Les Noces de Vaugirard

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Les noces de Vaugirard
ou Les naifvetéz champestres . Pastoralle dédiée à ceux qui veulent rire. Par L. C. D.
chez Jean Guigard.


PERSONNAGES

PANCRACE, vieil Berger, père d'Amarille.

FLORIDON, mari d'Amarille.

POLYDAS, Berger.

PYSANDRE, Berger.

LIDIANE, Bergère.

CLÉANIDE, Bergère.

AMARILLE, Bergère.

LUCIANE, vieille, mère de Lidiane.

LES DEUX PECHEURS.

LE JUGE.

LE PROCUREUR FISCAL.

LE GREFFIER DE VAUGIRARD.

LES DEPUTÉS DE VAUGIRARD.

L'OMBRE DU GRAND CASTRAPPE, magicien.


ACTE I.



Scène I.

Pancrace

Enfin le juste Ciel par un saint hyménée, De ma fille ce jour borne la destinée, Lui donnant un Berger digne d'affection, Autant riche de biens que de perfection ; Le plus sage et dispos de tout notre village, Et qu'on voit posséder le meilleur héritage : Outre ses grands troupeaux qui font dire aujourd'hui Que l'on en voit fort peu qui soient pareils à lui : Il sait le cours par cœur du grand éphéméride : Sur tous les différends des Bergers il préside, Avec un jugement si rempli de raison, Qu'il en sait plus que moi qui ai le poil grison. Le Juge de ce lieu le plus souvent le mande, Pour résoudre avec lui tout ce qu'on lui demande : Il a de la prudence et du savoir beaucoup, Il a l'invention pour empêcher qu'un loup N'aborde son troupeau, et sait un artifice Pour en toutes saisons accoupler la génisse. Ses brebis, son bélier, ses chèvres, et son chien, Il fait danser un branle, une courante, ou bien Jouant de son pipeau de cent sortes d'aubades Il leur fait dans nos prés faire mille gambades : Et puis quand il lui plaît, nos fillettes souvent Feront voir en dansant le derrière et devant, Par un charme qu'il fait, et bien d'autres merveilles, Ma fille à son bonheur n'aura point de pareilles : Et s'il n'était encor ce jourd'hui marié Les Nymphes de ce lieu l'auraient d'amour prié : Tant son corps est aimable en toute modestie, Ou la Nature agit en chacune partie, Grâces, beautés, vertus, forment son action, Bref, c'est le cabinet de la discrétion, Que je puis m'assurer d'avoir ce jour pour gendre, Ma fille, sotte un peu n'y voulait pas entendre, Et si elle n'eut craint le paternel courroux Elle ne l'eut jamais accepté pour époux. Un pasteur inconnu de nom et de lignée Avait si puissamment sa volonté gagnée : Que si je n'eusse bien ce jeune esprit pressé L'accord fait entre nous ne serait point passé : Mais ma foi maintenant la bécasse est bridée Encor que ce Berger vive dans son idée, Et que par un article écrit au compromis, Son amoureux époux ait par sa foi promis, Que de six mois entiers du jour du mariage, Il ne la pressera d'avoir son pucelage : Ceste clause pourtant ne m'afflige qu'un peu, Car je crois que la mèche étant auprès du feu Pourra bien s'enflammer si l'amour de ses ailes Peut faire de leurs cours sortir des étincelles, Ha ! Que ne peut l'amour, sa puissance peut tout Et des plus dédaigneux il sait venir à bout, J'espère dans neuf mois ou un peu davantage, Qu'ils verront d'un enfant accroître leur ménage Certes l'occasion fait naître le désir, Et je sais que ma fille étant à son plaisir Auprès de sa moitié, ne pourra dans la lice Passer une ou deux nuits sans ce doux exercice Car il est trop friand pour ne le goûter pas, Son berger est rempli de si charmants appas Qu'il ne l'aura jamais deux seules fois baisée, Que cet amoureux jeu ne la rende apaisée : Quand on voit de beaux fruits on en voudrait goûter, Je n'ai plus désormais de quoi me tourmenter Voici le lieu public où Pysandre s'apprête Pour se faire estimer le valet de la fête, La serviette en la main, le bouquet de muguet, Fait voir qu'il mènera le second branle gai, Le premier par sus tous à moi seul je réserve, Et par discrétion l'honneur me le conserve, De tous ceux qui ont bu un peu trop sans raison, Il n'en est demeuré que deux à la maison : Le Berger Petrolin et sa femme Macée, Mais discourant ainsi de pensée en pensée, Je retarde beaucoup, sans doute l'on m'attend Ce murmure ici près et ce bruit que j'entends, M'annonce leur venue, il faut que je m'avance Afin que par la main je la mène à la danse, Je viens de donner ordre au souper préparer Pendant que ces amants pensent à leur parer. [80]


Scène II.

Floridon

Ravi dans un bonheur qui me suit à la piste, Qui condamne ma peine et ma fortune assiste, Qui me promet encor des plaisirs non-pareils, Que j'espère goûter entre les deux soleils Qui premiers paraîtront dessus notre hémisphère, Bref qui me donne en fin les biens qu'amour confère. Puisqu'aujourd'hui je sors des liens du tourment, Je me puis dire heureux plus que pas un amant Amarille est l'objet où butte ma victoire Amarille est le Ciel où se borne ma gloire, Amarille est le point de ma félicité, Amarille est le prix de ma fidélité, Amarille est le bien que mon esprit désire, Amarille est le centre où ma fortune aspire. Amarille en un mot, est tout ce que je veux Et son cœur et le mien n'en feront qu'un des deux Que de contentement quand une flamme égale Partage ses douceurs sur une amour loyale, Je pensais qu'à regret elle eût donné sa foi Qu'un Berger inconnu qu'elle a vu depuis moi, Eut dans son jeune cœur allumé quelque flamme, Mais ce contentement me demeure dans l'âme, D'avoir vu cet amant perdre en un même jour Le loyer de sa peine avecque son amour, À sa confusion nos lois sont mutuelles Et le refus qu'a fait ce miracle des belles : Ce tableau raccourci de toutes raretés, Dont Vénus et l'Amour admirent les beautés : N'était que pour masquer son dessein d'une feinte, Que ce qu'elle en faisait n'était que par contrainte Afin que l'étranger n'accusât son esprit D'avoir trop peu d'amour à son désir prescrit, Cette ruse m'a plu autant qu'on saurait dire Mais le voici qui vient, et moi je me retire, Aussi bien l'on m'attend, sans moi l'on ne peut rien, Amour guide mes pas vers l'objet de mon bien. [116]


Scène III.

Polydas

Beger Infortuné Polydas misérable, Que la rage possède et le malheur accable, Quel funeste démon glisse en ce lieu ses pas Pour voir devant tes yeux ravir d'entre tes bras Une jeune beauté (que la gloire accompagne) Et qui t'a fait venir habiter la campagne. Où est ton sentiment, ta gloire, ta valeur, Peux tu voir malheureux cet insigne voleur Triompher aujourd'hui de ta belle maîtresse ? Si je ne m'attendéis à la juste promesse Qu'à ma fidélité elle a faite ce jour, Qu'il n'aura de six mois le fruit de son amour, Je jure ce soleil qui m'a l'âme ravie, Qu'avant le jour passé il n'aurait plus de vie, Mille coups de poignard par un pur assassin Du traître Floridon auraient percé le sein, Pour tirer la raison d'un si fâcheux outrage. Mon courage assez grand peut faire davantage Si ce n'était l'espoir que son affection Tiendra ferme toujours sa résolution, Je rendrais tellement sa noce malheureuse Qu'à jamais la mémoire en serait odieuse. Mais j'espère bientôt l'enlever de ce lieu, Un vaisseau que j'attends doit arriver dans peu, Quand le vent l'aura fait jeter l'ancre au rivage Je ne tarderai pas un moment davantage : Prenons donc patience, attendant ce bon heur Je m'en vais à sa noce où m'invite l'honneur, De peur que l'on ne tint suspecte ma personne, Et que de notre fait quelque chose on soupçonne, Le son de ces hautbois dit qu'ils viennent ici Pour ne les rencontrer je prends ce chemin ci.


Scène IV.

Pancrace, Polydas, Lidiane, Floridon, Amarille, Luciane, Pysandre, Cleanide.
Pancrace

Or sus mes bons amis que chacun prenne place, Que l'on nous donne un branle et que de bonne grâce, On danse gaiement, de cœur, d'affection Je vous veux faire voir ma disposition. [152]

Polydas

Je ne pouvais choisir l'occasion meilleure, Me voici justement arrivé de bonne heure Pour les voir commencer, admirons donc leur pas, Je serai fort joyeux qu'ils ne me voient pas, Dieux ! Quelle est la beauté qui marche la seconde, Il ne se peut rien voir de pareil en ce monde, Confus en contemplant ses belles actions Je demeure étonné de ses perfections, Considérez un peu son port, sa bonne mine, Vous jugerez qu'elle est quelque grâce divine, De vallée ici bas pour le faire admirer, Certes c'est un soleil que l'on doit adorer, Diane oncques ne fut si belle ni légère, Je crois que c'est Venus déguisée en Bergère, Ou sans doute les deux lui cédant leurs appas, L'ont faite des beautés la merveille ici bas : Voyons plus à loisir sa grâce et ses mérites, Indubitablement c'est l'une des Charites. [170]

Pancrace

Sus c'est assez branler Messieurs les violons, Donnez nous la gaillarde, ou bien les Pantalons.

Polydas

Non, non je ne puis plus demeurer en silence, Pour saluer la troupe il faut que je m'avance.

Pancrace

Où cet amant transi vient il dresser ses pas, Il ne faudra que lui pour troubler nos ébats.

Polydas

Bergers permettez moi la faveur excellente, Qu'avec cette beauté je danse une courante.

Pancrace

Vous avez tout pouvoir de commander ici.

Polydas

De même en mon endroit vous le pouvez aussi. [180]

Lidiane

Berger pour mon sujet c'est prendre trop de peine, Souffrez que Floridon ou Pysandre me mène.

Polydas

C'est le plus grand honneur qui me puisse arriver, Ma belle, ne daignez de cet heur me priver.

Lidiane

Je n'ose le donner à votre courtoisie Sans qu'un fâcheux effet de quelque jalousie, Ne glisse dans le cœur de chacune beauté.

Polydas

Elles ont trop d'esprit et trop d'humilité, Joint qu'il n'y en a point en ces nombres d'élites Qui ne voulut céder à vos rares mérites. [190]

Lidiane

Beau Pasteur je n'ai pas assez de vanité Pour croire ce discours loin de la vérité.


Pancrace

Les jeunes amoureux que de grâce et d'adresse Chacun mène danser et baiser sa maîtresse.

Polydas,
remenant Lidiane à sa place.

Belle nymphe excusez mon importunité. [195]

Lidiane

Pour vous servir toujours j'aurai la volonté.


Pancrace

Hola hola Bergers c'est assez pour cette heure Autre occupation qui est beaucoup meilleure, Nous attend au logis allons vite dedans Faire sur le souper danser toutes nos dents. [200]

Floridon

Adorable sujet qui m'a l'âme asservie, Allons passer heureux ensemble notre vie, Ne veux-tu plus danser dis-le moi librement,

Amarille

C'est le moindre souci de mon contentement.

Pysandre,
à Cleanide.

Quel heur ont ces amants, est il pas vrai ma Reine, Nous voudrions bien tous deux être en la même peine.

Cleanide

Mon espoir qui n'attend que le vouloir des Dieux Me fait imaginer qu'ils font tout pour le mieux.

Polydas,
à Lidiane.

Déesse à qui l'amour ce grand Dieu doit l'hommage, Permettez que ma main vous remène au village, [210]

Luciane

Pancrace prêtez moi s'il vous plaît votre main, Car de votre maison je sais mal le chemin.

Pancrace

Très volontiers mamie, allons à la pareille, Quand je vous vois l'amour dans mes os se réveille : Il me souvient toujours de ma défunte Alix, Dont le teint était peint de roses et de lys.

Luciane

Moqueur en mon endroit vous n'avez bonne vue.

Pancrace

Ha quand j'y pense encor ce seul regret me tue.

Luciane

Ce regret inutile n'apporte que tourment, Allez n'y pensez plus, marchons tout doucement. [220]

Pancrace

Luciane il est vrai votre raison est bonne.

Luciane

Approchez plus près de ma personne.

Lidiane

Ô dieux que la vieillesse est d'une étrange humeur, Ma mère je vous suis.

Polydas

Dieux que j'ai de malheur.


Scène V.

Amarille, Polydas.
Amarille

De la confusion maintenant délaissée, Je viens entretenir à loisir ma pensée, Pendant que le festin rend nos amis contents, Je me suis dérobée aux yeux des assistants, Pour venir librement plaindre la jalousie, Qui depuis le matin trouble ma fantaisie, Ce ver sans nul repos me dévore le coeur, Et dedans le plaisir je trouve la douleur, Parjure Polydas, ingrat, est il possible Que tu pense aujourd'hui que je sois insensible ? Que je puisse souffrir sans regret furieux Qu'à un autre qu'à moi tu fasses les doux yeux : Non perfide, non non, ne crois pas que mon âme Pour aimer mon époux puisse éteindre la flamme Qui pour ton seul sujet s'alluma dans mes os : J'ai trop d'affection, j'aime trop ton repos, Jamais le changement ne blessa mon envie, Et ne crains point encor ce reproche à ma vie, Tandis que mon esprit fera sa fonction, J'aurai toujours pour toi la même affection : Que depuis un long temps je t'ai partout montrée, Et presqu'à tous moments sur mes genoux jurée : Mais toi, sot, inconstant, fol, volage, et trompeur, Ton amour dure moins que le mail de la fleur, Qui naissant au matin se perd l'après-dîner, Et sans doute qu'Iris nourrit ta destinée : Mais ne le vois je pas ? Oui, voici l'effronté, Je lui veux témoigner un visage attristé, Afin qu'à l'action froide et sans raillerie Il connaisse à l'instant d'où vient ma fâcherie. [252]

Polydas

Si jamais amoureux a souffert des tourments Parmi le bal, la danse, et les contentements, Je pense avoir senti plus de mal en mon âme, Que n'en ont enduré ni Pâris, ni Pyrame, J'ai tout seul supporté dedans ma passion, Des tourments plus cruels que n'endure Ixion, Me voyant engagé dans un respect de crainte, Qu'aucun par un soupir ne connût ma contrainte. Mais enfin dégagé de ce piège tendu, Je puis plaindre mon mal et sans être entendu, Ni vu de cet Argus, mais des yeux de Diane Moins belle en vérité que n'est ma Lidiane, Je puis chanter tout haut sa gloire et ses appas, Ô bons Dieux ! Qu'ai je dit, parlons un peu plus bas. J'aperçois Amarille, ha ! Ciel, si cette belle M'a ouï, elle dira que je suis infidèle, Il faut feindre pourtant pour ôter le soupçon, De m'avoir entendu parler de la façon : Hé Dieux, où va si tard une belle épousée ? Viens-tu mon coeur ici, afin d'être baisée : Encor une ou deux fois avant que ton mari Prenne même faveur que moi ton favori. [275]

Amarille

Tout beau, Berger, tout beau, votre créance est vaine, Sachez que ce sujet nullement ne m'amène.

