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Les Mystères du confessionnal/Prologue

La bibliothèque libre.
Imprimerie E.-J. Carlier (p. 5-10).



PROLOGUE




Luxurieux point ne seras
De Corps ni de consentement

L’œuvre de Chair ne désireras
Qu’en Mariage seulement




Le Manuel des Confesseurs devient, sous le nom de Diaconales ou de Dissertation sur le sixième commandement, le livre classique des jeunes lévites du sanctuaire, quand, par le vœu d’un célibat perpétuel, ils ont consommé, comme Diacres, leur rupture avec le siècle.

Ce livre est l’œuvre d’un prince de l’Église, d’un évêque, d’un savant théologien qui, après de longues études et plusieurs années de professorat dans les grands séminaires, parvenu au siége du Mans, a fait enseigner à ses diacres, son ouvrage imprimé.

Revêtu de sa signature et du sceau de ses armes épiscopales, ce manuel a reçu l’approbation générale des prélats, a valu à son auteur de hautes distinctions honorifiques accordées par le souverain pontife Pie IX, celles de comte romain et de membre de la congrégation de l’Index.

L’ouvrage tiré à plus de deux cent mille exemplaires, arrivé à sa vingtième édition, est mis, sous le nom de Diaconales, dans les mains des diacres, quelque temps avant leur élévation à la prêtrise.

Ils doivent l’étudier, le méditer, le réciter mot à mot devant leurs condisciples attentifs, en présence d’un professeur chargé de le commenter.

Nous avons dû pâlir nous-même sur ce livre, durant plusieurs mois, en écouter tout ému les explications, sur les bancs de l’école.

Écrit en latin, c’est la première fois qu’il se publie traduit en français.

Par respect pour le lecteur et pour les bonnes mœurs, longtemps nous avons reculé devant la vulgarisation de l’ouvrage le plus froidement obscène que nous connaissions.

Quel code d’immoralités ! Quel recueil de turpitudes dans cette élucubration épiscopale !

Quelle boue infecte remuée dans tous les sens, et comme à plaisir, par un vieux ribaud, un satyre mitré ! Rien n’est oublié dans cette œuvre, depuis l’origine d’une pensée sensuelle jusqu’à l’action la plus dégradante ; depuis un simple désir jusqu’au plus mauvais acte de bestialité, accompli avec l’animal le plus vil, ou sur une femme déjà morte, ou avec un démon de l’un ou de l’autre sexe ayant pris une forme sensible.

Les abominations étalées dans ce livre, dépassent les obscénités des soupers de la régence sous le duc d’Orléans, les turpitudes du Parc-aux-cerfs de Louis XV, et sont de nature à faire rougir les plus éhontées messalines, à faire bouillir le sang du plus austère des anachorètes.

« On a entendu quelquefois parler, dit le journal la République française, sous le manteau de la cheminée, des doctes élucubrations de Sanchez et de Liguori, sur les basses régions de l’animalité humaine. On se plaisait seulement à penser que leurs curieux et odieux bouquins, relégués dans les endroits honteux des bibliothèques, dormaient d’un sommeil, à peine troublé par quelque historien hardi ou par quelque amateur de haute gresse. Il n’en est rien. Ces catholiques inventeurs du cas de conscience, qui, pour le salut des âmes, ont reculé les limites de l’imagination lubrique, ont engendré toute une famille de pornographes sacrés. Ils règnent encore, et ils s’ingénient, et ils s’évertuent dans le demi-jour du confessionnal. Rien de plus naturel pour peu qu’on veuille y réfléchir un moment. La religion entend s’immiscer dans tous les actes, propres et sales, de ceux qui la pratiquent ; elle s’est donné la tâche de laver dans les eaux de la pénitence, et de la tête aux pieds, hommes et femmes, filles et garçons de tout âge, et jusqu’aux êtres qui ne sont d’aucun sexe ; il s’ensuit que toutes les parties de l’âme et du corps ont droit à son attention, à ses secours spirituels, à ses plus minutieux conseils. L’intention purifiante sanctifie donc les sujets les plus immondes ; l’on résume, l’on analyse, et l’on commente les casuistes anciens et modernes, Augustin, Thomas d’Aquin, Sanchez, Liguori, Gury, Billuard, Solter, Bouvier, Rousselot, Busembaum, le cardinal Gousset, sans compter les papes et les conciles. »

