Les Mystères de Marseille/Première partie/Chapitre VI

La bibliothèque libre.
Charpentier (p. 31-41).

VI

La chasse aux amours


Alors, ce fut une vraie déroute, une course sans trêve ni repos, une épouvante de toutes les minutes. Poussés à droite et à gauche par leur effroi, croyant sans cesse entendre derrière eux des galops de chevaux, passant les nuits à courir les grands chemins et les jours à trembler dans de sales chambres d’auberge, les fugitifs traversèrent à plusieurs reprises la Provence, allant devant eux et revenant sur leurs pas, ne sachant où trouver une retraite inconnue, perdue au fond de quelque désert.

En quittant Lambesc, par une terrible nuit de mistral, ils montèrent vers Avignon. Ils avaient loué une petite charrette ; le vent aveuglait le cheval. Blanche frissonnait dans sa misérable robe d’indienne. Pour comble de malheur, ils crurent voir de loin, à une porte de la ville, des gendarmes qui regardaient les passants au visage. Effrayés, ils retroussèrent chemin, ils revinrent à Lambesc qu’ils ne firent que traverser.

Arrivés à Aix, ils n’osèrent y rester, ils résolurent de gagner la frontière à tout prix. Là, ils se procureraient un passeport, ils se mettraient en sûreté. Philippe, qui connaissait un pharmacien à Toulon, décida qu’ils passeraient par cette ville. Il espérait que son ami pourrait lui faciliter la fuite.

Le pharmacien, un gros garçon réjoui qui se nommait Jourdan, les reçut à merveille. Il les cacha dans sa propre chambre et leur dit qu’il allait sur-le-champ tâcher de leur procurer un passeport.

Jourdan était sorti, lorsque deux gendarmes se présentèrent.

Blanche faillit s’évanouir. Pâle, assise dans un coin, elle retenait ses sanglots. Philippe, d’une voix étranglée, demanda aux gendarmes ce qu’ils désiraient.

« Êtes-vous le sieur Jourdan ? interrogea l’un d’eux avec une rudesse de mauvais augure.

– Non, répondit le jeune homme. M. Jourdan est sorti, il va rentrer.

– Bien », dit sèchement le gendarme.

Et il s’assit pesamment. Les deux pauvres amoureux n’osaient se regarder ; ils défaillaient, en présence de ces hommes qui venaient sans doute les chercher. Leur supplice dura une grande demi-heure. Enfin, Jourdan rentra. Il pâlit en apercevant les gendarmes, et répondit à leur question avec un trouble inexprimable.

« Veuillez nous suivre, lui dit l’un de ces hommes.

– Mais pourquoi ? demanda-t-il. Qu’ai-je fait ?

– On vous accuse d’avoir triché au jeu, hier soir, dans un cercle. Vous vous expliquerez chez le juge d’instruction. »

Un frisson secoua Jourdan. Il demeura comme foudroyé, et suivit, avec la docilité d’un enfant, les gendarmes qui se retirèrent sans même voir l’épouvante de Blanche et de Philippe. L’histoire de Jourdan, en ce temps-là, fit grand bruit dans Toulon. Mais personne ne connut le drame intime et poignant qui s’était passé chez le pharmacien, le jour de son arrestation.

Ce drame découragea Philippe. Il comprit qu’il était trop faible pour échapper à la police qui le traquait. Puis, maintenant, il n’espérait plus se procurer un passeport, il ne pouvait franchir la frontière. D’ailleurs, il voyait bien que Blanche commençait à se lasser. Il résolut donc de se rapprocher de Marseille et d’attendre, dans les environs de cette ville, que la colère de M. de Cazalis se fût un peu apaisée. Comme tous ceux qui n’ont plus d’espérance, il se sentait par moments des espoirs ridicules de pardon et de bonheur.

Philippe avait à Aix un parent nommé Isnard, qui tenait une boutique de mercerie. Les fugitifs, ne sachant plus à quelle porte frapper, revinrent à Aix, pour demander à Isnard la clef d’un de ses bastidons. La fatalité les poursuivait : ils ne trouvèrent pas le mercier chez lui et furent obligés d’aller se cacher dans une vieille maison du Cours Sextius, chez une cousine du méger de M. de Girousse. Cette femme ne voulait pas les recevoir, craignant qu’on ne lui fît plus tard un crime de son hospitalité. Elle ne céda que devant les promesses de Philippe, qui lui jura de faire exempter son fils du service militaire. Le jeune homme était sans doute dans une heure d’espérance ; il se voyait déjà le neveu d’un député et usait largement de la toute-puissance de son oncle.

