Les Muses françaises/Mme Deshoulières
Antoinette du Ligier de la Garde naquit à Paris en 1637 (1). Elle était aile de Melchior du Ligier, seigneur de la Garde, chevalier de l’ordre du roi, maître d’hôtel d’Anne d’Autriche, et de Claude Gavetier. Elle reçut une éducation très soignée, elle savait le latin, l’italien et l’espagnol Son maître en poésie fut Jean Hesnault.
Elle épousa, de très bonne heure, à treize ans et demi (le 8 juillet 1651), Guillaume de Lafon de Boisguérin, seigneur Deshoulières, gentilhomme du Poitou, lieutenant-colonel d’un des régiments du grand Condé. En 1653, elle alla s’établir à Rocroi dont son mari était major. Quand celui-ci partit pour la Flandre, à la suite de son prince, Mme DeshouHères fut le rejoindre à Bruxelles où résidait une cour Ibrillante. Ayant réclamé paraît-il, avec trop de vivacité, la solde de son mari au gouverneur espagnol, elle se rendit suspecte, on l’arrêta (1657). Internée au château de Vilvorden, près Bruxelles, elle y resta huit mois. On dit aussi qu’à cette époque elle inspira des sentiments fort tendres au grand Condé, sentiments qu’elle paraît bien avoir partagés si l’on s’en rapporte à certaine lettre que l’on a d’elle.
Le roi ayant offert une amnistie, M. et Mme Deshoulières rentrèrent en France.
C’est à partfr de ce moment que Mme Deshoulières suivit, sans interruption jusqu’à sa mort, son goût pour la poésie.
Elle avait été, avaiit la Fronde, une des reines de l’Hôtel de Rambouillet. Elle répondait alors aux doux noms de Dioclée et d’Hésione. Après la Fronde elle ouvrit à son tour un salon dans sa modeste demeure de la rue de rHonimc-Armé, au Marais. Ce salon, dit Sainte-Beuve, eut ce caractère particulier * d’avoir à la fois du précieux et du hardi, do mêler dans son bel esprit un grain d’esprit fort. > Mme Deshoulières fut on rapports avec les personnages les phis importants de l’époque : Conrart, l’ollisson, Benserade, Cluirpontier, Perrault, les Corneille, FléclUer, Mascaron, (^uinaull, Ménage, De Bussy, Vauban la Rocliofoucaiiki, etc.
Plusieurs auteurs célébrèrent en vers sa beauté, l’agrément de son esprit et le talent de ses productions. Au-dessous d’un portrait d’elle ou mit ce quatrain :
Si Corinne en beautô fut côlèhre autrefois.
Si des rers de Pituiare file e/Jaçn la gl’ure,
Qurl rang doivent tenir an temple de mémoire
Leit vers que tu vas lire et les traits que tu vois ?
Le ohovalier de Oranimont lui avait donné lo joli nom d’Amaryllis et c’est sous eo nom (ju’elle eoniinenva. en 1672, à publler des vers dans le
(l) Cette date nous paraît plus plausible que eellede 1633. Mme Deshoulières. ayant été baptisée à Sf.Gi’rujalM-i’Auxcrrois, le 2 janvier 1638. Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/142 M"" DESHOULIÈRES 141
BIBLIOGRAPHIE : Œuvres de Mme Deshoulières, Paris, 1687-1695, in-80. Des nombniuses éditions des ouvrages de Mme Deshoulières, on estime, surtout celles de 1747 (2 vol. in-12) et de 1799 (2 vol. in-S »).
CONSULTER : Somaize : Dictionnaires des Précieuses. — Voltaire : Siècle de Louis XI V. — Pérseaud aine : Les Deux Deshoulières, Lyon, 1853, in-8. — DkltOUR : Les Ennemis de Racine, Paris, 1859, in-8". — Sainte-Beuve -.Portraits de femme. — A. Delacroix, Histoire de Fléchier, Paris, 1865. — A. Fauke : De la correspondance de Fléchier avec Mme Deshoulières et sa fille, Paris, 1871. — Alphonse Séchë et Jules BerïAUT : L’Evoluthon du Théatte contemporain, Paris, l’JO ».
LES FLEURS
Que votre éclat est peu durable,
Charmantes fleurs, honneur de nos jardins !
Souvent un jour commence et finit vos destins,
Et le sort le plus favorable
Ne vous laisse briller que deux ou trois matins.
Ah ! Consolez-vous-en, jonquilles, tubéreuses :
Vous vivez peu de jours, mais vous vivez heureuses !
