en moi tant de forces tournées vers le bien, vers le bleu. — Il montrait le ciel par mon étroite lucarne. — Il faut rajeunir le monde ! »

Je m’aperçus qu’il claquait des dents. Son œil devint hagard, et je restais, mon peigne à la main, collé contre la cloison, avec la crainte de quelque chose de terrible. Il avait cessé de vaticiner. Un tremblement agitait sa bouche, ses mains et ses jambes. Il s’appuya sur mon lit : « Fuyez ! Je suis la première victime ! Fuyez ! Adieu ! » Je m’élançai vers lui. Il fit de son bras un grand geste pour me repousser et roula sur le tapis. Des pensées contradictoires s’élevèrent en moi. Je savais, par son orageuse confession, qu’il venait de déchaîner des maux effroyables. Nul doute qu’il n’en fût la proie. Il se tordait à terre et râlait ; sa figure était crispée ; ses beaux yeux s’injectaient de sang.

Je descendis l’escalier quatre à quatre. Devant ma demeure une foule de gens couraient, hommes et femmes, bousculés par une équipe de gardes de police. Ceux-ci se précipitèrent sur moi. J’invoquai ma qualité d’étudiant : « Votre carte d’inscription !… C’est bien. Portez-la d’une manière apparente, car une épidémie est déclarée. Nous menons les passants aux prisons. » La rue était déserte et l’on percevait toutefois des gémissements, un sourd tumulte de fourmilière. J’aperçus un chien mort qui bavait. Je me jetai, affolé, dans la direction de la Faculté. Des sonneries aigres retentirent : au triple galop défila un cortège de perquisiteurs sanitaires et de pompes désinfectantes. Une femme bondissait en criant d’une maison. Elle tenait un enfant dans ses bras. À un mètre de sa porte, elle tomba sur le sol, en proie aux mêmes convulsions désordonnées que Savade. Je me sauvai par plusieurs ruelles au hasard. Je suais à grosses gouttes. J’avais perdu le chemin. Les statues que je croisais s’animaient, menaçantes. Une âpre rumeur lointaine m’angoissait plus que tout, par l’idée d’une multitude qu’envahissaient aussi vite les fléaux. Enfin j’atteignis la Faculté. Je me ruai dans la cour. Elle était pleine de monde. Tous les professeurs étaient là et parlaient à la fois, discutant la catastrophe soudaine, les mesures à prendre. Bradilin avait constaté le vol de ses bocaux. Les quartiers proches du fleuve étaient atteints avec furie. Il me parut que ces docteurs, qui s’agitaient confusément et se demandaient des détails de l’un à l’autre, avaient l’air très inquiet pour leur compte. On s’arrachait un journal de Cloaquol qui donnait déjà la marche du tourbillon par éditions successives. On ferma la grande grille de l’École et personne ne put pénétrer que sur présentation de sa carte. Les élèves arrivaient en foule. Ils racontaient la mort de plusieurs d’entre eux. Chacun proposait son avis : sur la cause, d’abord : la coïncidence du péril avec le vol frappait les esprits, mais quelques savants discutaient et niaient la transmission aussi immédiate : « Si, si ; c’est une épidémie de laboratoire, affirmait très haut Boridan. — Non, c’est né sur place, né chez les pauvres, les sales pauvres ! » On accusait l’hôpital Typhus et la malpropreté de Tabard. Crudanet survint, radieux, gesticulant au milieu d’une trentaine de ses collègues qui l’interrogeaient : « Il faut organiser de suite, non les secours, on n’y peut songer, mais la désinfection en grand de la cité. L’eau du fleuve est interdite, et quiconque y boira sera puni de mort. » Certains préconisaient, d’une voix chevrotante, le massacre de tous les habitants dans les endroits les plus dangereux, le bombardement des infectés. Beaucoup reculaient devant cette mesure, la jugeant trop hâtive. À chaque seconde, un nouveau témoin apportait quelque affreux récit ; des familles entières fauchées en cinq minutes ; des gens qui se précipitaient par la fenêtre pour échapper aux douleurs. On distinguait sur les cadavres des lésions de choléra, de morve et de fièvre jaune. Les aventureux croyaient à une maladie nouvelle. Le professeur d’épidémies était très entouré, mais il ne pouvait avoir d’opinion, n’ayant pas eu la chance de voir une seule victime, affirmait-il avec calme. Bref, on soumit au vote, au milieu du tumulte, les trois motions suivantes qui furent adoptées séance tenante :

