Les Muses galantes
LES MUSES
GALANTES,
BALLET.
Cet Ouvrage est si médiocre en son genre, & le genre
en est si mauvais, que pour comprendre comment il m’a pu
plaire, il faut sentir toute la force de l’habitude & des
préjugés. Nourri dès mon enfance dans le goût de la Musique
Françoise & de l’espece de Poésie qui lui est propre, je prenois
le bruit pour de l’harmonie, le merveilleux pour de l’intérêt,
& des chansons pour un Opéra.
En travaillant à celui-ci, je ne songeois qu’à une donner des paroles propres à déployer les trois caracteres de Musique dont j’étois occupé ; dans ce dessein je choisis Hésiode pour le genre élevé & fort, Ovide pour le tendre, Anacréon pour le gai. Ce plan n’étoit pas mauvais si j’avois mieux su le remplir.
Cependant, quoique la Musique de cette Piece ne vaille
gueres mieux que la Poésie, on ne laisse pas d’y trouver de
tems en tems des morceaux pleins de chaleur & de vie. L’Ouvrage
a été exécuté plusieurs fois avec assez de succès ; savoir,
en 1745 devant M. le Duc de Richelieu qui le destinoit pour
la Cour, en 1747 sur le Théâtre de l’Opéra, & en 1761
devant M. le Prince de Conti. Ce fut même sur l’exécution
de quelques morceaux que j’en avois fait répéter chez M. de
la Popeliniere que M. Rameau, qui les entendit, conçut contre
moi cette violente haine dont il n’a cessé de donner des
marques jusqu’à sa mort.
LES MUSES GALANTES, BALLET.
PROLOGUE.
Le théâtre représente le mont Parnasse ; Apollon y paroit sur son Trône, & les Muses sont assises autour de lui.
SCENE PREMIERE.
APOLLON ET LES MUSES.
Naissez divins esprits, naissez fameux héros ;
Brillez par les beaux arts, brillez par la victoire ;
Méritez d’être admis au temple de Mémoire :
Nous réservons à votre gloire
Un prix digne de vos travaux.
Muses, filles du Ciel, que votre gloire est pure !
Que vos plaisirs sont doux !
Les plus beaux dons de la nature
Sont moins brillans que ceux qu’on tient de vous.
Sur ce paisible mont, loin du bruit & des armes,
Des innocens plaisirs vous goûtez les douceurs.
La fiera ambition, l’amour ni ses faux charmes
Ne troublent point vos cœurs.
Non, non, l’amour ni ses faux charmes
Ne troublent jamais nos cœurs. On entend une
Symphonie brillante & douce alternativement.
SCENE II.
La Gloire & l’Amour descendent du même Char.
APOLLON, LES MUSES.
Que vois-je ? ô ciel ! dois-je le croire !
L’Amour dans le cher de la gloire !
Quelle triste erreur vous séduit !
Voyez ce Dieu charmant, soutien de mon empire,
Par lui l’amant triomphe & le guerrier soupire ;
Il forme les héros & sa voix les conduit.
Il faut lui céder la victoire
Quand on veut briller à ma Cour :
Rien n’est plus chéri de la gloire
Qu’un grand cœur guide par l’amour.
Quoi ! mes divins lauriers d’un enfant téméraire
Ceindroient le front audacieux ?
L’AMOUR.
Tu méprises l’Amour, éprouve sa colere.
Aux pieds d’une beauté sévère
Va former d’inutiles vœux.
Qu’un exemple éclatant montre aux cœurs amoureux
Que de moi seul dépend le don de plaire ;
Que les talens, l’esprit, l’ardeur sincere,
Ne sont point les amans heureux.
Ciel ! quel objet charmant se retrace à mon ame !
Quelle soudaine flamme
Il inspire à mes sens !
C’est ton pouvoir, Amour, que je ressens :
Du moins à mes soupirs naissans
Daigne rendre Daphne sensible.
L’AMOUR.
Je te rendrois heureux ; je pretends te punir.