L’ouvrage de Monseigneur Bouvier, où se trouvent énumérées, étalées, en latin spécial — de sacristie, — toutes les obscénités inimaginables et drolatiques, élaborées par des célibataires échauffés, est écrit pour l’édification de jeunes prêtres voués à la chasteté et appelés à juger des ignominies, dont l’ignorance absolue est leur devoir le plus sacré. Cet ouvrage infâme se divise en deux parties que nous osons à peine indiquer ici, en latin, bien que le latin, « dans les mots brave l’honnêteté. »

I. Dissertatio in sextum decalogi præceptum ;

II. Supplementum ad tractatum de matrimonio.

La première partie comprend cinq chapitres :

1o De luxuriā in genere ;

2o De speciebus luxuriæ naturalis consummatæ ;

3o De speciebus luxuriæ contra naturam consummatæ ;

4o De peccatis luxuriæ non consummatæ ;

5o De causis, effectibus et remediis lururiæ.

La seconde partie de ce livre comprend deux divisions principales :

1o De impedimento impotentiæ ;

2o De debito conjugali.

Traduction littérale, en notre langue si chaste et si délicate :

I. Dissertation sur le sixième commandement ;


« Luxurieux point ne seras,
« De Corps ni de consentemnt. »


II. Supplément au traité du mariage.

Dans la première partie, il est question :

1o De la luxure en général ;

2o Des différentes espèces de luxure naturelle consommée ;

3o Des différentes espèces de luxure consommée contre nature ;

4o Des péchés de luxure non consommée ;

5o Des causes et des effets de la luxure et de ses remèdes.

Dans la seconde partie, supplément au traité du mariage, toutes les questions relatives à ce sujet peuvent se réduire à deux principales :

1o Des empêchements pour cause d’impuissance ;

2o Du devoir conjugal.

Telles sont les principales divisions de ce livre étrange, de ce manuel des confesseurs.

Quant aux détails, on en jugera : ils répondent à ces titres graveleux et obscènes. Après avoir expliqué dans le premier chapitre ce qui est du ressort de la luxure en général, le prélat traite, dans le deuxième, en praticien consommé, de la fornication, du concubinage, de la prostitution, du stupre, du rapt, de l’adultère, de l’inceste et des sacrilèges. « Plusieurs théologiens affirment, dit le docte évêque, que les relations charnelles d’un confesseur avec sa pénitente sont incestueuses ; que le coït d’un fils avec sa mère ou d’un père avec sa fille, constitue un inceste particulier qu’il faut accuser en confession, comme circonstance aggravante. »

Au chapitre troisième, tableau des différentes espèces de pollutions volontaires ou involontaires, diurnes ou noctunes, à l’état de sommeil ou à l’état de veille !

Descriptions de la sodomie et de la bestialité !

« Plusieurs théologiens, d’après Sa Grandeur, décident que le pénitent doit avouer, si dans l’acte sodomique il a été agent ou patient, parce que la pollution volontaire est plus coupable que la participation à celle d’autrui ; et une femme qui agit est bien plus criminelle que l’homme qui supporte son action. Tous les théologiens, ajoute le prélat, nous parlent du coït avec le démon ayant pris, soit réellement, soit dans l’imagination, la forme d’un homme, d’une femme ou d’une bête. Ce péché doit être avoué dans toutes ses circonstances, à cause de sa gravité, provenant surtout d’un pacte avec l’enfer. Le crime serait encore plus grave s’il était entaché de sodomie ou d’inceste avec le démon. »

Ces énormités se trouvent dans la première partie du Manuel des confesseurs.

Vient ensuite le traité du mariage. L’auteur n’omet aucun détail sur cette matière : Tous les cas possibles sont prévus et jugés. D’après Monseigneur Bouvier : Pour être agréable à Dieu, il faut accomplir le devoir conjugal en pleurant et priant ; un mari véritablement chaste ne doit ni passer sa main dans le corsage de sa femme, pendant le jour, ni lever sa chemise au lit.

