Les Mystères de Londres/4/04

La bibliothèque libre.
Au Comptoir des imprimeurs unis (9p. 115-147).


IV


UN REVENANT.


White-Manor était vaincu. Son esprit paresseux avait tardé à comprendre, mais il comprenait à la fin la portée véritablement terrifiante de la menace de Lancester. Jusque alors il n’avait vu dans l’action de son frère qu’un suicide, et en avait éprouvé plus de joie que de douleur. Mais ce suicide allait le tuer lui-même, et le tuer après l’avoir rendu infâme aux yeux du monde.

Nul n’ignorait, en effet, la haine invétérée et profonde que se portaient les deux frères, et Brian, tombant d’une fenêtre de la maison du comte en criant pitié, passerait aux yeux de tous pour la victime d’un odieux assassinat.

White-Manor dut capituler. Il promit de signer tout, fût-ce sa ruine complète, et supplia Brian à mains jointes de ne point attenter à sa vie.

Certes, la situation était extraordinaire, et cette terrible eccentricity, connue du fashion de Londres, eût suffit toute seule à mettre en lumière le premier venu, un squire du sud, un lionceau de Birmingham, fabricant de lancettes ou non, un poète gallois, un M. P.[1] ivrogne et rouge, — n’importe qui, — et à lui donner du jour au lendemain une réputation colossale.

M. le vicomte de Lantures-Luces, biographe juré de tous les élus de la mode, en aurait payé la primeur une guinée pour le moins.

De fait, il n’y avait peut-être pas au monde un autre moyen d’amener le comte de White-Manor à une concession aussi exorbitante. Quant à la moralité de l’acte, nous sommes en Angleterre, où l’opinion de Brian, touchant le droit d’aînesse, commence à recruter de nombreux adhérents. Or, une fois cette opinion admise, son argumentation devient inattaquable. Son frère avait joui quinze ans sans partage ; il n’était plus temps de partager.

Contre la loi du plus fort, d’ailleurs, il est de jurisprudence morale que le plus faible a droit de stratagème.

Et puis Brian aimait…

Il referma la croisée avec autant de calme qu’il en avait mis à l’ouvrir, et tendit la main au comte pour l’aider à se relever. Tous deux s’avancèrent vers la table où White-Manor s’assit et traça convulsivement sa signature au bas d’une feuille de papier blanc.

— Tenez, monsieur, dit-il d’une voix éteinte ; me voici désormais à votre discrétion… cela vous suffit-il ?

— Milord, répondit Brian, je préférerais que votre Seigneurie voulût bien écrire au dessus de son seing une obligation en forme.

White-Manor reprit en frémissant la feuille de papier et se mit à la remplir. Tandis qu’il écrivait rapidement, l’une des portes du salon s’ouvrit sans bruit, et Paterson, foulant le tapis avec tout plein de précautions, traversa la pièce en ayant soin de décrire une large courbe autour du fauteuil de Lancester. Il arriva auprès de son maître avant que celui-ci l’eût aperçu, et déposa sur la table, devant ses yeux, un petit carré de papier sur lequel il y avait un nom écrit au crayon.

Le comte n’eut pas plus tôt déchiffré ce nom, qu’il repoussa violemment son fauteuil eh arrière, et regarda effaré autour de soi.

— Les morts reviennent-ils donc ? murmura-t-il avec une sorte d’horreur ; — ou ma tête se perd-elle ?

— Ce gentleman qui a mis son nom sur le papier désire parler sur-le-champ à Votre Seigneurie, dit Gilbert Paterson.

— Est-il vivant ? balbutia White-Manor, sans se rendre compte de ce qu’il disait.

Paterson crut avoir mal entendu et répéta son message. L’agitation de White-Manor atteignait son comble.

— Il faut que je le voie ! dit-il enfin en se levant ; — il faut que je le voie tout de suite… Oh ! que Dieu ait pitié de moi ! Mes idées se troublent… J’ai vu mourir cet homme… Brian, excusez-moi… Cet acte, tel qu’il est, vous suffirait amplement pour me tenir sous vos pieds comme un esclave… Mais je vais revenir, je vais le compléter, me perdre tout à fait… Attendez-moi… Sur mon âme, moi aussi, je me briserai le crâne, mais ce sera pour tout de bon !