Polydas

C'est donc quelque dessein qui est particulier,

Amarille

Rien moins.

Polydas

N'as tu point peur que dedans un hallier Quelqu'un se soit caché, qui cruel et profane T'enlàve.

Amarille

Je n'ai pas les yeux de Lidiane Pour rendre les Bergers amoureux de ma peau.

Polydas

Ha ! De quelque courroux arrivé de nouveau, Ton esprit est troublé, mamour, je te conjure, De me dire qui peut t'avoir fait une injure, Car j'atteste l'amour qui nourrit nos désirs, De l'aller massacrer au milieu des plaisirs.

Amarille

C'est un jeune pasteur qui avec son amante, À la noce a dansé la première courante. [290]

Polydas

Quoi, ma nymphe, est-ce moi que tu accuses ainsi ? Ha ! Je sais d'où peut naître à présent ton souci ; Confesse librement qu'un trait de jalousie En me voyant danser a ton âme saisie.

Amarille

Mon soupçon n'est conçu qu'avec bonne raison, [295]

Polydas

Ma belle tu m'accuse ici de trahison, Si je l'ai fait danser je t'assure mon âme, Que c'était pour chasser le soupçon et le blâme De ceux qui ont ouï parler de nos amours.

Amarille

Lidiane nommée en vos meilleurs discours, M'assure qu'en ma place elle a nom de fidèle.

Polydas

Je te jure mon tout, que si j'ai parlé d'elle, C'était pour librement déplorer le malheur, Qui d'être ton époux m'a ravit le bon-heur. N'embrouille ton esprit sur ce nom inutile, Car dessous celui-là j'entendais Amarille : Rassure mon souci, ton émulation C'est blesser le saint nœud de notre affection Et si de mon côté telle faute est trop grande, Ma Reine à deux genoux le pardon j'en demande. [310]

Amarille

Croirai-je ta parole un véritable effet ?

Polydas

Par moi la vérité ce discours vous a fait.

Amarille

Je te pardonne donc.

Polydas

Telle faute remise, La faveur d'un baiser me doit être permise,

Amarille

Prend garde que quelqu'un n'arrive à l'impourvu, [315]

Polydas

J'aimerais mieux mourir que quelqu'un nous eut vu.

Amarille

Adieu je m'en retourne.

Polydas

Adieu belle déesse.

Amarille

Pensez de m'enlever suivant votre promesse Je vous garde six mois ma pure chasteté.

Polydas

Ce ne sera si tôt que je l'ai souhaité, Mais excusez aussi, si en votre présence, Je caresse quelqu'autre évitant médisance.

Amarille

Ne crains pas, mon espoir connaissant ton humeur, Que jamais mon esprit retombe en telle erreur.

Polydas,
seul.

.

Pauvre Amarille, hélas, te voila bien trompée, Tu crois que ma raison soit toujours occupée À penser aux appas de tes perfections, Et c'est le moindre but de mes conceptions. Lidiane toujours vivra dans ma pensée, D'où l'image à jamais ne peut être effacée, Aussi bien sans mentir je ne croirai jamais Que tu puisses empêcher ton mari désormais De goûter les douceurs de l'amoureux martyre, Tenant entre ses bras le sujet qu'il désire, Joint que sur ta beauté Lidiane a le pris, Mais je veux retourner peur d'être encor surpris. Afin de remener cette rare merveille, Amour fais la moi voir avant que je sommeille : Favorise l'effet de mon contentement, Et je te ferai voir que je suis vrai amant. [340]


ACTE II.



Scène I.

Lidiane, Polydas.
Lidiane

Que celui est heureux qui lors de sa naissance, Perd aussitôt le jour qu'il en a connaissance : Il ne se voit sujet aux rigueurs du destin ? Et n'est point du malheur le renaissant butin, Les disgrâces d'amour à nous autres communes, Ne troublent son repos d'aucunes infortunes : Jamais en son esprit il n'est inquiété Si ce n'est pour louer la juste Déité : Alors qu'il reconnaît que ces pieux offices Ne peuvent de Jupin payer les bénéfices : Hélas pauvres mortels à combien de tourments, Sommes nous destinés depuis les deux moments Que nous sommes conçus et produits sur la terre, Toutes sortes d'ennuis nous vont livrant la guerre : Jusqu'au dernier soupir qui cille nos deux yeux D'un sommeil éternel qui nous rend glorieux : Ô mort combien de fois depuis que je suis née, Ai-je désiré voir trancher ma destinée ! Je n'avais pas encore l'usage de raison, Lors que je commençai de goûter le poison. Des douloureux regrets d'une fuite causée, Par les guerriers exploits du Prince de Luzée : Et puis de temps en temps les plaintes, les douleurs, Les disgrâces, le mal, bref infinis malheurs, Compagnes en tous lieux m'ont suivis à la piste. Mais laissons ce parler, il est un peu trop triste. S'il fallait de mes maux réciter tout le cours, Trois jours ne suffiraient pour un si long discours. L'on dit qu'il n'y a rien qui soit plus agréable Que de penser à ceux dont le corps est aimable : Et qui par les attraits de leurs perfections, Ont fait naître en un cour quelques affections : Aussi, pour divertir mon esprit des pensées, Qui me font toujours voir mes fortunes passées, Je veux l'entretenir sur les charmants appas, Et parfaites vertus du berger Polydas, Mon Dieu qu'il est aimable et qu'il a bonne grâce, La beauté de l'esprit correspond à la face : Ce miracle d'amour a des yeux ravissants, Et dans ses cheveux d'or s'enchaînent tous mes sens. S'il est aussi constant comme il est agréable, Certes en vérité son corps est adorable : Et je croirai plutôt que ce soit quelque Dieu En berger déguisé, qu'un pasteur de ce lieu. Toutes ses actions et sa docte éloquence, Font voir que d'un pasteur il n'a point pris naissance : Son port plus relevé que cette nation, Monstre qu'il tire lieu de notre extraction : C'est peut être un Seigneur, que quelque sujet porte À délaisser la Cour déguisé de la sorte : N'importe tel qu'il soit, il promet de m'aimer ; Aussi son bel objet a su mon cœur charmer De telle passion, qu'une amour réciproque Ne veut que mon désir jamais ne la révoque : Je serai très heureuse et lui sera content, Nos cœurs changés en un, sera toujours constant. Personne ne saurait empêcher votre envie, Mais n'aperçois-je pas ce Soleil de ma vie, Ce Phénix des amants qui s'achemine ici ?

Polydas

Sans mentir tu dis vrai ma nymphe, le voici Tout prêt de t'obéir si tu le crois propice, À te rendre aujourd'hui quelque courtois office.

Lidiane

De si bonne façon vous savez obliger, Qu'impossible serait de s'en pouvoir venger : L'excès d'humilité joint à la courtoisie, Font que pour obliger votre âme fut choisie, Mais si le Ciel un jour à ma suasion, Fait que pour vous servir naisse l'occasion : Je vous témoignerai par mon obéissance, Que je n'ai rien si cher que votre bienveillance. [410]

Polydas

C'est à moi bel objet à souhaiter tel heur, Votre amitié m'est plus que tout autre faveur, L'honneur que je reçois d'être en si bonne estime, Auprès d'une beauté que la prudence anime : Fait nager mon esprit en des contentements, Qu'on ne peut exprimer que par ravissements.

Lidiane

Berger excusez moi j'ai si peu de mérite, Que le moindre pasteur me voyant prend la fuite.

Polydas

Je ne m'étonne pas de sa fuite, mon œil C'est qu'il craint de brûler aux rayons du Soleil, Mais moi comme celui qui vole avec prudence, J'ose m'en approcher sans craindre leur puissance

Lidiane

Leur pouvoir que l'on voit moindre qu'une vapeur, Ne doit les approchant donner aucune peur :

Polydas

Leur pouvoir est si grand que fermant leur paupière, La nuit au même instant nous ôte la lumière.

Lidiane

Ô Dieux ! Où votre esprit s'alambique les sens.

Polydas

C'est à vous que l'on doit les voeux et les encens.

Lidiane

Pasteur telle louange est beaucoup inutile.

Polydas

Je n'eusse pas quitté l'amitié d'Amarille : Si vous yeux absolus dessus mes volontés, Ne m'eussent commandé d'adorer vos beautés.

Lidiane

Je me tiendrai berger infiniment contente D'être de vous vertus la très humble servante.

Polydas

Ce titre m'appartient plus légitimement, Et pour en voir l'effet, commandez seulement.

Lidiane

Puisque vous me donnez ce pouvoir sur votre âme, Je commande à vos yeux de ne voir nulle dame, Qui plus belle que moi les puissent captiver.

Polydas

Ne craignez pas cela, il ne s'en peut trouver : Les Dieux qui vous on faite au modèle des grâces, Veulent que vos beautés tiennent ici leur places.

Lidiane

Amarille pourtant est bien auprès de vous,

Polydas

Je confesse en effet qu'avant qu'elle eut époux, Je l'aimais grandement, mais étant engagée A l'aspect de vos yeux, mon amour s'est changée. Toutefois d'un seul point je vous veux avertir, C'est que si quelquefois venant se divertir, Je témoignais encor quelqu'amitié pour elle, Ce ne sera que feinte.

Lidiane

Ha c'est être infidèle. [450]

Polydas

Mais c'est pour prévenir la jalouse fureur, Qui se pourrait glisser dans votre belle humeur.

Lidiane

Si telle feinte aussi se trouve véritable,

Polydas

Ha que plutôt le Ciel d'un foudre épouvantable. Mette mon corps en poudre ayant manqué de foi, Envers votre beauté que j'aime plus que moi.

Lidiane

Où en sont les témoins ?

Polydas

Ces baisers pleins de flamme, Qui pour votre sujet met en cendre mon âme.

Lidiane

Gardez que quelque Argus voie la privauté Dont vous venez d'user envers ma chasteté, Allons sous ces ormeaux nous asseoir un quart d'heure, Pysandre ne saurait faire longue demeure.

Polydas

Ni Cléanide aussi car ses agneaux aux champs. Vous la verrez ici venir passer le temps.


Scène II.

Pysande, Cleanide, Polydas, Amarille, Lidiane, Lidiane.
Pysandre

Allez petit troupeau savourer les herbettes, Pendant que je dirai mes belles amourettes : Aux échos qui souvent entendant mon tourment, Me promettent toujours quelque soulagement. Ce qui fait que souvent leur antre je visite, L'amour à tout moment sans trêve m'y invite.

Écho

Vite. [470]

Pysandre

Attend fille de l'air je ne veux ton repos, D'un discours importun interrompre si tôt.

Écho

Tôt.

Pysandre

Je n'ai pas le loisir rien encor ne se gâte, Mon esprit sur l'amour ne court en si grand hâte.

Écho

Hâte.

Pysandre

Ne m'importune plus, car je n'en ferai rien, [475] Mon âme maintenant veut un autre entretien.

Écho

Tiens.

Pysandre

Quoi que veux-tu donner importune criarde Je fuirai si ta voix le silence ne garde.

Écho

Garde.

Pysandre

Le récit des malheurs dont un amant joui, Rend il en quelque effet ton esprit réjoui ?

Écho

Oui. [480]

Pysandre

Inhumaine ! Adieu donc, ne crains pas à cette heure Qu'en ce lieu désormais plus longtemps je demeure.

Écho

Meure.

Pysandre

Cette fâcheuse Écho de l'un à l'autre bout, Pour me désespérer me veut suivre partout.

Écho

Partout.

Pysandre

Si n'en feras-tu rien car en changeant de place, Je n'écouterai plus de ta voix la menace.

Écho

Menace.

Pysandre

Je te conjure Écho par l'amoureux lien. De ne plus empêcher le repos de mon bien.

Écho

Bien.

Pysandre

Dieux, que ce beau Narcisse avait sur toi d'empire, Si Junon t'eut permis lui conter ton martyre : Et que ce beau visage eut chéri ta beauté, Un beau cristal mouvant ne te l'eut pas ôtée : Certes tu méritais l'amour de ce Cephide, Comme j'ai mérité l'amour de Cléanide : Par tant de longs travaux soufferts si constamment, J'ai crainte que ma Nymphe aussi pareillement Regardant sa beauté dans une eau Cristaline, Rende amoureux ses yeux de sa face divine, Pour mépriser après les feux de mon Amour, Je me suis cette nuit avisé d'un bon tour, Pour baiser quelque fois cette petite bouche, Qui ravit tous les coeurs avant que l'on y touche Qui paraît mille fois plus rouge que corail, Ceinte d'un marbre blanc plus luisant que l'émail, Ô dieux que de plaisir ce dessein me prépare, Voici ce bel objet où nature s'égare, Dans l'admiration de ses charmants appas, Voyons si mon dessein ne réussira pas. [505]

Cléanide

Belles fleurs que Zéphir incessamment caresse J'ai peur que l'on m'accuse aujourd'hui de paresse : D'avoir mis si longtemps à venir visiter, Votre émail bigarré qui sait l’œil contenter : Et vous arbres sacrés, bois, rochers et fontaines, Qui de mon chaste amour tous seuls savez les peines, Ne les publiez pas de peur que mon berger De mon affection se veuille avantager : Et vous air gracieux gardez que ma parole, Par le vent emportée à ses oreilles vole : Je n'ai su plus matin délaisser le logis, J'ai laissé mon mâtin pour garder mes brebis, Cependant que je viens pour faire une guirlande, Que mon berger aura pourveu qu'il la demande.