Le soir, Isnard vint trouver les amants et leur remit la clef d’un bastidon qu’il avait dans la plaine de Puyricard. Il en possédait deux autres, l’un au Tholonet, l’autre au quartier des Trois-bons-Dieux. Les clefs de ceux-là étaient cachées sous certaines grosses pierres, qu’il leur désigna. Il leur conseilla de ne pas dormir deux nuits de suite sous le même toit et leur promit de faire tous ses efforts pour dépister la police.

Les amants partirent et prirent le chemin qui passe le long de l’hôpital. Le bastidon d’Isnard était situé à droite de Puyricard, entre le village et le chemin de Venelles. C’était une de ces laides petites bâtisses, faites de chaux et de pierres sèches, égayées par des tuiles rouges, il n’y avait qu’une pièce, une sorte d’écurie sale ; des débris de paille traînaient à terre et de grandes toiles d’araignée pendaient du plafond.

Les amants avaient heureusement une couverture. Ils amassèrent les débris de paille dans un coin et étendirent la couverture sur le tas. Ils couchèrent là, au milieu des âcres exhalaisons de l’humidité.

Le lendemain, ils passèrent la journée dans un trou du torrent desséché de la Touloubre. Puis, vers le soir, ils rejoignirent le chemin de Venelles, firent un détour pour éviter de passer dans Aix, et gagnèrent le Tholonet. Ils arrivèrent à onze heures au bastidon que le mercier possédait en dessous de l’oratoire des jésuites.

La maison était plus convenable. Il y avait deux pièces une cuisine et une salle à manger dans laquelle se trouvait un lit de sangle ; les murs étaient couverts de caricatures coupées dans le Charivari, et des liasses d’oignons pendaient des poutres blanchies à la chaux. Les deux amants purent se croire dans un palais.

Au réveil, la peur les prit de nouveau ; ils gravirent la colline et restèrent jusqu’à la nuit dans les gorges des Infernets. À cette époque, les précipices de Jaumegarde gardaient encore toute leur sinistre horreur ; le canal Zola n’avait point troué la montagne, et les promeneurs ne s’aventuraient guère dans cet entonnoir funèbre de rochers rougeâtres. Blanche et Philippe goûtèrent une paix profonde au fond de ce désert, ils se reposèrent longtemps près d’une fontaine qui coule, claire et chantante, d’un bloc de pierres gigantesques.

Avec la nuit revint le cruel souci du coucher, Blanche avait peine à marcher encore, ses pieds meurtris saignaient sur les cailloux pointus et tranchants. Philippe comprit qu’il ne pouvait la conduire plus loin. Il la soutint, et lentement ils montèrent sur le plateau qui domine les Infernets. Là, s’étendent des landes incultes, de vastes champs de cailloux, des terrains vagues creusés de loin en loin par des carrières abandonnées. Rien n’est si étrangement sauvage que ce large paysage aux horizons pelés, tachés çà et là d’une verdure basse et noire ; les rocs, pareils à des membres tordus, percent la terre maigre ; la plaine, comme bossue, semble avoir été frappée de mort, au milieu des convulsions d’une effroyable agonie.

Philippe espérait trouver un trou, une caverne. Il eut la bonne fortune de rencontrer un poste, une de ces logettes dans lesquelles les chasseurs se cachent pour attendre les oiseaux de passage. Il enfonça la porte sans aucun scrupule, il fit asseoir Blanche sur un petit banc qu’il sentit sous sa main. Puis, il alla arracher une grande quantité de thym ; le plateau est couvert de cette humble plante grise dont la senteur âpre monte de toutes les collines de la Provence. Il porta le thym dans le poste, où il l’étala en une sorte de paillasse, sur laquelle il étendit la couverture. Le lit était fait. Et les deux amants, sur cette couche misérable, se donnèrent le baiser du soir. Ah ! que ce baiser contenait de souffrance douce et de volupté amères s’embrassaient avec toutes les fougues de la passion et toutes les colères du désespoir.

