Les Mystères du peuple/VI/5

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Les Mystères du peuple — Tome VI
L’AUTEUR AUX ABONNÉS DES MYSTÈRES DU PEUPLE


L’AUTEUR


AUX ABONNÉS DES MYSTÈRES DU PEUPLE


Chers lecteurs,


Nous voici arrivés à l’une des périodes les plus importantes et les plus douloureuses de notre histoire : l’époque de la féodalité... cette exécrable féodalité, dont notre immortelle révolution de 1789 à 1792 put seule effacer les derniers vestiges ; la féodalité, la conséquence la plus saisissante, la plus horrible de l’invasion des Franks, accomplie au cinquième siècle par les hordes sauvages de HLLOD-WIG (Clovis) ; oui, la féodalité commençant de s’établir vers la fin du règne de la seconde race de ces rois étrangers à la Gaule et atteignant son entier développement sous leur troisième race ; celle de Hugh-Capet, fut le résultat naturel, fatal, de la conquête franke. En deux mots, rappelons l’enchaînement des faits :

Clovis, ce monstre de férocité, si religieusement loué par l’Église catholique, s’empare de la Gaule, grâce à l’abominable complicité des évêques ; ils appellent les hordes barbares des Franks, et, prêchant la sainteté de cette sanglante invasion, le clergé ordonne au peuple des Gaules, sous peine du feu éternel, de subir la domination étrangère. Ce peuple, jadis si belliqueux, si intelligent, si patriote, mais que l’Église avait hébété, avili, châtré depuis trois siècles, ce peuple obéit aux prêtres ; Clovis devient maître de notre pays, réduit les Gaulois, nos pères, au plus affreux esclavage, garde pour lui la plus grande partie des terres, des troupeaux, des maisons, des richesses du pays, et partage le reste, terres, gens et bétail, entre les évêques catholiques et ses leudes (chefs de hordes). Ces terres et leurs habitants esclaves, Clovis, nous l’avons vu, les distribuait à ses compagnons de guerre à bénéfice, c’est-à-dire qu’il accordait la jouissance, soit temporaire, soit héréditaire, de ces biens, moyennant certaines obligations, matérielles, pécunières ou honorifiques. Durant le règne de la première et de la seconde race des rois franks, les seigneurs bénéficiers ont un but constant, opiniâtrement poursuivi : le but de s’affranchir de leurs obligations envers la royauté, d’usurper son pouvoir et de rendre héréditaire, absolue et indépendante, pour eux et leurs descendants, soit la jouissance des domaines dont ils étaient bénéficiers, soit la possession des comtés ou duchés qu’ils gouvernaient au nom des rois. Vers le commencement du règne de la troisième race de Hugh-Capet, qui dut sa couronne à l’adultère et au meurtre, les seigneurs atteignirent enfin leur but ardemment poursuivi sous les descendants de Clovis et de Charlemagne ; ils devinrent indépendants, dès lors le système féodal ainsi fondé, atteint sa plus complète expression, sa plus épouvantable puissance ; en un mot, tous les seigneurs franks descendant des premiers conquérants de la Gaule, et jusqu’alors possesseurs de terres à bénéfice, ou gouverneurs de comtés ou de duchés qu’ils devaient administrer au nom des rois, se déclarèrent souverains héréditaires, absolus et indépendants, chacun dans ses possessions.

La royauté fut ainsi peu à peu dépouillée, d’âge en âge, d’un grand nombre de provinces dont elle était seule propriétaire, ou qui relevaient de la couronne lors des premiers siècles de la conquête, et le roi, au temps de la féodalité, ne fut plus qu’un des nombreux petits souverains qui tyrannisaient et exploitaient les peuples asservis, n’ayant, lui, roi, sur les seigneurs, ses égaux, ses pairs, ainsi qu’ils s’appelaient, d’autre autorité que la force, quand, par hasard, il était le plus fort, et cela n’arrivait presque jamais ; car, ainsi que vous le verrez, rien de plus illusoire en fait, en pratique, que la prétendue hiérarchie féodale.