1o Les médecins se tiendront à l’écart et laisseront l’invasion décimer les malades riches et pauvres. Il serait insensé de hasarder la classe supérieure morticole pour un bénéfice illusoire, car la marche du contage est si aiguë que tous les soins seraient précaires ;

2o Empêcher par la force les riches de sortir de chez eux. Conduire en prison ceux qui désobéissent. Envoyer, dans tous les domiciles, des escouades sanitaires chargées d’inonder d’antiseptiques, de flamber les objets de literie, les vêtements, meubles, etc., d’achever les agonisants et les suspects ;

3o Brûler les quartiers pauvres contaminés. Interdire aux pauvres l’entrée des hôpitaux où leur présence serait meurtrière. Laisser mourir dans la rue et faire ramasser par les perquisiteurs les citoyens surpris par le mal.

On commençait à voir passer à travers les grilles les perquisiteurs couverts de leurs scaphandres qui sont remplis d’air stérilisé et leur permettent de transporter les corps sans s’exposer eux-mêmes à périr. Leur aspect excitait la frénésie de mes camarades qui les applaudissaient et les encourageaient.

J’eus l’occasion d’admirer avec quel zèle ponctuel les ordres avaient été transmis, car des sonneries retentissaient de toutes parts, annonçant les chevauchées des escouades antiseptiques. Le personnel était sur les dents. Les professeurs et membres des Académies prirent la résolution de se tenir en permanence à la Faculté où ils recevraient les télégrammes. À la famille de chacun d’eux et pour l’abriter, étaient affectés un certain nombre d’agents d’hygiène et des élèves de Crudanet. Quant à nous, étudiants, on nous laissait libres, seuls de la cité, avec défense expresse de nous approcher des cadavres. Beaucoup préférèrent rester près des maîtres. Moi, j’étais dans un état d’excitation qui dépassait la peur, et j’avais la curiosité d’assister à l’ouragan déchaîné par Savade. Je me hasardai donc au dehors.

Il n’y avait personne. La ville semblait morte. Mais le bruissement indéfinissable qui m’avait frappé les oreilles augmentait. C’étaient de vastes clameurs continues et bourdonnantes qui, à un moment donné, devenaient particulièrement intenses, puis se dégradaient par intervalles pour reprendre ensuite avec plus de force. Des scaphandres circulaient, fourmis voraces, traînant leurs fardeaux immondes, et suivis de caissons chargés de bonbonnes d’acide phénique. D’une fenêtre, un homme et une femme dégringolèrent presque à mes pieds, s’écrasèrent sur le trottoir comme des fruits mûrs ; du sang ruissela.

Comme j’approchais du fleuve, épais et fétide, complice boueux de Savade, une troupe de malheureux dépenaillés s’avançaient sur l’autre berge. Ils se tenaient par les mains, dansaient et chantaient à tue-tête. Arrivés au parapet, ils l’escaladèrent, et tous ensemble, pêle-mêle, se précipitèrent dans l’eau noire. Je courus jusqu’au bord, plein de vertige, sanglotant et implorant Dieu, tant une pareille calamité dépassait la mesure humaine. Des bras et des jambes fouettèrent quelques minutes la surface, puis tout cessa. La rivière roula sur ces désespérés sa force liquide lourde de mort.

Je me jetai à genoux, seul sur la pierre. La Providence irritée s’appesantissait sur les Morticoles, mais je la conjurai d’avoir pitié des moins coupables : « Seigneur, m’écriai-je, un miracle ! Épargnez les petits ; épargnez les riches aussi pauvres aujourd’hui que les plus pauvres. » J’étais là en plein air, tête nue, car j’avais perdu mon chapeau. Qui m’aurait vu, m’aurait cru fou. Le ciel était livide et bas, sans prières, sans présage mystérieux de pardon. Et tous ces habitants mouraient la rage au cœur, avec la persuasion qu’ils étaient boue, et qu’ils retournaient à la poussière !