L’amour de Philippe était devenu de la rage. Sans cesse obligé de fuir, menacé dans ses rêves de richesse, sous le coup d’un châtiment implacable, le jeune homme se révoltait et apaisait ses révoltes en pressant Blanche entre ses bras, à la briser. Cette enfant, qui s’abandonnait, était pour lui une vengeance ; il la possédait en maître irrité, il la pliait sous ses baisers, se hâtant de satisfaire son cœur tandis qu’il était libre encore. Son orgueil grandissait dans une jouissance infinie. Lui, le fils du peuple, il tenait enfin, sur sa poitrine, une fille de ces hommes puissants et fiers dont les équipages lui avaient parfois jeté de la boue à la face. Et il se rappelait les légendes du pays, les vexations des nobles, le martyre du peuple, toutes les lâchetés de ses pères devant les caprices cruels de la noblesse. Alors il étouffait Blanche d’une caresse plus rude. Il avait fini par goûter une joie amère à la faire courir dans les pierres des chemins. L’angoisse et la fatigue de sa maîtresse la lui rendaient plus chère et plus désirable. Il l’aurait moins aimée dans un salon, en pleine paix. Le soir, lorsque brisée de fatigue, elle tombait à son côté, il l’aimait furieusement.

Les amants avaient passé une nuit folle, dans la saleté du bastidon de Puyricard. Ils étaient là, couchés sur la paille, au milieu des toiles d’araignée, séparés du monde. Autour d’eux, tombait le grand silence des cieux endormis. Ils pouvaient s’aimer en liberté, ils ne tremblaient plus, ils étaient tout à leur amour. Lui n’aurait pas donné sa couche de paille pour un lit royal ; il se disait, avec des transports d’orgueil, qu’il tenait dans une écurie une descendante des Cazalis. Et le lendemain et les jours suivants, quelle jouissance poignante de traîner l’enfant à sa suite, au fond des déserts de Jaumegarde l’emportait avec des délicatesses de père et des violences de bête fauve.

Philippe ne put dormir dans le poste, l’odeur forte du thym, sur lequel il était couché, le rendit comme fou. Il rêva tout éveillé que M. de Cazalis le recevait avec tendresse et qu’on le nommait député en remplacement de son oncle. Par moments, il entendait les soupirs douloureux de Blanche qui sommeillait à son côté, fiévreuse et agitée.

La jeune fille en était arrivée à considérer sa fuite comme un cauchemar plein de plaisirs cuisants. Elle restait, durant le jour, hébétée par la fatigue, elle souriait tristement, elle ne se plaignait jamais. Son inexpérience lui avait fait accepter le départ, et son caractère faible l’empêchait de demander le retour. Elle appartenait corps et âme à cet homme qui l’emportait dans ses bras ; elle eût voulu simplement ne plus tant marcher, elle continuait à croire que son oncle la marierait lorsqu’il serait moins irrité.

Dès le lever du soleil, les fugitifs quittèrent leur couche de thym. Leurs vêtements commençaient à se déchirer terriblement, et ils avaient aux pieds des souliers percés. Dans les fraîcheurs du matin, au milieu des parfums sauvages de cette solitude, ils oublièrent pour une heure leur misère, ils déclarèrent en riant qu’ils avaient une faim atroce.

Alors, Philippe fit rentrer Blanche dans le poste et courut au Tholonet chercher des provisions. Il lui fallut une grande demi-heure. Quand il revint, il trouva la jeune fille effrayée : elle affirmait qu’elle avait vu passer des loups.

La table fut mise sur une large dalle. On eut dit un couple de bohémiens amoureux déjeunant en plein air. Après le déjeuner, ils gagnèrent le centre du plateau, qu’ils ne quittèrent pas de la journée. Ils y goûtèrent peut-être les heures les plus heureuses de leurs amours.

Mais, quand vint le crépuscule, la peur les prit, ils ne voulurent point passer une seconde nuit dans cette solitude. L’air tiède et pur de la colline leur avait donné des espérances, des pensées plus douces.

« Tu es lasse, ma pauvre enfant ? demanda Philippe.

— Oh ! oui, répondit-elle.

— Écoute, nous allons faire une dernière course. Gagnons le bastidon qu’Isnard possède au quartier des Trois-bons-Dieux, et restons là jusqu’à ce que ton oncle nous pardonne ou jusqu’à ce qu’il me fasse arrêter.