Quoi ! toujours soupirer sans pouvoir la fléchir ?
Cruel ! que ma peine est terrible ! Il s’en va.
L’AMOUR.
C’est la vengeance de l’Amour.
Fuyons un tyran perfide,
Craignons à notre tour.
Pourquoi cet effroi timide ?
Apollon régnoit parmi vous,
Souffrez que l’Amour y préside
Sous des auspices plus doux.
L’AMOUR.
Ah ! qu’il est doux, qu’il est charmant de plaire !
C’est l’art le plus nécessaire.
Ah ! qu’il est doux, qu’il est flatteur
De savoir parler au cœur. Les Muses, persuadées par
l’Amour, répètent ces quatre vers.
L’AMOUR.
Accourez jeux & ris, doux séducteurs des belles ;
Vous par qui tout cede à l’Amour,
Confirmez mon triomphe, & parez ce séjour
De mirthes & de fleurs nouvelles ;
Graces plus brillantes qu’elles,
Venez embellir ma Cour. [125]
SCENE III.
L’AMOUR, LA GLOIRE, LES MUSES, LES
GRACES, troupes de Jeux & de Ris.
Accourons, accourons dans ce nouveau séjour,
Soupirez beautés rebelles,
Par nous tort cede à l’Amour. On danse.
Les vents, les affreux orages,
Font par d’horribles ravages,
La terreur des matelots :
Amour, quand ta voix le guide,
On voit l’Alcyon timide
Braver la fureur des flots.
Tes divines flammes
Des plus foibles ames
Peuvent faire des héros. On danse.
Gloire, Amour, sur les cœurs partagez la victoire
Que le mirthe au laurier soit uni des ce jour !
Que les soins rendus à la gloire
Soient toujours payes par l’Amour !
L’AMOUR.
Quittez, Muses, quittez ce désert trop stérile,
Venez de vos appas enchanter l’univers ;
Après avoir orne mille climats divers,
Que l’empire des Lys soit notre heureux asyle,
Au milieu des beaux arts puissiez-vous y briller
De votre plus vive lumière :
Un regne glorieux vous y sera trouver
Des amans dignes de vous plaire,
Et des héros à célébrer.
FIN DU PROLOGUE.
PREMIERE ENTREE.
HESIODE.
Le Théâtre représente un Bocage, au travers duquel on voit des Hameaux.
SCENE PREMIERE.
EGLE, DORIS.
DORIS.
L’amour va vous offrir la plus charmante fête,
Déjà pour disputer chaque Berger s’apprête :
Le don de votre main au vainqueur est promis.
Qu’Hésiode est à plaindre ! hélas ! il vous adore.
Mais les jeux d’Apollon sont des arts qu’il ignore,
De ses tendres soupirs il va perdre le prix.
EGLE.
Doris, j’aime Hésita, & plus que l’on ne pense
Je m’occupe de son bonheur :
Mais c’est en éprouvant ses feux & sa constance
Que j’ai du m’assurer qu’il meritoit mon cœur.
DORIS.
A vos engagemens pourrez-vous vous soustraire ?
EGLE.
Je ne sais point, Doris, manquer de foi.
DORIS.
Comment avec vos feux accorder votre loi ?
EGLE.
Tu verras des ce jour tout ce qu’Eglé peut faire.
DORIS
Eglé dans nos hameaux, inconnue, étrangère,
Jouit sur tous les cœurs d’un pouvoir mérite ;
Rien ne lui doit être impossible,
Avec le secours invincible
De l’esprit & de la beauté.
EGLE.
J’apperçois Hésiode :
DORIS.
Accable de tristesse,
I1 plaint le malheur de ses feux.
EGLE.
Je saurai dissiper la douleur qui le presse :
Mais pour quelques instans cachons-nous à ses yeux.
SCENE II.
HéSIODE.
Eglé méprise ma tendresse,
Séduite par les chants de mes heureux rivaux ;
Son cœur en est le prix, & seul dans ces hameaux
Je ignore les secrets de l’art qu’elle couronne ;
Eglé le fait & m’abandonne !