Je me relevai ; je repris ma course incertaine. Sur une immense place environnée de colonnes, j’aperçus une fantastique inscription : une multitude de cadavres étendus traçaient, par leur assemblage, ces mots gigantesques : MORT À NOS MAÎTRES ! Chaque lettre était formée d’une dizaine de corps des deux sexes dont la plupart remuaient indistinctement, dérangeaient la boucle de l’S et le jambage de l’R. Cet ultime défi, menace en majuscules vermineuses et grouillantes, était une tradition des Morticoles pauvres, lors des épidémies.

Les trompettes stridentes vibraient toujours. L’atmosphère était empestée. L’odeur des égouts se mêlait à celle plus forte des chairs putrides. J’aspirais, malgré moi, ce glas des narines. Les maisons, que fouillaient les perquisiteurs, retentissaient de cris déchirants, puis devenaient silencieuses comme des tombes et me dévisageaient de leurs fenêtres muettes… J’avais perdu la notion de la durée et de l’espace. Il me semblait vaguement que j’avais longé l’hôpital Typhus. Les désastreux convois se succédaient sans interruption. Un attelage passait au galop, portant une quinzaine de cercueils démontés. Les ruisseaux roulaient des substances infectes. Des râles suintaient des murs, comme si les pierres elles-mêmes déploraient leur destin. Et la solitude, peuplée d’horreurs, étendait sur la ville ses ailes sombres.

Comme la nuit tombait, je me trouvais dans le quartier des riches, devant le Parlement, près d’un terre-plein encombré de statues. Tout à coup, j’eus dans les regards une illumination intense. Je levai les yeux : le ciel était rouge, ardent comme la gueule de l’enfer, et dans ce brasier proche ou lointain passaient des jets de vapeur écarlate, des gerbes d’étincelles, de gros nuages d’or incandescent. C’étaient les quartiers pauvres qui commençaient à flamber. La rumeur devenait infinie. Les malheureux, sans doute, rôdaient par bandes éperdues entre l’incendie et la mort.

J’y voyais plus clair qu’en plein jour : les monuments et leurs devises, les statues et leurs piédestaux, tout cela, par l’effet des projections rutilantes, prenait un relief splendide ; les arêtes vives de la pierre rose se découpaient sur un fond de pourpre. C’était bien l’haleine du sinistre et comme un prélude de chaos. Dans mon cœur bondissaient mille sentiments excessifs, sarabande à la lueur du volcan et j’interrogeai fiévreusement ce grand ciel peint rempli de fureur, ce ciel sacrilège que je pouvais braver, puisqu’il ne renfermait pas mon Dieu.

Je sentais la chaleur du brasier, telle une devanture de rôtisserie. J’entendais derrière moi le souffle des fuyards, l’écroulement des poutres craquantes. Au moins une fois les pauvres se chaufferaient ! À un perquisiteur, qui menait une troupe de cercueils, je demandai : « Où portez-vous tous ces cadavres ? » Il me répondit brusquement : « À la flamme ! » et disparut d’un pas alerte, comme le chevalier du Feu et de la Nuit. J’avais besoin de tâter l’homme, si sauvage qu’il fût. Le pivot du réel me semblait perdu et j’avais hâte de le retrouver. Je cherchai donc la route de la Faculté, à la faveur de l’étincelant et sonore halètement de la ville.

Dans mon égarement, je parcourus dans tous les sens un labyrinthe de rues et de culs-de-sac et je croyais avancer alors que je tournais sur moi-même. Un vent fort et rapide se leva et poussa de l’ouest à l’est des amoncellements d’une brume éclairée, toute une mobile coupole d’or fauve où les flammèches pétillaient comme des pierreries en fusion, comme des étoiles. L’énergie de mes sens décuplait. J’avais en moi un autre Canelon, plus lucide, et une fièvre bizarre se leva dans mon âme, fleur de la destruction, joie possible du dernier homme. Ces lieux aveuglants, dévastés, cet horizon embrasé, ces sonneries, ce vague piétinement de fantômes, l’odeur des substances consumées, de la mort, le frisson divinatoire me haussaient l’esprit jusqu’à prédire. Je parlais tout seul en marchant, pour rendre à l’air ce qu’il m’apportait d’excessif…