L’Église catholique, apostolique et romaine, fidèle à ses traditions séculaires d’envahissement, de fanatisme sanguinaire, de jonglerie, d’usurpation et de cupidité effrénée, imita les seigneurs lorsqu’elle ne les devança pas dans cette voie de spoliations, de violences, de massacres, ou d’infamies sans nom. Les évêques et les abbés se déclarèrent aussi souverains absolus dans leurs évêchés ou dans leurs abbayes ; et, pour ajouter l’hérédité à la souveraineté, grand nombre de ces hommes de Dieu se marièrent, désireux de léguer à leur postérité les biens immenses qu’ils devaient à la ruse, au vol, ou à l’hébétement crédule des fidèles ; généralement dans les familles ecclésiastiques l’on ménageait l’évêché pour l’aîné, l’abbaye pour les cadets ; quant aux filles, on les dotait d’une cure ou d’un canonicat, et leurs époux devenaient, en se mariant, chanoines ou curés. On vit un enfant de dix ans archevêque de Liège, et son père, administrateur du diocèse pendant la minorité de ce marmot-prélat, vendait les bénéfices et percevait les dîmes. Entre autres ménages ecclésiastiques, il y avait en Bretagne quatre évêques mariés, ceux de Quimper, de Vannes, de Rennes et de Dol ; l’on reprochait surtout à ce dernier de piller un peu trop les églises voisines pour doter ses filles ; les femmes des prélats accompagnaient leurs maris à l’autel ; on les appelait prêtresses. Rome donnait le signal des plus abominables scandales : deux papesses, courtisanes lubriques, donnaient et reprenaient, selon leur caprice libertin, la tiare pontificale à leurs amants, et plus tard la papauté tomba entre les mains d’un enfant de neuf ans… Mais laissons ces ignominies catholiques, apostoliques et romaines ; revenons à l’établissement de la féodalité. Citons quelques témoignages d’une irrécusable autorité historique.

Brussel, dans son Examen de l’usage général des fiefs en France pendant les onzième, douzième et treizième siècles (période culminante de la féodalité proprement dite), dit ceci :

« — Les comtes et les ducs ayant, sous les dernières races de nos rois, rendu leurs comtés et leurs duchés héréditaires dans leurs familles, ne tardèrent pas à faire ressentir aux habitants de ces terres qu’ils avaient tout pouvoir sur eux, et les chargèrent de telles coutumes qu’ils voulurent. » (L.II, c. X.)

Eusèbe de Laucrice, dans son Glossaire du Droit français (Droits seigneuriaux, L I, p. 874), dit à ce sujet :

« — Il n’est pas d’éléments que les seigneurs féodaux, qui étaient autrefois de petits tyrans, n’aient tâché de s’approprier pour avoir occasion d’opprimer leurs pauvres habitants et de leur imposer une infinité de droits et de tributs ; l’origine de ces usurpations vient de ce que, anciennement, presque tous les roturiers qui demeuraient à la campagne étaient serfs, en la puissance des seigneurs, et de ce qu’entre seigneurs et leurs serfs, il n’y avait de juge que Dieu seul. »

Et de fait, à l’époque de la féodalité, le sort des serfs, qui composaient la presque totalité de la population, était non moins horrible que celui des esclaves des siècles précédents. Ainsi, nous citerons Beaumanoir, écrivain du temps de la féodalité ; il s’exprime ainsi :

« — Plus courtoise est notre coutume envers les serfs qu’en beaucoup d’autres provinces, où les seigneurs disposent de leurs serfs à vie et à mort. » (Ch 43 des Aveux, p. 258.)

« — Un serf taillable haut et bas (dit Eusèbe de Lauricre ; Glossaire, t. XI, p. 309) c’est-à-dire un serf taillable au plaisir et à la volonté du seigneur. »

Enfin Pierre de Fontaine, autre écrivain des temps féodaux, démontre ainsi naïvement, dans le langage du bon vieux temps (ce temps que rêvent encore les gens du droit divin et du parti prêtre), la différence qui doit exister entre le vilain et le serf.

« — Et, sache bien ke (que) selon Diex (Dieu), tu n’as pas mie pleine poëste (puissance) sur ton vilain. Donc, si tu prends du sien, sauf les redevances k’il te doit, tu prends contre Diex (Dieu) et sur le péril de ton âme, comme robières (voleurs), et ce k’on dit ke toutes les choses ke vilain a, sont à son seigneur, c’est voirs à garder : car s’ils étoient à son seigneur propre, il n’y auroit aucune différence entre serf et vilain. » (Pierre de Fontaine, Conseils à un Ami, ch. XXI.)