Il faut se résoudre à vivre comme frère et sœur, si le mari ou la femme se trouve impuissant ;

Une femme doit, même au péril de sa vie, refuser l’acte conjugal, si le mari ne l’accomplit pas selon toutes les règles ;

Une femme condamnée à mort par les médecins dans le cas où elle donnerait le jour à un enfant, doit ou s’abstenir de l’acte conjugal ou bien l’accomplir dans toutes ses prescriptions, c’est-à-dire ne jamais permettre à son conjoint de répandre la semence dans le vide, à l’exemple du personnage biblique Onan.

Ce code d’immoralité a pour couronnement un abrégé — français — d’embryologie donnant la solution de quelques difficultés, touchant le baptême des enfants nés avant terme ou qui ne peuvent naître naturellement. Le prélat crossé et mitré termine son élucubration par un traité de l’opération césarienne, opération généralement prescrite par les théologiens aux jeunes prêtres, malgré les défenses et les textes du code pénal, cette opération étant expressément du domaine chirurgical.

Ainsi, dans certain cas, sous prétexte du salut de l’âme d’un enfant, un jeune prêtre doit ouvrir le ventre d’une femme pour en extraire le fœtus et le baptiser. Horreur !…

Tel est ce livre dont nous publions la traduction en langue vulgaire, malgré nos répugnances. Nos lecteurs pourront suivre attentivement dans leur amphithéâtre ces professeurs sacrés, qui se flattent de posséder le monopole de l’enseignement moral. Ils pourront se convaincre que les prêtres catholiques, malgré leur vœu de célibat, surpassent en science de lubricité les plus éhontés libertins.

Pour prévenir tout reproche d’inexactitude dans la traduction, nous avons placé le latin au bas de chaque page, afin que le lecteur puisse vérifier les textes. L’ouvrage de Monseigneur Bouvier a été reproduit fidèlement, depuis le premier mot jusqu’au dernier, sans y rien ajouter, sans en rien retrancher.

Maintenant, si les curés crient au scandale ! nous répondrons : Malheur à celui par qui le scandale arrive ! Ne sont-ils pas les seuls coupables ? Ce code d’immoralité n’est-il pas l’œuvre d’un prélat, signalé même par les princes de l’Église, comme l’un des plus savants parmi les prélats et l’un des plus recommandables parmi les docteurs ?

N’est-ce pas un évêque qui a saturé son esprit de turpitudes sans nom, qui les a écrites, qui les a fait imprimer, qui les a répandues dans les séminaires, dans les couvents, dans les sanctuaires, enfin qui en a rempli le monde catholique ?

La responsabilité du scandale et du mal fait aux âmes doit retomber de tout son poids sur le clergé.

« Cet ouvrage est écrit en latin, répondrez-vous, prêtres hypocrites, et il est rigoureusement recommandé de ne le vendre qu’aux ministres des autels. »

Mais, ce manuel des confesseurs, véritable arsenal d’obscénités, considéré par vous comme si dangereux pour les gens du monde, est-il sans péril pour les jeunes lévites du sacerdoce ?

Si quelqu’un doit être tenu en dehors de telles abominations, n’est-ce pas le prêtre, à cause de ses fonctions sacrées ?

C’est pourtant un prélat qui vient initier les séminaristes à des mystères de libertinage qui sont exclusivement du domaine des lupanars.

Dans les grands séminaires, vantés comme des écoles de haute sagesse, on affecte de préconiser la chasteté comme la vertu inhérente au sacerdoce ; et en même temps, par une étrange contradiction, on jette en pâture à la jeune imagination des élèves, l’abominable livre de l’évêque du Mans, l’initiateur à la science du mal.

« Cette science, ajoutez-vous, prêtres imposteurs, est nécessaire, indispensable au tribunal de la pénitence pour la guérison des âmes. »

Mensonge ! car, d’après vos maximes « il est défendu d’opérer le mal, même en vue d’un bien. »

Hypocrites ! vous ajoutez que la fin justifie les moyens, et que, pour le salut des âmes, les curés ne doivent rien ignorer en matière de lubricité.

Sophisme et tromperie ! avec vos théories jésuitiques, vous ne donnerez pas le change aux esprits clairvoyants.