Il se tourna vers Gilbert Paterson, qui l’écoutait avec une curiosité étonnée, et ajouta brusquement :

— Où est cet homme ?

— Dans le parloir, milord, répondit l’intendant.

Le comte se dirigea vers la porte d’un pas pressé, que n’avaient point pris ses jambes depuis bien long-temps.

Brian resta seul.

Il attendit un quart d’heure, puis une demi-heure. Le comte ne revenait point. La patience n’était pas la qualité dominante de Lancester. Pour tuer le temps, il s’approcha de la table afin de lire l’acte commencé. Son regard tomba par aventure sur le carré de papier apporté par Gilbert Paterson, et il lut, écrit au crayon en toutes lettres, le nom d’Ismaïl Spencer.

Sa stupéfaction et son trouble furent presque aussi grands que ceux de son frère. Tous ces vagues soupçons, éveillés en lui par le récit de Susannah, se représentèrent soudain à son esprit. Il vit le comte mêlé au drame ténébreux de Goodman’s-Fields ; il voulut s’élancer pour se mettre en tiers dans l’entrevue qui avait lieu tout près de lui. Mais il était trop tard déjà. Le comte reparut à ce moment, souriant et l’air presque joyeux.

— Pardon de vous avoir fait attendre, mon frère, dit-il. Je suis maintenant tout à vous.

Voici ce qui s’était passé dans le parloir.

Le comte, en quittant le salon où il laissait Brian, avait la tête aux trois quarts perdue. Le sacrifice inouï qu’il était forcé de faire, sa colère, tant de fois excitée durant son entretien avec Lancester, et tant de fois refoulée à grand’peine au dedans de lui-même, l’annonce enfin de cette extraordinaire visite d’un homme qu’il avait vu monter sur l’échafaud, vu de ses yeux, et tendre du poids de son corps inerte la fatale corde des suppliciés, tout cela se mêlait confusément en son intelligence frappée, et le jetait dans un état voisin de l’idiotisme.

Il entra dans le parloir l’œil fixe et morne, la bouche ouverte et n’ayant sur le visage d’autre expression qu’une vague épouvante. Gilbert Paterson entra derrière lui.

Mais l’homme qui attendait dans le parloir n’avait pas plus d’envie sans doute que Brian de jouir de la compagnie de maître Paterson ; car sa première parole fut pour lui ordonner de se retirer.

Gilbert hésita et regarda son maître ; mais son maître n’était guère en état d’exprimer sa volonté. La vue du personnage debout au milieu du parloir semblait l’avoir pétrifié ; il s’était laissé tomber sur un siège et fixait droit devant soi des yeux dépourvus de vie.

Tyrrel l’Aveugle réitéra son ordre en fronçant le sourcil. Gilbert n’osa résister et prit la porte en murmurant.

— Eh bien ! White-Manor, dit l’aveugle, je pense que vous ne vous attendiez guère à me revoir ?

— C’est donc bien vous, Spencer ? murmura machinalement le lord.

— En personne par Moïse et le veau d’or, comte !…

White-Manor le parcourut des pieds à la tête d’un regard inquiet et craintif.

— Oh ! vous pouvez me regarder tant que vous voudrez, milord, reprit Tyrrel en déployant la large surface de sa poitrine ; — c’est bien moi… Ismaïl Spencer, votre serviteur très dévoué, qui, grâces en soient rendues au Dieu de Jacob, jouit d’une santé parfaite et se porte aussi solidement qu’âme qui vive.

— Mais… commença le lord.

