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Les Mystères du confessionnal/Épilogue/03

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Imprimerie E.-J. Carlier (p. 127-129).



ABBESSES CONFESSEUSES
LES COLOMBES DE LESBOS


À l’origine du christianisme, les fidèles élisaient des prêtres et des prêtresses. L’Église a maintenu les femmes dans l’exercice des fonctions sacerdotales durant plusieurs siècles ; elles célébraient la pâque, elles enseignaient, elles dogmatisaient. Beaucoup ont mérité d’être signalées comme doctoresses du plus grand mérite. Elles confessaient les fidèles au même titre que les prêtres, et particulièrement les autres femmes ; mais la confession n’avait pas alors le caractère de sacrement. Les chrétiens qui avaient des doutes sur certains points de religion ou qui éprouvaient des hésitations sur une opinion à adopter, ou qui craignaient d’avoir contrevenu aux commandements de Dieu, s’adressaient aux prêtres pour en obtenir des conseils, des enseignements, des consolations ; ces rapports n’avaient pas un caractère défini ou obligatoire.

On était libre de faire les confidences aux prêtresses, comme aux prêtres, et même à des personnes qui n’étaient pas engagées dans les ordres sacrés. Les laïques avaient, aussi bien que les ecclésiastiques et les prêtresses ou les abbesses, le droit d’imposer les mains, de donner la bénédiction ou l’absolution à ceux et à celles qui avaient commis des péchés, leur en faisaient l’aveu, et se repentaient. La contrition était même la seule condition qui fût indispensable pour être réconcilié avec Dieu ; les chevaliers, au moyen âge, blessés sur un champ de bataille, piquaient leur épée en terre, s’agenouillaient devant la poignée qui avait la forme d’une croix et se confessaient à leur épée. Confession valable, suivant l’Église, s’il y avait contrition, repentance.

Le sire de Joinville, dans ses Mémoires, qui sont du XIIIe siècle, raconte que le connétable de Chypre, lors de l’expédition de Palestine, se confessa à lui et qu’il lui donna l’absolution, comme il en avait le droit. Le bon sire de Joinville, ami et confident du roi Louis IX, était un homme d’armes et n’appartenait à aucun ordre religieux.

Saint Thomas dit en termes formels, dans la Somme (IIIe partie, p. 255) : Confessio ex defectu sacerdotis, laïco facta, sacramentalis est quodam modo. La confession faite à un laïque, à défaut d’un prêtre, est en quelque sorte sacramentelle.

Mabillon, dans la vie qu’il a écrite de Saint-Burgandofare (chap. VIII et XIII), dit que, de son temps, les religieuses se confessaient à leur abbesse, et qu’elles ne leur celaient aucuns de leurs péchés, si graves qu’ils fussent. La règle d’un inconnu, qui fait autorité dans le monde catholique, reproduit la même affirmation.

La règle de Saint Donat (chap. XXIII) enjoint aux religieuses de faire trois fois par jour l’aveu de leurs fautes à leur supérieure.

Cette coutume avait donné lieu, sans nul doute, à de grands abus, puisque, du temps de Charlemagne, on songeait à enlever le droit de confession aux abbesses. On lit dans les Capitulaires (1-76) qu’on doit défendre aux abbesses de donner la bénédiction et d’imposer les mains, c’est-à-dire absoudre.

Ce droit de confession a été tour à tour reconnu, contesté, dénié ou toléré, suivant les temps et les pays dans la religion catholique.

Un patriarche d’Alexandrie, le célèbre Marc, écrit à Balzamon une lettre qui nous a été conservée, dans laquelle il lui demande si on doit autoriser les abbesses à entendre leurs religieuses en confession ; le canoniste grec se prononce pour la négative et répond au patriarche que ce droit ne peut leur être accordé sans transgresser la loi de l’Église.

Innocent III, le pape qui a fait de la confession un sacrement, une obligation, de volontaire et facultative qu’elle était avant lui, s’est également prononcé contre le droit des abbesses à recevoir les confessions. Il enjoint aux évêques de Valence et de Burgos, villes d’Espagne, de défendre aux abbesses des couvents de leurs diocèses, de bénir, de confesser leurs religieuses et de prêcher publiquement dans les églises ou les chapelles des couvents. Le pontife justifie sa défense en rappelant que Notre Seigneur Jésus-Christ a confié les clés du royaume des cieux à l’un de ses apôtres, et non à la bienheureuse vierge Marie, sa mère, quoiqu’elle fût supérieure en dignité et en mérite à saint Pierre et à tous les apôtres.

