Les Muses françaises/Clara Francia-Mollard
Clara Francia-Mollard eut beaucoup d’ambition. Elle avait confiance en son génie. Aussi négligea-t-elle, le plus souvent, de chanter — comme firent presque toutes ses sœurs en poésie — les petits sentiments de l’intimité, du moins lorsqu’elle les chanta fut-ce sans cette simplicité qui convient à de tels sujets ! Elle visait plus haut ; elle visait à la philosophie Mais, comme l’expression poétique lui fait souvent défaut et que sa pensée
n’a pas toujours la profondeur qu’elle lui avait souhaitée, cette teinture philosophique, qui s’étale dans la plupart de ses poèmes, n’aboutit guère qu’à la prétention.
Pour la forme, Clara Francia-Mollard s’est donné connue modèle Victor Hugo. Nous ne dirons pas qu’elle égala son maître, mais, du moins elle s’y efforça avec une ingénuité qui désarme. Le malheur est que tous ces efforts furent aux dépens de sa sincérité. Le manque de sincérité, c’est bien en effet ce qui frappe lorsqu’on lit ses vers. Le désir de faire grand, de faire fort a paralysé chez elle l’émotion sans laquelle il n’y a pas de vraie poésie. Et cela est d’autant plus regrettable que Clara Mollard ne manquait pas de moyens. On pourra s’en convaincre par la lecture des pièces que nous citons. où l’on rencontre plus d’un beau vers.
Née à Lyon en 1804, elle était fille de M. Francia, coiffeur du théâtre des Célestins. Se sentant du goût pour le métier de comédienne elle compta de bonne heure parmi la troupe du théâtre où son père opérait du fer à friser. Elle était jolie ; on lui confia des rôles légers et elle se fit applaudir.
Les succès de scène ne lui suffisant pas, elle écrivit dans des petits journaux. Enfin, en 1832, elle épousa M. Mollard attaché au Censeur, de Lyon, et elle abandonna le théâtre pour se consacrer seulement à la poésie. — Son salon fut pendant quelques années fréquenté par une très brillante société d’artistes et de gens de lettres.
En 1840, elle fit paraître un volume de poésies qu’elle intitula modestement Grains de Sable. Au préalable, elle avait soumis son manuscrit à V. Hugo, qui lui écrivit en le lui retournant :
« Je vous renvoie ce doux et gracieux volume. Il y a, dans vos vers, la rêverie profonde et sérieuse de la femme, et par moment la vivacité éblouissante de la jeune fille… »
On sait que Victor Hugo avait la lettre et le compliment faciles !…
Clara Francia-Mollard mourut h Lyon le 29 Juillet 1843, à trente-neuf ans, au moment où elle s’apprêtait à publier un nouveau recueil.
Encore, encore un jour qui pour nous.se dévoile,
Un jour qu’il faudra vivre et suivre pas à pas ;
Et puis viendront le soir et la nuit sans étoile,
Et les rêves qu’on ne sait pas.
C’est le mystère ! il faut marcher sans le connaître.
L’épi vient sans savoir qu’il tombe à la moisson,
Et l’oiseau ne sait pas pourquoi Dieu le fit naître
Dans les épines du buisson.
Nous, nous voulons savoir pourquoi l’air roule et passe ;
Pourquoi dans chaque vie il est un triste adieu ;
Nous voulons de nos yeux interroger l’espace
Où nul ne peut lire que Dieu !
Eh ! n’est-ce pas assez que la terre nous emporte,
Et nous donne ses fruits, de l’ombrage, un foyer ?
Au moment de partir, la mort ouvre une porte,
Et l’on sort sans se coudoyer.
C’est tout, hélas ! c’est tout ! le berceau, puis la tombe.
L’enfant vient, le vieillard s’en va. Le pleure-t-on ?
Quand la feuille est jaunie, il faut bien qu’elle tombe
Pour faire place au rejeton.
C’est que Dieu dans nos jours a mis de douces choses.
C’est la colline ombreuse, et l’onde et l’horizon ;
C’est l’abeille qui boit dans un soleil de roses,
Dont elle se fait le rayon.
C’est le pavot qui flotte au milieu de la plaine,
C’est le rameau fleuri qui penche vers le sol.
C’est le petit oiseau qui déploie avec peine
L’aile où déjà tremble son vol.
Et nous crions toujours, et notre voix blasphème ;
Nous voulons voir du ciel l’invisible chemin ;
Renverser l’univers, refaire l’œuvre, et même
Créer un Dieu de notre main.
