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Les Mystères du confessionnal/Épilogue/05

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Imprimerie E.-J. Carlier (p. 131-135).



Catéchisme à l’usage des Jésuites



« En établissant des maximes de morale douces, flexibles, commodes, complaisantes aux passions, aux vices, aux péchés, le plus grand nombre des hommes et des femmes de tous les rangs, de toutes les catégories de la société, nous choisiront pour confesseurs, nous livreront la direction de leur conscience…… Or, diriger les âmes des créatures, c’est s’assurer l’empire du monde…… ad majorem Dei gloriam ! pour la plus grande gloire de Dieu ! et au profit de la compagnie de Jésus. »

Telle est la doctrine enseignée par Ignace de Loyola, fondateur de l’ordre.

En voici l’application :

Un pénitent engagé dans les ordres sacrés, curé, moine, chanoine ou évêque, se présente au confessionnal des Jésuites. Mon père, je m’accuse d’avoir quitté l’habit ecclésiastique et de m’être vêtu en laïque, bien que je connaisse la défense de mes supérieurs et les saints canons de l’Église qui interdisent, sous peine d’excommunication, de quitter l’habit religieux, ne fût-ce que pour un instant.

Le confesseur jésuite. Mon fils, distinguons : si vous avez quitté le vêtement ecclésiastique, afin de ne pas le souiller par une action honteuse, telle que d’aller filouter dans une maison de jeu, de courir les caboulots, ou pour faire une partie de débauches avec des filles publiques, vous avez obéi à un sentiment de vergogne, fort respectable, et vous n’avez pas encouru pour ce fait l’excommunication.

Un député, ami de la religion, de la famille et de la propriété, s’approche à son tour du tribunal de la pénitence. Mon père, je m’accuse d’avoir désiré la mort de ma mère et celle de mon père, afin de me trouver libéré d’une pension viagère que je leur paie en retour des biens qu’ils m’ont abandonnés, et pour entrer en possession de leurs autres richesses.

Le confesseur. Mon fils, un propriétaire peut, sans péché, désirer la mort de ceux qui ont à prélever une pension sur les revenus de ses domaines ; en cela, ce n’est pas la mort de ses créanciers qu’il souhaite, mais la libération de sa dette. Quant à la pensée parricide dont vous vous accusez, ce serait un véritable péché mortel si vous aviez eu en vue la mort de vos parents par malice ou méchanceté ; mais comme elle résulte simplement d’une impatience naturelle de vous trouver en possession de leur héritage, vous n’avez pas même péché véniellement.

Un grave magistrat se présente au sacré guichet. Mon père, je m’accuse d’hypocrisie ; je suis un homme de robe, attaché au tribunal de cette ville ; je ne crois à rien en fait de religion, ni à Dieu ni à diable, ni à la vierge Marie ni aux saints, ni à l’ancien ni au nouveau Testament ; cependant je pratique, je vais à la messe et aux vêpres, je me confesse et je communie fort régulièrement aux grandes fêtes de l’année. En me posant en parfait chrétien, en affichant des sentiments, des croyances qui ne sont pas dans mon cœur, je compte attirer la considération des autres hommes sur moi et préparer les voies à mon élévation.

Le confesseur. Mon fils, l’hypocrisie est un hommage rendu à la vertu, l’hypocrisie n’est donc pas chose mauvaise en soi, mais elle peut être répréhensible suivant l’usage qu’on en fait et le but qu’on se propose. Or, pour le cas actuel que je suis appelé à juger, je déclare qu’il rentre tout à fait dans une heureuse application. En effet, votre hypocrisie sert la religion, en même temps que votre intérêt personnel. Vous seriez réellement coupable si, mettant à découvert votre incrédulité et le mépris que vous faites de nos saints mystères, vous cherchiez à établir votre réputation et à fonder votre influence sur les esprits par l’étalage de vos opinions hostiles à la religion. Comme vous agissez autrement, je ne puis blâmer votre hypocrisie ; bien plus, je dois vous encourager à y persévérer, et je crois pouvoir vous affirmer que Dieu vous tiendra compte du bien qui en résulte pour la sainte cause et contribuera à réaliser les rêves de votre ambition.

Un grand laquais, en livrée, s’avance humblement, s’agenouille, et commence sa confession. Mon père, je suis valet de grande maison, je m’accuse de deux gros péchés : j’ai servi d’entremetteur à mon maître dans ses amours, et, à plusieurs reprises, j’ai commis des larcins en argent, en bijoux, et en toute sorte d’objets.