Vous savez bien que les gens crédules, les hommes simples, les femmes et les jeunes filles surtout, qui ajoutent foi aux dogmes catholiques et qui vont s’agenouiller dans le confessionnal, s’attendent à y trouver le représentant de Dieu, un ange plutôt qu’un homme, une pure émanation de la divinité. Mais la vérité ne tarde pas à leur apparaître : devant vos premières questions, le voile tombe, le prêtre se montre tel que l’a fait l’étude du livre de Monseigneur Bouvier ; l’ange se transforme en démon tentateur ; le confessionnal s’emplit de senteurs acres et nauséabondes ; le bouc est en rut ! Votre science est funeste : elle a corrompu le prêtre, et la contagion a envahi les plus purs, les plus chastes parmi les imprudents, les femmes ou les jeunes filles. Vous avez infecté du venin tous ceux qui étaient venus à vous comme à une fontaine purifiante.

Sachez donc, prêtres ignorants ! vous qui n’avez pas l’intelligence de votre temps, que si le système d’interrogations a pu avoir, comme vous l’affirmez, sa raison d’être, à une époque de foi, de barbarie, féconde en forfaits, comme le moyen âge, il n’est plus admissible dans un siècle de lumière, de civilisation et de progrès. Au moyen âge le confesseur et la pénitente avaient la foi au dogme, foi aveugle. L’Église était aux terreurs, aux miracles, aux démons, à l’enfer. Entre le confesseur et les pénitents venaient se placer le glaive de l’archange et les épouvantes du jugement dernier. Aujourd’hui, la barrière de feu a disparu ; la foi a déserté les sanctuaires ; les prêtres et les fidèles ont perdu la croyance. La confession n’est plus qu’une affaire de mode, de coquetterie, de curiosité de la part de certaines femmes, et de libertinage. Autrefois le confesseur savait et la pénitente ignorait. Lors même que le prêtre était jeune, il était le père, sa pénitente était l’enfant. À notre époque, où le clergé se recrute, en grande majorité, dans les campagnes les plus réfractaires à la civilisation, les prêtres se ressentent de l’éducation qu’ils ont reçue au village, ils sont ignorants, grossiers, incultes ; instincts honteux, passions ignobles ; ils ont en apanage tous les vices. Les ouvriers des villes ont parfois plus d’expérience que les curés de nos campagnes et que beaucoup de prêtres des villes, et plus d’instruction réelle. Le contraste entre le confesseur et la pénitente est bien plus grand, lorsque le confessionnal se trouve occupé par un prêtre inexpérimenté, qui vient de quitter le séminaire, et quand la pécheresse qui se met à ses genoux est une femme du monde, la femme de quarante ans, passionnée, une de ces courtisanes de la noblesse ou de la bourgeoisie, qui a passé sa vie dans les intrigues, qui a bu à toutes les coupes, qui a épuisé tous les genres de voluptés… Chaque mot qui sort des lèvres d’une telle femme est pour le jeune prêtre sujet d’étonnement, d’effroi même. On lui parle une langue qu’il ne comprend pas. À la stupéfaction succède une ivresse, celle des sens. Ici l’ignorance est aux prises avec la science. Il y a lutte entre le confesseur et la pénitente. La chute suivra bientôt, c’est dans la logique. Le jeune prêtre est perdu sans retour ; il deviendra l’amant de la syrène, qui le façonnera à sa guise. Il se sera corrompu au contact de la matrone émérite ; et il ne tardera pas à pervertir les vierges qui succèderont à la grande pécheresse dans son confessionnal.

Si nous abordons les instruments d’enquête et la routine des confesseurs dans la pratique, nous y trouvons de nouveaux sujets d’étonnement. L’Église ordonne à ses ministres de suivre dans leurs investigations les procédés qui étaient en usage, il y a deux siècles et plus. On agit comme si l’humanité n’avait pas progressé. On met dans les mains des confesseurs des manuels surannés, qui s’appuient sur les casuistes que l’immortel Pascal a enterrés et qui sont des outrages à nos mœurs plus raffinées.

Prêtres corrompus, adultères, incestueux ! vous faites litière de la raison humaine, de la pudeur des filles et des femmes, de l’innocence des jeunes garçons ! Vous avez l’audace de poser à vos pénitentes des questions d’une immoralité révoltante ; vous leur parlez la langue d’Escobar et de Sanchez, comme si les mots dont se servaient ces casuistes odieux pouvaient encore être entendus à une époque de civilisation.