Pysandre

À l'aide, hélas ! Je meurs, ô secours ô secours !

Cléanide

Pysandre qu'avez vous ?

Pysandre

Je vais finir mes jours.

Cléanide

Hé Dieux dites le moi.

Pysandre

Sachez rare merveille, Qu'en passant dans ce pré une mauvaise abeille m'a planté l'aiguillon sur la lèvre, ha je meurs Les violents efforts de ces âpres douleurs, Me ravissent l'esprit, adieu chaste bergère,

Cléanide

Prend courage pasteur, la peine est fort légère. Si ce n'est que cela, mon berger, ce n'est rien, Dans un quart d'heure au plus tu te porteras bien, Prête que je la suce, ô La Fortune étrange ! Sens-tu allègement ?

Pysandre

Pas encore mon ange,

Cléanide

Hé bien es-tu guéri ?

Pysandre

Non encore un petit, Ce remède excellent me met en appétit. [536]

Cléanide

Finet serait ce point quelque tour de souplesse ?

Pysandre

Non je jure tes yeux ma fidèle maîtresse.

Cléanide

J'en doute fort pourtant.

Pysandre

Ha que plutôt la mort Sur ce corps innocent fasse un dernier effort. [540]

Cléanide

Si est-ce que si plus un tel mal te possède, Tu pourras bien ailleurs aller chercher remède.

Pysandre

Pourquoi, si dans ta main tu tiens ma guérison, Me lairras tu mourir contre toute raison ?

Cléanide

J'y aviserai lors.

Pysandre

Tu serais inhumaine. [545]

Cléanide

Ne parle plus berger, car voici dans la plaine La chaste Lidiane et le beau Polydas.

Pysandre

Allons au devant d'eux marchands au petit pas.

Polydas

Pan, Diane et l'Amour vous comblent de liesse.

Pysandre

Que Bacchus et Ceres vous comblent de richesse. [550]

Lidiane

Le Ciel fasse sur vous toutes faveurs pleuvoir.

Cléanide

Que la docte Pallas vous donne son savoir.

Polydas

Où allez vous ainsi discrète Cléanide, Avec ce beau Pasteur votre fidèle guide ?

Cléanide

Ravis de votre vue où loge le bonheur, Pysandre et moi venons en rechercher l'honneur.

Polydas

C'est nous qui recevons cette faveur extrême, Et croirons vous servant jouir d'un bien suprême.

Pysandre

Courtois dans la parole autant que dans l'effet Oblige nos désirs d'avoir pareil souhait. [560]

Polydas

Vous savez tout le monde obliger au possible, Et pour ne s'en venger faudrait être insensible.

Pysandre

Je réfère ce point à votre humilité.

Polydas

C'est pour faire admirer votre civilité.

Lidiane

Tous ces beaux compliments empêchent notre envie. [565]

Polydas

Quel dessein faites vous lumière de ma vie ?

Lidiane

De passer gaiement ce qui reste du jour.

Pysandre

À quoi.

Cléanide

Dansons,

Lidiane

Hé bien.

Polydas

Il fait bien chaud mamour.

Lidiane

Jouons à quelque jeu rempli de modestie, Amarille qui vient sera de la partie. [570]

Amarille

Bonjour gaillard troupeau, encor que je sois Contrainte d'obeir aux maritales lois. Pourtant vostre entretien si profitable à suivre, Fait sans voir un jour que je ne sçaurois vivre.

Polydas

C'est trop nous obliger,

Cléanide

Pysandre invente un jeu. [575]

Pysandre

J'en sais plus de deux cents, mais nous sommes trop peu. J'ai dans ma panetière une chose opportune, C'est un petit livret de la bonne fortune. Si vous voulez savoir qui vous arrivera, Piquez et je suis sûr qu'elle vous le dira. [580]

Amarille

Vraiment nous le voulons,

Pysandre

Prenez donc cette aiguille : Pour voir ce que dira cette inconstante fille, Ce fut Endymion qui fit ce beau traité, Et tout ce qu'il prédit ce trouve vérité.

Lidiane

Assisons nous ici mais que cérémonie Soit tout premièrement d'avecque nous bannie.

Polydas

À quoi sert tout cela.

Cléanide

C'est parler franchement.

Pysandre

Amarille tirez s'il vous plaît vitement.

La Fortune,
à Amarille.


Belle vous n'êtes assez fine, pour voir des yeux de votre esprit, celui dont l'amour vous surprit, baiser bien souvent sa voisine.


Polydas

Dieux quel contentement, le bon trait que voilà.

Pysandre

Sus Lidiane à vous,

Amarille

Je ne crois point cela,

La Fortune,
à Lidiane.


Pour être un petit trop hardie, Sur le point de souffrir la mort, Une ombre pour dernier effort, Guérira votre maladie.

Cléanide

Ce parler est obscur.

Lidiane

Je n'y ajoute foi.

Polydas

Vous ne le devez pas,

Cléanide

Pysandre c'est à moi. [600]

La Fortune,
à Cléanide.

.


Ne faites point tant la farouche, Confessez que vous aimez mieux, Les baisers de votre amoureux, Que tous ceux de quelqu'autre bouche.


Amarille

Cléanide est il vrai ?

Cléanide

Non, ne le croyez pas. [605]

Pysandre

Je n'en veux point douter.

Lidiane

C'est à vous Polydas.

La Fortune,
à Polydas.


L'amour qui captive votre âme, Vous fera jeter dans un trou, D'où sortant ainsi qu'un hibou, Trou-Madame: Jeu d'adresse qui se joue avec des boules de bois sur une table. Irez jouer au trou-Madame.


Polydas

Ha voila le meilleur,

Cléanide

Pysandre c'est à vous.

Amarille

Quiconque ait fait cela sans doute il était fou.

La Fortune,
à Pysandre.


Si votre amour ne diminue, Je juge pourtant aujourd'hui, Que vous aimerez bien l'appui, Sur votre nymphe toute nue.


Polydas

Certes ce petit livre est excellemment bon,

Amarille

Berger changeons de jeu car voici Floridon, Défaisons nous de lui sans lui faire paraître.

Polydas

Je prends ce soin tout seul.

Floridon

Pasteurs n'en saurais-je être ? [620]

Pysandre

Très volontiers Berger.

Floridon

À quel jeu jouez vous ?

Polydas

À la cligne-mussette.

Floridon

Et qui l'est de vous tous.

Amarille

Nous allions commencer quand sortant ce bocage, Je vous ai vu venir côtoyant le village.

Lidiane

Je vais mouiller le doigt et quiconque l'aura Pour ne point disputer sans refus clignera : Prenez donc s'il vous plaît.

Floridon

Est-ce toi Amarille,

Amarille

Nenni vraiment,

Floridon

Ni moi.

Lidiane

Qu'à prendre on soit habille, Or sus c'est Polydas allons vite cacher,

Polydas

Je n'arrêterai pas à vous aller chercher, Est-ce fait. [630]

Cléanide

Oui.

Polydas

Ma foi si Floridon j'attrape, Croyez qu'il sera fort si des mains il m'échappe.

Amarille

Vite soeurs sauvons nous.

Polydas

Il vous est fort aisé : Mais où est Floridon

Amarille

Dans un arbre creusé, À douze pas d'ici vous le prendrez sans doute. [635]

Polydas

Or sus vous voilà pris clignez et sans voir goutte. Ainsi comme j'ai fait.

Floridon

Berger c'est la raison,

Polydas

Sus que chacun chez soi s'en aille en sa maison. Allons voir nos troupeaux, des oiseaux le ramage, Dit qu'il nous faut bientôt retourner au village, Et devant qu'il soit nuit dedans quelque autre lieu, Nous pourrons bien encor jouer à quelque jeu.

Floridon

Est-ce fait ? Est-ce fait ? Ô la plaisante histoire, Laissons pour mieux courir ma houlette d'ivoire.

Écho

Voire.

Floridon

Assez proche de moi l'on c'est évanoui Je n'irai pas trop loin est-ce fait dites oui.

Écho

Oui.

Floridon

Allons donc les chercher, l'occasion est chauve, J'ai peur qu'en les cherchant l'un et l'autre se sauve.

Écho

Sauve.

Floridon

Ma foi l'un sera pris au chemin que voici C'est être trop longtemps êtes vous loin d'ici.

Écho

Ici. [650]

Floridon

Ha je ne jouerai plus après cette recherche Il y a trop de temps que partout je vous cherche ?

Écho

Cherche.

Floridon

Hé où, je n'ai point d'yeux qui puissent voir un lieu, Où je n'aie cherché, adieu Bergers adieu ?

Écho

Adieu.

Floridon

Leur voix de qui le son me frappe dans l'oreille Me fait quasi douter si je dors ou je veille.

Écho

Veille.

Floridon

Se sauve qui voudra je lui donne pouvoir, Et tout présentement vous donne le bonsoir.

Écho

Bonsoir.

Floridon

Que sert tant de discours telle feinte me lasse Montrez vous donc Bergers et prenez de l'espace.

Écho

Passe. [660]

Floridon

Telle subtilité ne m'étonnent beaucoup, Et j'en faits moins d'état que du chant d'un coucou.

Écho

Coucou.

Floridon

Pasteurs vous avez tort, n'injuriez personne, Je me sais ressentir quand sujet on m'en donne.

Écho

Donne.

Floridon

Certes quelqu'un de vous en sera mal content Ma houlette et mon bras me le vont promettant.

Écho

Et tant.

Floridon

Je crois que cet Écho qui répond quand j'appelle Pour en être éclairci je veux parler à elle.

Écho

Elle.

Floridon

Ha que je suis fâché d'avoir tant arrêté Ils riront maintenant de ma simplicité. [670]


Scène III.

Pancrace, Luciane.
Pancrace

Un parfait amoureux jamais ne se repose Son esprit captivé ne pense à autre chose, Qu'à chercher chaque jour milles inventions, Pour plaire au beau sujet de ses affections : Aussi depuis qu'amour loge dans ma cervelle Je cherche à tout moment quelque chose nouvelle Pour plaire à la beauté qui m'a d'amour épris Je la trouve cent fois plus belle que Cypris. Et ne l'ayant ce jour vue à la promenade, Je lui viens à ce soir donner la sérénade, Maintenant que la nuit a le dessus du jour, Je veux vite accorder ma flûte à mon tambour, Ha la douce harmonie ha je rendrai Orphée, D'Amphion et de Pan la mémoire étouffée. Sus voila le Palais où mon beau soleil dort Allons le réveiller d'un musical accord : Il me semble déjà que je le vois paraître, Il ne fait jamais nuit où son bel œil peut être. Luciane, coiffée de nuit à la fenêtre.. Bonsoir, bonsoir Pancrace, ha vraiment c'est trop tard.

Pancrace

Un amant comme moi ne craint point le hasard. [690]

Luciane

Certes votre musique est parfaitement bonne.

Pancrace

Il faut qu'encore un air sur ma flûte j'entonne. Hé bien qu'en dites vous.

Luciane

Que vous me ravissez Qu'on ne vous peut donner de louanges assez.

Pancrace

Tout beau belle tout beau mais ayez agréable, Que souvent désormais je fasse le semblable.

Luciane

J'aurais trop de regret de vous causer ce mal.

Pancrace

Au contraire ce bien n'en peut avoir d'égal, Et pourvu qu'en effet ce passe-temps vous plaise, Ce seul contentement rendra mon cœur trop aise : Si vous ne l'obligez d'un heur particulier. [702]

Luciane

J'ai un petit anneau de corne de bélier : Que je vous veux donner recevez-le de grâce.

Pancrace

Ô bienheureux amant, ô fortune Pancrace, Ha c'est trop m'obliger d'une telle faveur, Tenez moi seulement pour votre serviteur : Et croyez que jamais nul ne fut plus fidèle.

Luciane

Prenez-le s'il vous plaît au bout d'une ficelle Ce fut un beau pasteur qui m'en fit un présent, Que j'aimais autrefois comme vous à présent Adieu mon serviteur le sommeil me tourmente Croyez que Luciane est votre humble servante.

Pancrace

Bonsoir ma Reine adieu ô céleste faveur, Allons plus à loisir admirer ta valeur.


ACTE III.



Scène I.

Polydas, Pysandre.
Polydas

L'Inimitié d'un Roi, d'un Prince, d'un monarque, Ne peut de son courroux donner aucune marque : Que par un coup mortel qui passe en un moment, Mais celle de l'amour dure éternellement. On souffre tous les jours mille morts inhumaines Et si cet indiscret se moque de nos peines, Depuis que de ce Dieu le mal contagieux, Voyant une beauté pénétra mes deux yeux : Je crois avoir souffert des gênes plus cruelles, Que n'en souffrent là bas les âmes criminelles : Sa malice sans cesse en a de tous nouveaux Et jamais on ne voit la fin de ses travaux : Hier j'étais content aujourd'hui ma bergère Est captive au logis pour chose fort légère ! Ha Ciel pouvez vous voir m'être fait un tel tort, Sans en punir l'auteur d'une cruelle mort : Non non vous n'avez plus de feux ni de justice Le triomphe est bâti de la gloire du vice : Le coupable à présent reçois par vanité, Ce qu'un pauvre innocent de juste a mérité.

Pysandre

À quoi servent ami tant de plaintes frivoles Sinon qu'à troubler l'air d'inutiles paroles : Je te conjure au nom de notre affliction, De me faire récit de ton affection.

Polydas

Ha c'est renouveler une sanglante plaie Dont l'horreur de penser tant seulement m'effraye. [740]

Pysandre

Celui qui veut d'un mal tirer allègement, Il faut qu'auparavant il dise son tourment.

Polydas

Je crains qu'en récitant mon malheur trop sensible, À me pouvoir guérir se trouve l'impossible.

Pysandre

Le mal est incurable à qui le veut cacher, Mais on a guérison quand on la veut chercher.

Polydas

La mort de tous mes maux est seule médecine.

Pysandre

Nous causons bien souvent notre propre ruine.

Polydas

Une grande douleur n'est facile à porter.

Pysandre

L'artifice souvent peut le cours arrêter. [750]

Polydas

Ma langue ne peut pas dire ce que j'endure.

Pysandre

Le respect quelquefois nous fait souffrir injure.

Polydas

Aux maux désespérés tous remèdes sont vains.