Le confesseur. Mon fils, en aidant votre maître dans ses intrigues, en portant ses lettres à des maîtresses, en faisant le guet à leur porte pour veiller à ce qu’il ne soit pas surpris par un mari ou un père ou un frère ou un autre galant, vous n’avez fait qu’obéir à la volonté d’un autre ; vous n’avez pas péché. Quant aux vols dont vous vous accusez, il convient d’examiner s’ils n’ont pas eu pour conséquence la réparation du préjudice que vous aurait causé votre maître, en vous attribuant des gages trop minimes que vous avez été contraint d’accepter ; dans ce cas, les larcins étaient licites et il n’y a pas lieu de vous en blâmer.

Un autre pénitent remplace le laquais au confessionnal ; c’est un solide gaillard, d’une tenue irréprochable, à bottes vernies, à moustaches en crocs et cirées, un chevalier de la légion d’honneur. Mon père, je suis homme de lettres et, de plus, spadassin, duelliste ; on me nomme le roi des drôles ; d’aucuns s’imaginent qu’ils m’outragent en m’appelant « le drôle des rois » parce que je me bats en duel pour ceux qui me paient, roi constitutionnel ou empereur absolu. Je m’accuse d’avoir couché sur le terrain plusieurs de mes adversaires, les uns tués, les autres fort éclopés.

Le confesseur. Mon fils, si vous avez cédé, en vous battant, non pas à une pensée homicide, mais au besoin légitime de venger l’honneur de ceux qui vous payaient ou pour soutenir votre honneur personnel, vous n’avez pas péché, ou, tout au plus, auriez-vous péché véniellement.

Un vieux diplomate au tribunal de la pénitence. Mon père, je m’accuse d’avoir fait tuer traitreusement plusieurs de mes ennemis, n’osant pas les attaquer en face ; j’ai été homicide et lâche.

Le confesseur. Mon fils, distinguons : si vous avez fait commettre des homicides non en vue du meurtre, mais pour vous débarrasser de vos ennemis et pour échapper au danger qu’ils vous auraient fait courir, vous n’avez pas péché, car — dans ce cas — il est licite de faire tuer ou de tuer ses ennemis en guet-apens ou autrement.

Un juge succède au diplomate dans le confessionnal. Mon père, je suis un misérable pécheur, un juge prévaricateur ; j’ai vendu la justice, j’ai accepté une grosse somme d’argent pour rendre un arrêt en faveur d’un homme riche qui avait intenté un procès injuste à une honnête famille.

Le confesseur. Mon fils, la sentence que vous avez rendue avait pour objet le lucre qu’elle devait vous procurer et non point l’iniquité ; s’il y a péché, il est véniel et je vous en absous.

Un banquier, usurier, maltôtier, un de ces manieurs d’argent qu’on appelle « sangsues publiques. » Mon père, je m’accuse d’avoir prêté, maintes fois, des sommes d’argent à de gros intérêts, et d’avoir ainsi contribué à la ruine de beaucoup de gens.

Le confesseur. Mon fils, les textes des livres saints corroborés par les Pères de l’Église interdisent le prêt à usure. Mais ils ne défendent pas aux riches d’acheter à bas prix les héritages des familles, les terres, les maisons, les denrées, les marchandises des gens qui se trouvent dans la gêne, ni de les revendre avec un honnête profit, au prix le plus élevé possible, ni de louer avantageusement les immeubles. Ils ne considèrent pas comme péché le bénéfice résultant d’un commerce ni le don accordé par le prêteur à la personne qui lui a rendu service. Donc, si quelqu’un vous demande une somme à titre de prêt, répondez que vous n’avez pas d’argent à prêter, mais à placer à bénéfice en quelque marchandise que ce soit ; qu’en conséquence, si on veut vous garantir le remboursement de la somme et en plus un bénéfice certain, vous consentirez à confier votre argent. » Vous serez alors en repos avec votre conscience, car vous n’aurez point fait, à proprement parler, un prêt, mais une opération mercantile. Enfin, si — à vos yeux — l’intérêt que vous avez perçu pour de véritables prêts, quelqu’élevé qu’il soit, a été une marque de gratitude de la part de l’emprunteur, il n’y a pas eu péché.