Les médisans ni les jaloux
Ne gênent point l’innocente tendresse
Que le printemps fait naître entre Zéphire et vous.
Jamais trop de délicatesse
Ne mêle d’amertume à vos plus doux plaisirs.
Que pour d’autres que vous il pousse des soupirs,
Que loin de vous il folâtre sans cesse ;
Vous ne ressentez point la mortelle tristesse
Qui dévore les tendres cœurs,
Lorsque, pleins d’une ardeur extrême,
On voit l’ingrat objet qu’on aime
Manquer d’empressement, ou s’engager ailleurs.
Pour plaire, vous n’avez seulement qu’à paraître.
Plus heureuses que nous, ce n’est que le trépas
Qui vous fait perdre vos appas ;
Plus heureuses que nous, vous mourez pour renaître.
Tristes réflexions, inutiles souhaits !
Quand une fois nous cessons d’être,
Aimables fleurs, c’est pour jamais !
Un redoutable instant nous détruit sans réserve :
On ne voit au delà qu’un obscur avenir.
À peine de nos noms un léger souvenir
Parmi les hommes se conserve :
Nous rentrons pour toujours dans le profond repos
D’où nous a tirés la nature,
Dans cette affreuse nuit qui confond les héros
Avec le lâche et le parjure,
Et dont les fiers destins, par de cruelles lois,
Ne laissent sortir qu’une fois.
Mais, hélas ! Pour vouloir revivre,
La vie est-elle un bien si doux ?
Quand nous l’aimons tant, songeons-nous
De combien de chagrins sa perte nous délivre ?
Elle n’est qu’un amas de craintes, de douleurs,
De travaux, de soucis, de peines ;
Pour qui connoît les misères humaines,
Mourir n’est pas le plus grand des malheurs.
Cependant, agréables fleurs,
Par des liens honteux attachés à la vie,
Elle fait seule tous nos soins ;
Et nous ne vous portons envie
Que par où nous devons vous envier le moins.
LES MOUTONS
Hélas ! Petits moutons, que vous êtes heureux !
Vous paissez dans nos champs sans souci, sans alarmes,
Aussitôt aimés qu’amoureux !
On ne vous force point à répandre des larmes ;
Vous ne formez jamais d’inutiles désirs.
Dans vos tranquilles cœurs l’amour suit la nature ;
Sans ressentir ses maux, vous avez ses plaisirs.
L’ambition, l’honneur, l’intérêt, l’imposture,
Qui font tant de maux parmi nous,
Ne se rencontrent point chez vous.
Cependant nous avons la raison pour partage,
Et vous en ignorez l’usage.
Innocens animaux, n’en soyez point jaloux :
Ce n’est pas un grand avantage.
Cette fière raison, dont on fait tant de bruit,
Contre les passions n’est pas un sûr remède :
Un peu de vin la trouble, un enfant la séduit,
Et déchirer un cœur qui l’appelle à son aide
Est tout l’effet qu’elle produit.
Toujours impuissante et sévère,
Elle s’oppose à tout, et ne surmonte rien.
Sous la garde de votre chien,
Vous devez beaucoup moins redouter la colère
Des loups cruels et ravissans
Que, sous l’autorité d’une telle chimère,
Nous ne devons craindre nos sens.
Ne vaudroit-il pas mieux vivre comme vous faites,
Dans une douce oisiveté ?
Ne vaudroit-il pas mieux être comme vous êtes,
Dans une heureuse obscurité,
Que d’avoir, sans tranquillité,
Des richesses, de la naissance,
De l’esprit et de la beauté ?
Ces prétendus trésors, dont on fait vanité,
Valent moins que votre indolence.
Ils nous livrent sans cesse à des soins criminels ;
Par eux plus d’un remords nous ronge.
Nous voulons les rendre éternels,
Sans songer qu’eux et nous passerons comme un songe.
Il n’est, dans ce vaste univers,
Rien d’assuré, rien de solide :
Des choses d’ici-bas la fortune décide
Selon ses caprices divers.
Tout l’effort de notre prudence
Ne peut nous dérober au moindre de ses coups.
Paissez, moutons, paissez sans règle et sans science :
Malgré la trompeuse apparence,
Vous êtes plus heureux et plus sages que nous.
À MES ENFANTS
Dans ces prés fleuris
Qu’arrose la Seine,
Cherchez qui vous mène,
Mes chères brebis.
J’ai fait, pour vous rendre
Le destin plus doux,
Ce qu’on peut attendre
D’une amitié tendre ;
Mais son long courroux
Détruit, empoisonne
Tous mes soins pour vous,
Et vous abandonne
Aux fureurs des loups.