Pysandre

C'est effet de prudence aux esprits des humains, D'accorder plus de chose à raison qu'à colère. [755]

Polydas

Quel plaisir auras-tu d'entendre ma misère.

Pysandre

De prendre avecque toi part de la pitié.

Polydas

La force qui contraint fait perdre l'amitié.

Pysandre

Quand tu m'auras conté le mal qui te possède. Je pourrai bien peut être y trouver du remède. Sans perdre pour cela notre société, Dont je reçois l'honneur sans l'avoir mérité.

Polydas

Apprête donc des pleurs pour ouïr ma fortune, Phébus hier au soir faisant place à la Lune, Retirait sa clarté du séjour des humains, Les faisant de chez eux reprendre les chemins. Et déjà par nos champs une pâleur nocturne Avait fait déloger les oiseaux de Saturne, Dont le funeste chant ne s'entend que la nuit Alors que le silence est éloigné du bruit : Les petits passereaux de leur tendre gorgette, De ma nymphe et de moi entonnaient la retraite, Après t'avoir quitté, ramassant nos troupeaux Nous les reconduisons jusque dans nos hameaux. Puis en me séparant de ma belle maîtresse, Je pris d'elle un baiser, et fuyant de vitesse : Contant je ne pensais que personne n'eut vu Mais sa mère, ô bons Dieux qui m'avait aperçu Au travers d'une vitre accourt et vient à elle : Et de quelques soufflets outragea cette belle : Et non contente encor lui dit qu'elle fera, Que de six mois entiers elle ne sortira : Juge donc si j'ai pas vrai sujet de me plaindre Je n'en eusse rien su sans le berger Philindre : Qui son proche voisin m'a récité ce fait, Donc je puis accuser la Lune du forfait : Car si elle eut permis sa lumière éclipse, Comme au temps qu'un berger vivait dans sa pensée. Cette vieille Alecton n'eut vu la privauté De laquelle j'eusse envers cette beauté : Ô astres inhumains pensant à ce dommage, Je crève de dépit à peu que je n'enrage : Vois donc cher compagnon si je n'ai pas sujet, De quoi me tourmenter en perdant cet objet.

Pysandre

Vous en avez raison mais non pas de la sorte, Qu'il faille qu'un regret dans l'excès vous emporte : Vous savez qu'une mère a le courage bas, Et qu'envers un enfant son fiel ne dure pas : Peut être dès demain avecque ses compagnes, La verrez vous mener ses agneaux aux campagnes. Cependant vous savez que je suis son cousin, Si je vous puis servir comme ami ou voisin : Commandez seulement : car je veux faire au reste, Que vous étant Pylade on m'estime un Oreste.

Polydas

Ce m'est trop de faveur vous êtes trop courtois, Ne faut importuner son ami tant de fois. [805]

Pysandre

Librement voulez vous lui mander quelque chose.

Polydas

Ce petit mot d'écrit en tes mains je dépose Je te conjure ami de lui faire tenir Et t'oblige au surplus de vite revenir. [810]

Pysandre

Je n'y manquerai pas car notre parentèle Me donne à tous moments un libre accès chez elle, Dans une heure au plus tard je serai de retour Rendez vous en ce temps auprès du carrefour.

Polydas

L'amour pour y aller me donnera des ailes, Ami fais qu'aujourd'hui j'en sache des nouvelles. [815]


Scène II.

Floridon, Amarille.


Amarille

L'esprit inquiété de milles pansements, Dont la jalouse ardeur blesse mes sentiments : Sans résolution je demeure confuse, Et dans ma passion une crainte m'abuse : Faisant voir par les yeux de mes sens agités, Combien mon Polydas use de privautés : Par tant de doux regards jetés sur Lidiane, Mille petits souris truchements de l'organe, Semblent dire pour elle à mon affection, Que ce volage amant moque ma passion : Hé dieux serait-il vrai que leur âme traîtresse, Se jouant de mon sort, se rit de ma simplesse : Ha je ne le crois pas les serments qu'il m'a fait, Indubitablement seront mis en effet, Ou bien le ciel rendrait le crime tolérable, Où va cet importun qui me rend misérable.

Floridon

Languirai-je toujours dans l'attente d'un bien Que ma fidélité doit avoir rendu mien : Quel souci continu te ronge la cervelle. [835]

Amarille

De vous voir en ce lieu où je ne vous appelle.

Floridon

Quoi ton contentement va-t-il jusqu'à ce point.

Amarille

Mon plaisir est parfait quand je ne vous vois point.

Floridon

Que je suis malheureux sous la loi d'Hyménée.

Amarille

N'espérez rien de moi mon amour est donnée. [840]

Floridon

Les six mois accomplis ton coeur s'adoucira.

Amarille

Plus vous le pressez et plus il durcira.

Floridon

Si ce n'est d'amitié vous y serez forcée.

Amarille

La force et l'amitié n'ont rien sur ma pensée.

Floridon

As-tu quelque sujet de me traiter ainsi. [845]

Amarille

As-tu quelque raison de me chérir aussi.

Floridon

En quoi t'ai-je méfait que ta haine je porte.

Amarille

En quoi t'ai-je obligé pour m'aimer de la sorte.

Floridon

Ta beauté m'a forcé de lui rendre mes vœux.

Amarille

C'est pourquoi je te hais reprends les si tu veux. [850]

Floridon

Mon cœur est captivé d'une chaîne trop dure.

Amarille

Si tu veux à l'instant j'en ferai la rupture.

Floridon

C'est reconnaître mal les services rendus.

Amarille

Si tu meurs aujourd'hui je t'en rends deux fois plus.

Floridon

Serait donc de regret de servir une ingrate. [855]

Amarille

Je meure, j'ai regret qu'un sot espoir te flatte.

Floridon

Ah mon amour n'a rien de commun que le nom.

Amarille

Ajoute que d'un fol il t'acquiert le renom.

Floridon

Appelle-tu folie une amitié parfaite.

Amarille

Oui, quand l'un des amants a la tête mal faite. [860]

Floridon

Telle imperfection vient donc de ton côté.

Amarille

Je crois qu'en ton endroit ce point est limité.

Floridon

C'est parce que mon cœur avec le tien se lie.

Amarille

Aimer sans être aimé témoigne une folie.

Floridon

Par la même raison nous sommes fous tous deux. [865]

Amarille

Si j'aime Polydas il m'aime encore mieux.

Floridon

Comme quoi penses-tu qu'il chérisse ta flamme ?

Amarille

Autant que la vertu que respire son âme,

Floridon

Que j'y verrai bientôt un subit changement.

Amarille

Ta voix ne me rendra jalouse nullement. [870]

Floridon

Bien changeons de discours car celui-là t'afflige.

Amarille

De t'en aller d'ici que ton amour m'oblige.

Floridon

Absent, ta volonté ne songe plus à moi.

Amarille

Ces arbres, ces rochers, ne parleront pour toi.

Floridon

Muets tu ne craindras qu'ils troublent ton silence. [875]

Amarille

Tu devines vraiment aussi bien que je pense.

Floridon

Dis donc que les oiseaux te diront mes amours.

Amarille

Dit plutôt qu'ils riront oyant tes sots discours.

Floridon

Qu'un baiser enflammé me contente Amarille.

Amarille

Si tu devais brûler je t'en donnerais mille. [880]

Floridon

Enfin mon amitié dessus toi n'aura rien.

Amarille

Que la haine d'avoir troublé mon entretien.

Floridon

Ni faveur ni baiser ni parole agréable.

Amarille

Ces fruits étant trop doux je me rendrais blâmable.

Floridon

J'aimerais donc autant n'être point marié. [885]

Amarille

Tu le peux si tu veux je ne t'en ai prié.

Floridon

Notre hymen a rendu nos cœurs inséparables

Amarille

Je sais bien que le mien fuit de loin tes semblables.

Floridon

Telle haine toujours ne saurait pas durer.

Amarille

Autant que l'on verra le soleil éclairer. [890]

Floridon

Ce bel astre ce soir vaincra donc ta malice.

Amarille

Jamais comme j'entends tu n'y verras d'éclipse.

Floridon

Le temps dissipera cette fâcheuse humeur.

Amarille

Je crois que de la mort dépend tout ton bonheur.

Floridon

Il faut que mon destin la patience attrape. [895]

Amarille

Lorsque tu la tiendras garde bien qu'elle échappe.

Floridon

Je n'aurai donc si tôt le fruit de mon amour. Alors que nous verrons le soleil sans le jour.

Floridon

Vraiment je m'en plaindrai tantôt à votre père.

Amarille

Tant plus on m'importune et plus je suis sévère. Va va retire toi spectre, fantôme hideux, Ta présence me donne encor plus d'effroi qu'eux. Si Polydas témoigne envers moi sa constance Et qu'il me tire un jour de dessous ta puissance Je ferai dans peu voir à tes yeux clairement, Qu'il ne faut marier les filles forcément. Pères mal avisés sur moi prenez exemple, Que chacun des mortels mon désastre contemple : Voyez où m'a réduit le paternel pouvoir, Une plus misérable on ne peut jamais voir. Le souci, la douleur, la jalouse manie, Ont troublé tout à coup de mes sens l'harmonie : Hélas que deviendrai-je après tant de travaux, Peut-être que le Ciel adoucira mes maux. Lorsqu'il contemplera avec quelle constance, Supportant mes ennuis je lui fais résistance : Je veux tous les malheurs rendre à la fin lassés, D'avoir dessus mon chef tant de tourments versés : Celui qui patient souffre de l'injustice, Force son ennemi à lui être propice. [920]


Scène III.

Luciane, Pancrace
Luciane

Que l'indiscrétion fait naître de tourment, À ceux dont les enfants vivent trop librement : J'approuvais fort les lois des antiques familles Dont l'extrême rigueur ne permettait aux filles De voir, ni d'écouter, même de s'enquérir, Des points de quoi l'honneur peut du blâme encourir : À l'âge de vingt ans nulle, d'esprit parfaite, N'eut sut dire comment elle avait été faite. L'amour ne les troublait en leur contentement Ne sachant que c'était d'amante ni d'amant, Mais hélas maintenant on fait gloire du vice, Une fille à douze ans sait autant de malice Que celle qui jamais n'a fait d'autre métier, Que de suivre d'amour le pénible sentier : Le plus ardent désir qui possède leur âme, Est de leur voir changer le nom de fille, en femme : Il n'y a plus d'enfance à ce que je puis voir, Ô que ma Lidiane a trompé mon espoir. Pancrace mon ami il faut que je vous die, Que si autre eut vu cette action hardie : Me le venant conter je ne l'eusse pas cru, Mais c'est un fait certain que mes deux yeux ont vu. Un berger la baisa auprès de notre porte, Dont alors de regret j'étais à demi-morte.

Pancrace

Je ne trouve point là de quoi vous tourmenter, C'est un jeune appétit qui se veut contenter : On est impatient d'avoir ce qu'on désire.

Luciane

Vous êtes un railleur, vraiment vous voulez rire, C'est bien me consoler sur ce fait important.

Pancrace

Vous en avez bien fait autrefois tout autant. Quand j'étais en l'ardeur de ma verte jeunesse Je fusse mort cent fois pour baiser ma maîtresse.

Luciane

Ne dites pas cela, car ma mère en tous lieux, Conduisant mon troupeau ne me perdait des yeux, Et jamais un berger si ce n'est par surprise, N'emportât de ma bouche un baiser de franchise.

Pancrace

Si sais-je bien pourtant que Philin bon garçon, Vous baisa quatre fois à l'ombre d'un buisson.

Luciane

Ha ha malicieux, vous savez des nouvelles Autant que la Gazette.

Pancrace

Ô la Reine des belles, Quand je vois de vos yeux les ravissants attraits Je vois de ma moitié vivre en vous les portraits. [960]

Luciane

À d'autre à d'autre, ami.

Pancrace

Fâchez vous, soyez aise, Si faut-il toutefois que ma bouche vous baise.

Luciane

Mais voyez un petit vraiment vous êtes fous [965]

Pancrace

Du moins votre mari n'en sera point jaloux.

Luciane

Ha ne me faites point revivre sa mémoire Vous me ferez pleurer.

Pancrace

Si vous me voulez croire, Pour achever contents le reste de nos jours, Nous ferons un hymen de nos vieilles amours. [970]

Luciane

Dieux de quoi parlez vous.

Pancrace

Que j'ai beaucoup de force, Et qu'encore au fusil se trouve de l'amorce.

Luciane

Quand le pot est couvert c'est signe, ce dit-on, Que le feu en est loin et la chair se morfond.

Pancrace

Ma calotte vous fait parler de telle sorte, Mais chacun jeune fou par bienséance en porte :

Luciane

Vous vous riez toujours.

Pancrace

Mignonne croyez moi, Sur toutes les beautés je vous aime, ma foi.

Luciane

Ne vous pensez moquer, autrefois j'étais belle.

Pancrace

À qui le dites vous j'étais votre fidèle : Si nos proches parents eussent été amis Ne nous étions nous pas mariage promis ?

Luciane

Hélas je m'en souviens, une telle hardiesse M'a bien depuis ce temps causé de la tristesse, Encore que l'action ne touchât à l'honneur, Mais celle de ma fille est à son déshonneur, Se laissant suborner d'une jeune cervelle, De lignage inconnu.

Pancrace

Dites comme il s'appelle : J'ai un ardent désir de courir de ce pas L'assommer tout d'un coup.

Luciane

Le voici. [990]

Pancrace

Parlons bas.

Luciane

Vous êtes trop hardi.

Pancrace

Quoi ? C'est ce jeune drôle, Qui nos filles cajole et tout chacun contrôle : Je le veux envoyer là-bas faire l'amour.

Luciane

Tout beau ce n'est pas lui.

Pancrace

C'est Pysandre, m'amour, Avant qu'il soit ici regagnons le village Une collation de fruits et de laitage : Nous attend au logis, hâtons nous d'y aller.

Luciane

Je reçois trop d'honneur,

Pancrace

Il n'en faut point parler.


Scène IV.