Un négociant banqueroutier et millionnaire. Mon père, je m’accuse d’avoir conservé de grosses sommes soustraites à mes créanciers, dans les différentes faillites que j’ai faites, et d’avoir édifié ma fortune sur le bien d’autrui.

Le confesseur. Mon fils, il y aurait péché si vous aviez agi ainsi par cupidité, mais si vous avez voulu simplement conserver à vous et à votre famille une certaine aisance et même le luxe auquel vous étiez habitué, il n’y a pas même à vous adresser un blâme.

Une femme, dite du monde, pénètre dans l’armoire à secrets. Mon père, je m’accuse d’être tombée un grand nombre de fois dans le péché d’adultère, et d’avoir spéculé sur l’amour des hommes. La fortune que je possède aujourd’hui provient presqu’uniquement des générosités de mes amants. Puis-je conserver les richesses acquises dans le péché en toute sûreté de conscience ?

Le confesseur. Les biens que vous possédez et qui ont été le prix de la prostitution et de l’adultère ont une source illégitime, mais aucune loi divine ou humaine n’en contrarie la possession ; vous pouvez donc conserver et user de vos richesses sans péché ni trouble de conscience.

Un ancien ministre de la monarchie, concussionnaire, voleur, prévaricateur. Mon père, je m’accuse d’avoir puisé dans les caisses de l’État dont j’étais constitué le gardien et d’y avoir pris des sommes considérables.

Le confesseur. Mon fils, c’est un grave péché que le vol, à moins qu’on n’y soit amené par une extrême nécessité, ou pour des motifs importants, par exemple, pour aider à l’établissement de ses enfants, au mariage de ses filles, ou même pour maintenir une grande position dans le monde. Suivant ces différents cas, le péché perd de sa gravité et devient excusable.

Un propriétaire immensément riche et aussi égoïste que riche. Mon père, je ne pratique point la charité, je ne donne rien aux pauvres ; tous mes revenus servent à mes jouissances personnelles, sont employés à soutenir mon luxe qui est devenu un besoin pour moi et dont je ne saurais rien retrancher.

Le confesseur. Mon fils, la charité est un devoir chrétien ; cependant, si le superflu et le luxe vous sont devenus nécessaires, vous n’êtes point tenu à vous priver d’aucune des choses que vous regardez comme indispensables au bonheur de votre existence, et vous ne péchez pas contre la charité en ne donnant rien aux infortunés.

Un dignitaire de la Cour du souverain d’un état monarchique. Mon père, je m’accuse d’homicide ; j’ai versé jour par jour quelques gouttes d’un breuvage empoisonné à différents membres de ma famille ; j’ai tué de cette manière ceux dont je convoitais l’héritage. Actuellement, cédant au poids des remords, je viens vous demander si je ne devrais pas faire l’abandon des biens obtenus par le crime.

Le confesseur. Mon fils, la possession de richesses acquises par voies honteuses, criminelles, est absolument légitime, et l’assassin n’est point tenu à faire l’abandon de la fortune dont il a hérité après la mort de ses proches qu’il a provoquée ou avancée.

Un préfet à tous crins et à poigne, de ceux qu’on nomme conservateurs. Mon père, je m’accuse d’avoir prêté et trahi plusieurs serments aux gouvernements qui se sont succédé dans mon pays.

Le confesseur. Mon fils, distinguons : lorsque vous avez prêté les serments, vous avez probablement, certainement, fait une restriction mentale. Par exemple, en jurant fidélité à l’Empire, vous avez dit, à part vous — je promets de servir fidèlement le souverain, tant qu’il sera en possession du trône ; — en acceptant des fonctions sous la République, vous avez pris l’engagement de soutenir le gouvernement républicain — aussi longtemps que cela vous conviendrait, ou pour tout le temps que la République serait plus forte que les autres partis. — Vous avez donc pu vous lier par des promesses, par des serments, à la monarchie, à la République, à l’empire et passer d’un camp à l’autre sans commettre de péché.

Un notaire président d’une confrérie religieuse. Mon père, je suis dépositaire de valeurs importantes dont la restitution m’est aujourd’hui réclamée ; ma conscience me conseille de rendre le dépôt, mon intérêt me commande de le garder, et on m’a déféré le serment. Or, le parjure est réprouvé dans notre sainte religion, et je me trouve fort embarrassé pour prendre un parti qui concilie mes scrupules et mon intérêt privé. Je vous soumets le cas de conscience.

