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Les Muses françaises/Jacqueline Pascal

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Les Muses françaisesLouis-MichaudI (p. 116-123).
JACQUELINE PASCAL




Bien qu’elle ait été une femme supérieure et qu’elle ait donné des preuves réelles de son bel esprit, son talent, par suite de ses sentiments religieux qui lui interdirent de le cultiver, est surtout fait de promesses. Et, si, aujourd’hui, elle retient notre attention, c’est à son frère qu’elle le doit. Avoir été la sœur d’un homme de génie, c’est un titre sérieux.

Jacqueline était né à Clermont, le 5 octobre 1625. Tout comme Blaise Pascal inventant les mathématiques à douze ans, elle donna des marques d’une extraordinaire précocité. À huit ans, elle alignait ses premières rimes ; à onze elle écrivait, en collaboration avec deux petites filles, une comédie en cinq actes en vers. En 1638, c’est-à-dire dans sa treizième année, elle compose une petite poésie sur la grossesse d’Anne d’Autriche et, peu après, une autre pièce du même genre Sur le mouvement que la Reyne a senti de son enfant. On verra par la citation que nous faisons de ces vers — plus curieux que remarquables ! — que la petite Jacqueline s’effarouchait assez peu de pareils sujets.

Pour en finir avec la précocité de la petite Pascal, enregistrons encore qu’à quatorze ans, elle remporta le prix de poésie à l’Académie des Palinods de Rouen, avec des Stances sur la conception de la Vierge.

Esprit fort, Jacqueline affichait un mépris non dissimulé pour les choses de la religion. Cependant, lorsqu’en 1646, son frère se convertit au jansénisme, touchée de la grâce à son tour, elle ne tarda pas à le suivre sur les chemins de la croyance et cela avec toute l’ardeur et l’exagération qui caractérisent l’esprit féminin. Toutes ses pensées se tournent alors vers Port-Royal. On veut la marier, elle refuse, n’ayant plus qu’un désir : entrer en religion. Pour la détourner de cette idée, son père l’emmène avec lui en Auvergne. Mais, à sa mort, elle songe à nouveau à réaliser ses projets et, malgré l’opposition de son frère, elle se retire à Port—Royal. le 4 janvier 1652, où elle deviendra bientôt, sœur Sainte-Euphémie.

Elle cessera alors d’écrire des vers. Depuis sa conversion cependant, elle n’avait plus demandé à son inspiration que des chants de piété. Néanmoins, des doutes lui étant venus sur l’austérité de l’exercice poétique, même entendu comme elle l’entendait, et après avoir pris l’avis de ses supérieurs, elle fit le sacrifice de son talent. Elle se consacra uniquement à ses devoirs religieux.

Nommée sous-prieure et maîtresse des novices, clic composa un Règlement pour les enfants.

« Jacqueline Pascal, a écrit Victor Cousin, c’est Port Royal tout entier avec ses qualités et avec ses défauts. Jeune, spirituelle, fort recherchée et déjà l’idole des plus brillantes compagnies, elle a tout quitté, même son vieux père et son frère malade, pour se donner à Dieu ; elle est entrée en religion à vingt ans, et elle est morte à trente six, (le 4 octobre 1661) de douleur et de remords d’avoir signé un formulaire équivoque par pure déférence à l’autorité de ses supérieurs.

« Quant à ses talents, nous ne voulons pas les exagérer, mais il est certain que peu de femmes au XVIIe siècle, et parmi les plus illustres, ont été mieux douées. Elle avait quelque chose de la trempe du génie de Pascal, sa naïveté, sa vivacité, sa finesse, sa gravité, son énergie Tout le siècle a vanté ses heureuses dispositions pour la poésie. Il ne faut pas voir seulement son extrême facilité à tout mettre en vers, et à improviser sans cesse des sonnets, des quatrains, des stances de toute espèce, signe pourtant d’un tour d’esprit particulier et d’une vocation naturelle. Non ; Jacqueline avait reçu du ciel l’inspiration et la puissance poétique. »

Et, au sujet de la poésie sur le miracle de la Sainte Epine, la plus remarquable pièce de Jacqueline, Victor_Cousin dit encore : « Polissez un peu la rudesse cornélienne de ces vers, sans toucher à la forte sève qui les anime ; ajoutez l’art à cet admirable naturel, et vous aurez un poète de plus au XVIIe siècle. »

Qu’on atténue un peu ce jugement et l’on aura la vérité selon nous.