Je vais la perdre sans retour.
A de frivoles chants se peut-il qu’elle donne
Un prix qui n’etoit du qu’au plus parfait amour ?
On entend une symphonie douce.
Quelle douce harmonie ici se fait entendre....
Elle invite au repos....Je ne puis m’en défendre....
Mes yeux appesantis laissent tarir leurs pleurs....
Dans le sein du sommeil je cede à ses douceurs.
SCENE III.
EGLE, HéSIODE endormi
EGLE.
Commencez le bonheur de ce berger fidele
Songes ; en ce séjour Euterpe vous appelle
Accourez à ma voix, parlez à mon amant,
Par vos images séduisantes,
Par vos illusions charmantes,
Annoncez-lui le destin qui l’attend. Entrée des Songes.
UN SONGE.
Songes flatteurs
Quand d’un cœur misérable
Vos soins appaisent les douleurs,
Douces erreurs,
Du sort impitoyable
Suspendez long-tems les rigueurs ;
Réveil, éloignez-vous :
Ah ! que le sommeil est doux !
Mais quand un songe favorable
Présage un bonheur véritable,
Sommeil, éloignez-vous :
Ah ! que le réveil est doux ! Les Songe se retirent.
EGLE.
Toi pour qui j’ai quitte mes sœurs & le Parnasse,
Toi que le ciel a fait digne de mon amour,
Tendre berger, d’une feinte disgrâce
Ne crains point l’effet en ce jour.
Reçois le don des Vers. Qu’un nouveau feu t’anime.
Des transports d’Apollon ressens l’effet sublime,
Et par tes chants divins t’élevant jusqu’aux cieux
Ose en les célébrant te rendre égal aux Dieux. Un Lyre
suspendue à un laurier s’eleve à cote d’Hésiode.
Amour dont les ardeurs ont embrase mon ame
Daigne animer mes dons de ta divine flamme :
Nous pouvons du génie exciter les efforts ;
Mais les succès heureux sont dus à tes transports.
SCENE IV.
HESIODE.
Ou suis-je ? Quel réveil ? Quel nouveau feu m’inspire ?
Quel nouveau jour me luit ? Tous mes sens sont surpris !....
Il apprecoit la Lyre.
Mais quel prodige étonne mes esprits ?
Il la touche, elle rend des sons.
Dieux ! quels sons éclatans partent de cette Lyre !
D’un transport inconnu j’éprouve le délire !
Je forme sans effort des chants harmonieux !
O Lyre ! o cher présent des Dieux !
Déjà par ton secours je parle leur langage.
Le plus puissant de tous excite mon courage,
Je reconnois l’amour à des transports si beaux,
Et je vais triompher de mes jaloux rivaux.
SCENE V.
HESIODE, troupe de Berger qui a’assemblent pour la Fête.
Que tout retentisse,
Que tout applaudisse
A nos chants divers !
Que l’écho s’unisse,
Qu’Eglé s’attendrisse
A nos doux concerts !
Doux espoir de plaire,
Animez nos jeux,
Apollon va faire
Un amant heureux :
Flatteuse victoire !
Triomphe enchanteur !
L’amour & la gloire
Suivront le vainqueur. On danse, après quoi Hésiode
s’approche pour disputer.
O Berger, déposez cette Lyre inutile
Voulez-vous dans nos jeux disputer en ce jour.
HéSIODE.
Rien n’est impossible à l’amour.
Je n’ai point fait de l’art une étude servile,
Et ma voix indocile,
Ne s’est jamais unie aux chalumeaux.
Mais dans le succès que j’espere,
J’attends tout du feu qui m’éclaire
Et rien de mes foibles travaux.
Chantez, Berger téméraire ;
Nous allons admirer vos prodiges nouveaux.
HESIODE commence.
Beau feu qui consumez moi ame,
Inspirez à mes chants votre divine ardeur :
Portez dans mon esprit cette brillante flamme,
Dont vous brûlez mon cœur.....