Pysandre, Lidiane.
Pysandre

L'Amitié d'un ami oblige à l'impossible, Il faudrait être ingrat, mais plutôt insensible, Pour ne le pas servir après que par effet, Il vous a témoigné son courage parfait. Pour servir Polydas mon ami plus intime, J'offrirais à la mort mon âme pour victime, Je n'ai rien de plus cher que sa félicité, Aussi de ses amours fidèle député, Je vais faire tomber ce mot à Lidiane, J'ai crainte de trouver au logis Luciane : Hasard, j'ai prou d'esprit pour savoir déguiser, Et discourant de loin sa prunelle abuser : Je veux tout doucement du pied frapper la porte Je n'oserais quasi, toutefois, il n'importe : Puisque de ce dessein nul ne se doute pas, Hola ho.

Lidiane,
à la fenestre.

.

On y va, parlez qui est là-bas ?

Pysandre

Pysandre,

Lidiane

Excusez-moi, car de peur que je sorte Ma mère a emporté la clef de notre porte. [1015]

Pysandre

Bons Dieux qui l'a contrainte à si grande rigueur.

Lidiane

Le fantastique appas d'un mensonge trompeur : Elle dit avoir vu au travers la fenêtre, Un berger me baiser, jugez s'il ce peut être. [1020]

Pysandre

Ha c'est pour ce sujet trop de sévérité.

Lidiane

Le ciel puisse punir telle inhumanité : Cousin le coeur me fend.

Pysandre

N'y pense plus cousine, Le berger Polydas

Lidiane

Gardez que la voisine : N'entende vos discours.

Pysandre

Reçois donc cet écrit. Pour voir en quel état j'ai laissé son esprit : Ne t'afflige point tant de semblables colères, À bien conjecturer ne peuvent durer guères. Hé bien a-t-il raison ? A-t-il le cœur loyal ?

Lidiane,
lit la lettre tout bas puis dit.

Je ne mérite pas qu'il souffre tant de mal, Cher cousin dites lui que ce qui plus m'afflige C'est qu'avec trop d'ardeur son honneur il oblige Que d'un si grand dessein je crains l'événement Et qu'il ne réussisse à son contentement, Pourtant assurez le sans craindre la tempête Que pour lui obéir je serai toujours prête.

Pysandre

Adieu je me retire afin qu'en devisant Nous ne soyons ouïs de quelques médisants : Jugez si je vous puis servir en quelque chose.

Lidiane

Pysandre entre vos mains mon honneur je dépose : Que le Ciel puisse un jour faire naître un sujet, De vous pouvoir servir en quelque bon projet. Dieux qu'il me tardera que la nuit soit venue Il me semble déjà que mon mal diminue : Puisque mon cher amant me doit tirer d'ici, Je m'en vais m'apprêter, et mon bagage aussi.


Scène V.

Luciane, Pancrace, Polydas, Pysandre.
Luciane

Pancrace en vérité vous êtes un prodigue Le sujet ne vaut pas la peine et la fatigue : Que vous prenez pour lui, car je jure ma foi : Qu'un si riche festin méritait mieux que moi. [1050]

Pancrace

Ha ne vous moquez point j'ai assez de courage, Pour à votre sujet faire encor davantage.

Luciane

Vraiment vous ne sauriez.

Pancrace

Excusez seulement, Si je ne vous ai fait un meilleur traitement. Mais quoi le bon accueil passe la bonne chère, Cette collation était un peu légère : Mamie priez Dieu donc, pour les maltraités Car vous ne l'êtes pas comme vous méritez.

Luciane

Mon dieu pardonnez moi, c'est trop d'honneur Pancrace, Tenez moi, s'il vous plaît en votre bonne grâce. Adieu jusqu'au revoir. [1060]

Pancrace

Je vous veux remener Mais qui sont ces bergers que je vois cheminer Là bas dedans ce pré proche de ces logettes.

Luciane

Attendez, s'il vous plaît que j'aie mes lunettes C'est ce jeune galant qui sait si bien baiser. [1065]

Pancrace

Pysandre est avec lui, écoutons les causer, Je veux tout devant vous faire une réprimande À ce jeune insensé, que tout le monde entende.

Polydas

Enfin mon cher ami ma nymphe t'a promis Ô dieux que j'ai bien fait quand je me suis remis, Dessus ta vigilance à nulle autre commune, Je tiendrai désormais de toi seul ma fortune : Et si en récompense il faut pour ton sujet, Faire quelque dessein sur un divin objet. Tiens sûr que Polydas voue tout son service, Pour te remercier par quelque bon office.

Pysandre

Je n'ai pas mérité une telle faveur Joint que de vous servir c'est mon plus grand honneur.

Polydas

Fidèle confident de mes amours secrètes,

Pancrace

Venez-ça venez-ça beau baiseur de fillettes. [1080]

Polydas

Est-ce à moi que l'on parle ?

Luciane

Oui.

Polydas

Vous vous méprenez, Pancrace et Luciane à d'autres cheminez.

Luciane

Je ne me trompe point j'ai encor bonne vue, Ce fut vous qui baisa ma fille dans la rue.

Pancrace

Il est vrai sur ma foi.

Polydas

Ha vous m'importunez, Passez votre chemin.

Pancrace

Vous m'avez sur le nez, S'il vous arrive plus de baiser Lidiane

Polydas

Je ne vous crains non plus que je fais Luciane Vous êtes un bel homme.

Pancrace

Ha, ne m'offenses pas, Que tout présentement tu n'aies le trépas. [1090]

Polydas

Trente pareils à vous ne me feraient de crainte.

Pancrace

Ho le hardi soldat pour combattre une pinte. Je te voudrais bien voir une épée à la main, Sans doute on te prendrait pour guetteur de chemin.

Polydas

Telle comparaison à vous seul se réfère. [1095]

Pancrace

Inconnu de maison, de nom, de père, et mère, Pour qui te peut-on prendre avec tes beaux habits, Car tu n'as pas vaillant seulement deux brebis.

Polydas

Pour tel que je puis être.

Pancrace

Il a raison je jure, Champignon d'une nuit il vint à l'aventure. [1100]

Polydas

J'ai plus dans ce pays que vous n'aurez jamais.

Pancrace

Telle rodomontade est l'espoir d'un niais : Ô le grand emballeur !

Luciane

Dieu n'y prenez pas garde, C'est un jeune éventé.

Pancrace

Où est ma hallebarde ? Je mettrais tout d'un coup sa tête par morceaux. [1105]

Polydas

Ce serait un beau coup pour assommer des veaux.

Pancrace

Qui te ressembleraient.

Polydas

Regardez ce vieil singe, Il fait tant le vaillant et plus faible qu'un linge Ne se peut soutenir.

Pancrace

Tu te trompes bien fort, J'ai assez de vigueur pour te donner la mort. [1110]

Polydas

Ô le grand champion, dieux comme il s'évertue.

Pancrace

Mon amour tenez moi de peur que je le tue : Je suis trop en colère, il y aura malheur.

Luciane

Hé dieux n'en faites rien gardez votre valeur, Pour quelque occasion qui soit un peu meilleure. [1115]

Polydas

Le bonhomme mourrait avant demi quart d'heure.

Pancrace

Nargue, j'en ai bien vu deux mille comme toi, Qui n'ont jamais fait peur à six pareils à moi.

Polydas

Vous n'aviez pas peut-être ensemble de querelle.

Pancrace

Ô Dieux où est le temps que j'étais sentinelle Dedans notre clocher pour découvrir de loin ?

Polydas

Pour prouver sa valeur voila un bon témoin. Pysandre qu'en dis-tu

Pysandre

Certes je meurs de rire.

Luciane

Pancrace allons nous-en, à quoi sert de tant dire ?

Polydas

Cela fait voirement échauffer le cerveau. [1125]

Pancrace

Adieu jeune badin, adieu goguelureau, Crois que tu dois la vie aux yeux de Luciane

Luciane

Je vous prie marchons, j'ai laissé Lidiane Toute seule au logis.

Polydas

Adieu vieil escargot, Compagnon de Silène, engeance de magot. [1130]

Pancrace

Apprends à devenir une autrefois plus sage.

Polydas

Pysandre il s'en va tard, retournons au village. Nous nous verrons demain dedans ce même lieu.

Pysandre

Je n'y faillirai pas, et cependant adieu.


Scène VI.

Pancrace,
seul une hallebarde à la main.

Que sont-ils devenus ? Certes ils n'avaient garde, De m'attendre au retour, j'eusse donné nasarde, À ce fol indiscret, qui présume être tel Que pour le pouvoir vaincre il faut un immortel, Lui faisant voir à l’œil qu'il n'est que la vieillesse, Pour dans l'occasion montrer de la prouesse. Ô qu'il eut été mis vite sur le carreau, Il n'eut non plus duré qu'un petit lapereau : Devant le fin renard, j'en avais bonne envie, Luciane en effet lui a sauvé la vie. Car pour lui obéir je n'ai voulu tuer, Si j'eusse en vérité voulu m'évertuer : D'un seul coup de bâton, j'eusse envoyé son âme Promener chez Pluton comme une race infâme. Or sus le jour s'en va, moi je m'en vais aussi, Jupin, l'Amour, et Pan, prennent de moi souci.


ACTE IV.


Scène I.

Pysandre,
tenant un flambeau allumé.

Déesse de la nuit aux amants favorable Qui bornez leurs désirs d'une gloire durable : Et pour les assurer dans leur contentement, Faites cacher du ciel le plus bel ornement. Si jamais amoureux eut besoin de votre aide C'est moi qui dans vos bras va chercher son remède : C'est moi dont le dessein ne peut être caché, Si du sommeil glissant chacun n'est attaché : Morphée, c'est à toi que je fais ma prière, Puisque tu as pouvoir de clore la paupière : Des humains d'ici bas, faits, morne déité, Que mon désir parfait se trouve exécuté : Sans être découvert d'aucune créature, Favorise l'amour et la mère nature : En me faisant plaisir tu les obligeras, C'est un de leurs sujets qui te tend les deux bras. Un Prince connaissant son serviteur fidèle, Menacé d'un malheur, épouse sa querelle : Pour rompre s'il se peut le piège à lui tendu. Moi qui du Dieu d'amour suis esclave rendu, Si je reçois faveur de ta bonne assistance, Ce Dieu t'en donnera la juste récompense : Puisque de ses sujets portant titre d'amant, Jamais nul comme moi n'aimât si constamment. Puissantes déités qui savez ma détresse, Courtois permettez moi d'enlever ma maîtresse, Vous savez le dessein que j'ai fait depuis peu De mettre cette nuit dans son logis le feu : Afin que cependant qu'on le voudra éteindre, Je la puisse enlever sans la poursuite craindre : Me voici prêt, bons Dieux de le mettre en effet, Ce flambeau que je tiens le va rendre parfait : Sus voilà le logis puissances tutélaires, Embrassez s'il vous plaît l'état de mes affaires. Or sus le feu s'allume et peut longtemps durer, Je me veux un petit à l'écart retirer : Et lorsque je verrai au plus fort de l'orage Chacun courir à l'eau pour sauver le village, Prenant l'occasion ferme au poil inconstant, J'irai ma Lidiane enlever à l'instant. [1190]


Scène II.

Luciane, Pancrace, Pysandre, Troupe de Pasteurs.
Luciane,
à la fenêtre.

Vite vite debout, une épaisse fumée Me dit qu'une maison ici proche allumée : Pourrait mettre le feu dedans notre logis, Ô bons Dieux ! C'est céans, à l'aide mes amis. Ô feu, ô feu.

Pancrace,
nu en chemise avec un lanterne.

Où est-ce ? [1195]

Pysandre

Où est-ce ?

Pancrace

Patience, Que d'apporter de l'eau l'on fasse diligence : La grange et le fournil de Luciane en feu Veut que par charité vous l'assistiez un peu.

Pysandre

Oui dà, très volontiers sus Passeurs sans rien craindre, Courrons quérir de l'eau pour promptement l'éteindre. [1200]

Luciane

Hélas ! Que ferons nous, ami, tout est perdu,

Pancrace

Ne vous tourmentez point le feu n'est répandu Encore tout partout, bon voici l'eau venue, Sus enfants suivez moi, que chacun s'évertue.


Scène III.

Polydas, Lidiane.
Polydas

Enfin grâces aux Dieux ma juste intention, Va je crois réussir à sa perfection : Une crainte pourtant talonne ma conquête, Non non il faut entrer, car Lidiane est preste : Allons chaste Cipris mon soulas mon souci, Un bateau nous attend à quatre pas d'ici. [1210]

Lidiane

Las fidèle pasteur hâtons notre voyage.

Polydas

Mon ange, ne crains point j'aperçois le rivage : Regarde devant toi tu verras le bateau, Ma Reine entre dedans et tiens bien ce flambeau, Je m'en vais le lâcher, et l'aurore venue, Nous serons éloignés. [1215]

Lidiane

Dieux ! La corde est rompue : Polydas au secours, vite prêtez la main L'eau rapide à son fil adresse mon chemin : Hâtez vous, ô grands Dieux Jupiter et Neptune, Conduisez à bon port l'état de ma fortune : Adieu cher Polydas si l'eau me fait périr, Sachez que votre amour seule me fait mourir Souvenez vous toujours de notre unique flamme, Et que mon souvenir touche souvent votre âme.