— C’est ce que tout le monde me dit ! interrompit Tyrrel en roulant un fauteuil vers le comte ; — mais… mais… mais… Je suis devenu quelque chose comme une bête curieuse depuis que j’ai été pendu… Milord, il n’y a rien d’étonnant dans mon affaire, pourtant. Le docteur Moore vint me voir dans ma prison et me pratiqua au bas de la gorge une petite incision, dont il soutint les parois à l’aide d’un tuyau de plume… On appelle cela d’un nom fort bizarre… la pharyngotomie, je crois… Quand la corde me serra le cou, je respirai par dessous la corde, au moyen de mon incision… Mais ceci n’est rien, milord, et le docteur fit mieux que cela. Je vous le donne pour un homme habile… L’incision ne pouvait point, à la rigueur, empêcher la congestion cérébrale. Moore me dit : — Il faudrait que vous eussiez, au moment critique, au moment même, vous entendez bien, et non pas dix minutes auparavant, une forte jouissance, un énergique mouvement de joie. C’était difficile, White-Manor, n’est-ce pas ? Sur la planche même de l’échafaud, en face du cercueil ouvert qui attend votre cadavre, on ne peut guère…

Tyrrel souriait, mais il était pâle.

— Eh bien ! reprit-il avec cynisme, à force de chercher, nous trouvâmes un moyen, Moore et moi, de narguer la potence et de me rendre heureux, la corde au cou… Il y avait un misérable coquin de par le monde, que j’avais traité long-temps en esclave et qui avait fini par me trahir… Roboam, c’était son nom, milord, se repentait amèrement du mal qu’il m’avait fait. J’étais certain que, sur un geste d’appel, il renverserait tout obstacle pour s’approcher de moi… Le docteur me donna un poignard… Au moment suprême j’appelai Roboam qui s’élança vers moi et je le tuai…

Le comte fit un geste d’horreur.

— Cela établit énergiquement la circulation de mon sang, milord, poursuivit Tyrrel. La trappe bascula ; je fus pendu juste au bon moment… Après tout, ce pauvre diable de Roboam m’a été fort utile, comme vous voyez.

— Et qu’est-elle devenue ? demanda tout bas le comte avec une sorte de timidité.

— Elle ?… Ah ! milord, nous parlerons de cela une autre fois… Diable ! l’histoire serait longue et nous entraînerait fort loin…

— Vit-elle encore ? interrompit le comte.

— Si Votre Seigneurie le permet, je lui dirai tout ce qui la concerne, — elle, — en bloc et en un jour… Elle était d’une fort belle santé, vous savez, mais les jeunes filles souvent se fanent tout à coup comme les fleurs…

— Elle est morte, Ismaïl ?

— Vous êtes curieux, White-Manor, dit Tyrrel avec un singulier accent de raillerie, — comme un bon père qui aurait perdu son enfant… Patience !… Aujourd’hui, s’il vous plaît, nous ne nous occuperons point de ces bagatelles… Je suis venu pour autre chose…

— Mais un mot, un seul mot ! insista le comte.

— Elle est morte… commença Tyrrel.

Le comte poussa un soupir équivoque, qui pouvait être pris très bien pour un soupir de soulagement.

— À moins qu’elle ne vive encore, acheva l’aveugle en riant ; — par le dieu d’Abraham, je veux être rependu si j’en sais quelque chose !… Mais parlons raison… Voilà un an, milord, que je me suis fait homme comme il faut. J’honore le West-End de mes visites très fréquentes, et si vous ne viviez pas en ermite, vous eussiez eu le plaisir de me rencontrer plus d’une fois dans nos nobles salons… On m’y connaît sous le nom de sir Edmund Makensie… Un brave gentleman, milord, jouissant d’une fortune honnête, doux, sociable, inoffensif, et ayant eu le malheur de perdre la vue au Lahore, d’où il arrive en ligne directe… car j’avais oublié de vous dire cela, milord : je suis aveugle.

Les yeux de Tyrrel qui, durant la première partie de cet entretien, avaient paru jouir d’une mobilité très ordinaire, se firent tout d’un coup ternes et morts, et gardèrent cette fixité lourde des yeux frappés de cécité. Le comte y fut pris, malgré l’air goguenard dont Tyrrel avait prononcé ces mots : « Je suis aveugle, » et dit par manière d’acquit :

— Je vous plains, Spencer, je vous plains.

— Sir Edmund, s’il vous plaît, milord, répondit lestement le juif, qui fit rouler ses prunelles avec une surprenante agilité. — Quant à votre commisération, je vous en tiens bon compte, mais je n’en ai que faire… ma cécité ne m’empêche pas de voir le triste changement opéré chez Votre Seigneurie…

— Vous n’êtes donc pas aveugle ?