CHŒUR, qui interrompt Hésiode.
Sa Lyre efface nos Musettes.
Ah ! nous sommes vaincus !
Fuyons dans nos retraites.
SCENE VI.
HESIODE, EGLE.
HESIODE.
Belle Eglé.... Mais, o ciel ! quels charmes inconnus !....
Vous êtes immortelle, & j’ai pu m’y méprendre !
Vos célestes appas n’ont-ils pas du m’apprendre,
Qu’il n’est permis qu’aux Dieux de soupirer pour vous ?
Hélas ! à chaque infant sans pouvoir m’en défendre,
Mon trop coupable cœur accroît votre courroux.
EUTERPE.
Ta crainte offense ma gloire.
Tu mérites le prix qu’ont promis mes sermens ;
Je le dois à la victoire,
Et le donne à tes sentimens.
HESIODE.
Quoi vous seriez ?....O ciel est-il possible ?
Muse, vos dons divins ont prévenu mes vœux,
Dois-je espérer encor que votre ame sensible
Daigne aimer un Berger & partager mes feux ?
EUTERPE.
La vertu des mortels fait leur rang chez les Dieux.
Une ame pure, un cœur tendre & sincere,
Sont les biens les plus précieux ;
Et quand on fait aimer le mieux,
On est le plus digne de plaire.
Aux Bergers. Calmez votre dépit jaloux, :
Bergers rassemblez-vous :
Venez former les plus riantes fêtes,
Je me plais dans vos bois, je chéris vos Musettes,
Reconnoissez Euterpe & célébrez ses feux.
SCENE VII.
EUTERPE, HESIODE, LES BERGERS.
Muse charmante, Muse aimable,
Qui daignez parmi nous fixer vos tendres vœux ;
Soyez-nous toujours favorable,
Présidez toujours à nos jeux. On danse.
DORIS.
Dieux qui gouvernez la terre,
Tout répond à votre voix.
Dieux qui lancez le tonnerre,
Tout obéit à vos loix.
De votre gloire éclatante,
De votre grandeur brillante
Nos cœurs ne sont point jaloux.
D’autres biens sont faits pour nous.
Unis d’un amour sincere,
Un Berger, une Bergere,
Sont-il moins heureux que vous ?
SECONDE ENTREE.
Le Théâtre représente les Jardins d’Ovide à Thôme, &, dans le fond, des Montagnes affreuses parsemées de précipices, & couvertes de neiges.
OVIDE.
Cruel amour, funeste flamme !
Faut-il encor t’abandonner mon ame ?
Cruel amour, funeste flamme,
Le sort d’Ovide est-il d’aimer toujours ?
Dans ces climats glaces au fond de la Scythie,
Contre tes feux n’est-il point de secours ?
J’y brille, hélas ! pour la jeune Erithie :
Pour moi, sans elle, il n’et plus de beaux jours,
Cruel amour, &c.
Acheve du moins ton ouvrage,
Soumets Erithie à son tour.
Ici tout languit sans amour,.-
Et de son cœur encor elle ignore l’usage ;
Ces fleurs dans mes jardins l’attirent chaque jour,
Et je vais par des jeux....C’est ! elle, o doux présage !
Je m’éloigne à regret : mais bientôt sur mes pas
Tout va lui parler le langage
Du Dieu charmant qu’elle ne connoit pas.
SCENE II.
ERITHIE.
C’en est donc fait ; & dans quelques momens
Diane a ses autels recevra mes sermens.
Jardins chéris, rians bocages ;
Hélas ! A mes jeux innocens
Vous n’offrirez plus vos ombrages.
Oiscaux, vos séduisans ramages
Ne charmeront donc plus mes sens.
Vain éclat, grandeur importune !
Heureux qui dans l’obscurité
N’a point soumis à la fortune
Son bonheur & sa liberté !
Mais, quels concerts se sont entendre ?
Quel spectacle enchanteur ici vient me surprendre ?
SCENE III.
