Les Muses françaises/Daniel Stern

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Les Muses françaisesLouis-MichaudI (p. 270-274).


DANIEL STERN
COMTESSE D’AGOULT


Marie-Catherine-Sophie de Flavigny, comtesse d’AgouIt, connue en littérature sous le nom de Daniel Stern, naquit le 1er janvier 1806 à Francfort-sur-le Mein. Française par son père, d’une ancienne et très noble maison, elle était de sang allemand par sa mère, Marie Berthmann, fille d’un riche banquier de Francfort.

Elle vint en France peu après sa naissance et reçut une éducation des plus soignées, d’abord dans sa famille, puis, vers 16 ans, au Sacré-Cœur. Mais ses vrais maîtres, elle sut se les choisir elle-même : ce furent les livres, les livres sérieux auxquels elle avait pris goût de bonne heure.

À vingt ans on la maria au comte Charles d’Agoult, colonel de cavalerie et premier écuyer de Mme la Dauphine.

Très belle et d’esprit indépendant, peu soumise aux traditions de sa caste, étrangère par ses goûts et ses plus secrètes pensées au milieu dans lequel elle vivait, la comtesse d’Agoult finit, peu après la Révolution de 1830, par rompre tous les liens qui l’y attachaient.

Elle quitta la France en 1835 pour suivre Liszt en Italie. Elle revint à Paris en 1840, seule et désenchantée..

C’est à cette époque que nous voyons paraître pour la première fois son pseudonyme de Daniel Stern dans la Presse où elle débute par un roman : Hervé et par des comptes rendus des salons de 1842 et 1843.

Daniel Stern s’est exercée avec succès dans l’histoire, la critique d’art, le roman, le théâtre, la philosophie, la poésie. Elle a touché aux plus graves questions de la morale et de la politique, marchant sur les traces de la Rochefoucauld et de Vauvenargues.

Barbey d’Aurevilly disait de Mme d’Agoult : « Ce n’est pas un bas bleu, c’est mieux que cela ou pis, c’est un pantalon bleu, le pantalon du blumérisme américain. » Mais ce n’est là qu’une de ces boutades où excellait Barbey. La vérité, c’est que Mme d’Agoult était une femme vraiment supérieure.

De 1860 à 1870, Mme d’Agoult eut à Paris un salon des plus suivis. Par son esprit, l’élévation de son caractère et l’étendue de sa culture, Mme d’Agoult avait su grouper autour d’elle les personnalités les plus considérables des arts, des lettres et de la politique. Sainte-Beuve qui eut un goût très fort pour elle, l’appelait « la Corinne du quai Malaquais ».

Nous trouvons dans les Souvenirs d’Aphilis, ancien conseiller d’État, l’intéressante appréciation suivante, sur le salon de Mme d’Agoult : « Avec Daniel Stern a disparu une chose rare et unique à Paris, un salon vraiment neutre, un terrain réservé, une sorte de lieu d’asile, où, pendant dix années, nous avons vu les opinions les plus divergentes se rencontrer sans se heurter, et cela grâce au tact infini de celle qui le présidait, à son art de manier les personnalités et de fondre les nuances. Je n’ai connu Mme la comtesse d’Agoult que lorsqu’elle avait atteint, suivant sa spirituelle expression, « l’âge d’homme ». C’était en 1859, après le mariage d’Émile Ollivier avec sa charmante fille Blandine, si prématurément enlevée trois ans plus tard. Rien, à cette époque, dans ses dehors, ne trahissait les orages qui avaient troublé son existence de femme… Rien non plus ne décelait en elle la femme auteur. Sa taille élevée et noble, son port un peu altier, les lignes pures de son visage, son front pensif surmonté d’une couronne de cheveux d’argent, tout imprimait à sa personne un air de gravité particulière… »

Quant aux poésies de Daniel Stern, elles sont en très petit nombre et ont été publiées à la suite d’une réédition les Esquisses Morales (Paris 1880), faite après la mort de Daniel Stern qui survint le 5 mars 1876.

Ces poésies occupent en tout douze pages, elles ne prennent, à vrai dire, d’importance qu’à cause du rôle littéraire et mondain joué par leur auteur. Daniel Stern était poète beaucoup plus par l’idée que par le sentiment ; ses vers sont le produit de la volonté, non de l’enthousiasme. Cependant, on ne saurait leur méconnaître une certaine éloquence et, parfois, de la profondeur.

