Les Muses françaises/Pernette du Guillet

La bibliothèque libre.
Les Muses françaisesLouis-MichaudI (p. 52-55).




PERNETTE DU GUILLET




Nous savons peu de chose sur la vie de Pernette du Guillet qui naquit à Lyon et mourut à la fleur de l’âge, le 17 juillet 1545. Esprit très cultivé, âme distinguée, elle connaissait l’italien, l’espagnol et avait même des notions des langues anciennes.

Musicienne et poétesse à la fois, elle chantait ses vers en s’accompagnant du luth.

Tendrement attachée à son époux, Pernette du Guillet avait éprouvé un sentiment de poétique amitié pour Maurice Scève et ce sont ces divers sentiments que l’on retrouve dans ses vers comme l’a dit M. Léon Feugère : « Un caractère des œuvres de Pernette, où la langue italienne se mêle parfois à la langue française, c’est la variété. Elle ne se borne pas, comme on le faisait trop volontiers de son temps, à chanter l’amour ; elle chante également l’amitié. »

Les poésies de Pernette du Guillet, peu nombreuses, ne furent recueillies qu’après sa mort par son mari et par Antoine du Moulin sous le titre de Rymes de gentille et vertueuse dame Pernette du Guillet (Lyon 1545, in-8o).

Antoine du Moulin, dans une Epitre préliminaire, les dédia aux dames lyonnaises. Il parut de ces poésies plusieurs éditions successives : Paris, 1546 in-12, Lyon 1547 et 1552. Un exemplaire de la première édition, à la vente d’Aimé Martin, est monté jusqu’à 1005 francs. En 1857, M. Montfalcon a réédité ces poésies (Lyon, in-8).

Les vers de Pernette du Guillet, qui comprennent des odes, des chansons, des épigrammes, des élégies, sont remarquables par la délicatesse, l’enjouement et la douce musique. Ce sont de vrais vers de femme, pleins de grâce et semés d’idées ingénieuses.


CHANSON


Quand vous voyez que l’étincelle
De chaste amour sous mon aisselle
Vient tous les jours à s’allumer,
Ne me devez-vous bien aimer ?

Quand vous me voyez toujours celle,
Qui pour vous souffre et son mal cèle,
Me laissant par lui consumer,
Ne me devez-vous bien aimer ?

Quand vous voyez, que pour moins belle
Je ne prends contre vous querelle,
Mais pour mien vous veux réclamer,
Ne me devez-vous bien aimer ?


Quand pour quelque autre amour nouvelle
Jamais ne vous serai cruelle,
Sans aucune plainte former,
Ne me devez-vous bien aimer ?

Quand vous verrez que sans cautelle[1]
Toujours vous serai été telle,
Que le temps pourra affermer,
Ne me devez-vous bien aimer ?


CHANSON


Qui dira ma robe fourrée
De la belle pluie dorée.
Qui Daphnès[2] enclose ébranla :
Je ne sais rien moins, que cela.

Qui dira, qu’à plusieurs je tends
Pour en avoir mon passe-temps,
Prenant mon plaisir çà et là ;
Je ne sais rien moins, que cela.

Qui dira, que t’ai révélé
Le feu longtemps en moi célé
Pour en toi voir si force il a :
Je ne sais rien moins, que cela.

Qui dira, que d’ardeur commune,
Qui les jeunes gens importune,
De toi je veux, et puis holà :
Je ne sais rien moins, que cela.

Mais qui dira, que la vertu.
Dont tu es richement vêtu.
En ton amour m’étincela :
Je ne sais rien mieux, que cela.

Mais qui dira, que d’amour sainte
Chastement au cœur suis atteinte.
Qui mon honneur onc ne foula :
Je ne sais rien mieux, que cela.


DIZAIN


Je te promis au soir que pour ce jour
Je m’en irais, à ton instance grande,
Faire chez toi quelque peu de séjour :
Mais je ne puis : par quoi me recommande,
Te promettant m’acquitter pour l’amende,
Non d’un seul jour mais de toute ma vie,
Ayant toujours de te complaire envie.
Donc te supplie accepter le vouloir
De qui tu as la pensée ravie[3]
Par tes vertus, ta grâce et ton savoir.


ÉGLOGUE


Combien de fois ai-je en moi souhaité
Me rencontrer sur la chaleur d’été
Tout au plus près de la claire fontaine.
Où mon désir avec cil[4] se promène.
Qui exercite en sa philosophie
Son gent esprit, duquel tant je me fie
Que ne craindrais, sans aucune maignie[5],
De me trouver seule en sa compagnie :
Que dis-je seule ? Aires[6] bien accompagnée
D’honnêteté, que vertu a gagnée
À Apollo, Muses et Nymphes maintes
Ne s’adonnant qu’à toutes œuvres saintes.
Là, quand j’aurais bien au long vu son cours
Je le lairrais[7] faire à part ses discours :
Puis peu à peu de lui m’écarterais,
Et toute nue en l’eau me jetterais.
Mais je voudrais lors quant et quant[8] avoir
Mon petit luth accordé au devoir,
Duquel ayant connu, et pris le son,
J’entonnerais sur lui une chanson.
Pour un peu voir quels gestes il tiendrait
Mais si vers moi il s’en venait tout droit,
Je le lairrais hardiment approcher :

Et s’il voulait tant soit peu, me toucher,
Lui jetterais pour le moins, ma main pleine
De la pure eau de la claire fontaine,
Lui jettant droit aux yeux ou à la face.
Oh ! qu’alors eût l’onde telle efficace[9]
De le pouvoir en Actéon muer.
Non toutefois pour le faire tuer,
Et dévorer à ses chiens, comme cerf :
Mais que de moi se sentit être serf,
Et serviteur transformé tellement.
Qu’ainsi cuidast[10] en son ententement.
Tant que Diane en eût sur moi envie
De lui avoir sa puissance ravie.
Combien heureuse et grande me dirais !
Certes, déesse être me cuyderais[11]
Mais pour me voir contente à mon désir
Voudrais-je bien faire un tel déplaisir
À Apollo, et aussi à ses Muses
De les laisser privées, et confuses,
D’un qui les peut toutes servir à gré.
Et faire honneur à leur haut chœur sacré ?
Otez, otez, mes souhaits, si haut point
D’avecques vous, il ne m’appartient point.
Laissez-le aller les neuf Muses servir,
Sans se vouloir dessous moi asservir
Sous moi, qui suis sans grâce et sans mérite.
Laissez-le aller, qu’Apollo je n’irrite
Le remplissant de déité profonde.
Pour contre moi susciter tout le monde.
Lequel un jour par ses écrits s’attend
D’être avec moi et heureux et content.



  1. Artifice.
  2. Pour Danaé.
  3. Inversion pour l’accord du participe.
  4. Celui-ci.
  5. Suite, serviteur.
  6. Mais bien plutôt.
  7. Laisserais.
  8. En même temps.
  9. Efficacité.
  10. Qu’il crût ainsi.
  11. Je penserais être.