La Statue de l’Amour s’eleve au fond du Théâtre, & toute la faite d’Ovide vient former des Danses & des Chants autour d’Erithie.
Dieu charmant, Dieu des tendres cœurs ;
Regne à jamais, lance tes flammes
Eh ! quel bien flatteroit nos ames
S’il n’etoit de tendres ardeurs ?
Chantons, ne cessons point de célébrer ses charmes ;
Qu’il occupe tous nos momens ;
Ce Dieu ne se sert de ses armes
Que pour faire d’heureux amans.
Les soins, les pleurs & les soupirs,
Sont les tributs de son empire ;
Mais tous les biens qu’il en retire,
Il nous les rend par les plaisirs. On danse
ERITHIE.
Quels doux concerts ! quelle fête agréable !
Que je trouve charmant ce langage nouveau !
Quel est donc ce Dieu favorable ? Elle considère la statue.
Hélas ! c’est un enfant ; mais quel enfant aimable !
Pourquoi cet arc & ce bandeau,
Ce carquois, ces traits, ce flambeau ?
UN HOMME DE LA FETE.
Ce foible enfant est le maître du monde ;
La nature s’anime à sa flamme seconde,
Et l’univers sans lui périroit avec nous.
Reconnoissez, belle Erithie,
Un Dieu fait pour régner sur vous ;
Il veut de votre aimable vie
Vous rendre les instans plus doux.
Etendez les droits légitimes
Du plus puissant des Immortels ;
Tous les cœurs seront ses victimes
Quand vous servirez ses autels.
ERITHIE.
Ces aimables leçons ont trop l’art de me plaire ;
Mais quel est donc ce Dieu dont on veut me parler ?
OVIDE.
De ses plus doux secrets, discret dépositaire,
A vous seule en ces lieux le dois les révéler.
SCENE IV.
ERITHIE, OVIDE.
OVIDE.
C’est un aimable mystère
Qui de ses biens charmans assaisonne le prix :
Plus on les a sentis,
Et mieux on fait les taire.
ERITHIE.
J’ignore encor quels sont des biens si doux,
Mais je brûle de m’en instruire.
OVIDE.
Vous l’ignorez ? n’en accusez que vous,
Déjà dans mes regards vous auriez du le lire.
ERITHIE.
Vos regards !....Dans ses yeux quel poison séducteur !
Dieux ! quel trouble confus s’eleve dans mon cœur !
OVIDE.
Trouble charmant, que mon ame partage,
Vous êtes le premier hommage
Que l’aimable Erithie ait offert à l’Amour.
ERITHIE.
L’Amour est donc ce Dieu si redoutable ?
OVIDE.
L’Amour est ce Dieu favorable
Que mon cœur enflamme vous annonce en ce jour ;
Profitons des bienfaits que sa main nous prépare :
Unis par ses liens....
ERITHIE.
Hélas ! on nous sépare !
Du temple de Diane on me commet le soin ;
Tout le peuple d’Ithome en veut être témoin,
Et je dois des ce jour....
OVIDE.
Non, charmante Erithie,
Les peuples même de Scythie
Sont soumis au vainqueur dont nous suivons les loix :
Il faut les attendrir, il faut unir nos voix.
Est-il des cœurs que notre amour ne touche,
S’il s’explique à la fois
Par vos larmes & par ma bouche.
Mais on approche....on vient....Amour, si pour ta gloire
Dans un exil affreux il faut passer mes jours,
De mon encens du moins conserve la mémoire,
A mes tendres accens accorde ton secours.
Scène V.
OVIDE, ERITHIE, troupe de Sarmates.
Celébrons la gloire éclatante
De la Déesse des forets :
Sans soins, sans peine & sans attente
Nous subsistons par ses bienfaits,
Célébrons la Beauté charmante
Qui va la servir désormais :
Que sa main long-tems lui présente
Les offrandes de ses sujets. On danse.
LE CHEF DES SARMATES.
Venez belle Erithie....
OVIDE.
Ah ! daignez m’écouter.