Seriez-vous leur proie,
Aimable troupeau,
Vous, de ce hameau
L’honneur et la joie ;
Vous qui, gras et beau,
Me donniez sans cesse
Sur l’herbette épaisse
Un plaisir nouveau ?
Que je vous regrette !
Mais il faut céder :
Sans chien, sans houlette,
Puis-je vous garder ?
L’injuste fortune
Me les a ravis.
En vain j’importune
Le ciel par mes cris ;
Il rit de mes craintes,
Et, sourd à mes plaintes,
Houlette ni chien,
Il ne me rend rien.
Puissiez-vous, contentes
Et sans mon secours,
Passer d’heureux jours,
Brebis innocentes,
Brebis mes amours !
Que Pan vous défende :
Hélas ! Il le sait,
Je ne lui demande
Que ce seul bienfait.
Oui, brebis chéries,
Qu’avec tant de soin
J’ai toujours nourries,
Je prends à témoin
Ces bois, ces prairies,
Que, si les faveurs
Du dieu des pasteurs
Vous gardent d’outrages,
Et vous font avoir
Du matin au soir
De gras pâturages,
J’en conserverai
Tant que je vivrai,
La douce mémoire,
Et que mes chansons
En mille façons
Porteront sa gloire,
Du rivage heureux
Où, vif et pompeux,
L’astre qui mesure
Les nuits et les jours,
Commençant son cours,
Rend à la nature
Toute sa parure,
Jusqu’en ces climats
Où, sans doute las
D’éclairer le monde,
Il va chez Thétis
Rallumer dans l’onde
Ses feux amortis.
SONGE
Les ombres blanchissaient, et la naissante aurore
Annonçait dans ces lieux le retour du soleil.
Lorsque dans les bras du sommeil.
Malgré des soins cuisants, je languissais encore,
A la merci de ces vaines erreurs
Dont il sait ébranler le plus ferme courage.
Dont il sait enchanter les plus vives douleurs.
Do toute ma raison ayant perdu l’usage,
Je croyais être dans un sombre bocage.
Où les rossignols, tour à tour,
Semblaient me dire en leur langage :
Vous résistez en vain au pouvoir de l’Amour ;
Tôt ou tard, ce Dieu nous engage ;
Ah ! dépêchez- vous de choisir.
J’écoutais ce tendre ramage
Avec un assez grand plaisir,
Quand un certain oiseau, phis beau que tous les autres.
Sur des myrtes fleuris commença de chanter.
Doux rossignols, sa voix l’emporta sur les vôtres ;
Je vous quittai pour l’écouler.
Dieux ! qu’elle me parût belle !
Qu’elle s’exprimait tendrement !
Sa manière était nouvelle,
Et l’on rencontrait en elle
Je ne sais quel agrément
Qui plaisait infiniment.
Pour avoir plus longtemps le plaisir de l’entendre.
Voyant que, sans l’effaroucher.
Cet agréable oiseau se laissait approcher,
J’avançai la main pour le prendre.
Je le tenais déjà, quand je ne sais quel bruit
Nous effraya tous deux : l’aimable oiseau s’enfuit.
Dans les bois, après lui, j’ai couru transportée ;
Et, par une route écartée.
Je suivais son vol avec soin,
Soit hasard, soit adresse,
Malgré ma délicatesse.
Dieux ! qu’il me fit aller loin !
Enfin, n’en pouvant plus, il se rend, je l’attrape.
Comme j’en avais eu dessein ;
Et, folle que je suis, j’ai si peur qu’il n’échappe.
Que je l’enferme dans mon sein.
O déplorable aventure !
Ce malicieux oiseau.
Qui m’avait semblé si beau.
Change aussitôt de figure.
Devient m affreux serpent ;
Et du venin qu’il ré])and,
INFon cctnir fait sa noiuTiture.
Aussi, loin de goûter les ])laisirs iniuneuts
Dont sa trompeuse voix avait llat4é mes sens,
Je souffrais de cruels supplices.
L(^ traître n’avait plus sa ]>remière douceur ;
K(, schm SCS divers ca]>riccs,
H troublait ma raison et dcchirait mon cccur.
Par des commencements si rxules.
Voyant que les plaisirs que je devais avoir
Se changeaient en itujuicluilcs,
Hciiouvaid tout d’un co au chiiucri(|ue cs]>oir
Dont il voulait me faire uuc nouvelle amorce.
n’iui Uéiut plein (le furiMU-,
.l’empruntai touti » la force,
Et j’étoulïai rim[)ostem’.