Au coin d’une borne, sur le sol, deux frêles créatures étaient enlacées. Leurs tristes vêtements devenaient luxueux par la fulguration de l’espace, et les lueurs d’en haut prêtaient à leurs visages une grâce d’apothéose. Je reconnus Louise et Serpette, mourantes à l’endroit même où nous les avions rencontrées. Leurs corps tombaient là où tant de fois ils s’étaient offerts. Je m’avançai, regardant tout autour de moi, craignant l’arrivée des scaphandres. Je saisis une main froide et déjà raidie qui ne répondit point à mon étreinte. Pourtant, la tête fine de Serpette, accoudée sur le bras de Louise, dans une pose inquiète et charmante, eut un tressaillement bref, et je crus que les yeux allaient s’ouvrir, car ils s’étaient fermés sans doute pour fuir l’incendie, préférant la terreur intime à celle du dehors. Je considérai longuement, tendrement ces bustes rapprochés, lumineux et frivoles. Si j’avais souhaité, malgré toute mon angoisse, l’image voluptueuse de l’effroi supporté ensemble, je la trouvais dans ces deux êtres délicats. Louise et Serpette, je vous admirais mortes, mortes dans cette chaude splendeur ! Combien de fois, rôdant à travers la nuit, vous aimant et détestant le sort, n’aviez-vous pas désiré le feu, le pain et l’abri ! L’abri, vous l’avez ; il est dans cette solitude, dans vos mains jointes serrant vos tailles souples. Le pain, c’est celui de la terre ; et comme la réverbération vous anime, de quelle parure elle revêt vos hardes ! Que votre dernier baiser doit être tiède et doux ! Transporté de joie, j’allais m’étendre près d’elles, demander à leurs âmes ailées une part de cette béatitude, tant leurs corps étaient beaux et de noble allure ; je soulèverais les molles paupières, je baiserais un dernier regard qui concentrerait l’éternel, et, sous cette voûte étincelante, j’aurais la prescience du Paradis !

Un brusque son de trompe rompit et déchira mon extase. Je bondis en arrière. C’était une troupe de perquisiteurs. Ils saisirent brutalement, dans leurs pattes bizarres, les dépouilles de Louise et de Serpette. La magie disparut. Le temps que je mis à respirer une gorgée d’air poussiéreux, elles n’étaient plus que deux cercueils, mes deux jolies sœurs d’incendie et de misère.

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Quelques pas plus loin, je retrouvai la Faculté. Je montrai ma carte à la grille. La cour centrale, flamboyant portique, était un océan humain dont chaque vague reflétait l’ardeur céleste. Que de faces levées au ciel ! Que d’autres penchées vers le sol, moutonnantes ! Que d’autres animées par les discussions ! Julmat me tirait par la manche : « Où te cachais-tu donc, malheureux ? Tu es pâle et maigri. Viens, il y a un buffet. » Il m’entraîna dans le vestiaire où des tables étaient dressées, couvertes de victuailles. Je pris un bouillon et une tranche de viande, et, comme je m’étonnais de sa fraîcheur, Julmat m’expliqua qu’elle venait des boucheries particulières de la Faculté, lesquelles seules n’avaient point cessé leur débit : « Tout a été organisé admirablement. Crudanet est sublime quant aux services d’hygiène. Pas un médecin n’est atteint et le fléau se circonscrit. Allons au grand amphithéâtre. »

Là étaient réunis les principaux professeurs. La salle était houleuse. Tous avaient revêtu leurs costumes pour plus de solennité ; le rouge éclatant des robes et des toques convenait à la circonstance. Un bureau se constituait, suivant l’usage de tout Morticole réuni au nombre de plus d’un. Le président fut le vénérable Canille. On étouffait dans cette enceinte garnie, plus encore que sur le Forum, et je préférais l’odeur et le goût des flammes au parfum de ce suant égoïsme. Cependant les télégrammes affluaient. Canille les dépouilla successivement :

« Messieurs, vos ordres ont été strictement suivis. On a ramassé à l’heure qu’il est, dans les rues et dans les maisons, vingt-cinq mille cinq cent vingt-trois cadavres et détritus d’hommes, femmes et enfants. Tant faute d’aliments que par auto-vaccination intensive, l’épidémie est en décroissance. On dresse à mesure de grandes feuilles de statistique dont vous seront délivrés des exemplaires. Signé : Crudanet. »