Polydas

Attend chère moitié je vais courir après, Ha ciel pas un bateau ne se montre ici près, Cette rive paraît en être dépourvue, Ou bien l'obscurité les cachent à ma vue : Non je n'en trouve point, encore par malheur, Diane peint le ciel d'une noire couleur, Des nuages épais éclipsent ses lumières, Les yeux du firmament ont fermé leurs paupières : Mon flambeau jusqu'ici ne peut plus éclairer Bref tout semble en effet contre moi conspirer : Justes Dieux que ferai je à ce coup d'infortune Ces astres inhumains, cette inconstante Lune : Pour ne voir ma douleur ont voilé leurs clartés, Ô cieux que puis-je faire en ces extrémités : Sinon suivre de l’œil ma colombelle aimable, Et voir si quelque Dieu lui sera favorable : Non, sourds vous avez tous sur la face un bandeau, Ha destins qu'ai-je vu elle est chute dans l'eau Son flambeau s'est éteint aussitôt que sa vie, Venez rages des eaux qui me l'avez ravie, M'engloutir avec elle ô Dieux ! Ô Dieux ! Cruels, Rendrez vous mes ennuis et mes maux éternels : Oui puisque l'inclémence accompagne vos âmes Et qu'un jaloux amour vous brûle de ses flammes : Neptune, est-ce point toi qui m'a joué ce tour, Voyant ce cher objet plus beau que n'est le jour. Se mirer dans tes eaux sans doute son mérite, T'a fait mettre en oubli Thesis et Emphitrite : Indubitablement ses attraits ravissants, Ont surpris tes esprits et charmé tous tes sens : Mais quoi ? Puis-je endurer un affront si sensible, Il le faut malgré moi puisqu'il est impossible De se pouvoir venger d'un Dieu ni d'un démon : Peut être n'est-ce toi, mais quelque Palémon Ou autre déité surprise de ses charmes, Jupin assistez moi de vos divines armes : Autrement je dirai ce qui semble en effet, Que vous participez au tort que l'on m'a fait : Hélas où sont des Dieux la clémence et l'estime On les voit aujourd'hui favoriser un crime, Commis en mon endroit, ô ciel quel crève cœur Ô rage, ô désespoir, ô malheur, ô fureur, Démons larves horreurs, Errines, Euménides, Gorgone, Atropos, monstres Achérontides, Venez mettre mon corps en cent mille morceaux Les dieux qui souffrent tout auteurs de mes travaux, Vous en donnent pouvoir, leur coeur inexorable Refuse son secours au pauvre misérable : Ô iniques destins, ô sort malencontreux, Infortuné berger, déplorable amoureux : Polydas Polydas sus il faut que la Parque Te fasse maintenant passer la triste barque : Choisis de quelle mort tu veux donques mourir L'eau, le fer, ou le feu, peuvent tes maux guérir : L'eau, si je m'y jetais Neptune aurait la gloire, D'avoir par dessus moi emporté la victoire : Le fer est trop sanglant, mon homicide main Me ferait à jamais estimer inhumain. De mourir par le feu je ne m'y puis résoudre, Jupin se venterait que ce serait son foudre : Qui aurait consommé mon cœur et mes poumons, Choisissons donc plutôt la grotte des Démons : Le jour qui peu à peu recommence à paraître, L'a fait proche de moi à mes yeux reconnaître. Je veux sans différer me jeter au milieu, Adieu pauvre pays, adieu malheureux lieu : Souviens toi quelquefois de l'amour mutuelle De ma Nymphe et de moi, ha mon mal renouvelle, Je veux avant mourir graver sur mon tombeau, Quelques funèbres vers avecque ce couteau : C'est assez, sus Démons de cette grotte sombre Recevez moi là-bas et faites que mon ombre Ne reçoive aucun mal sans l'avoir mérité, Pesez mon innocence et ma fidélité. Surtout permettez moi qu'en la plaine Élizée Je voie la beauté qui m'a la mort causée. [1300]


Scène IV.

Luciane

Accablée d'ennuis, de maux, d'afflictions, De douleurs, de malheurs, le but de passions, À qui me dois-je plaindre en ces peines extrêmes, M'adresserai-je à vous divinités suprêmes Ou aux hommes mortels l'ouvrage de vos mains Non car votre pouvoir s'étend sur les humains : Ils ne peuvent sans vous agir en nulle sorte, C'est c'est donc contre vous que ma plainte se porte, Puisque vous permettez qu'on viole les lois, De douceur et d'amour envers moi cette fois J'avais toujours vécu d'une telle manière, Que je n'espérais pas sentir votre colère : Las qu'ai-je fait (bon dieux) pour voir contre raison, Enlever mon enfant et brûler ma maison : Par un traître pasteur un méchant, un perfide, Un brûleur de maisons un voleur homicide Que ne le tiens-ici ha je jure ma foi, Qu'il trouverait sa mort quoi qu'il n'y eût que moi. Mes ongles et mes dent quoi qu'atteints de vieillesse, Sont encor assez forts pour punir sa jeunesse : Ô malheureux enfants, ô indiscrétion, Que tu nous faits souvent souffrir d'affliction, Ô ma fille faut-il qu'une amour effrénée, Fasse qu'à ce berger tu sois abandonnée, Ô folle, ô indiscrète, hélas tu ne sais pas La ruse, la finesse, et les pipeurs appas, Des hommes inconstants qui vivent sur la terre Ta lettre que tantôt j'ai trouvé sur ma chaire, Me transporte les sens quand tu me dits qu'un jour, Je te verrai au rang des Dames de la cour : Ô que ton sot espoir te causera de peine, Simple, crois-tu cela une chimère vaine, Avecque les serments d'un jeune courtisan, Pour une même chose on les tient à présent, Sans mentir j'ai regret que ton jugement louche, N'ait pu voir les abus de sa trompeuse bouche Va va méchante fille où te conduit le sort, Le ciel puisse bientôt me livrer à la mort : De peur qu'un mauvais bruit blessant ta renommée, Ne rende à tout jamais ma race diffamée, Ô Dieux je n'en puis plus mes larmes et soupirs, Étouffent mes propos dedans mes déplaisirs. Retournons au hameau reste de l'incendie, Pour voir si à sauver le reste on remédie, Ô qu'une fille sotte est un fâcheux fardeau, Plutôt qu'en souhaiter j'élirais le tombeau Je m'en vais envoyer ma servante Pernelle, Pour voir si quelque part elle en aura nouvelle.


Scène V.

Amarille

Pleure Amarille hélas ton malheur sans pareil, Que les larmes jamais ne sèchent dans ton œil, Soupire incessamment ton douloureux désastre L'amante, sans repos l'injure de ton astre : Crie, gémis, plains toi, remplis l'air tout de pleurs, Pour émouvoir le ciel à plaindre tes douleurs Et faire que ton mal le rende favorable, Pour en punir l'auteur d'un foudre inévitable : Bon Dieux cela est juste et selon l'équité, Vous savez ma constance et l'infidélité : Du Berger Polydas et de sa Lidiane, Où êtes-vous Didon, vous crétoise Ariane. Venez voir le Pasteur qui cause mon ennui Comme le plus méchant qui respire aujourd'hui. Ce n'est point un Aenée encor moins Thésée, Il est pire cent fois et d'humeur moins posée : C'est un traître parjure, un lâche, un imposteur, Un Amant infidèle un signalé trompeur. Bref je puis dire ici comme je conjecture, Que c'est le plus méchant qu'ait formé la nature : Nature je me trompe, ha il ne se peut pas, Tesiphone plutôt l'a enfanté là-bas : Nul mortel n'eut jamais une si mauvaise âme, Ô Dieux, ô Dieux, faut-il qu'en vain je vous réclame : Ne verrai-je point l'air se troubler de vos feux Pour consommer les os de ces deux amoureux : Non vous ne voulez pas, non vous avez envie De voir le désespoir triompher de ma vie : Je n'aurai pas ce bien que de les voir punir, Je serais trop contente à ce doux souvenir : Il faut auparavant que l'inhumaine Parque, Me fasse dévaler dans l'infernale barque Je le veux, je le veux, aussi bien désormais, Tout mon contentement serait mort à jamais : Je ne refuse pas de franchir la carrière, Immortels prononcez ma sentence dernière : Que sert de retarder le décret de ma mort, Est-ce pour m'affliger de plus fort en plus fort ? Ou pour vous accuser d'inclémence et de haine, Méritai-je le mal d'une si longue peine : Non, je ne le crois pas, vous estes des cruels Vous ne méritez pas l'amitié des mortels. Je veux présentement malgré votre puissance, En me donnant la mort apaiser ma souffrance : La grotte des Démons que je vois devant moi Va servir maintenant à guérir mon émoi : Mais quels vers sont gravés sur cette pierre dure, Approchez vous mes yeux, voyons quelle aventure Se pourrait être ici : car jamais on n'apprit Qu'il y eut en ce lieu quelque chose d'écrit. [1395]

Amarille,
lit le tombeau de Polydas.

Passant sache que mon flambeau, A dans les eaux éteint sa vie, Et Polydas malgré l'envie, A ici choisi son tombeau.

Ô bons Dieux est-il vrai ce que je viens de lire ? Polydas est-il mort d'un si cruel martyre ? Hélas ! Pauvre Berger je regrette ton mal, Ô Dieux ! Qui t'a causé cet accident fatal ? Je n'en puis que juger, sinon que ta maîtresse Est morte dans les eaux, et que toi de détresse Tu t'es venu jeter dans ce gouffre fumant, Du moins ces vers ici le disent clairement : Mais n'est-ce point aussi qu'il a fait cette ruse, De peur d'être suivi, ou bien que je m'abuse : Non, sans doute il est mort dans ce lieu malheureux, Allons donc le trouver pour vivre plus heureux ! Dieux, esprits, ou démons, qui habitez ce siècle, Prenez l'âme et le corps de la pauvre Amarille : Et si vous la voulez doublement obliger, Faites tant qu'elle soit auprès de son berger.


Scène VI.

Pysandre, Cleanide.
Pysandre

En vérité mon cœur il faut que je confesse Qu'un extrême regret fort vivement me presse : Je ne puis concevoir aucun contentement, Quand de nos deux amis je vois l'éloignement Ô certes Polydas notre amitié jurée, A de votre côté eu trop peu de durée : Il fallait m'avertir de ce mauvais dessein, Ainsi qu'en pareil cas je t'eusse ouvert mon sein : Mais ma Nymphe dis moi si jamais Lidiane Ne te l'a découvert.

Cléanide

Non, je jure Diane : Elle était trop finette, et dans sa passion Elle a toujours montré telle discrétion : Qu'on ne se fut douté de leur amour secrète : Mais sans mentir Pasteur, sa perte je regrette Car c'était ma compagne, et je crois qu'en ces lieux, Tous objets désormais me seront ennuyeux.

Pysandre

Il est vrai que leur fuite apporte un grand dommage, Nous perdons nos hameaux et tout notre village : Outre leur entretien que je prisais beaucoup.

Cléanide

Ô cieux que de frayeur m'a surprise d'un coup Quand pensant sommeiller j'ai ouï dedans la rue Quelqu'un crier au feu d'une voix éperdue : Nous n'avons je vous jure eu rien plus que le temps, De pouvoir transporter nos meubles dans les champs

Pysandre

Et moi de même aussi mais déjà l'on s'apprête Pour faire réparer ce grand coup de tempête, Au plus tard dans huit jours sera fait bâtiment, Capable de servir à notre logement.

Cléanide

Il ne nous est resté qu'un petit toit à bêtes, Ou nous ne pouvons pas tenir droites, nos têtes.

Pysandre

Venez vous-en chez moy vous n'aurez pis ni mieux, Dedans un même lit nous coucherons tous deux Et si vous me ferez un honneur incroyable.

Cléanide

Vous êtes sans mentir pasteur trop charitable. Je vous en remercie.

Pysandre

Avisez seulement, Car je vous traiterai assez modestement : Vous aurez chaque jour un petit ordinaire, Que votre ceour demande et que le mien espère.

Cléanide

Rien moins, sachez berger que le fruit et le lait Sur tous les autres mets contentent mon souhait.

Pysandre

Bien je vous donnerai du fruit de mon service Qui vous donnant du lait vous peut rendre nourrice. [1460]

Cléanide

Ha c'est être indiscret jusques au dernier point.

Pysandre

Ma belle pour cela ne te courrouces point.

Cléanide

Berger devenez sage et sans cérémonie, Ou je me bannirai de votre compagnie.

Pysandre

Je l'ai toujours été, en doutes-tu mon cœur ? [1465]

Cléanide

Vous êtes insolent aussi bien que moqueur : Flattez moi maintenant.

Pysandre

Cela c'est infaillible. Beauté qui peut charmer une chose insensible : Et la faire mouvoir de même que le vent, Pardonne moi ce crime où je tombe souvent. [1470]

Cléanide

Il vous est pardonné adieu.

Pysandre

Adieu mauvaise, Avant que de partir il faut que tu me baises.

Cléanide

Non, non vous avez tort, pasteur laissez cela.

Pysandre

Ô ciel je suis ravi, quel bon morceau voilà.

Cléanide

S'il vous arrive plus de me mettre en colère, Berger je le dirai sans mentir à ma mère.

Pysandre

Tu n'as garde à ce coup, adieu mon beau soleil, Unique parmi nous comme au Ciel sans pareil.


Scène VII.

Floridon, Pancrace.
Floridon

Misérable berger qui vois ton espérance Mourir avec le fruit de ta persévérance : Misérable berger qui vois l'inique sort, Balancer ton destin dans les mains de la mort Misérable berger mille fois misérable, À qui le ciel refuse un effet secourable, Et qui n'a plus d'espoir que celui du trépas, Pipé dans le désir d'un amoureux appas, Regarde de quel fil on dévide ta trame, Dépossédé de biens, d'honneur, et de ta femme : Où pourras tu trouver désormais du bonheur, Qui puisse dans la joie emporter ta douleur : Le ciel n'en peut avoir, lui, la mer, et la terre, Contre toi conjurez te déclarent la guerre : L'enfer n'a plus de rage à verser dessus moi, De toutes ses horreurs je n'aurai plus d'effroi : Qu'il tonne, qu'il éclaire, et qu'en déluge abonde, Qu'il brûle l'univers, qu'il abîme le monde : Bref qu'il réduise tout en son ancien Chaos, Je supporterai tout et d'un ferme propos, Puis qu'en effet chacun employant sa rancune, Ne me saurait punir que d'une mort commune. Je ne m'étonnerai de toutes ses fureurs, Ô perfide Amarille ! Ô crédules erreurs ! Vous m'avez fait penser que les yeux de ma face, Pourraient avec le temps faire fondre sa glace : Vraiment elle eut raison quand elle dit un jour. Que la mort finirait le cours de mon amour : Je vois bien maintenant son dire véritable, La mort qui suit mes pas d'un dard inévitable, Dispute avec nature à qui triomphera Sur ma vie, et je crois que la mort gagnera : J'y suis tout résolu, car aussi bien de vivre, Et voir tant de malheurs à tous moments me suivre, Je souffrirais des maux pires que le trépas, Adieu donc Amarille et ton cher Polydas, Instruments malheureux des impudiques flammes, Exécrables amants, adultères infâmes : Vivez, vivez, contents à ma confusion, Pour mourir maintenant je prend l'occasion : Je la prends, non ferai cela m'est trop sensible, Il faut qu'à vous trouver je fasse mon possible : Afin de me venger comme vous méritez, Dieux où est maintenant l'excès de vos bontés : Où repose ce feu qui réduit tout en poudre, Sera-ce l'innocent qu'on punira d'un foudre : Ha serait témoigner trop de sévérité, Astres, cieux, terre et mer, voyez l'extrémité : Ô me réduit le sort des lois de mariage, Vous en êtes témoins bois, prés, roc, et bocage : Admirez l'inclémence et le courroux des Dieux : Ô iniques arrêts ô sort injurieux Malheurs, tourments, ennuis, douleurs, soucis, rancunes, N'abandonnez jamais le cours de mes fortunes. Le décret immortel l'a ainsi ordonné, Je ne verrai jamais mon tourment terminé : Et si faut désormais qu’encore moins je l'espère, Hélas ! Où allez vous, pauvre infortuné père.