Fous ! nous voulons savoir. La nuit nous environne ;
Nous voulons tous du siècle une immortalité ;
Nous parlons d’avenir, et par l’heure » qui sonne
Notre avenir est emporte.
Orgueil ! Orgueil ! Eh quoi ! dès nos jeune pensées
Nous voulons qu’un genou se plie à nos genoux !
Insensés ! Mais avant « pie nos chairs soient glacées
On ne se souvient plus de nous !
Eh ! qu’importe qu’il vienne un enfant, une femme
Chercher sur une pierre un nom presque effacé,
En disant, tout en pleurs : Revivez dans mon âme,
Souvenir d’un bonheur passé ?
Lorsqu’on nous a cousus dans la toile grossière.
Qu’on a cloué sur nous quatre morceaux de bois,
Qu’importe qu’on nous fasse un lit dans la poussière.
Et qu’on nous pare d’une croix ?
C’est le dernier chemin de notre court voyage,
L’écueil où nous restons au milieu du chaos,
Où le fossoyeur fait, comme un souffle d’orage.
Voler la poudre de nos os.
Ainsi nous finissons ; — tout reste en son essence ;
Dieu nous rappelle à lui quand il veut et toujours ;
Sa main n’a pas besoin d’une sainte balance
Pour savoir le poids de nos jours.
C’est que tout est compté, jusques aux grains de sable ;
Au regard du Très-Haut rien ne reste inconnu :
Il sait le temps passé, le temps impérissable,
Et l’homme qui n’est pas venu.
Ainsi soit-il, mon Dieu ! Mon Dieu ! lorsque votre ange,
Qui de la vie éteint chaque jour le flambeau,
Viendra nouer à moi son aile comme un lange.
Et me jeter dans le tombeau.
Dieu, laissez-moi ravir à l’autre vie une heure ;
Ramonez mon esprit au milieu de mes champs :
J’ai besoin d’écouter le poète qui pleure
En créant de sublimes chants !
C’est que dans le poète est la grande pensée ;
C’est le miel qui toujours s’épand sur la douleur ;
Car votre voix, mon Dieu ! dans sa voix s’est placée
Comme un parfum dans une fleur.
Mais quels rêves de fous, ah mon Dieu ! sont les nôtres !
Si l’âme va vers vous, elle reste avec vous ;
On perd le souvenir de la terre : et puis d’autres
Naissent et meurent comme nous.
Quand nous sentons en nous une peine secrète
Qui nous brûle le cœur et nous ôte la voix ;
Quand nous sentons pencher notre front de poète,
Et que nul ne nous dit : Courage, je te vois ;
Je suis là pour veiller, la nuit, si tu reposes
Et pour te faire un lac où tu puisses ramer ;
Je suis là pour sécher tes larmes sous des roses ;
Je suis toujours là pour t’aimer !
Alors on se refait une vie, un espace ;
On se pose debout devant l’homme et le temps,
Et l’on rit de l’amour et du soleil qui passe,
Et l’on brave la mort, comme à ses premiers ans,
Et l’on se fait impie, et l’on rêve un supplice ;
On insulte la croix où Christ a trépassé ;
On ne croit plus au miel du divin sacrifice.
Quand le calice est renversé !
Alors nous n’avons plus rien de saint, rien de chaste ;
Plus de frais avenir qui nous fasse penser ;
Plus de perle à trouver dans la mer bleue et vaste ;
Plus de fleurs à cueillir quand le jour va passer ;
Plus de nid à garder quand la mère le laisse
Pour chercher le brin d’herbe ou l’épi dans les champs ;
Plus d’étoiles à suivre au ciel qui nous délaisse ;
Plus de larmes dans de doux chants !
Alors nous n’avons plus de ces choses divines
D’où s’échappe un parfum qui vous fait tout amour.
Alors nos pieds errants saignent dans les épines,
Et le mal loin du bien nous pousse sans retour.
On marche sans croyance, hélas ! et l’on dévie ;
Notre âme est sans prière à l’heure de la mort ;
pour nous ouvrir les cieux quand nous quittons la vie,
Nous n’avons pas même un remord !
Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi me laissez-vous sans cesse
Me nourrir d’un amour qu’il ne comprendra pas ?
Le cœur se fait méchant ici dans sa faiblesse ;
Éloignez la douleur qui s’attache à mes pas ;
Purifiez mes jours au feu de vos lumières.