De vifs applaudissements retentirent. Le délégué chef se montrait à la hauteur de sa tâche. Les étudiants entonnèrent des chansons joyeuses, tandis que le président ouvrait le second télégramme :

« Messieurs, nous avons mis le feu à trois des quartiers pauvres. Favorisé par le vent, l’incendie se propage avec rapidité. Il élimine aisément les germes néfastes. Au reste, il ne dévore plus que pierres, la plupart des habitants étant emportés par le fléau. Signé : Truffié, sous-directeur des vidanges, délégué du professeur Crudanet. »

Troisième télégramme : « Les membres du Parlement, réunis en assemblée plénière, et les Sénateurs envoient à leurs collègues de la Faculté et des doctes Académies leurs plus chaleureuses félicitations pour l’attitude si ferme et si courageuse qu’ils gardent pendant l’épidémie. » À quoi le Bureau répondit séance tenante : « Les membres de la Faculté et des Académies, réunis en assemblée plénière et vigilante, envoient à leurs collègues du Parlement et Sénateurs leurs remerciements les plus chaleureux. »

Ensuite Canille donna la parole à Tartègre qui discuta les mesures consécutives. Il demandait qu’on exilât les familles suspectes et qu’on submergeât d’acide phénique une partie de la ville. Ces propositions furent adoptées.

Canille se leva, et du ton le plus grave : « Mes chers collègues, messieurs ; j’ai un grand malheur à vous annoncer : notre vieil ami, le professeur Sidoine, vient de succomber, non au fléau, mais à une indigestion qui l’a emporté en quelques minutes, au moment où il accourait se joindre à nous et nous éclairer de ses précieux conseils. Je lève la séance en signe de deuil. »

Cette nouvelle inattendue souleva un violent tumulte. Enfin la succession de Sidoine était ouverte ! On se montrait Wabanheim et Cortirac, à gauche et à droite de Canille, nerveux, hardis et frémissants, dès cette heure adversaires résolus. Les moindres partisans de ces candidatures fameuses vibraient. On oubliait l’épidémie. Dans le coin où j’étais, quelques élèves de quatrième année pointaient avec fureur et prédisaient la victoire de Wabanheim : « Je la souhaite, affirmait l’un ; car, au prochain de pieds, je passe avec Molito. Or Molito est l’élève de Gerbiste, et Gerbiste lui-même écrit la moitié des livres de Wabanheim. » Les membres du bureau avaient quitté leur longue table et se promenaient en bourdonnant dans l’hémicycle. Toutes les bouches murmuraient ces noms mystérieux : Cortirac, Wabanheim, Wabanheim, Cortirac. Quant aux deux rivaux, ils étaient séparés par tout l’espace de la salle et affectaient de causer d’autre chose. J’examinais Wabanheim, son large front, ses yeux aigus, son col échancré d’où s’échappaient des touffes de poils gris. Autour de lui Foutange, Pridonge et Boustibras. Cortirac enlevait et essuyait ses lunettes d’or pour parler à Mouste et à Boridan, tandis que Cercueillet bâillait avec componction.