D’où il suit que les serfs appartenaient corps et biens à leurs seigneurs ; que disons-nous ? Non-seulement les seigneurs laïques ou ecclésiastiques les taillaient eux et leur famille, à merci et à miséricorde, à vie et à mort, selon la terrible naïveté du langage du temps, mais ces seigneurs, comtes ou abbés, marquis ou chanoines, duks ou évêques, dans l’implacable férocité de leur orgueil possessif, non contents de posséder ces misérables, âme, corps et biens, de vivre de leurs sueurs, de leur sang, étendaient les droits de l’Église et de la seigneurie jusque sur la virginité des femmes de leurs malheureux serfs. Oui, ces droits monstrueux, l’Église catholique les revendiquait comme les seigneurs laïques ; car vraiment en ces temps-ci, où l’effronterie cléricale, redoublant d’audace mensongère, ose dire que l’Église catholique a, depuis des siècles, aboli l’esclavage, l’exploitation impie de l’homme par l’homme, il est bon de dire, de répéter sans cesse que L’Église catholique, comme les seigneurs franks, ses complices, a possédé des esclaves jusqu’au septième et huitième siècles et des serfs puis des vassaux jusqu’en 1789. — Oui, et au commencement du dix-septième siècle, des abbés, des évêques, des chanoines, jouissaient ou trafiquaient encore des droits les plus infâmes. Voici, à ce sujet, ce que nous lisons dans le Glossaire d’Eusèbe de Laucrice, p. 307, édit. 1704 :

« — Cullage ou cuilage. — Au procès-verbal fait par maître Jean Faguier, auditeur en la chambre des comptes, en vertu d’arrêt d’icelle du 7 avril 1507, pour l’évaluation du comté d’Eu, tombé en la garde du roi par la minorité des enfants de M. le comte de Nevers et de madame Charlotte de Bourbon, sa femme, au chapitre des revenus de la baronnie de Saint-Martin-le-Gaillard, dépendant dudit comté d’Eu.

» — Item, ledit seigneur lieu de saint-martin a le droit de cullage, quand on se marie.

» Cette coutume, qui donnoit aux seigneurs la première nuit de noces des nouvelles mariées, se rédima plus tard en une somme d’argent ou en un certain nombre de vaches… Les seigneurs de Souloire étaient autrefois aussi fondés en pareils droits exorbitants et honteux. Ils ont étés convertis en prestation en argent le 15 octobre 1607.

» — Au titre IX, ch. DXCVIII de l’Histoire de Châtillon, se voit un accord entre Guy, seigneur de Châtillon et de la Ferté en Tardenois, pour la conversion en argent du droit de cullage.

» Par arrêté de la cour du 19 mars 1509, à la poursuite des habitants et échevins d’Abbeville, défense fut faite à l’évêque d’Amiens d’exiger de l’argent des nouveaux mariés, et dit que chacun des habitants pourra coucher avec sa femme, sans la permission de l’évêque. — Les évêques d’Amiens, les chanoines de Lyon, et grand nombre de seigneurs d’Auvergne étaient autrefois en possession de mettre une cuisse nue dans le lit des nouvelles mariées ou de passer la nuit avec elles. » (Sauval, Antiquités de Paris, liv. VIII, p. 464-466.)[1]

« Les seigneurs de Prelley, en Piémont, jouissaient d’un pareil droit qu’ils appelaient cazzagio ; les vassaux des seigneurs en ayant demandé la commutation, le refus les porta à la révolte (ibidem).

Les Jacques aussi, chers lecteurs, se révoltèrent, poussés à bout par l’horreur du servage et de ces droits infâmes ; car la Jacquerie, ainsi que vous le verrez plus tard, fut une terrible, mais légitime représaille du serf et du vilain contre l’exécrable et sanglante oppression de la seigneurie et du clergé ; mais trois siècles de misères, de tortures, devaient s’écouler avant cette Jacquerie vengeresse et implacable.

Ces trois siècles embrassent, à bien dire, la période du système féodal qui va se dérouler à nos yeux ; et durant ces temps maudits, non-seulement les serfs et les vilains des campagnes, mais encore les bourgeois des villes, furent exposés à des hontes, à des spoliations, à des tortures, à des supplices si variés, si étranges, si atroces, qu’en outre des preuves puisées aux sources historiques les plus irréfutable réunies à la fin du volume, je crois cependant devoir faire précéder ces nouveaux récits de quelques citations d’écrivains contemporains de la féodalité, témoins des monstruosités que vous allez lire. Vous vous convaincrez ainsi, chers lecteurs, que, si invraisemblables que vous sembleront peut-être ces épisodes féodaux, ils ne sont entachés d’aucune exagération ; citons quelques faits au hasard :

« Ebble, seigneur de la baronnie de Roussis, et son fils Guiscard, se livraient, aux environs de Reims, aux dévastations, au pillage et à toutes sortes de malices ; les plaintes les plus lamentables avaient été cent fois portées contre ces hommes si redoutables. » (Vie de Louis le Gros, par Suger, ch. V, p. 15.)