Les divers écrits de Jacqueline Pascal ont été publiés par M. P. Faugère dans son ouvrage : Lettres, opuscules et mémoires de Mme Périer et de Jacqueline Une, sœurs de Pascal, Paris, 1845, in-8. — De son côté, Victor Cousin a édité beaucoup de vers inédits de Jacqueline.

CONSULTER : Gilberte Pascal : Vie des religieuses de Port-Royal, 1751, T. II. — Mémoires pour servir â l’histoire de Port-Royal, Utrecht, 1742, 3 vol, in-12. — Marguerite Périer. Mémoires et vie de la soeur Jacqueline de Sainte Euphémie, dans le recueil Faugère, Paris, 1845. — Sainte-Beuve, Port-Royal, T. II et III. — VictoR COUSIN ; Jacqueline Pascal, Paris, 1845.


SONNET


A la Reine sur le sujet de sa grossesse


Sus, réjouissons-nous, puisque notre princesse
Après un si long temps rend nos vœux exaucés.
Et que nous connaissons que par cette grossesse
Nos déplaisirs sont morts et nos malheurs cessés.

Que nos coeurs à ce coup soient remplis d'allégresse,
Puisque nos ennemis vont être renversés.
Qu'un Dauphin va porter dans leur sein la tristesse
Et que tous les desseins s'en vont bouleversés.

Français, payez, vos voeux à la Divinité :
Ce cher Dauphin, par vous si longtemps souhaité.
Contentera bientôt votre juste espérance.

Grand Dieu ! je te conjure avec affection
De prendre notre reine en ta protection.
Puisque la conserver. c’est conserver la France.

ÉPIGRAMME


Sur le mouvement que la reine a senti de son enfant.

Cet invincible enfant d’un invincible père
Déjà nous fait tout espérer ;
Et quoi qu’il soit encore au ventre de sa mère,
Il se fait craindre et désirer.
Il sera plus vaillant que le Dieu de la guerre,
Puisqu’avant que son œil ait vu le firmament.
S’il remue un peu seulement,
C’est à nos ennemis un tremblement de terre.


SUR LE MIRACLE DE LA SAINTE ÉPINE


Gloire à Jésus, au saint sacrement de Vautel.

Invisible soutien de l’esprit languissant.
Secret consolateur de l’âme qui t’honore.
Espoir de l’affligé, juge de l’innocent.
Dieu caché sous ce voile où l’univers t’adore,
Jésus, de ton autel jette les yeux sur moi ;
Fais-en sortir ce feu qui change tout en soi ;
Qu’il vienne heureusement s’allumer dans mon âme.
Afin que cet esprit qui forma l’univers.
Montre, en rejaillissant de mon cœur dans mes vers,
Qu’il donne encore aux siens une langue de flamme !

Au fond de ce désert, en ne vivant qu’en toi,
Je goûte un saint repos exempt d’inquiétude.
Tes merveilles, Seigneur, pénétrant jusqu’à moi.
Ont agréablement troublé ma solitude :
J’apprends que par un coup de ta divine main.
Trompant l’art et l’espoir de tout esprit humain,
Un miracle nouveau signale ta puissance.
Ce prodige étonnant, dans un divin transport,
Me presse de parler par un si saint effort
Que je ne puis sans crime être encore en silence.

Ce climat, si fertile en diverses beautés,
Bien qu’il n’ait d’ornements que ceux de la naturel
Qui, sans l’aide de l’art, fait voir de tous côtés
Des grandeurs de son Dieu la naïve peinture ;

L’Auvergne, en sa Limagne, étant loin de ces monts
Où de sombres rochers, sans fruits ni sans moissons.
Ne font voir en tout lieu qu’un affreux précipice,
Renferme un petit mont si fertile et si beau.
Et si favorisé du céleste flambeau,
Qu’ont le nomme Clairmont pour lui faire justice.

Une ville en ce lieu, féconde en habitants,
Riche en possession, et chef de la province,
Dans les troubles divers s’est fait voir en tout temps
Aussi fidèle à Dieu que fidèle à son prince ;
Et même lorsque Henry, cet invincible roi,
Semblait avec raison, par l’erreur de sa foi,
Soulever contre lui tout le peuple fidèle.
Cette heureuse cité fit voir dans le hasard
Qu’elle rendait justice à Dieu comme à César
En conservant sa foi sans devenir rebelle.