Le confesseur. La difficulté n’est pas aussi grande que vous le supposez, mon fils, et vous pouvez affirmer par serment que vous n’avez pas reçu le dépôt, sans commettre de parjure. Vous direz tout haut, devant le tribunal, en levant la main droite : Je jure devant Dieu et devant les hommes que je n’ai reçu aucun dépôt des mains de mon client…… Et vous ajouterez, par restriction mentale…… la veille du jour où il est venu m’apporter les valeurs. Peut-être, mon fils, aviez-vous promis aussi par serment de restituer le dépôt dès qu’il vous serait demandé ? Mais, probablement, certainement, avec cette restriction mentale…… si je ne puis m’en dispenser, ou si je n’ai pas changé de résolution à l’égard de cette promesse de restitution.

Il n’y a, dans votre cas, ni simple ni double parjure ; vous pouvez adopter le parti qui vous semblera le meilleur pour sauvegarder vos intérêts privés. Allez en paix ; continuez à servir notre sainte religion.

Une jeune femme à la mode, à corsage échancré jusqu’au dessous des seins, entre délibérément dans l’antre du Jésuite. Mon père, je m’accuse d’avoir contrevenu au VIme et au IXme commandement :


Luxurieux point ne seras de corps ni de…
L’œuvre de chair ne désireras qu’en mariage


J’avoue avoir pris des amants par caprice, par intérêt, par vanité ; mes intrigues, mes aventures galantes ont eu un tel retentissement qu’on m’a donné le surnom de Bride-abattue. Mes parents s’en montrent fort attristés et courroucés. Suis-je tenue, de par les préceptes religieux, à changer de conduite et à réfréner la fougue de mes passions ?

Le confesseur. Ma chère fille, une personne de votre âge et de votre tournure est fort excusable de tomber dans le péché d’impureté ; néanmoins j’ai besoin d’examiner votre cas plus minutieusement, j’y penserai aujourd’hui, et ce soir…… entre chien et loup… vous viendrez me trouver dans la sacristie, au confessionnal particulièrement secret où je vous attendrai…… pour vous donner des conseils et…… si vous vous montrez docile…… pour vous initier aux joies du Paradis.

Une vieille comtesse. Mon père, je suis joueuse forcenée, et, afin de satisfaire ma passion pour le jeu, je vole mon mari ; je m’en accuse humblement.

Le confesseur. Tout doit être commun entre mari et femme ; vous n’avez pas péché en puisant dans la bourse de votre mari, à son insu.

Une duchesse, femme d’un maréchal de France, très lubrique et fervente catholique. Mon père, j’aime la parure, les fêtes, les soupers où l’on sable le vin de champagne, les bals où se nouent les intrigues ; j’ai des amants…… mais j’ai des aveux plus pénibles à vous faire…… Je m’accuse d’avoir contrevenu aux prescriptions de la décence, d’avoir manqué gravement à la chasteté avec des amies intimes…… J’ai des maîtresses comme j’ai des amants…… Entre femmes nous échangeons des baisers lascifs et des caresses passionnées……

Le confesseur. La sincérité de vos aveux est déjà un acte méritoire devant Dieu, ma chère fille ; mais il faut rendre votre confession complète pour qu’elle soit parfaite ; vous devez me narrer dans les plus petits détails tout ce qui s’accomplit entre vous et vos belles amies, me dire en quelles parties du corps se donnent et se reçoivent les baisers, s’échangent les caresses passionnées… où ? comment ? combien de fois ? Le médecin de l’âme ne doit rien ignorer. Bien plus, ma chère fille, vous devez me mettre à même de juger de visu, c’est-à-dire moi présent, de ce qui se passe entre ces pécheresses, pour mon édification particulière, afin qu’ayant vu et étudié le mal, il me soit plus facile d’y appliquer le remède qui convient……… ad majorem Dei gloriam ! pour la plus grande gloire de Dieu !

La pénitente. Votre désir sera satisfait, mon père ; dimanche prochain, vous pouvez vous présenter à mon hôtel, le soir, sous vos habits laïques ; une camériste vous introduira dans ma chambre à coucher ; vous vous tiendrez caché derrière les rideaux de mousseline et……… vous verrez tout ce que vous souhaitez d’apprendre…… pour votre sanctification et la plus grande gloire de Dieu……, comme vous le dites, mon père. La camériste, ma confidente, fille discrète, qui connaît ces choses, restera à vos côtés pour vous renseigner à voix basse sur tout ce qu’il vous conviendra de lui demander ; elle est jeune et jolie et se tiendra prête à vous servir…… en tout ce qu’il vous plaira lui commander.

