Les Mystères d’Udolphe/6/13

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Traduction par Victorine de Chastenay.
Maradan (6p. 217-221).

CHAPITRE XIII.

Les mariages de Blanche et d’Emilie Saint-Aubert furent célébrés le même jour, au château de Blangy, avec toute la magnificence du temps. Les fêtes furent splendides : on avoit tendu la grande salle d’une tapisserie neuve, qui représentoit Charlemagne et ses douze pairs ; on voyoit les fiers Sarrazins qui s’avançoient à la bataille ; on voyoit tous les enchantemens et le pouvoir magique de Merlin. Les somptueuses bannières de Villeroy, ensevelies long-temps dans la poussière, furent de nouveau déployées, et flottèrent sur les pointes gothiques des fenêtres coloriées. La musique résonnoit de toutes parts, et les échos de la galerie en retentissoient.

Annette regardoit cette salle, dont les arcades et les fenêtres étoient illuminées et décorées de lustres en festons ; elle considéroit la magnificence des parures, les riches livrées des serviteurs, les meubles de velours enrichis d’or ; elle écoutoit les chants de plaisir qui ébranloient la voûte, elle se croyoit dans un palais de fées ; elle assuroit que dans les plus beaux contes, elle n’avoit rien vu de si charmant, et que les lutins eux-mêmes ne faisoient rien de plus beau dans leurs brillantes assemblées. La vieille Dorothée soupiroit, et disoit que l’aspect du château lui rappeloit encore sa jeunesse.

Après avoir orné quelques-unes des fêtes du château, Emilie et Valancourt prirent congé de leurs tendres amis, et retournèrent à la Vallée. La bonne, la fidèle Thérèse les reçut avec une joie sincère. Les ombrages de ce lieu chéri semblèrent, à leur arrivée, leur offrir obligeamment les plus tendres souvenirs. En parcourant ces lieux si long-temps habités par monsieur et madame Saint-Aubert, Emilie montroit avec tendresse les endroits où ils aimoient à reposer, et son bonheur lui sembloit plus doux, en pensant que tous deux ils l’auroient embelli d’un sourire.

Valancourt la mena au platane, où, pour la première fois, il avoit osé lui parler de son amour. Le souvenir des chagrins qu’ensuite il avoit endurés, des malheurs, des dangers qui avoient suivi cette rencontre, augmenta le sentiment de leur félicité actuelle. Sous cet ombrage sacré, et voué pour jamais à la mémoire de Saint-Aubert, ils jurèrent l’un et l’autre de chercher à s’en rendre dignes, en imitant sa douce bienveillance ; en se rappelant que toute espèce de supériorité impose des devoirs à celui qui en jouit  ; en offrant à leurs semblables, outre les consolations et les bienfaits que la prospérité doit tous les jours à l’infortune, l’exemple d’une vie passée dans la reconnoissance envers Dieu, et la constante occupation d’être utile à l’humanité.

Aussitôt après leur retour, le frère de Valancourt vint le féliciter de son mariage, et rendre son hommage à Emilie. Il fut si content d’elle, si heureux de la riante et heureuse perspective que ce mariage offrait à Valancourt, que sur-le-champ il lui remit une partie de son bien ; et comme il n’avoit point d’enfans, il lui assura la totalité de sa succession.

Les biens de Toulouse furent vendus. Emilie racheta de M. Quesnel l’ancien domaine de son père ; elle dota Annette, et l’établit à Epourville, avec Ludovico. Valancourt et elle-même préféroient à toute autre demeure, les ombres chéries de la Vallée ; ils y fixèrent leur résidence ; mais chaque année, par respect pour M. Saint-Aubert, ils allèrent passer quelques mois dans l’habitation où il avoit été élevé.

Emilie pria Valancourt de trouver bon qu’elle remît à M. de Bonnac, le legs qu’elle avoit reçu de la signora Laurentini. Valancourt, quand elle fit cette demande, sentit tout ce qu’elle avoit pour lui d’obligeant. Le château d’Udolphe revenoit aussi à l’épouse de M. de Bonnac, la plus proche parente de cette maison ; et cette famille, long-temps malheureuse, goûta de nouveau l’abondance et la paix.

Oh ! combien il seroit doux de parler long-temps du bonheur de Valancourt et d’Emilie ! de dire avec quelle joie, après avoir souffert l’oppression des méchans et le mépris des foibles, ils furent enfin rendus l’un à l’autre ; avec quel plaisir ils trouvèrent les paysages chéris de leur patrie ! combien il seroit doux de raconter comment, rentrés dans la route qui conduit le plus sûrement au bonheur, tendant sans cesse à la perfection de leur intelligence, ils jouirent des douceurs d’une société éclairée, des plaisirs d’une bienfaisance active, et comment les bosquets de la Vallée redevinrent le séjour de la sagesse et le temple de la félicité domestique !

Puisse-t-il du moins avoir été utile de démontrer que le vice peut quelquefois affliger la vertu ; mais que son pouvoir est passager, et son châtiment certain ! tandis que la vertu froissée par l’injustice, mais appuyée sur la patience, triomphe enfin de l’infortune !

Et si la foible main qui a tracé cette histoire, a pu, par ses tableaux, soulager un moment la tristesse de l’affligé ; si, par sa morale consolante, elle a pu lui apprendre à en supporter le fardeau, ses humbles efforts n’auront pas été vains, et l’auteur aura reçu sa récompense.


FIN.