Vous osez interroger de pures jeunes filles et des adolescents sur des crimes contre nature, qui ont pu être commis par les bandes armées que recrutait le Catholicisme dans les temps de barbarie et des guerres de religion, et qui dépassent en horreur tout ce que raconte votre Bible des habitants de Sodome et de Gomorrhe, la copulation avec les animaux, la pollution et le stupre sur les cadavres de femmes. Ces attentats sont oubliés, ils ne se sont pas renouvelés, et leurs noms mêmes ne devraient plus être prononcés. Vous êtes coupables, vous êtes criminels d’en réveiller le souvenir.

Vous osez prétendre, hommes pervers ! que la confession doit être entière et complète sans réticence ni omission.

Nous vous répondrons avec les théologiens que la confession elle-même n’est pas indispensable ; qu’un seul point est essentiel : La contrition. Dans les cas de paralysie complète, les fidèles sont dispensés de l’aveu des fautes, tandis que jamais ils ne seraient absous sans le repentir. Pourquoi donc ne pas user d’une extrême réserve quand il s’agit du vice que vous appelez, en argot de sacristie, le contraire de la sainte vertu ? Pourquoi ne vous contentez-vous pas d’écouter les aveux des pénitents sans provoquer les confidences par des interrogatoires abominables ?

Vous préférez descendre dans les dernières profondeurs de l’âme et torturer les esprits faibles, les femmes et les jeunes filles ingénues, pour la satisfaction de vos passions ignobles.

Le confessionnal est devenu une espèce de table d’autopsie sur laquelle le médecin de l’âme, d’après l’expression consacrée, étudie son sujet. Pour lui point de secrets. Sous prétexte d’intégrité des aveux, il faut que des effets il remonte aux causes ; pour guérir il doit connaître le siége du mal. Le pénitent, la pénitente, lui appartient, et il s’arroge le droit de promener son scalpel investigateur sur toutes les parties de son corps.

La jeune femme qui exige de son mari une réserve absolue, qui veut être possédée, mais que la moindre indiscrétion sur les mystères amoureux révolterait, désaffectionnerait, ouvre tout grands, au prêtre libertin, les rideaux de son lit nuptial. Elle déroule les secrets de ses nuits de volupté à l’homme en soutane qui lui demande compte de ses agissements et précise ses questions. Où ? Comment ? Combien de fois ? La jeune pénitente doit tout raconter dans le confessionnal à ce satyre noir et velu. Ainsi l’exige la loi de l’Église. Abomination !

La jeune épouse doit énumérer ses sensations, revenir sur chacun des baisers reçus ou donnés, dépeindre ses transports, ses enlacements, donner le compte de ses soupirs, brûlantes étincelles de deux natures en fusion ; car le prêtre revendique le droit de demander à la pénitente ce que l’épouse se croit le devoir de cacher à son mari, ce qu’elle ose à peine s’avouer à elle-même.

La jeune fille, à peine nubile, est soumise à de pareilles flétrissures ; le curé ne respecte ni l’adolescence, ni la jeune enfance. La vierge, fleur à peine éclose, qui s’ouvre à la lumière, à la vie, à l’amour, ne pourra plus renfermer dans son cœur ses rêveries, ses extases, ses étonnements. Le corrupteur est à ses côtés, le prêtre indiscret, curieux, libertin, l’interroge comme directeur, se délecte de ses aveux naïfs, des tressaillements de son âme candide.

Le beau rêve que caresse la charmante enfant, qui la suit partout, qui subitement suspend sa marche à la promenade, ou sa main agile, dans son travail, qui fait pencher sa tête sur son sein agité ; ce rêve qui, le soir, vient voltiger à son chevet et berce doucement son sommeil, ce rêve aux ailes dorées et frémissantes n’appartient pas à elle seule ; le confesseur en soutane ou en froc en exige la confidence.

De par l’ordre du prêtre, et au nom de Dieu, la belle innocente doit analyser avec soin toutes ses sensations, chercher à définir ce charme sous lequel tout son être est plongé ; elle doit compter les battements plus précipités de son cœur ; elle doit garder le souvenir des mouvements tumultueux de ses sens.