On racontait que Charmide et Dabaisse avaient désobéi, soigné des malades en ville. Un blâme leur serait infligé. Près de moi, le pharmacien Banarrita harcelait Cloaquol : « Moi, j’ai carrément fermé boutique. Les passants faisaient la queue devant mes volets, demandaient en grâce des médicaments, mais, bernique, va-t’en voir si j’ai la colique ! Il y en avait qui tombaient raide tout à coup. J’aurais infecté ma maison : c’est ce que je répète à mes confrères : en temps d’épidémie, nous n’avons qu’à nous cacher. » Il ajouta en riant : « C’est le comble du secret professionnel. » Cloaquol n’écoutait guère son interlocuteur. Il dansait de joie, Cloaquol : « J’ai dix mille tirages du Tibia brisé, répétait-il en roulant les r. — Son rouge visage devenait ponceau. — C’est là que vous en trouverez des détails ! Et ça ne coûte qu’un sou ! » Au reste, chacun pliait et dépliait cet excellent organe. Je retournai dans la cour. Les flammes se faisaient plus rares ; la splendeur aérienne diminuait d’intensité. Là rutilaient aussi des autorités en grand costume. Ils étaient beaux à contempler, au milieu des statues, sous les arceaux lourds de symboles, ces pontifes de la science officielle ! On commentait beaucoup le noble message du Parlement, réuni dans sa force, accueillant les échos de l’épidémie d’une oreille robuste et sympathique. On plaisantait la peur bruyante de Gigade qui avait perdu toute jovialité, toute envie de rire, et puait tellement l’antiseptique qu’il était impossible de l’aborder. On me le montra, pâle et défait, appuyé à un groupe représentant l’illustre Laurantiès, fondateur de l’épidémiologie, qui donne ses soins à un cholérique. Sous ce bronze tordu de coliques et d’héroïsme, Gigade, sourcil froncé, les jambes fondues, semblait suivre d’un œil morne son propre convoi funèbre. Je m’approchai de lui. Il répandait en effet une odeur si forte qu’il me fallut tout mon courage : « Mon cher maître, dis-je humblement, voici une triste nouvelle ; votre élève préféré, Savade, est mort ce matin, emporté en quelques minutes par le… »

Gigade me regardait avec terreur et dégoût : « Avez-vous prévenu l’autorité sanitaire ? s’écria-t-il avec un ample geste parallèle à celui de Laurantiès. Malheureux, quels risques vous courez ! Rien de si atroce, de si insurmontable que ce fléau ! — Puis, reculant de dix pas : — Allez vous laver, ajouta-t-il d’un ton péremptoire. Lavez-vous bien vite avec : Sublimé, cinquante centigrammes ; — Eau distillée, soixante grammes. Prenez un bain d’eucalyptol et d’eau bouillante. Allez vite vous laver ! Il n’est plus temps peut-être. Je vous signale à vos infortunés camarades, aux innocents que vous infectez. Allez-vous vous laver ! » Il était grandiose ainsi, fou de crainte, dans une attitude d’objurgation, sous ce ciel tragique : « Je vais, je vais », répondis-je, et je lui tournai les talons.

Le buffet était plein de docteurs et professeurs qui déchiffraient les nouvelles de leurs familles calfeutrées et s’empiffraient de nourriture. Lestingué, superbe dans sa robe rouge, la bouche dégoulinante de sauce, proposait un impôt hygiénique pour couvrir les frais des perquisitions : « Messieurs, vos hônôraires vont monter. Brôôôôm. — Garçon, un peu de gelée, je vous prie. — Ces désastres sont toujours suivis d’une hypocondrie générale qui compense et largement le déchet de la clientèle. Broôôôm. Vous êtes en droit d’augmenter vos hônôraires. L’offre étant double ou triple, que la demande soit double ou triple. » Il prononçait ces aphorismes précis en mâchant et s’ébrouant. Un immense tableau faisait le fond du vestiaire : sur un vert gazon, les principaux types d’épidémies étaient nonchalamment étendus. Cette œuvre d’un des meilleurs peintres morticoles avait groupé, sur les corps nus des personnages, dont la tête folâtrait, tous les stigmates du choléra, de la fièvre jaune, de la peste ; et, dans le fond, une foule de danseurs de Saint-Guy, précédés de binious et de violons, accouraient donner une aubade à leurs dégoûtants amis. Les docteurs, chargés d’assiettes, de petits pains, de jambons, de galantine et de gelée de viande, considéraient avec complaisance ces maux dont l’incendie leur rappelait la proximité peu redoutable, et, sauf Gigade, chacun était heureux, savourait son bien-être.

On avait organisé, à la Faculté même, de vastes dortoirs. Dans celui des étudiants, les hommes étaient séparés des femmes, ce qui prêtait à des plaisanteries. Julmat se coucha à côté de moi et nous causâmes tard de la mort de Savade, dont je ne lui avouai que l’essentiel.

Le lendemain, l’air était calme. On entendait encore, mais fort espacées, les trompes des perquisiteurs, et les dernières dépêches, lues en public, furent complètement rassurantes. Dix mille deux cent quatre personnes avaient succombé le matin, qui, jointes à celles de la veille, fournissaient un total d’environ quarante mille morts. À part Sidoine, dont la disparition était accidentelle, nul des médecins n’avait été touché. Leurs familles et leurs domestiques avaient été également préservés, grâce aux mesures de précaution.