— Il me fallait un masque, milord. — Et puis je ne sais rien de tel que d’être aveugle pour distinguer les choses qui échappent aux plus clairvoyants… Mais revenons à vous… Vrai, White-Manor, vous n’êtes plus que l’ombre de vous-même.

— Je souffre beaucoup ! dit le comte d’un air sombre.

— Cela se voit, milord… et je voudrais parier que ce diable de Brian…

— Brian ! répéta le comte dont les traits se contractèrent ; — il est là… il m’attend !… Ah ! Ismaïl ! Ismaïl ! tu viens de prononcer le nom de mon bourreau.

Tyrrel se frotta les mains.

— Ah ! il est là !… murmura-t-il.

— Tu es déjà bien avant dans les tristes secrets de ma vie, Ismaïl, reprit le lord, dont la tête se penchait sur sa poitrine avec découragement ; — et d’ailleurs, que m’importe de parler ?… cet homme m’a vaincu, m’a ruiné…

— Ruiné ? dit Tyrrel en dressant l’oreille.

— Il vient de me faire signer un acte infâme ! s’écria White-Manor d’un ton plaintif et presque larmoyant, — un acte qui me dépouille et le fait mon héritier de mon vivant.

Tyrrel respira.

— Bah ! fit-il d’un air dégagé. — Après ?

— Que voulez-vous de plus, Spencer ?… Il ne manque à cet acte que quelques lignes. Je suis ruiné.

— Tudieu ! milord, murmura Tyrrel d’une voix basse, mais vibrante, — que vous béniriez Dieu, n’est-ce pas, si votre frère mourait ce soir de mort subite ?

White-Manor cacha sa tête entre ses mains.

— Non !… non !… non !… dit-il par trois fois, les dents serrées par sa rage qui voulait faire explosion ; — c’est un démon d’astuce, Ismaïl… Mes mains sont liées… J’ai peur de sa mort qui jetterait sur ma tête une accusation d’assassinat !…

— Bah ! fit encore Tyrrel ; — à Londres, les morts s’oublient vite… Mais vous aimeriez mieux, peut-être, que Dieu laissât vivre son corps et frappât son esprit de folie !

— Fou ! Brian, fou ! s’écria le comte en élevant les mains avec ardeur ; — oh ! je donnerais la moitié des jours qui me restent !…

— Lieux communs, White-Manor ! interrompit le juif ; — il faut parler mieux et dire en bon anglais : — Je donnerais tant de livres sterling.

— La moitié de ma fortune. Spencer !

— Banalités, milord !… On vous demande un chiffre.

— Je donnerais… Mais c’est moi qui suis fou de vous écouter, Ismaïl !… fou de croire qu’un homme ait le pouvoir de dispenser la démence !… Il faut que je retourne vers Brian, qui s’impatiente peut-être et que j’ai tant sujet de ménager… Si vous ayez quelque chose à me dire, hâtez-vous.

— J’ai à vous dire, milord, que c’est justement pour entretenir Votre Seigneurie de l’Honorable Brian de Lançester que je suis venu ce soir dans Portland-Place. J’avais réellement une affaire à vous proposer… Quant à ma question de tout à l’heure, je n’insiste pas, parce qu’une trop forte somme nécessiterait un contrat, et que vous pourriez vous mettre trop facilement à l’abri derrière Votre inviolabilité de pair, lors même que ma qualité de pendu ne me tiendrait pas les mains liées… Donc, je vous demande purement et simplement quatre mille livres en bank-notes, comptant.

— Pour quoi faire ?

— Pour payer la folie de l’Honorable Brian de Lancester.

Le comte haussa les épaules avec impatience.

— Milord, dit le juif, ce n’est pas un jeu d’enfants. Faites apporter les bank-notes et je m’expliquerai… Je vous parle très sérieusement…

La gravité de Tyrrel fit une certaine impression sur le lord. — L’homme qui se noie, d’ailleurs, n’essaie-t-il pas souvent de s’accrocher au brin d’herbe de la rive, capable à peine de supporter la centième partie du poids de son corps ! — White-Manor, loin d’en appeler à sa raison, tâcha de s’étourdir sur la bizarrerie des ouvertures du juif. Il repoussa la réflexion, et, content de jouer cette chance suprême, si faible qu’elle pût être, il agita une sonnette.