L’homme noir a dit à sa pénitente que l’émotion est une faute, le désir un péché.

Bien plus, s’il arrive que la douce enfant, après une enivrante soirée passée sous l’œil maternel, auprès de l’ami de son cœur, dans la nuit, quand sa paupière est close, s’abandonne au charme d’une voluptueuse vision, elle devra donner un corps au songe et raconter au curé la surprise imposée par la nature à sa virginité.

Combien ces aveux doivent coûter à la jeune épouse, à la jeune fille !

Quels combats ont à soutenir les infortunées contre le confesseur infâme qui veut arracher le voile qui couvre les aspirations de la jeune fille et les voluptés de l’épouse !

Mais la victoire est assurée au prêtre ; il parle au nom de Dieu, il commande, il exige la soumission ; la vierge est déflorée moralement, la jeune femme profanée. Après la corruption de l’âme vient fatalement la prise de possession des corps ; le prêtre remplacera l’amant et l’époux.

Si nous abordons un autre ordre d’idées, la tranquillité de l’esprit, la paix de l’âme sur les questions religieuses, nous voyons encore l’homme à soutane s’écarter du but et apporter le trouble dans les consciences.

Les prêtres se jouent de la crédulité humaine, ils jettent les esprits dans un doute énervant, et les cœurs dans des perplexités cruelles, parfois dans le désespoir qui tue.

Il n’y a chez eux qu’ignorance et ténèbres. Autant de confesseurs, autant de jugements. Du soir au lendemain le directeur change d’opinion, pour le même cas et la même personne. Il y a une théologie pour les grands et une autre pour les petits. Heureux les riches, malheureux les pauvres ! Dans l’Église catholique on trouve deux poids et deux mesures !

Que de variations ! Quelles tortures pour les âmes, précipitées dans le doute par des directeurs indécis sur les plus importantes matières !

Peut-il en être autrement, quand leurs maîtres, au lieu d’être savants, ne sont que des douteurs à l’exemple de l’évêque du Mans dans son Manuel des confesseurs ?

À chaque page ce sont des probabilités, et nulle question n’est résolue.

Les théologiens que l’Église ose nous présenter comme très-instruits et des plus honorables se sont évertués à faire une anatomie dégoûtante, à remuer la matière sans aboutir à d’autre résultat qu’à celui de la démoralisation. Monseigneur Bouvier n’est ni le premier, ni le seul qui ait écrit sur la luxure. Il a mis en corps d’ouvrage les détails accumulés dans les œuvres de Sanchez, de Suarez, de Molina, de Billuart, de Liguori et de la tourbe des théologiens.

Le succès du Manuel de l’évêque du Mans a excité les convoitises sacerdotales ; dans ce genre plusieurs ont écrit en latin traditionnel d’autres ouvrages. Ces publications de haut goût ont été rapidement enlevées par les curés auxquels tout particulièrement elles sont destinées. Spéculation excellente !

L’Évêque ultramontain de Poitiers, Monseigneur Pie, en 1870, a approuvé un manuel nouveau destiné principalement aux jeunes confesseurs, — neo-confessarius. Voici le titre de cet opuscule compacte, servant de complément au manuel qui nous occupe : De rebus venereis ad usum confessariorum auctore D. Cresson, olim superiore majoris seminarii ac vicario generali diocœsis valentiniensis. Parisiis, Poussielgue, fratres bibliopolœ-editores, viâ dictâ cassette 27. 1870.

On lit au verso du faux titre : Imprimatur, Pictavu die 11 junii 1870. A. de Bechillon V.-G. — Vicaire général.

Cela est donc imprimé à Poitiers, approuvé par l’évêque et vendu à Paris et dans toutes les librairies spéciales des pays catholiques.

En tête du livre, une préface courte et instructive avertit que ce manuel est surtout destiné aux jeunes confesseurs, et que les solutions préférées tiennent le milieu entre le rigorisme janséniste et l’indulgence jésuitique.