De deux tendres amans différez le supplice :
Ou, si vous achevez ce cruel sacrifice,
Voyez les pleurs que vous m’allez coûter.
Non, elle est promise à Diane :
Nos engagemens sont des loix ;
Qui pourroit être assez profane
Pour priver les Dieux de leurs droits ?
OVIDE ET ERITHIE.
De plus puissant des Dieux nos cœurs sont le partage,
Notre amour est son ouvrage :
Est-il des droits plus sacres ?
Par une injuste violence
Les Dieux ne sont point honores.
Ah ! si votre indifférence
Méprise nos douleurs,
A ce Dieu qui nous assemble
Nous jurons de mourir ensemble
Pour ne plus séparer nos cours.
CŒUR.
Quel sentiment secret vient attendrir nos ames
Pour ces amans infortunes ?
Par l’amour l’un à l’autre ils étoient destines,
Que l’amour couronne leurs flammes !
OVIDE.
Vous comblez mon bonheur, peuple trop généreux.
Quel prix de ce bienfait sera la récompense ?
Puissiez-vous par mes soins, par ma reconnoissance
Apprendre à devenir heureux,
L’amour vous appelle
Ecoutez sa voix ;
Que tout soit fidele
A ses douces loix.
Des biens dont l’usage
Fait le vrai bonheur,
Le plus doux partage
Est un tendre cœur.
TROISIEME ENTREE.
Le théâtre représente le Perystile du Temple de Junon à Samos.
SCENE PREMIERE.
POLYCRATE, ANACREON.
ANACREON.
Le beautés de Samos aux pieds de la Déesse
Par votre ordre aujourdh’ui vont présenter leurs vœux ;
Mais, seigneur, si j’en crois le soupçon qui me presse
Sous ce zele mystérieux
Un soin plus doux vous intéresse.
POLYCRATE.
On ne peut sur la tendresse
Tromper les yeux d’Anacréon.
Oui, le plus doux perchant m’entraîne.
Mais j’ignore à la fois le séjour & le nom
De l’objet qui m’enchaîne.
ANACREON.
Je conçois le détour ;
Parmi tant de beautés vous espérez connoître
Celle dont les attraits ont fixe votre amour ;
Mais cet amour enfin....
POLYCRATE.
Un instant le fit naître :
Ce fut dans ces superbes jeux
Ou mes heureux succès célébrés par ta Lyre....
ANACREON.
Ce jour, il m’en souvient, je devins amoureux
De la jeune Thémire.
POLYCRATE.
Eh ! quoi ? toujours de nouveaux feux ?
ANACREON.
A de beaux yeux aisément mon cœur cede :
Il change de même aisément ;
L’amour à l’amour y succède,
Le goût seul du plaisir y regne constamment.
POLYCRATE.
Bientôt une douce victoire
T’a sans doute asservi son cœur ?
ANACREON.
Ce triomphe manque à ma gloire
Et ce plaisir à mon bonheur,
POLYCRATE.
Mais on vient.....Que d’appas ! Ah ! les cœurs les plus sages
En voyant tant d’attraits doivent craindre des fers.
ANACREON.
Junon, dans ce beau jour les plus tendres hommages
Ne sont pas ceux qui te seront offert.
SCENE II.
POLYCRATE, ANACREON.
Troupe de jeunes Samiennes qui viennent offrir leurs hommages à la Déesse.
HYMNE A JUNON.
Reine des Dieux, Mere de l’Univers ;
Toi par qui tout respire,
Qui combles cet Empire
De tes biens les plus chers,
Junon, vois ces offrandes :
Nos cœurs que tu demandes
Vont te les présenter.
Que mains bienfaisantes
De nos mains innocentes
Daignent les accepter. On danse
Thémire portant une corbeille de fleurs, entre dans le Temple à la tête des jeunes Samiennes.
POLYCRATE appercevant Thémire.
O Bonheur !
ANACREON.
O plaisir extrême !
POLYCRATE.
Quels traits charmans ! Quels regards enchanteurs !