Saint Basile est d’avis tout opposé à celui du saint père sur la question de la confession entre femmes. On lit dans les règles de l’ordre du saint (tome II, p. 453), que les abbesses ont toute autorité pour confesser leurs religieuses conjointement avec un prêtre.

Le père Martène, dans les Rites de l’Église (t. II, p. 39), dit expressément que les abbesses furent en possession du droit de confesser leurs nonnes pendant des siècles, mais que beaucoup d’entre elles se montrèrent si curieuses dans l’exercice de ces fonctions, qu’on fût obligé de leur enlever ce droit. Le bon père ne s’explique pas autrement sur le compte des abbesses confesseuses ; il se contente d’arguer d’une extrême curiosité dont elles étaient possédées, pour justifier le retrait de la faculté attachée à leur dignité, celle d’entendre les nonnes au tribunal de la pénitence, de les bénir, de les absoudre de leurs péchés.

Mais d’autres écrivains, moins circonspects que le père Martène ou mieux instruits sur la véritable cause de cette réforme, ont donné le motif de cette importante mesure, et ce motif qu’il est aisé de pressentir, c’est la profonde dépravation de beaucoup d’abbesses, dépravation amenée par l’habitude de la confession. Par suite de cette corruption dans les mœurs, un grand nombre de couvents de femmes étaient devenus de véritables harems où trônait une sorte de sultan femelle, en béguin, au milieu de ses odalisques. Abomination de la désolation ! ni prêtres, ni moines, ni évêques ne pouvaient pénétrer dans les enceintes sacrées où règnaient ces abbesses, jalouses jusqu’à la fureur du joli troupeau qu’elles avaient en garde et dont elles usaient de la plus étrange manière. La pratique de la confession avait conduit les abbesses à de honteuses habitudes, avait perverti, démoralisé les prêtresses comme elle avait corrompu les prêtres. Confesseurs et confesseuses, « sépulcres blanchis au dehors et pleins de pourriture au dedans. »

Les écrivains du temps passé s’accordent, dans leurs relations, pour blâmer les désordres qui existaient dans les couvents de femmes ; ils flétrissent des épithètes les plus dures les religieuses et les abbesses de cette époque, ils les chargent de malédictions pour la grande corruption dont elles faisaient montre, ils les nomment paillardes et ribaudes, tribades et lesbiennes, nymphes et bacchantes, ils les accusent de pratiquer entre elles toute sorte de débauches.

De telles affirmations corroborées par des enquêtes, par des preuves irrécusables, démontrent que la confession pratiquée par les hommes ou par les femmes est mauvaise en soi, détestable dans ses conséquences et qu’elle a justement encouru la réprobation des libres penseurs, des hommes de progrès, de ceux et de celles que n’aveuglent pas les préjugés religieux.

La confession, exercée par les curés, les moines, les jésuites, le clergé régulier ou séculier, a enfanté des monstres et semé le monde de crimes horribles ; la confession, exercée par les abbesses, a changé l’ordre de la nature, créé les tribades, poussé des femmes à des passions insensées, à des débauches sans nom, à des saturnales où elles figuraient sans le secours de l’autre sexe !…

Le culte de Lesbos était en honneur dans les monastères de femmes et dans presque tous les moustiers ; les religieuses brûlaient de feux impurs, s’aimaient entre elles, s’abandonnaient à toute sorte d’impudicités…… Jetons un voile discret sur toutes les pratiques monacales, sur ces turpitudes.

Les mœurs des couvents de femmes se sont-elles améliorées depuis le moyen âge ?

Voici notre réponse : Si l’état actuel de la civilisation ne comporte pas les scandales, les débordements du bon vieux temps, il n’en est pas moins vrai que les mêmes causes doivent produire les mêmes effets. Or, dans beaucoup de couvents de femmes des pays catholiques, en France, en Espagne, en Italie, en Belgique, en Autriche et ailleurs, la supérieure, l’abbesse, exerce encore les fonctions sacerdotales, elle bénit, elle confesse ses religieuses, elle les punit ou les récompense, selon son bon plaisir, elle les reçoit dans son oratoire, dans sa cellule, de jour ou de nuit, elle y demeure renfermée avec elles, et nul œil indiscret, nulle oreille curieuse, ne peut voir ou entendre ce que font ou disent les belles pécheresses et la mère abbesse. Mais, nous pouvons dire et affirmer, nous qui avons reçu les aveux et les confidences des religieuses au tribunal de la pénitence, qu’il n’existe pas ou presque pas de couvent de femmes où il n’y ait des colombes de Lesbos, abbesses confesseuses et amoureuses de jeunes nonnains, tribades et ménades, nymphes, bacchantes et hamadryades. La confession doit être retirée aux femmes de même qu’aux hommes ; elle doit être supprimée, abolie sous toutes les formes.