Cette élucubration, où sont énumérées en bas latin les cas probables, assez probables, moins probables, etc., est divisée en trois édifiantes dissertations : 1o De castitate et peccatis ipsis oppositis ! 2o De quibusdam minus pudicis ad matrimonium spectantibus ; 3o De quibusdam questionibus maximi momenti quæ fœtum et partum mulierum concernunt.

Les titres des chapitres ne peuvent guère se transcrire, même en latin. Le lecteur comprend qu’il s’agit du fœtus dans le troisième chapitre.

Deux autres ouvrages méritent une mention particulière.

1o Abrégé de théologie morale à l’usage des candidats en théologie, extrait des divers auteurs, notamment du B. Liguori par J. P. Moullet, autrefois professeur de théologie morale, avec permission de ses supérieurs. À Fribourg, en Suisse, chez Antoine Labastron, libraire, 1834, 2 volumes in-8o.

2o Commentaires extraits de la théologie morale universelle, de Jean Gaspard Sœltler, sur le sixième précepte du décalogue, touchant les obligations des époux et certains sujets relatifs au mariage, par J. Rousselot, professeur de théologie au séminaire de Grenoble, chez Auguste Carus, libraire éditeur, rue Brocherie, no 6 — 1840, in-8o de 192 pages.

Ce fameux théologien Rousselot a eu l’insigne honneur de faire accepter par le catholicisme, en qualité de vicaire général de Grenoble, cette grande supercherie, connue sous le nom d’apparition de N. D. de la Salette.

Quel est donc le but que se propose l’Église en remettant aux mains des diacres ces manuels infâmes ? Régner sur les peuples par la corruption ; livrer aux confesseurs les âmes et les corps des pénitentes ; autant de confesseurs, autant de suborneurs de femmes, de corrupteurs de filles.

Hélas ! il n’est que trop avéré que la plupart des personnes qui vont à confesse, les enfants, les jeunes filles, les époux, y apprennent ce qu’ils ignoraient et perdent bientôt, avec l’innocence, toute pudeur. Sous le spécieux prétexte de ramener à la vertu, les curés démoralisent la génération.

Nous signalerons le mal à notre siècle. Dans l’intérêt des familles et de la société, nous révélerons les honteuses pratiques du clergé romain.

Les pères, les mères, ceux qui ont charge d’âmes doivent pouvoir reconnaître le loup caché sous la peau de l’agneau.

Traduit aujourd’hui en français et bientôt publié dans toutes les langues vivantes, notre livre deviendra un contre-poison. La Mythologie nous apprend que la lance d’Achille possédait une double vertu, blesser et guérir ; la hampe guérissait par le contact la blessure que le fer avait faite. Ainsi en sera-t-il du Manuel des Confesseurs. Nous dévoilerons les ignominies du sanctuaire et nous mettrons le monde civilisé en garde contre les dangers que courent les enfants dans le confessionnal.

Notre publication est destinée et même dédiée aux pères de famille, aux hommes et aux femmes d’un âge mûr, aux chefs des maisons d’éducation, par un prêtre qui, revenu de ses égarements, s’efforce de réparer le mal qu’il a pu faire en confession. Actuellement ramené à la saine pratique de la philosophie, nous voulons signaler à la vindicte publique cette institution, d’autant plus dangereuse qu’elle se cache sous le manteau de la vertu comme le serpent sous la fleur. Nous faisons donc cette déclaration solennelle : la confession est le fléau des individus, des familles, de la société, de tout le genre humain.

Maintenant nous allons mettre les pieds dans la fange catholique. C’est le moment pour les délicats, les pudibonds, les timorés, de fermer le livre ou de le jeter aux flammes.

Que les intrépides, les vaillants, les libres penseurs nous accompagnent dans la carrière ; nous tenons en mains le flambeau pour les guider.

Écrasons l’infâme ! L’infâme, c’est l’Église catholique signalée par Luther, par Calvin, par Voltaire, par Jean-Jacques Rousseau, par P. J. Proudhon, par Eugène Suë, par Karl Marx, par J. Michelet, par tous les philosophes des siècles passés et du siècle présent, aux amis du progrès, de l’humanité.

Que le flambeau de la vérité devienne torche, et que la torche, aux jours de révolution, serve à mettre le feu, en pleine cathédrale, à ces réduits infects, à ces boîtes immondes qu’on appelle confessionnaux.