« Un très-fort château du pays de Laon, appelé Montaigu, était tombé, par suite d’un incestueux mariage, en la possession du seigneur de Marle, homme perdu de crimes… Ses voisins subissaient sa rage, intolérable comme celle du loup le plus cruel, et accrue par l’audace que lui donnait son inexpugnable château. » (Vie de Louis le Gros, par Suger, ch. VII, p. 18.)

« … Le château de Montlhéry étant tombé au pouvoir du roi des Francs, il s’en réjouit comme si on lui eût arraché une paille de l’œil ou qu’on eût brisé les barrières qui le tenaient enfermé ; nous avons, en effet, entendu le père de Louis le Gros dire à son fils : — Sois bien attentif à conserver cette tour de Montlhéry, d’où sont parties des vexations qui m’ont fait vieillir, ainsi que des ruses et des crimes qui ne m’ont jamais permis d’obtenir la paix et le repos. — En effet (ajoute l’historien contemporain) les seigneurs de Montlhéry faisaient si bien qu’il ne se passait jamais rien de criminel sans leur concours ; comme d’ailleurs le territoire de Paris était entouré, du côté de la Seine, par Corbeil, à moitié chemin de Montléry, à droite, par Châteaufort, il en résultait un tel désordre entre les communications des habitants de Paris et ceux d’Orléans, qu’à moins de faire route en grande troupe, ils ne pouvaient aller les uns chez les autres que sous le bon plaisir des perfides seigneurs de Montlhéry. »

(Vie de Louis le Gros, par Suger, ch. VIII, p. 21.)

« Hugh, seigneur du château du Puiset, était un homme méchant, riche seulement de sa propre scélératesse et de celle de ses ancêtres ; il ne cessait, dans sa seigneurie du Puiset, d’imiter son père en toutes sortes de scélératesses ; il y a plus, ceux que son père ne déchirait qu’à coups de fouet, lui, plus cruel, les perçait à coups de dard ; devenant d’autant plus arrogant que ses crimes étaient impunis, il osa attaquer la très-noble femme du seigneur de Chartres, ravagea ses terres jusqu’aux portes de cette cité, portant partout le ravage et l’incendie. »

(Vie de Louis le Gros, ch. IX, p. 75)

« Eudes, comte de Corbeil, mourut en ces temps. Il n’avait de l’homme que le nom ; c’était non un animal raisonnable, mais une véritable bête féroce. Il était fils de cet orgueilleux Burchardt, seigneur de Montmorency, audacieux à l’excès et véritable chef de scélérats. »

(Vie de Louis le Gros, par Suger, p. 86)

« Roth-bert, seigneur de Voisy, traversant le marché public un certain samedi, tombe à l’improviste sur ceux qu’il sait être les plus riches, les jette dans les prisons de son château et les met à rançon. »

(Vie de Louis le Gros, par SUGER, ch. X., p. 86)

Interrogeons maintenant un autre historien contemporain de la féodalité :

« Tous ceux des gens du seigneur Enguerrand qui tombaient entre les mains du seigneur Godefrid de Lorraine étaient pendus à ses fourches patibulaires ou bien avaient les yeux crevés et les pieds coupés ; moi-même, j’ai entendu affirmer par un homme du pays, qui prit part dans les temps à cette boucherie, que, dans un seul jour, douze hommes furent attachés à la même potence. »

(Guilbert de Nogent, liv. III, p. 63 et suiv., tome II.)

« … La férocité du seigneur de Coucy est telle que certaines gens, même parmi ceux qui sont réputés cruels, paraissent plus avares du sang des vils troupeaux que ne l’est le seigneur de Coucy du sang des hommes. Il torture ses victimes par des supplices révoltants : Veut-il, par exemple, forcer des captifs, de quelque rang qu’ils soient, à se racheter ? il les suspend en l’air par les parties naturelles qui, cédant au poids du corps, sont arrachées, etc., etc. »

(Guilbert de Nogent, liv. III, p. 68 et suiv., tome I.)