Parmi les victimes de l’épidémie, il fallait compter un certain nombre de suicides par peur. On expurgeait le fleuve des cadavres, source nouvelle d’infection. Les journaux constataient la joie des villes d’eaux environnantes dont les actions montaient dans des proportions considérables. On citait la forfanterie de Tabard qui, pour prouver la fausseté des doctrines microbiennes, se nourrissait depuis la veille de déjections et d’excréments, en avait barbouillé ses trois fils et sa femme, dormait assis dans un ventre de cholérique. On vantait la conduite du Secours universel qui s’était chargé de l’incendie des quartiers pauvres. L’après-midi se passa gaiement. On organisa des charades et une petite comédie, l’Impromptu du Fléau, jouée par des étudiants, qui dérida la foule des professeurs ; condamnés à l’inaction, ces messieurs se promenaient au buffet, à la bibliothèque, aux musées, discutant les chances réciproques de Wabanheim et de Cortirac.

Le jour suivant, Cloaquol réunit ses collègues. Il proposa, pour fêter le retour à l’état normal, une deuxième célébration de la Matière : « Les sauvages remercient bien Dieu et le Christ, s’écria-t-il en manière de péroraison, quand ils sont débarrassés d’un fléau. Pourquoi ne pas les imiter ? Honorons, messieurs, honorons la noble, la douce, l’auguste Matière, par laquelle tout ce qui est fait est bien fait ! Si cette épidémie n’avait pas eu lieu, nous serions peut-être arrivés à une pléthore de malades, à une congestion malsaine d’hypocondriaques. Grâce à elle, une véritable purge s’est produite. Nous voilà débarrassés d’une masse de frelons qui accaparaient nos soins, gênaient nos travaux, empêchaient la science de progresser. Qu’elle marche en liberté, maintenant et sans entraves, cette sœur de la Matière, et qu’elle tresse à sa jumelle des louanges et des couronnes ! Il serait puéril et ingrat de se lamenter parce que quelques inutiles et quelques geignards ont disparu. » Après Cloaquol, Crudanet monta à la tribune : il déclara, au milieu des bravos, que les fonds affectés aux droits des pauvres seraient remis par le Secours universel à lui Crudanet, pour les frais généraux de cette fête de la Matière, à laquelle il s’associait. Puis il annonça que, l’épidémie heureusement terminée, les médecins pouvaient reprendre le cours de leurs travaux : « Messieurs, nous avons le contentement suprême d’avoir accompli tout notre devoir. »

Je ne fus pas fâché de quitter cette École où nous étions empilés depuis trois jours. Au dehors, la cité était tranquille. Seule, une odeur fade et forte à la fois, mêlée de mort et de phénol, rappelait le désastre. On nettoyait les places, les statues, les trottoirs, les maisons. J’écoutais les conversations des passants et des concierges. Elles faisaient allusion à l’aventure avec une crainte superstitieuse, et, suivant les prédictions de Lestingué, le respect des médecins augmenta. On faisait l’éloge des Académies, de la Faculté, du Secours universel, surtout de Crudanet, dont la sagesse avait circonscrit rapidement le fléau. En outre les survivants ne paraissaient point regretter les morts. Les affaires marchaient, un grand mouvement s’étant fait dans les héritages et les Compagnies d’assurances. La Bourse et les spéculateurs, coulissiers, remisiers, agents de change, banquiers, vermine de tout poil et de toute fraude, profitaient de la baisse de la population que compensait une hausse du papier en cours et de la monnaie.

Je changeai d’appartement, ne voulant plus habiter celui où était mort si misérablement Savade, que la mère Pidou me raconta avoir été enlevé, une demi-heure après mon départ, par les scaphandres sanitaires. Je pris un logement plus modeste ; mes ressources commençaient à s’épuiser. Je revis Trub avec bonheur. Il n’avait rien su de l’épidémie, en quelque sorte, car, dès le début, on avait fermé les portes de l’hôpital, avec défense de laisser entrer ou sortir personne. Il avait été inquiet de moi, et il m’embrassa, les yeux pleins de larmes. Je lui appris la fin tragique de Louise et de Serpette.