Le confesseur. J’adhère à ces arrangements : à dimanche donc, ma chère fille ; je viendrai à votre hôtel après avoir assisté à nos saints offices du soir. Maintenant continuez votre confession sur les péchés mignons commis entre femmes ; vous devez tout me raconter, vous devez entrer dans les moindres détails ; je vous répéterai ce que je vous ai déjà dit, que le médecin de l’âme doit être tenu au courant des plus petites particularités qui touchent à cette délicate matière……

Après d’assez longues explications où se croisent les demandes et les réponses, le Jésuite singulièrement ému, les yeux émérillonnés, continue de donner ses conseils……… Ma chère fille, tous les goûts sont dans la nature ; plusieurs de nos rois pratiquaient la sodomie ; des papes, des cardinaux du temps passé avaient des favoris, des mignons ; de grands dignitaires de l’Église aujourd’hui même suivent les exemples de leurs devanciers ; les uns et les autres n’en sont pas moins honorés comme de pieux personnages. La reine de France, Marie-Antoinette, était tribade, elle avait ses favorites, ses mignonnes ; nous en avons fait presqu’une sainte. Vous êtes tout à fait excusable d’aimer les fêtes, les bals, les soupers fins ; vos intrigues avec des amants, vos liaisons amoureuses avec d’autres femmes sont les indices d’un tempérament ardent ; c’est la passion qui préside à tous ces actes et non l’intention de faire le mal. Où il n’y a pas intention mauvaise, le péché n’existe pas ou, tout au plus, existe-t-il à l’état véniel. Du reste, nous savons que Dieu tient en réserve des trésors de clémence et de miséricorde pour ceux et celles qui le servent ; il a permis à Loth d’engrosser ses deux filles, comme nous l’enseigne la Bible ; il a béni le mariage incestueux d’Abraham et de Sara qui était sa nièce ; il a comblé de gloire le grand roi Salomon qui avait mille odalisques dans son harem ; je puis donc vous donner l’absolution de vos péchés. Demain, ma chère fille, vous viendrez recevoir la sainte communion à notre chapelle.

Un général, un soudard de l’Empire. Mon père, je m’accuse d’avoir suborné la femme de mon meilleur ami et de l’avoir engrossée. Fornication et trahison ; adultère avec circonstance aggravante.

Le confesseur. Il ne faut pas envisager le cas sous cet aspect fâcheux, mon cher fils. Si vous avez trahi l’amitié et suborné la femme, parce qu’elle était l’épouse de votre ami, il y a péché, mais si vous en avez fait votre maîtresse, comme vous eussiez fait de toute autre, parce que la personne vous agréait, il n’y a pas outrage à l’amitié, le cas de trahison est écarté ; il n’y a eu que le désir bien naturel de posséder une femme charmante, désir auquel vous avez cédé. Péché véniel, légèrement véniel. Quant au fait d’avoir engrossé la dame, c’est là une circonstance atténuante, bien loin d’être aggravante, comme vous le supposiez à tort. Monseigneur Bouvier, dans le Manuel des confesseurs, déclare que c’est un très gros péché que l’éjaculation hors du vase naturel de la femme, dans la conjonction entre deux personnes de sexe différent. L’introduction d’un enfant étranger dans la famille de votre ami ne change pas la nature de l’acte dont vous vous accusez ; l’éjaculation aboutit naturellement à l’accouchement. Dieu vous déliera dans le ciel comme je vous délie sur la terre. Amen !

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Les Jésuites absolvent donc tout ce que la morale humaine et les Pères de l’Église condamnent ; ils érigent en principe une complaisance abominable pour les vices, les turpitudes, les infamies, les crimes des hommes et des femmes qui accourent à leur confessionnal. Leur but, en agissant ainsi, est de s’assurer la domination sur les âmes et sur les corps, de s’emparer de l’éducation des enfants, de la direction des parents, de pétrir les générations à leur gré. Ils prennent les hommes au berceau et les conduisent jusqu’à la tombe, en demeurant toujours maîtres de leurs actions ; ils les façonnent à leur guise, les transforment en automates obéissants, ils en font des instruments, des esclaves. L’homme doit être dans les mains des Jésuites — perinde ac cadaver — comme un cadavre !