Pancrace

Mon gendre si jamais homme fut affligé, Des rigoureux ennuis que l'enfer a forgé. Je crois avoir souffert sans avoir fait offense, Tout ceux qu'onc inventât cette noire puissance. Depuis que l'on m'a dit ce qui t'est arrivé, Que tu étais (hélas !) de ta moitié privé, Ô Dieux ! Qu'un tel départ m'a jà coûté des larmes, Qu'il m'a livré ce jour de cruelles alarmes : Ô ma fille où es-tu ! Las faut-il que l'amour T'ait fait donc éprouver un si funeste jour : Ô traître Polydas, ce malheureux profane L'a sans doute emmenée avec sa Lidiane : Dieux, que ne sais-je où sont ces indiscrets amants, Je ne craindrais la mort ni tous les éléments : Pour les aller trouver et sais que mon épée Du sang de ce berger serait bientôt trempée.

Floridon

Vous n'êtes pas tout seul qui pleurez ce malheur, J'ai bien autant que vous pris part à la douleur. Il me touche de près, car mon âme constante, Eut goûté dans un mois le fruit de son attente.

Pancrace

Il est vrai Floridon, hélas c'est ce qui plus Rend mon cœur attristé et mes sens tous confus : Il n'y a nul mortel dedans notre village, Qui ne pleure avec nous ce désastreux dommage Le ciel même aujourd'hui en a jeté des pleurs.

Floridon

Les fleurs en ont perdu leurs plus vives couleurs.

Pancrace

D'aujourd'hui les oiseaux n'ont chanté leurs ramages.

Floridon

Pan, l'Amour, et Zéphir ont quitté nos bocages.

Pancrace

Les Échos amoureux en sont devenus sourds [1565]

Floridon

Les eaux ont retenu dans la source leur cours.

Pancrace

Les arbres ont jeté leur plus belle verdure.

Floridon

Les troupeaux ce jourd'hui n'ont voulu de pâture.

Pancrace

La terre de douleur en a crevé son flanc.

Floridon

Les fontaines et puits n'ont produit que du sang. [1570]

Pancrace

Nos matins n'ont mangé depuis l'heure je jure.

Floridon

Enfin tout participe au tourment que j'endure.

Pancrace

Ô cruel souvenir qui me donne la mort !

Floridon

Hélas méritons nous de ressentir ce tort ? Quel mal avons nous fait digne de pénitence ? [1575]

Pancrace

Mon gendre il faut du ciel tout prendre en patience. Les Dieux qui ont borné le destin des humains Ont encore pour nous le bonheur dans les mains. S'il plaît à leurs bontés le verser sur nos têtes, Nous viendrons à bon port malgré toutes tempêtes. [1580]

Floridon

Fasse le juste ciel et le grand Dieu d'Amour, Que je voie bientôt ma femme de retour : Pleine d'amour pour moi avec ce chaste gage, Qui depuis un longtemps me retient en servage.

Pancrace

Je les en prie aussi de pure affection. [1585]

Floridon

Dieux, mettez bientôt fin à notre affliction.

Pancrace

Retournons au hameau et voyons l'assemblée, Qui de tant de malheurs est grandement troublée : Je crois qu'on est après pour faire réparer Le mal que Polydas est venu préparer. À tout le voisinage ! Ô bons dieux, que les filles Sont cause de tourments pour être trop fragiles. Que ne leur a-t-on fait un esprit moins malin, Puisque c'est le secours du sexe masculin ?


ACTE V.


Scène I.

Lidiane, Les Deux Pêcheurs, Floridon, Troupe de Bergers.
Lidiane

Amis de qui je tiens le repos et la vie, Que la fureur des eaux m'avait presque ravie : Que je suis obligée à votre bon secours, Je m'en ressouviendrai le reste de mes jours : Et si je ne fais pas d'égale récompense, Sachez mes bons amis que je ne m'en dispense, Ce bien reçu de vous ne s'oubliera jamais, J'espère avec le temps vous rendre satisfaits. Non pas si justement que mérite la chose Mais selon la raison que mon esprit propose.

Premier Pêcheur

Bergère grand merci je n'eusse pas pensé Devoir être de vous si bien récompensé.

Second Pêcheur

Ma foi ni moi non plus ; car de toute l'année Nous n'avons tant gagné comme cette journée.

Premier Pêcheur

Nous voudrions tous les jours prendre de tels poissons, Et si ne nous faudrait lignes ni hameçon. [1610]

Lidiane

Faites votre profit.

Second Pêcheur

Que tout vous soit prospère.

Lidiane

Adieu donc chers amis.

Second Pêcheur

Adieu.

Premier Pêcheur

Parle compère, Allons vendre à Paris ce riche diamant, Puis nous partagerons l'argent ensemblement : Afin d'en acquérir quelque bon héritage. [1615]

Second Pêcheur

Nous boirons en passant dans ce petit village.

Lidiane,
seule.

Agréable séjour, arbres, cyprès, jasmin, Pour trouver Polydas montrez moi le chemin : Voici le même lieu où l'ingrate fortune, Nous sépara tous deux de façon non commune. Hélas où peut il être, ô soleil radieux ! Pour le voir maintenant prête moi tes beaux yeux : Et toi puissant amour qui nous connaît fidèles, Pour l'atteindre bientôt prête moi tes deux ailes. Et pour ta récompense un autel je promets, Où le musc et l'encens fumeront à jamais : Je ne puis te promettre à présent davantage, Bons Dieux, que j'ai désir de revoir son visage : Tant je crains qu'un malheur ne lui soit survenu, Par ce maudit chemin du bon-heur inconnu : Las s'il n'a point trouvé de bateau pour me suivre, Que quelqu'un ait voulu notre fuite poursuivre. Et qu'on l'ait rencontré cheminant en ce lieu : Si l'on doute qu'il soit la cause de ce feu, On l'emprisonnera, ô soleil de Justice, Détournez de son chef le mal qui suit son vice : Ô dieux que l'imprudence apporte de malheur ! Que j'ai depuis ce jour supporté de douleur ! Il faut qu'incessamment je pleure et je soupire, Je ne verrai jamais la fin de mon martyre : Car mon destin le veut, et le ciel endurci Prend plaisir quand il voit me tourmenter ainsi. [1640]

Floridon,
parlant à sa troupe de députés.

Fidèles députés de tout le voisinage, Pour rechercher celui qui de notre village À la perte causé par un embrasement, Commis pour enlever ma femme nuitamment : Nous voici délivrés tantôt de notre quête, Sans que notre labeur soit orné de conquête : Il ne nous reste plus qu'à voir ici autour, Si ce traître berger cependant qu'il fait jour : Ne se retire point dedans quelque bocage, À l'écart du chemin le long de ce rivage : Voyons, voyons partout, je pense voir là-bas Celle qu'a tant aimé le berger Polydas, Il n'est pas éloigné qu'on se saisisse d'elle, Et qu'on la traite ici comme une criminelle.

Lidiane

Quelle troupe de gens se découvre à mes yeux Pour ne les rencontrer je fuirai devant eux.

Floridon

Suivez suivez enfants cette biche légère.

Lidiane

Amis que voulez vous d'une pauvre bergère ? [1660]

Floridon

Que tout présentement vous nous faciès savoir Où est ce Polydas

Lidiane

Il n'est en mon pouvoir : Car ne l'ayant pas vu depuis une journée, Je ne vous puis répondre.

Floridon

Il vous a emmenée, Et Amarille aussi.

Lidiane

Rien moins, croyez pasteur Que jamais Polydas ne fut d'un crime auteur.

Floridon

Vous estes trop rusée et pleine de malice, Sus, allons la livrer ès mains de la Justice.


Scène II.

Le juge, Le Procureur Fiscal, Floridon et sa Troupe, Lidiane, Le Greffier.
Le Juge

Nous qui tenons des Dieux la balance à la main, Pour juger ici bas le différent humain : Alors que l'équité plus forte que le vice, Fait voir devant nos yeux où règne la Justice : Adjugeant le bon droit à ceux qu'il appartient, Cause qu'en l'univers tout chacun se maintient : Mais encor qu'aigrement on punisse le crime, Si est-ce toutefois qu'on n'en fait pas d'estime Le mortel ne craint point le tourment préparé Quand à faire du mal il s'est délibéré : Nous en voyons l'exemple arriver à toute heure, Et même en Polydas

Le Procureur

Tout chacun veut qu'il meure Si tôt qu'il sera pris.

Le Juge

J'en suis d'avis aussi : Mais encore faut-il examiner ceci, Vous savez que l'amour a de si puissants charmes, Que pour lui résister on ne trouve point d'armes : (Que tant de grands, héros de notre antiquité, Ont commis tels délits sous sa divinité : Sans pouvoir de ses mains retirer leur franchise) Qu'il semble que le ciel ait cette loi permise : Puisque les Dieux auteurs de tels ravissements Ont fait ce qu'aujourd'hui font ces jeunes amants. Or il semble en ce cas que l'amour est coupable Polydas innocent et l'action blâmable : Mais digne de la mort je ne le juge point,

Le Procureur

Monsieur pardonnez moi, considérant un poinct8 Grandement décisif, je veux vous faire dire Qu'il mérite la mort, que le peuple désire : Premièrement ce fait regarde tout chacun, S'il n'était châtié, il se rendrait commun : En second lieu le ciel notre devoir oblige, À retrancher le pied d'une mauvaise tige : Outre que la raison veut que tout malfaiteur, Reçoive le tourment dont son crime est auteur. Or il n'a pas commis seulement pour un crime Mais il en a fait trois, dont le moindre j'estime Être assez suffisant pour le faire mourir : Sans qu'il ose à nos lois sa grâce requérir : S'il avait seulement enlevé sa maîtresse, On ne l'estimerait qu'un tour de gentillesse : Mais il est accusé de rapt violemment, D'adultère impudique, et d'avoir nuitamment Mis indiscrètement le feu dans le village, Dont s'en est ensuivi l'injurieux dommage : De quoi chacun se plaint : c'est pourquoi sans mentir, Sa condamnation ne se peut divertir.

Le Juge

L'on doit punir celui qui au mal persévère Et non du premier coup quand la coulpe est légère.

Le Procureur

Celui que l'on commet pour punir le méfait, S'il se laisse emporter, est complice du fait : Il ne se peut commettre une faute plus grande, Et sa vie en effet n'en peut payer l'amende. [1720]

Le Juge

Un juge trop sévère a renom d'un tyran.

Le Procureur

Favoriser le mal est un crime appariant : Le Juge doit porter la moitié de la peine.

Le Juge

Il faut avoir pitié de la nature humaine.

Le Procureur

Le ciel commande exprès de punir les méchants, [1725]

Le Juge

Il nous commande aussi d'être doux en tout temps.

Le Procureur

Celui doit être heureux qui rendra la justice.

Le Juge

Je crois qu'en pardonnant on fait un bon office.

Le Procureur

Oui bien si vous étiez tout seul intéressé.

Le Juge

Le peuple ne peut rien où ma voix a passé. [1730]

Le Procureur

Il en peut appeler devant la juste essence,

Le Juge

Il ne faut point juger contre sa conscience.

Le Procureur

J'en demeure d'accord le droit le veut aussi,

Le Juge

Selon mon sentiment je jugerais ainsi.

Le Procureur

Certes, serait très mal balancer cette affaire, Vous changerez d'avis la preuve étant plus claire. [1735]

Le Juge

Je changerai d'avis s'il apparaît un peu, Que ce soit Polydas qui ait mis le feu.

Le Procureur

Voici nos députés de retour de leur quête.

Le Juge

Entendons les parler Floridon s'y apprête. [1740]

Floridon
et les députés amenant Lidiane.

Grands Juges délégués par les dieux ici bas, Pour réprimer le vice et calmer les débats : Sachez qu'après avoir couru cette contrée, Sans avoir de nos pas la cause rencontrée : Nous reprenions déjà le chemin de ce lieu, Lorsque nos yeux guidés par quelque puissant Dieu, Nous ont fait découvrir au bord de la rivière Assez proche de nous cette jeune bergère : Fille de Luciane et la cause en effet, Du pernicieux tour que Polydas a fait : Elle sait où il est, mais elle est si rusée, Qu'elle croit rendre encor la justice abusée.

Le Juge

Bergère approche toi, parle ici librement, Ne me recèle rien pour crainte du tourment : Si tu es innocente autant que véritable : Notre âme à la pitié se rendra favorable : Mon pouvoir maintenant tel que celui des Dieux, Te peut donner la vie ou te l'ôter comme eux : Avise donc ici que ton afféterie, Ne dise devant nous aucune menterie : Dits nous présentement où est ce Polydas, Qui nous a tant causé de plaintes et débats.

Lidiane,
à genoux.

Arbitres souverains des affaires du monde, Sur qui chacun mortel son espérance fonde : Pour tirer la raison de l'infidélité, Je vous veux déclarer toute la vérité. Ainsi que je ferais si le maître au tonnerre, Était au lieu de vous maintenant sur la terre. Mais permettez aussi que la douce pitié, Trouve chez vous pour moi quelque trait d'amitié. [1770]

Le Juge

Nous te l'avons promis parle avec hardiesse.