Dieu, par sa providence, ayant choisi ce lieu,
En tira le sujet d’un prodige visible.
Montrant que quand il veut il sait agir en Dieu,
Et tirer un grand bien du mal le ])lus horrible.
Une enfant de sept ans, fille d’un sénateur
Qui depuis fort longtemps s’efforce avec honneur
De rendre en chaque cause un arrêt équitable.
Sur l’ordre de celui qui fait vivre et mourir.
Fut surprise d’un mal si pénible à souffrir
Qu’elle eût touché le cœur le plus impitoyable.

L’œil de cette petite en imminent danger,
Jetant incessamment une liqueur impure,
Obligeait ses parents à ne rien négliger
arrêter le cours de cette pourriture.
Paris, où tous les arts se savent signaler.
Les voit (Mur chez elle, ou plutôt y voler.
Pour trouver un remède à ce mal qui s’obstine.
Mais n’étant pas mal facile à secourir.
L’avis des médecins est qu’il ne peut guérir
Sans appliquer le feu jusque dans la racine.

Cet arrêt si sensible à l’amour maternel.
Affligeant à l’excès sa mère désolée.
Elle craint pour l’enfant le remède cruel.
Et pense que sa mort l’aurait mieux consolée.

Sur cela, l’on propose un remède pins lent,
Mais de beaucoup moins sûr, comme moins violent,
Dont on a vu, dit-on, quelque cure admirable.
Lors cette bonne mère en fait bientôt le choix.
Quoique les médecins assurent d’une voix

Qu’à tout, sinon au feu, ce mal est incurable.
Par un ordre secret des volontés de Dieu
On renferme l’enfant dans un saint monastère,
Pour user de cette eau qui doit sauver du feu.
Faisant le même effet par un moyen contraire.
Le Port-Royal s’en charge, et veut bien prendre soin
D’assister cet enfant dans un si grand besoin.
Par un zèle obligeant autant que charitable.
Mais tandis qu’on se sert de cette eau vainement,
Dix-huit mois écoulés font voir bien clairement
Que le premier avis n’est que trop véritable.

….


Dans ce mois que Jésus, mourant pour notre amour,
A voulu consacrer de son sang adorable,
A l’heure de midi de ce céleste jour.
Que son dernier festin nous rend si mémorable.
Alors ce mal funeste, ou plutôt bienheureux,
Puisqu’il devait avoir un succès glorieux.
Semblant prendre à toute heure une vigueur nouvelle ;
Pour la dernière fois on mande à ses parents
Que, sans rien consulter, ni perdre plus de temps.
Il faut enfin tenter cette cure cruelle.

O merveille qu’un Dieu pouvait seul espérer !
Sa sainte providence en cette conjoncture
Voulut ce même jour hautement déclarer
Qu’il est le souverain de toute la nature.
A l’heure où ce Sauveur daigna mourir pour nous.
Après avoir senti les injures des clous,
Les efforts de l’Enfer et toutes leurs machines,
Et d’un peuple, inventif en son impiété.
Comme pour couronner toute sa cruauté.
Outragea son saint chef tout couronné d’épines.

C’est dans cette même heure et dans un jour pareil
Qu’un reste précieux de ce sanglant mystère.

Avec un plus dévot que superbe appareil,
Ayant été porté dans ce saint monastère,
Les Vierges du Seigneur qui, dans un si saint lieu.
S’occupent jour et nuit des louanges de Dieu,
Imitant dans leurs chants les cantiques des anges.
Allèrent tour à tour chacune l’adorer,
Et, sans autre dessein que de le révérer,
Priaient avec ferveur en chantant ses louanges.

L’état de la malade était toujours égal.
Elle approche à son tour du sacré reliquaire.
L’adorant seulement sans penser à son mal,
Sans mouvement secret, sans dessein, sans prière.
Toutefois, sa maîtresse, ayant avec douleur
Considéré cet œil qui donnait tant d’horreur.
Fut dans le même temps saintement inspirée.
Et, sans faire pour l’heure autre réflexion.
Par le seul mouvement de sa compassion.
Fit toucher à son mal la relique sacrée.