Nous bornerons là, chers lecteurs, ces citations ; elles suffiront à vous prouver que ces monstruosités n’étaient pas exceptionnelles, mais générales, aux temps de la féodalité ; si vous en pouviez douter encore, je vous rappellerais ces paroles d’un historien d’une incontestable autorité :

« De la féodalité datent presque toutes les familles dont les noms se lient aux événements nationaux ; une foule de monuments religieux où les hommes se rassemblent encore ; et pourtant, le nom de la féodalité ne réveille dans l’esprit des peuples que des sentiments de crainte, d’aversion et de dégoût ; aucun temps, aucun système n’est demeuré aussi odieux à l’instinct public… On peut remonter le cours de notre histoire, s’y arrêter où l’on voudra, on trouvera partout le régime féodal considéré par la masse de la population comme un ennemi qu’il faut combattre et exterminer à tout prix ; de tout temps, qui lui a porté un coup a été populaire en France… Je défie qu’on me montre une époque où le régime féodal paraisse enraciné dans les préjugés des peuples et protégé par leurs sentiments. Ils l’ont toujours supporté avec haine, attaqué avec ardeur ; je n’ai garde de vouloir discuter et juger la légitimité d’un tel fait, c’est à mon avis le plus sûr, le plus irrévocable des jugements.

» … Or, quel était le caractère particulier de la hiérarchie féodale ? C’était une confédération de petits souverains, de petits despotes inégaux entre eux et ayant les uns envers les autres des devoirs et des droits, mais investis dans leurs propres domaines, sur leurs sujets personnels et directs, d’un pouvoir arbitraire et absolu. »

(Du caractère politique du régime féodal, p. 243. — Guizot.)

Si je vous cite l’opinion de M. Guizot, chers lecteurs, au lieu d’en appeler au témoignage plus explicite encore d’historiens aussi chers à la démocratie, à la France, qu’éminents ou illustres par le savoir, tels que les Sismondi, les Henri Martin, les Michelet, les Thierry, c’est que M. Guizot ne peut être suspecté de démagogie, comme on dit en ces temps-ci, et puis ce juste hommage rendu à l’autorité de son jugement historique, sera en même temps une sanglante critique de sa conduite actuelle ; les journaux royalistes ne nous apprennent-ils pas que M. Guizot, recommençant son voyage de Gand (dans les salles à manger du faubourg Saint-Germain), s’efforce de fusionner, au profit du droit divin, dans l’espoir de ramener Henri V, le dernier descendant de Hugh le Chappet, fondateur de cette troisième dynastie de rois étrangers à la Gaule, notre mère patrie ? Henri V, héritier de la monarchie de Clovis ; Henri V, qui, selon M. Berryer, ne peut remettre les pieds en France que comme roi de ce peuple conquis par ses ancêtres ! Cette prétention de représenter par tradition la race conquérante a été de tous temps soutenue par les royalistes radicaux : je vous en ai donné des preuves qui ne remontent pas plus haut que les dernières années de la Restauration. Ce fier et audacieux langage n’était que l’écho d’autres paroles prononcées vers le milieu du siècle dernier, et parmi lesquelles je vous citerai celles-ci :

« — ... Il est faux que ce ne soit pas la force des armes et la conquête qui aient fondé primitivement la distinction que l’on énonce aujourd’hui par les termes de noble et de roturier. Il est faux que nous soyons nobles par un autre intérêt que notre intérêt propre ; nous sommes, sinon les descendants en ligne directe, du moins les représentants immédiats de la rare des conquérants des gaules, leur succession nous appartient, la terre des gaules est à nous. »

(Hist. de l’ancien Gouvernement de France, par M. le comte de Boulainvilliers, tome 1, p. 21-37.)

Permettez-moi, chers lecteurs, en terminant, de vous remercier encore de la continuité de votre bienveillant intérêt pour cette œuvre, rendue presque de circonstance par les inconcevables prétentions des partis rétrogrades. Qui eût dit, lorsque j’ai commencé à publier ce livre, qu’aujourd’hui, en l’an IV de notre immortelle République de Février, il y aurait opportunité, nécessité, patriotisme à combattre le trône et l’autel, afin de nous prémunir contre les éventualités de l’avenir en évoquant les honteux et terribles souvenirs du passé !

EUGÈNE SUE,...............................
Représentant du Peuple................……...

Paris, 25 juin 1851.


  1. Voir pour plus de détails le Glossaire de Ducange, au mot marchetta-marchetum.