ANACREON.
Ah ! qu’avec grace elle porte ces fleurs !
POLYCRATE.
Ces fleurs ! Que dites-vous ! C’est la beauté que j’aime.
ANACREON.
C’est Thémire elle-même.
POLYCRATE.
Ami trop cher : Rival trop dangereux.
Ah ! que je crains tes redoutables feux !
De mon cœur agite fais cesser le martyre ;
Porte à d’autres appas tes volages desirs.
Laisse-moi goûter les plaisirs
De te chérir toujours & d’adorer Thémire.
ANACREON.
Si ma flamme etoit volontaire
Je l’immolerois à l’instant :
Mais l’amour dans mon cœur n’en est pas moins sincere
Pour n’être pas toujours constant.
La gloire & la grandeur au gré de votre envie,
Vous assurent les plus beaux jours,
Mais que ferois-je de la vie,
Sans les plaisirs, sans les amours ?
POLYCRATE.
Eh ! que te servira ta vaine résistance ?
Ingrat, évite ma présence !
ANACREON.
Vous calmerez cet injuste courroux,
Il est trop peu digne de vous.
SCENE III.
POLYCRATE.
Transports jaloux, tourmens que je déteste.
Ah ! faut-il me livrer à vos tristes fureurs ?
Faut-il toujours qu’une rage funeste,
Inspire avec l’amour la haine & ses horreurs ?
Cruel amour ! ta fatale puissance
Désunit plus de cœurs,
Qu’elle n’en met d’intelligence :
Je vois Thémire. O transports enchanteurs !
SCENE IV.
POLYCRATE, THEMIRE.
POLYCRATE.
Thémire, en vous voyant la résistance est vaine,
Tout cede à vos attraits vainqueurs.
Heureux l’amant dont les tendres ardeurs
Vous seront partager la chaîne
Que vous a tous les cœurs !
THEMIRE.
Je suis les soupirs, les langueurs,
Les soins, les tourmens, les alarmes :
Un plaisir qui coûte des pleurs
Pour moi n’aura jamais de charmes.
POLYCRATE.
C’est un tourment de n’aimer rien.
C’est un tourment affreux d’aimer sans espérance
Mais il est un suprême bien,
C’est de s’aimer d’intelligence.
THEMIRE.
Non, je crains jusqu’aux nœuds assortis par l’amour.
POLYCRATE.
Ah ! connoissez du moins les biens qu’il vous apprête
Vous devez à Junon le reste de ce jour.
Demain une illustre conquête
Vous est promise en ce séjour.
SCENE V.
THEMIRE.
Il me cachoit son rang, je feignois à mon tour.
Polycrate m’offre un hommage
Qui combleroit l’ambition :
Un sort plus doux me flatte davantage,
Et mon cœur en secret chérit Anacréon.
Sur les fleurs d’une aile légere,
On voit voltiger les zéphirs.
Comme eux d’une ardeur passagère
Je voltige sur les plaisirs.
D’une chaîne redoutable,
Je veux préserver mon cœur ;
L’amour m’amuseroit comme un enfant aimable ;
Je le crains comme un fier vainqueur.
SCENE VI.
ANACREON, THEMIRE.
ANACREON.
Belle Thémire, enfin le Roi vous rend les armes,
L’aveu de tous les cœurs autorise le mien :
Si l’amour animoit vos charmes,
Il ne leur manqueroit plus rien.
THEMIRE.
Vous m’annoncez par cette indifférence
Combien le choix vous paroîtroit égal.
Qui voit sans peine un rival
N’est pas loin de l’inconstance.
ANACREON.
Vous faites à flamme une cruelle offense ;
Vous la faites sur-tout à ma sincérité.
En amour même.
Je dis la vérité,
Et quand je n’aime plus, je ne dis plus que j’aime.
THEMIRE.
Quand on sent une ardeur extrême,
On a moins de tranquillité.
ANACREON.
Thémire jugez mieux de ma fidélité.