— Mon oncle pardonnera.

— Je n’ose te croire… En tout cas, je ne veux plus fuir, tu as besoin de repos. Viens, nous marcherons doucement. »

Ils traversèrent le plateau, s’éloignant des Infernets, laissant à droite le château de Saint-Marc, qu’ils voyaient sur la hauteur. Au bout d’une heure, ils étaient arrivés.

Le bastidon d’Isnard se trouvait situé sur le coteau qui s’étend à gauche de la route de Vauvenargues, lorsqu’on a dépassé le Vallon de Repentance. C’était une petite maison à un étage, en bas, il y avait une pièce, dans laquelle étaient une table boiteuse et trois chaises dépaillées. On montait par une échelle à la chambre du haut, sorte de grenier entièrement nu, où les amants trouvèrent pour tout meuble un mauvais matelas posé sur un tas de foin. Isnard avait charitablement mis un drap de lit au pied du matelas.

L’intention de Philippe était d’aller le lendemain à Aix et de se renseigner sur les dispositions de M. de Cazalis à son égard. Il comprenait qu’il ne pouvait se cacher plus longtemps. Il se coucha, presque paisible, calmé par les bonnes paroles de Blanche qui jugeait les événements avec ses espoirs de jeune fille.

Il y avait vingt jours que les fugitifs couraient les champs. Depuis vingt jours, la gendarmerie battait le pays, les suivant à la piste, faisant parfois fausse route, remise chaque fois dans le bon chemin par quelque circonstance légère. La colère de M. de Cazalis s’était accrue devant toutes ces lenteurs ; son orgueil s’irritait à chaque nouvel obstacle. À Lambesc, les gendarmes s’étaient présentés quelques heures trop tard ; à Toulon, le passage des fugitifs avait seulement été signalé le lendemain de leur retour à Aix ; partout ils s’échappaient comme par miracle. Le député finissait par accuser la police de mauvaise volonté.

On lui affirma enfin que les amants se trouvaient dans les environs d’Aix, et qu’ils allaient être arrêtés. Il accourut à Aix, il voulut assister aux recherches.

La femme du cours Sextius, qui les avait hébergés pendant quelques heures, fut prise de terreur. Pour ne pas être accusée de complicité, elle conta tout, elle dit qu’ils devaient être cachés dans un des bastidons d’Isnard.

Isnard, interrogé, nia tranquillement. Il déclara qu’il n’avait pas vu son parent depuis plusieurs mois. Ceci se passait à l’heure même où Philippe et Blanche entraient dans le bastidon du quartier des Trois-bons-Dieux. Le mercier ne put avertir les amants pendant la nuit. Le lendemain, à cinq heures, un commissaire de police frappait à sa porte et lui annonçait qu’une perquisition allait être faite chez lui et dans ses trois propriétés.

M. de Cazalis resta à Aix, déclarant qu’il craignait de tuer le séducteur de sa nièce, si jamais il se rencontrait face à face avec lui. Les agents qui s’étaient chargés de visiter le bastidon de Puyricard, trouvèrent le nid vide. Isnard offrit obligeamment de conduire deux gendarmes à sa campagne du Tholonet, se doutant qu’il ferait une promenade inutile. Le commissaire de police, accompagné également de deux gendarmes, se dirigea vers les Trois-bons-Dieux. Il avait emmené un serrurier avec lui, Isnard ayant répondu vaguement que la clef de la maison était cachée sous une pierre, à droite de la porte.

Il était environ six heures, lorsque le commissaire arriva devant la campagne. Toutes les ouvertures étaient closes, aucun bruit ne venait de l’intérieur. Il s’avança et, d’une voix haute, frappant du poing le bois de la porte :

« Au nom de la loi, ouvrez ! » cria-t-il.

L’écho seul répondit. Rien ne bougea. Au bout de quelques minutes, se tournant vers le serrurier :

« Crochetez la porte », reprit le commissaire.

Le serrurier se mit à l’œuvre. On entendit dans le silence le grincement du fer. Alors, le volet d’une fenêtre s’ouvrit violemment, et, au milieu des clartés blondes du soleil levant le cou et les bras nus, apparut Philippe Cayol, dédaigneux et irrité.