Daniel Stern repose au Père-Lachaise ; son tombeau est un chef-d’œuvre de Chapu.

CONSULTER : L. de Roxchaud, Étude biographique et littéraire en-tête des Esquisses morales, éd. 1880. — Barbey d’Aurevilly, Les Bas bleus Paris, 1872. — Léon Séché. Hortense Allart de Méritens. Paris. 1908, in-8


SÉRÉNITÉ


De ma sérénité tu voudrais le secret,
M’as-tu dit ; et savoir comment à mon visage
Jamais amour ou haine, espérance ou regret,
Ne jette une rougeur qui trahisse au passage
Les orages de l’âme et le bouillonnement
D’un sang fier qui s’indigne ou s’exalte ; et comment
Du repos de mon front, de ma calme présence.
De mon port, de mes yeux que l’on croirait sans pleurs.
De ma lente parole, ou bien de mon silence.
S’exhale une vertu qui charme les douleurs.

Et de ma sagesse
Ta folle jeunesse
Vantant le bienfait
Envie à mon age
De longs jours d’orage
Le tardif effet.
« O ma chérie.
La secrète loi
D’une âme guérie.
Enseignez-la moi. »
C’est là ta prière

A mes cheveux blancs,
C’est le vœu sincère
De tes dix-huit ans.
Tu crains la tourmente,
Et, de ton destin,
Fille, sœur, amante,
Déjà t’épouvante
L’aube frémissante.
L’orageux matin.
Ton âme qu’agite
Le souffle des dieux,
Ton sein qui palpite.
L’éclair de tes yeux.
Et l’accord qui tremble
Sous tes doigts émus,
Et ta voix qui semble
De mots inconnus
Chercher le mystère,
mon cher trésor !
Tout dit à ta mère
Que, dans son essor.
Déjà ton génie
Au mal s’est heurté,
Et que l’ironie,
L’amère ironie
Navre ta fierté.

Et je voudrais donner à ton âme inquiète
Un conseil, un exemple ; et, m’offrant pour appui,
Répandre dans ton sein cette vertu secrète
Par qui lui soit rendu le repos qui l’a fui.
Mais, en sondant, hélas ! et mon cœur et ma vie.
Je vois trop à quel prix le trouble m’est ôté.
Et d’où me vient la paix que ta jeunesse envie !...
Que Dieu te garde, enfant, de ma sérénité !

L’OLIVIER

Bel arbre au tronc penché, noirs et noueux rameaux.
Feuillage pâlissant, tige à la baie amère,
De qui retient son nom la hauteur solitaire
Où Jésus dans la nuit vint pleurer sur nos maux ;
 
Pathétique olivier, au seuil des temps nouveaux,
Toi qui vis, s’effrayant de son calice austère.

Mme D'AGOULT
(D’après un portrait de Leopold Flameng)

L’ Homme-Dieu défaillir et supplier son Père
Pour sa chair qui frissonne à l’horreur des tombeaux ;

D’un sourire autrefois Athéna, la déesse,
Te fit surgir du sol, emblème de sagesse,
D’abondance et de paix, ô doux victorieux !

Et quand je viens m’asseoir sous ton ombrage antique.
Ta chrétienne tristesse, avec ta grâce attique,
Pénètre et charme ensemble et mon âme et mes yeux.


LA STATUE DE GŒTHE, À FRANCFORT


C’était par un long soir de la saison puissante
Qui prodigue à la terre et le fruit et la fleur.
Emplit de gerbes d’or le champ du moissonneur
Et gonfle aux ceps ployés la grappe jaunissante.

Les derniers feux du jour et leur calme splendeur,
Au loin, du mont Taunus doraient la cime ardente.
Le bel astre d’amour qui brille au ciel de Dante
Montait sur la cité de l’antique empereur.

Sur le haut piédestal où ta gloire s’élève,
D’un regard de Vénus, doucement, comme en rêve,
Ô Goethe ! s’éclairait ton grand front souverain,

Tandis que de silence et d’ombre revêtue.
Craintive, je baisais au pied de ta statue
Le pli rigide et froid de ton manteau d’airain.