Ah ! qu’un amant à de folie
D’aimer, de haÏr tour-à-tour :
Ce qu’il donne à la jalousie,
Je le donne tout à l’amour.
THEMIRE.
Je crains ce qu’il en coûte à devenir trop tendre ;
Non, l’amour dans les cœurs cause trop de tourmens.
ANACREON.
Si l’hiver dépare nos champs
Est-ce à Flore de les défendre
S’il est des maux pour les amans.
Est-ce à l’amour qu’il faut s’en prendre ?
Sans la neige & les orages,
Sans les vents & leurs ravages,
Les fleurs naîtroient en tous tems.
Sans la froide indifférence,
Sans la fiere résistance,
Tous les cœurs seroient contens.
THEMIRE.
Vous vous piquez d’être volage,
Si je forme des nœuds, je veux qu’ils soient constans.
ANACREON.
L’excès de mon ardeur est un plus digne hommage
Que la fidélité des vulgaires amans ;
Il vaut mieux aimer davantage,
Et ne pas aimer si long-tems.
THEMIRE.
Non, rien ne peut fixer un amant si volage.
ANACREON.
Non, rien ne peut payer des transports si charmans.
THEMIRE.
Vous séduisez plutôt que de convaincre :
Je vois l’erreur & je me laisse vaincre.
Ah ! trompez-moi long-tems par ces tendes discours ;
L’illusion qui plaît devroit durer toujours.
ANACREON.
C’est en passant votre espérance
Que je pretends vous tromper désormais.
Vous attendrez mon inconstance,
Et ne l’éprouverez jamais.
ENSEMBLE.
Unis par les mêmes desirs,
Unissons mon sort & le votre ;
Toujours fidelles aux plaisirs,
Nous devons l’être l’un à l’autre.
SCENE VI.
POLYCRATE, THEMIRE, ANACREON.
POLYCRATE.
Demeure Anacréon, je suspens mon courroux,
Et veux bien un instant t’égaler à moi-même.
Je n’abuserai point de mon pouvoir suprême ;
Que Thémire décide & choisisse entre nous.
A Thémire. Dites quels sont les nœuds que votre ame préféré,
N’hésitez point à les nommer :
Je jure de confirmer
Le choix que vous allez faire.
THEMIRE.
Je connois tout le prix du bonheur de vous plaire
Si j’osois m’y livrer ; cependant en ce jour,
Seigneur, vous pourriez croire
Que je donne tout à la gloire,
Je veux tout donner à l’amour.
Pardonnez à mon cœur un penchant invincible.
POLYCRATE.
Il suffit. Je cede en ce moment ;
Allez, soyez unis ; je puis être sensible ;
Mais je n’oublierai point ma gloire & mon ferment.
THEMIRE ET ANACREON.
Digne exemple des Rois, dont le cœur équitable
Triomphe de soi-même en couronnant nos feux,
Puisse toujours le ciel prévenir tous vos vœux :
Que votre reine aimable,
Par un bonheur constant à jamais mémorable,
Eternise vos jours heureux.
POLYCRATE A ANACREON.
Commence d’accomplir un si charmant présage ;
Rentre dans ma faveur, ne quitte point ma Cour,
Que l’amitié du moins me dédommage
Des disgrâces de l’amour.
Que tout célébré cette fête ;
L’heureux Anacréon voit combler ses desirs.
Accourez, chantez sa conquête
Comme il a chante vos plaisirs.
SCENE VII.
ANACREON, THEMIRE, Peuples de Samos.
Que tout célébré cette fête
L’heureux Anacréon voit combler ses desirs ;
Accourons, chantons sa conquête
Comme il a chante nos plaisirs. On danse.
ANACREON, alternativement avec le Chœur.
Jeux brillez sans cesse ;
Sans vous la tendresse
Languiroit toujours.
Au plus tendre hommage
Un doux badinage
Prête du secours.
Quand pour plaire aux belles
On voit autour d’elles
Folâtrer l’Amour,
Dans leur cœur le traître
Est bientôt le maître,
Et rit à son tour.