« Que voulez-vous ? » dit-il, en s’accoudant sur l’appui de la fenêtre.

Au premier coup frappé par le commissaire, les amants s’étaient réveillés. Assis tous deux sur le matelas, dans les frissons du réveil, ils avaient écouté avec anxiété le bruit des voix.

Le cri : « Au nom de la loi ! », ce cri qui retentit terrible aux oreilles des coupables avait frappé le jeune homme en pleine poitrine. Il s’était levé, frémissant, éperdu, ne sachant que faire. La jeune fille, accroupie, enveloppée dans le drap, les yeux encore gros de sommeil, pleurait de honte et de désespoir.

Philippe comprenait que tout était fini et qu’il n’avait plus qu’à se rendre. Et une sourde révolte montait en lui. Ainsi ses rêves étaient morts, il ne serait jamais le mari de Blanche, il avait enlevé une héritière pour être jeté en prison : au dénouement, au lieu de l’heureuse existence qu’il avait rêvée, il trouvait un cachot. Alors une pensée de lâcheté lui vint : il songeait à laisser là sa maîtresse et à s’enfuir du côté de Vauvenargues, dans les gorges de Sainte-Victoire ; peut-être pourrait-il s’échapper par une fenêtre donnant sur le derrière du bastidon. Il se pencha vers Blanche, et, en balbutiant, à voix basse, il lui dit son projet. La jeune fille que les sanglots étouffaient, ne l’entendit pas, ne le comprit pas. Il vit avec angoisse qu’elle n’était pas en état de protéger sa fuite.

À ce moment, il entendit le bruit sec des crochets que le serrurier introduisait dans la serrure. Le drame poignant qui venait de se passer dans cette chambre nue, avait duré au plus une minute.

Il se sentit perdu, et son orgueil irrité lui rendit le courage. S’il avait eu des armes, il se serait défendu. Puis, il se dit qu’il n’était point un ravisseur, que Blanche l’avait suivi volontairement, et qu’après tout la honte n’était pas pour lui. C’est alors qu’il poussa le volet avec colère, demandant ce qu’on lui voulait.

« Ouvrez-nous la porte, commanda le commissaire. Nous vous dirons ensuite ce que nous désirons. »

Philippe descendit et ouvrit la porte.

« Êtes-vous le sieur Philippe Cayol ? reprit le commissaire.

– Oui, répondit le jeune homme avec force.

– Alors, je vous arrête comme coupable de rapt. Vous avez enlevé une jeune fille de moins de seize ans, qui doit être cachée avec vous. »

Philippe eut un sourire.

« Mlle Blanche de Cazalis est en haut, dit-il, elle pourra déclarer s’il y a eu violence de ma part. Je ne sais ce que vous voulez dire en parlant de rapt. Je devais, aujourd’hui même, aller me jeter aux genoux de M. de Cazalis et lui demander la main de sa nièce. »

Blanche, pâle et frissonnante, venait de descendre l’échelle. Elle s’était habillée à la hâte.

« Mademoiselle, lui dit le commissaire, j’ai ordre de vous ramener auprès de votre oncle qui vous attend à Aix. Il est dans les larmes.

– J’ai un grand chagrin d’avoir mécontenté mon oncle, répondit Blanche avec une certaine fermeté. Mais il ne faut point accuser M. Cayol, que j’ai suivi de mon plein gré. »

Et, se tournant vers le jeune homme, émue, près de sangloter encore :

« Espérez, Philippe, continua-t-elle, je vous aime et je supplierai mon oncle d’être bon pour nous. Notre séparation ne durera que quelques jours. »

Philippe la regardait d’un air triste, secouant la tête.

« Vous êtes une enfant peureuse et faible », répondit-il lentement.

Puis, il ajouta d’un ton âpre :

« Souvenez-vous seulement que vous m’appartenez… Si vous m’abandonnez, à chaque heure de votre vie vous me trouverez en vous, vous sentirez toujours sur vos lèvres la brûlure de mes baisers, et ce sera là votre châtiment. »

Elle pleurait.

« Aimez-moi bien, comme je vous aime moi-même », reprit-il d’une voix plus douce.

Le commissaire fit monter Blanche dans une voiture qu’il avait envoyé chercher, et la reconduisit à Aix, tandis que deux agents emmenaient Philippe et allaient l’écrouer dans la prison de cette ville.