Ici, Soigneur, ici, j’ai besoin de secours ;
Le courage me manque avecque le discours ;
Je n’ai point de couleurs pour peindre tes merveilles ;
Mille pensers divers s’efforcent à la fois
D’emprunter pour sortir les accents de ma voix,
Et leur foule sans ordre étouffe ma parole.
Je no puis concevoir tout ce que j’aperçois ;
Je ne distingue rien de ce que je conçois ;
Une idée en naissant fait que l’autre s’envole.

O mortels, écoutez avec un juste effroi
L’effet miraculeux d’une vertu divine,
Et jugez du pouvoir de votre divin roi
Par celui que reçoit une petite épine.
Cet œil défiguré. cet os demi-pourri.
Ce mal que le feu même à peine aurait guéri.
Ce mal qui surpassait tout ce qu’on en peut croire.
Par le pouvoir secret d’un saint attouchement.
Se trouve anéanti dans le même moment,
Sans qu’il en reste rien que la seule mémoire.

Qui n’a senti. Seigneur, dans cet événement.
cette sainte frayeur qu’excite ta présence ?
Qui s’est pu garantir d’un secret tremblement.

Te voyant dans l’effet de ta toute puissance ?
Que s’il est vrai qu’ici, dans l’ombre de la foi,
Ta présence secrète imprime tant d’effroi,
Lorsque tu ne parais que pour être propice,
Que sera-ce. Seigneur, alors qu’au dernier jour,
Couvrant de ta fureur l’excès de ton amour,
Tu ne te feras voir que pour faire justice !

Cette épreuve, Seigneur, me fait voir clairement
La raison qui te porte, en des choses pareilles,
Comme pour prévenir ce juste étonnement,
A faire quelquefois pressentir tes merveilles.
Ainsi, malgré l’hiver et la rude saison.
Un arbre fleurissant dans ta sainte maison
Nous y fit voir l’espoir d’une chose étonnante.
Ainsi, quand le soleil tenait tout en repos,
Par des songes de nuit qui n’ont rien que de faux,
La vérité parut à ton humble servante.

Cette âme en qui le ciel a paru s’épuiser
De tous les dons divins de grâce et de nature.
Mais dont l’humilité, qui les sait déguiser,
Interdit à mes vers d’en faire la peinture,
Avant ce grand miracle, au milieu du sommeil,
Pensait voir dans l’église un superbe appareil.
Sans savoir le sujet de sa magnificence.
Et qu’un peuple dévot, avec empressement.
Cherchait mille moyens, quoique inutilement.
De témoigner son zèle et sa reconnaissance.

Je me trouve. Seigneur, dans ce pénible état ;
Je suis dans cette heureuse et sainte inquiétude.
Mon cœur veut témoigner qu’il ne t’est pas ingrat ;
Mais mon peu de pouvoir trahit ma gratitude.
Mille autres comme moi, dans ce trouble nouveau.
Se trouvant accablés sous un heureux fardeau.
Succombent sous le faix de ces grâces visibles,
Et l’ardeur qui les rend saintement insensés,
Sachant que les discours ne sauraient dire assez.
Imite à te bénir les choses insensibles.

En vain, pour satisfaire à ce juste devoir.
Le prélat a rendu sa sentence publique.
Et, par l'autorité d'un suprême pouvoir.

Décerné des honneurs à la sainte relique,
En vain le peuple en foule, avecque mille vœux,
S’efforce d’élever sa gloire jusqu’aux cieux,
En vain tout l’univers voudrait lui rendre hommage,
Rien ne peut satisfaire un cœur reconnaissant.
Tout zèle est froid pour lui, tout discours languissant,
Et, quoi qu’on puisse faire, il en veut davantage.

J’ai satisfait, Seigneur, l’impétuosité
D’un zèle dont l’ardeur condamne le silence.
Je n’ai point captivé ta sainte vérité ;
J’ai suivi le transport de ma reconnaissance ;
J’ai dit ce que l’esprit a daigné m’inspirer.
Et maintenant. Seigneur, si je puis espérer,
Selon qu’il le promet, grâce pour cette grâce.
Pour salaire, ô mon Tout, fais-moi cette faveur
De rentrer dans mon centre avec plus de ferveur,
Et de ne plus sortir du secret de ta face.