« En Toscane, l’abus dont il s’agit, le péché de luxure entre religieuses, a été signalé dans de nombreux documents recueillis sous le gouvernement du grand-duc Léopold, et qui, se trouvant entre les mains de la famille de Ricci, ont été communiqués par elle à un écrivain belge, De Potter, qui les a reproduits dans l’ouvrage intitulé : Vie de Scipion de Ricci, évêque de Pistoie et de Prato (Bruxelles, 1825, 3 vol. in-8o). » Le libertinage monacal, introduit dans les couvents de filles, en Toscane, au moyen de la confession, remontait à une époque bien antérieure au règne de Léopold. Il y avait alors plus d’un siècle et demi que le relâchement des Dominicains avait excité le blâme et les murmures publics. La direction spirituelle que les moines avaient à l’égard des religieuses, était une source de scandales qu’entretenaient et que fomentaient l’intérêt, la dissipation et le libertinage. On trouve, sous la date de 1642, une pétition adressée au grand-duc, signée par le gonfalonnier et plusieurs autres personnes notables de Pistoie, au nombre de 194. On y demandait au souverain d’apporter un prompt remède à l’indécente conduite que tenaient les moines confesseurs dans le couvent de Sainte-Catherine et de Sainte-Lucie. On étouffa cette affaire, sans en laisser aucune trace, pour ne pas compromettre les premières familles de la noblesse, auxquelles appartenaient les religieuses signalées dans la pétition.

« Ce genre de désordre, parvenu à l’excès sous Léopold, fut reconnu au moyen des enquêtes ordonnées par ce prince, d’après la dénonciation de deux religieuses du couvent de Sainte-Catherine de Pistoie qui le priaient de les soustraire aux exécrables principes professés par ces moines, leurs directeurs.

« On apprit ainsi que les moines mangeaient et buvaient avec les religieuses qu’ils choisissaient pour leurs maîtresses, qu’ils dormaient avec elles dans leurs cellules privées. La plupart des filles se privaient de tout leur argent et de tous leurs effets, et se dépouillaient même de ce qui leur était nécessaire à la vie, pour enrichir leurs amants. Je n’avance rien, dit Ricci, dont je n’aie des preuves.

« Il fait encore observer que les moines étaient dans l’usage de coucher dans le dortoir des religieuses, et que cette pratique était observée depuis longtemps par les prieurs et les confesseurs des nonnes.

« L’enquête ordonnée par Léopold dut rendre le scandale public, en forçant plusieurs personnes à révéler les plus infâmes iniquités, autorisées par les confesseurs et les supérieurs des Dominicains. Léopold fit interroger toutes les religieuses par le lieutenant de police, et défendit aux moines, sous peine de prison, d’approcher des monastères, à cause de la conduite dépravée de tous ceux qui remplissaient les emplois de prieurs et de confesseurs. On découvrit que la corruption avait été propagée par les moines dans les couvents de Florence, de Prato, de Pise, de Sienne, de Faenza, etc.

« Cette enquête révéla des faits d’une immoralité monstrueuse et dans lesquels la dévotion servait à autoriser tous les genres de débauche. Ainsi, une religieuse déclara que la sœur Buonamici lui avait dit, pour la séduire, et sous prétexte de la mettre dans la perfection, qu’elle avait eu commerce avec Jésus-Christ comme homme, qu’elle avait bu du lait de la sainte Vierge, et qu’elle avait joui du plaisir du Paradis dans les bras de plusieurs de leurs compagnes, novices de la communauté.

« La mère Dragoni déclara qu’elle avait été sollicitée à commettre des actions indécentes par les sœurs Buonamici et Spieghi ; qu’elles entraient par surprise dans sa cellule, se livraient devant elles, entièrement nues, à tous les genres de lubricité, et qu’elles la firent tomber plusieurs fois en péché de luxure. Elle déclara encore que la sœur Buonamici s’était présentée devant elle pour la prier de lui procurer les moyens de s’unir avec Dieu, et lui avait déclaré en même temps que ces moyens étaient · la copulation charnelle, et qu’elle lui avait indiqué, comme étant propre à l’assister dans cet acte, le confesseur qui était le P. Gamberani, parce que la chose devait se faire avec un prêtre.

« La sœur Buonamici avoua qu’elle enseignait aux religieuses que les actes impudiques auxquels elle les dressait, à la manière des femmes de Lesbos, étaient vertueux et propres à faire avancer dans les voies de la perfection. Toutes ces nonnes abusaient de leur sexe entre elles ; tribades effrénées se livrant à toutes les voluptés et obscénités ; embrassements impurs ; enlacements de femmes nues.