Quiconque, laïque ou ecclésiastique, pauvre ou riche, femme ou homme, grand ou petit, abandonnera aveuglément son âme à la direction de la compagnie de Jésus, sera toujours et partout, contre qui ou contre quoique ce soit, soutenu, protégé, favorisé, défendu, innocenté par la Compagnie et ses adhérents. Les pénitents et les pénitentes d’un Jésuite verront s’ouvrir devant eux des horizons splendides ; le chemin des honneurs, des richesses s’aplanira sous leurs pas ; un manteau tutélaire couvrira leurs fautes, leurs égarements, leurs crimes. Les ennemis des fidèles deviendront ceux de la Compagnie ; elle les poursuivra comme les siens propres, les traquera jusqu’à ce qu’elle ait pu les atteindre, les frappera dans leur fortune, dans leur réputation, dans leurs affections, par tous les moyens licites et illicites. Les pénitents d’un Jésuite pourront prétendre à tout, et ce sera quelque chose d’effrayant que d’avoir encouru leur ressentiment.

Voilà quelles sont les règles de la Compagnie de Jésus, dans la confession, voilà quels sont les principes qui attirent aux enfants d’Ignace de Loyola une si grande affluence de pénitents de l’un et de l’autre sexe, et leur procurent d’immenses richesses.

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Pour leur usage personnel, les bons pères ont aussi leur morale et leur pratique, l’une et l’autre extrêmement relâchée ; mais il leur est recommandé de couvrir leurs fautes et d’user de grands ménagements. La Société punit ses membres, non pour des infractions à la règle, si graves qu’elles soient, mais pour le scandale qu’elles ont occasionné, si un Jésuite s’est laissé surprendre au moment où il commettait l’adultère ou accomplissait quelque péché de luxure avec filles ou garçonnets.

En 1872, le jésuite Dufour, supérieur de la maison professe de Rochefort, est trouvé en conversation criminelle dans un wagon de chemin de fer, en compartiment réservé de première classe, avec une de ses pénitentes, la vicomtesse de B***, âgée de 23 ans. Le gros père tenait la pécheresse entre ses genoux, fortement serrée contre sa poitrine. Les jambes de la jeune femme étaient à découvert, l’une de ci l’autre de là, les deux enfourchures du Jésuite et de la pénitente se joignant…… soutane et robe retroussées…… visage contre visage…… pour entendre de plus près les aveux de ses faiblesses……

C’est du moins l’explication que donna le Jésuite aux juges du tribunal de police correctionnelle où il fut traduit ensuite d’un procès-verbal rédigé par le chef de train qui avait surpris le groupe. L’affaire eut un grand retentissement ; le père Dufour perdit son titre de provincial et fut expulsé de la Compagnie de Jésus.

On peut affirmer, en toute sûreté de conscience, que tous les membres de la société, et non pas un, ne suivent ni le VIe ni le IXe commandement ; femmes, filles et garçonnets pourraient en rendre témoignage ; mais les Jésuites sont rusés, habiles, et leur inimitié est à craindre ; ils se laissent rarement surprendre ; même quand ils sont découverts en grave péché, les témoins n’osent pas dénoncer les coupables ; s’ils sont dénoncés, les magistrats refusent souvent d’instruire ; si la cause a été instruite, les juges ne veulent pas condamner. La robe du Jésuite couvre tous les crimes, rend celui qui la porte inviolable et sacré.

Le tribunal de police correctionnelle de Rochefort a absous le jésuite Dufour ; les juges ont décidé que le délit d’outrage public aux mœurs devait être écarté, attendu qu’un wagon de chemin de fer réservé devait être assimilé à un lieu privé. Par contre, le chef de train, si délicat à l’endroit des mœurs, si peu respectueux pour la Compagnie de Jésus, qui avait eu l’audace de verbaliser contre un de ses membres, a été révoqué de ses fonctions, cassé aux gages par l’administration de la Compagnie du chemin de fer de l’Ouest.

Honte sur les juges qui ont acquitté le Jésuite ; honte sur les dévots administrateurs du chemin de fer qui ont eu l’indignité de punir un bon employé qui avait rempli son devoir en dressant le procès-verbal du fait immoral qui s’était produit sous ses yeux.

Appelons de tous nos vœux le jour où les peuples, mieux éclairés qu’ils ne le sont aujourd’hui sur les crimes des Jésuites, feront justice de ces hommes abominables, détruiront leurs repaires et ne laisseront pas pierre sur pierre de leurs maisons professes, de leurs chapelles, de leurs églises !