Paterson parut et reçut ordre d’apporter le portefeuille de son maître.

— Milord, reprit le juif lorsqu’il fut de nouveau seul avec le comte et en mettant la main sur les bank-notes étalées devant lui, — un homme jouissant de la plénitude de son bon sens peut être enfermé comme fou… Ce point de départ est fécond et vaut, lui seul, les quatre mille livres.

Le front de White-Manor s’était éclairé.

— C’est vrai, dit-il, mais il faudra du temps.

— Il faut du temps pour tout, milord, — plus ou moins, — ici, nous avons besoin d’une heure.

— Y pensez-vous ?

— J’y pense depuis le coucher du soleil, milord, et je fais mieux que d’y penser, j’agis… À l’heure où je vous parle, l’Honorable Brian de Lancester est déjà sur la route de Bedlam…

— Il est dans mon salon ! interrompit White-Manor qui prit la métaphore au pied de la lettre.

— C’est peut-être que le salon de Votre Seigneurie, murmura-t-il, est une étape sur le chemin de Bedlam… Toujours est-il que je maintiens mon dire. Milord, veuillez m’écouter : ce matin, un maniaque s’est introduit au château royal de Kew et a tiré, dit-on un coup de pistolet à la jeune princesse Victoria.

Le comte se souvint des voix qui s’étaient élancées en bruyant concert dans son salon, au moment où Lancester avait ouvert la fenêtre, et qui, toutes, dissertaient sur ce fait étrange.

— J’ai entendu parler de cela ; répondit-il, et je crois deviner où vous en voulez venir. Mais comment établir que Brian ?…

— L’Honorable Brian s’est chargé de cela tout seul, milord, interrompit Tyrrel, car c’est lui qui s’est introduit ce matin au château de Kew.

— Et qui a tiré sur la princesse ?…

— On n’a pas tiré sur la princesse… mais on a maltraité des gardes, escaladé les murs de la terrasse, — tout cela pour prendre d’assaut la serre japonaise et y cueillir un camélia blanc veiné d’azur…

— Et vous êtes certain que c’était lui ? dit le comte, dont un fougueux espoir venait galvaniser l’inertie.

— Parfaitement certain, milord.

White-Manor se leva vivement.

— Il faut agir ! s’écria-t-il ; — le dénoncer, requérir son arrestation !

— Asseyez-vous, milord, dit Tyrrel. Votre Seigneurie a fait déjà tout ce qu’il fallait faire, et, sur sa requête, douze hommes de police attendent à la porte de cet hôtel.

— Sur ma requête ! balbutia le comte étonné.

— Ceci est un détail, milord, poursuivit le juif ; — le temps pressait, et j’ignorais que Votre Seigneurie fût aussi merveilleusement disposée. Dans le doute, j’ai pris des mesures… Vous savez, White-Manor, que j’imite avec une certaine précision toutes sortes d’écritures… J’ai écrit en votre nom au commissaire de la police métropolitaine ; je lui ai annoncé, avec toute la douleur convenable, que mon bien-aimé frère, l’Honorable Brian de Lancester était fou et que sa folie venait de mettre en danger une personne royale. En conséquence, et pour éviter d’incalculables malheurs, j’ai demandé main-forte.

— Admirable ! s’écria le comte en se précipitant sur la main de Tyrrel qu’il serra entre les siennes avec un véritable transport. — Oh ! je le tiens, cette fois, et, comme lui, je serai sans pitié !… Spencer, mon ami, mon sauveur ! je doublerai la somme, je la triplerai !…

— Je rends grâces à Votre Seigneurie et commence par mettre en poche l’unité, en attendant le double et le triple, dit Tyrrel. Maintenant, allez achever l’acte dont vous parliez tout à l’heure… Dépouillez-vous sans crainte, milord, vous aurez beau jeu contre un pensionnaire de Bedlam… et un pensionnaire au secret ; car je me suis arrangé de façon à ce qu’il soit traité en fou d’importance.

  1. M. P., abréviation inévitable de Membre du Parlement.