Lidiane

Le berger Polydas de qui j'étais maîtresse, M'a longtemps fait l'amour sans que comme j'ai su, Aucun de mes parents l'ait oncques aperçu. Mais un jour ramenant notre troupeau de paître, Arrive que ma mère étant à la fenestre, Vis ce jeune pasteur qui feignant de causer, Par surprise emporta de ma bouche un baiser, Ce qui la contraignit à me tenir captive, Malheur, cause à présent que tout ce mal arrive. Car ce pauvre berger ayant su ma prison, L'amour qui dominait ses sens et sa raison : Lui ouvre le moyen propre à son entreprise, Résolvant par le feu de mettre en franchise : Et de fait par un mot il me le fit savoir, Mais d'y remédier n'était en mon pouvoir : Car ne pouvant sortir pour calmer cette orage, Je dispose mes pas à suivre ce volage : Et l'heure étant venue et le feu allumé, Pendant que tout chacun de la peur alarmé : Pour l'éteindre courait aux rives de la Seine, Par un autre côté cet indiscret m'emmène : Nous cheminons tous deux jusques au bord de l'eau, Ou s'étant rencontré un seul petit bateau : J'y saute habilement, lui demeure à la rive, Afin de le lâcher, mais un malheur arrive : Le plus grand qu'un esprit se puisse imaginer, La corde se rompit et l'eau vient entraîner : Dans son fil le bateau où seule je demeure, Appelant du secours, je soupire, je pleure : Mais en vain tout cela car notre affection, Trouva par ce moyen sa séparation : Je n'ai depuis ce jour vu le berger que j'aime : Après je me trouvai dans un danger extrême : Car voyant près de moi une île dont l'abord, Me semblait fort facile à sauter sur le bord : Je me lance à l'instant sur le sable où je glisse, Et tombant dedans l'eau je souffre un tel supplice, Qu'il m'allait de la mort faire franchir le pas, Si deux pauvres pécheurs étants un peu plus bas Avecque leurs filets ne m'eussent repêchée, Et après que chez eux je fus un peu séchée : Je les priè tous deux de m'amener ici, Pensant y retrouver l'objet de mon souci. Mais je n'ai eu plutôt mis le pied sur l'arène Que surprise à l'instant devant vous on m'amène Voyez donc maintenant si je puis avoir tort, Et si vous me jugez coupable de la mort, Car tout ce que j'ai dit est aussi véritable Que le soleil nous voit sur la terre habitable : Et si j'ai parlé faux d'un seul point seulement, Que Jupin de ses feux me brûle en un moment.

Le Procureur

Vous en avez trop dit pour paraître innocente Votre ennuyeux discours rend la preuve évidente : Monsieur qu'en dites vous, selon mon jugement : Il la faut condamner à mourir.

Le Juge

Nullement, Sachons encore d'elle un moyen très utile, Où avez vous laissé la bergère Amarille.

Lidiane

Je crois qu'elle est chez elle et Floridon présent, Vous peut mieux que moi dire où elle est à présent. [1830]

Le Juge

Quoi n'était elle pas de la même entreprise ?

Lidiane

Je ne le pense pas.

Floridon

Messieurs elle déguise Il faut que promptement on la fasse mourir, C'est le moindre tourment qu'elle puisse encourir.

Le Juge

Je le veux, mes amis, je connais son offense, Approchez vous de moi pour ouïr sa sentence.

Le Greffier

Voyez que la jeunesse a peu de jugement, L'amour dans le péril l'a jeté librement, Bergers levez le nez à quoi prenez vous garde, Je ne saurais écrire alors qu'on me regarde. [1840]

Le Juge,
prononce le Jugement contre Lidiane.

Nous Juges délégués par sainte élection, Pour les cas contenus en l'information. Par jugement dernier condamnons Lidiane, Comme atteinte du crime odieux et profane : À mourir dans le feu de la grotte aux démons, Le berger Floridon avec ses compagnons, Seuls exécuteront la présente sentence, Où notre autorité imposera silence : Lorsque la nuit viendra dessus notre horizon, Ordonnons cependant qu'elle tiendra prison. [1850]

Lidiane

Ou juste ciel faut-il que je meure innocente.

Le Juge

Emmenez-la bergers.

Le Procureur

Gardez qu'elle s'absente.


Scène III.

Pysandre, Cleanide, Luciane.
Pysandre

Bons Dieux qu'il court ici un effroyable bruit, Lidiane mourra auparavant la nuit. Sa sentence de mort vient d'être prononcée. [1855]

Cléanide

Hélas qui vous l'a dit

Pysandre

C'est la vieille Macée.

Cléanide

Ô cieux que dites vous hélas je n'en puis plus Pysandre soutenez mes membres abattus : Ce sensible regret touche si fort mon âme, Qu'elle va s'envoler vers la céleste flamme. [1860]

Pysandre

Ma Nymphe prend courage il ne faut pas mon coeur, Se laisser emporter si fort à la douleur : Reprends un peu tes sens et tiens pour véritable Que sans doute le ciel lui sera favorable.

Cléanide

Ha laissez moi mourir,

Pysandre

Le ciel ne le veut pas. [1865]

Cléanide

Mais encor que dit-on du berger Polydas

Pysandre

On ne sait où il est.

Cléanide

Comme a elle été prise.

Pysandre

Dessus le bord de l'eau où elle était assise.

Cléanide

Pauvre bergère hélas que je plains tes malheurs, Pasteur voici sa mère, écoutons ses douleurs. [1870]

Luciane

Bergers une faveur, dites si les nouvelles, Que l'on dit de ma fille assurément sont telles.

Pysandre

Nous le venons d'apprendre et crois que nul de nous, N'en sait pas à présent d'avantage que vous.

Luciane

Il faut donc passer outre, ô ciel inexorable ! [1875]

Pysandre

Nous irons avec vous si l'avez agréable.

Luciane

Très volontiers cousin vous m'obligerez fort, Pancrace est ici près qui m'attend demi-mort, Nous irons chez le Juge avec lui tous ensemble, Dieux je ne puis aller tant, tout le corps me tremble. [1880]

Pysandre

Prêtez moi votre main pour marcher fermement.

Cléanide

Pan fasse réussir le tout heureusement.


Scène Finale.

Le Juge, Lidiane, Luciane, Pancrace, Floridon, Pysandre, Cléanide, L'Ombre de Castrape, Polydas, Amarille.
Le Juge

Voici le lieu Bergère où il faut que ta vie, Pour punir ton forfait soit des flammes ravie. Avise si tu veux avant que de mourir, Sur ce fait important quelque cas découvrir. Nous te pouvons encor sauver du sacrifice, Nous livrant Polydas pour en faire Justice : Vois, regarde, consulte, avise sur ce cas, Je te donne du temps autant que tu voudras. [1890]

Lidiane,
ayant lu le tombeau de Polydas.

Las comment voulez vous grand Juge vénérable, Que je mette en vos mains un pauvre misérable : Qui comme vous voyez gravé sur ce perron. A déjà traversé le fleuve d'Achéron. Ce serait m'obliger à plus que l'impossible, Sus sus je veux mourir sa mort m'est trop sensible : Qu'on ne diffère plus le moment de ma mort, Amis dépêchez vous je veux franchir ce port. Vivre sans Polydas le jour est sans lumière, Qu'on me pardonne ou non voici l'heure dernière : Que le soleil verra tous mes travaux finir, Car l'âme de mon corps s'en va se désunir : Il me semble déjà que je te vois belle ombre, Suivie dans ces lieux par des âmes sans nombre, Qui t'admirent voyant ton esprit nonpareil, Croyant que devers eux soit allé le soleil : Je t'y veux suivre aussi, âme plus qu'adorable Qui toute seule rend cette grotte admirable : Bel ange je te suis, tu m'appelle, attend moi, Mon âme va partir pour courir après toi. [1910]

Le Juge

Pasteurs soutenez la l'excès du mal l'emporte.

Luciane

Hâtons nous car j'ai peur qu'elle soit déjà morte.

Pancrace

Non fera, non fera,

Luciane

Ô bon dieux ! C'en est fait, Sa vie a expié son énorme forfait. Quoi là on fait mourir sans ouïr sa défense. [1915]

Floridon

Non, l'état où elle est vient d'une défaillance.

Luciane

Ma fille ouvre les yeux parle un mot seulement.

Lidiane

Las ! Pourquoi venez vous rengreger mon tourment ? Ma mère pardonnez à ma flamme indiscrète, Et me laissez souffrir la mort que je souhaite. [1920]

Luciane

Hélas ! Pourquoi faut-il que tu meures aujourd'hui ?

Pancrace

Si cela dure encor je pleurerai d'ennui.

Pysandre

L'amour va perdre en elle un de ses puissants charmes.

Cléanide

Mes yeux ne peuvent plus en retenir leurs larmes.

Floridon

La pitié me transit et voudrais en ma foi, Que l'on la pût sauver, il ne tiendrait à moi.

Luciane

Jeunes filles pleurez votre pauvre compagne, Que la larme toujours votre visage bagne, Et vous braves pasteurs à mon malheur présents, Voyez si mes ennuis ne sont pas bien cuisants. [1930]

Le Juge

Avez vous assez dit, sus dépêchez vous femme.

Luciane

Si jamais la pitié trouva place en votre âme, Grand arbitre des Dieux, qu'en jugeant vous servez, Rétractez votre arrêt puisque vous le pouvez. Ou s'il ne se peut pas, permettez moi de grâce Pour sauver mon enfant que je meure en sa place : Ou bien si vous jugez le mal trop odieux, Pour me faire plaisir condamnez nous tous deux.

Le Juge

C'est par trop discourir jetez dans la fournaise.

Luciane

Las permettez encor qu'un seul coup je la baise ; Adieu ma chère fille, ha je ne puis parler.

Lidiane

Ma mère, adieu, le ciel vous veuille consoler.

Pancrace

Sage et juste Minos octroyez la prière, Que vous fait à genoux cette dolente mère : La troupe que voici vous en prie par moi, [1945]

Le Juge

Non, non, n'en parlez plus, berger dépêche toi. Demeurez malheureux cessez votre vengeance, Approchez ceste grotte et me prêtez silence : Je sors des noirs palus de l'abîme infernal, Pour venir empêcher votre dessein brutal : Je suis l'Ombre sans corps du renommé Castrape, Fils d'un Dieu, né d'un Roi, et neveu d'un satrape : Dont le pouvoir cogneu sur la terre en tous lieux, La fait craindre autrefois des hommes et des Dieux : Quand pour exécuter quelque rare entreprise, Il fallait par mon art captiver la franchise : De la terre, et la mer, du Ciel, et des enfers, Mettre les Dieux captifs, et les Démons aux fers. L'eau montait dans le Ciel, le Ciel était sur terre, Les Éléments tremblaient, j'enfermais le tonnerre. Bref, tout ce qu'impossible était au temps passé, Était aussitôt fait que je l'avais pensé : Mais parce qu'en ce lieu j'ai appris ma science, Que j'y fis mon tombeau, que j'y pris ma naissance : J'en ai toujours eu soin et ne désirant pas Qu'aucun malheur jamais vint troubler vos ébats, Je bâtis cette grotte où jusques à cette heure, Mon Ombre a presque fait jour et nuit sa demeure : Ayant prévu le mal qui devait opprimer Ces fidèles amants pour par trop leur aimer : Polydas ayant vu tomber dans la rivière, Sans espoir de secours son aimable bergère, Se vint précipiter dans cet antre fumeux, Puis Amarille après d'un esprit généreux, Voyant que ce berger oubliant sa promesse, Ne l'avait enlevée ainsi que sa maîtresse : S'y vint jeter aussi, mais moi les yeux au soin, Jugeant que de mon art ils avaient grand besoin, J'ai curieusement conservé leur personne, Mais entendez par moi ce que Jupin ordonne : Pour nourrir entre vous l'amitié désormais, Et dedans vos maisons faire régner la paix : Le Ciel veut que Pancrace épouse Luciane, Que Polydas aussi ait sa Lidiane, Pysandre, Cleanide et qu'aussi Floridon Prenne son Amarille et lui fasse pardon : Allez tous vivre heureux, gardez que l'imprudence, Ne vous fasse oublier cette sainte ordonnance : Chacun retrouvera son logis rebâti, Mes esprits diligents sont ce matin sorti : Avec commandement qu'avant la nuit prochaine Votre perte se trouve une chimère vaine : Souvenez vous toujours du grand bien que vous fait, L'ombre du grand Castrape admirable en effet, Allez jouir chacun des douceurs amoureuses, Je retourne au séjour des âmes bienheureuses.

Le Juge

Puisque des immortels telle est la volonté, Je veux que mon arrêt ne soit exécuté : Bergers vite, mettez Lidiane en franchise, Je vois bien que le Ciel ses Amours favorise. [2000]

Pancrace

Dieux ! Quel contentement, ô l'agréable arrêt ! Luciane approchez, baisez moi je suis prêt.

Luciane

Hélas ! Qui eut pensé qu'après tant d'infortune Il nous dût arriver une telle fortune ? Ma fille vous avez votre contentement, Baisez moi, puis allez embrasser votre amant : Et que chacun berger fasse ainsi de la sienne.

Pancrace

Pour moi je suis content des baisers de la mienne.

Polydas

Veillé-je ou si je dors adorable beauté, Croirai-je en vous baisant que ce soit vérité ? [2010]

Lidiane

Ha mon cher Polydas que d'étranges merveilles Je ne sais si mes yeux démentent mes oreilles.

Pysandre

Que de bonheur nous suit certes faut avouer Que le ciel nous chérit et qu'il le faut louer.

Cléanide

Chère âme en vérité les Dieux sont adorables, Aux maux désespérés se rendant secourables.

Floridon

Ô ma douce Amarille, ô ma chère moitié ! Vivons tous deux contents en parfaite amitié.

Amarille

Venge toi Floridon de mon ingratitude, Je veux vivre à jamais dessous ta servitude. [2020]

Polydas

Amis je suis fâché qu'il faille qu'un adieu Me face incontinent abandonner ce lieu : Mais n'étant né berger, Paris qui me souhaite, M'obligera bientôt d'y faire ma retraite : Et toi fidèle ami que le ciel m'a donné, Pour rendre maintenant mon malheur terminé, Reçois ce souvenir de notre bienveillance, Si tu ne veux venir au lieu de ma naissance, Où j'espère emmener cette rare beauté, Pour la faire honorer comme elle a mérité, Mais je veux qu'en ce lieu notre Hymen s'accomplisse,

Le Juge

Enfants vivez joyeux que tout vous soit propice.

Pancrace

Le Ciel puisse bénir nos amours triomphants, Afin que dans neuf mois nous ayons quatre enfants : Le suppliant pour votre récompense Qu'il vous puisse donner les cornes d'abondance. Allons, retirons-nous auparavant la nuit, Et chacun pense à soi pour l'amoureux déduit, Afin que le plaisir dans le lit nous assemble Et qu'à cogne fétu pas un de nous ressemble. [2040]

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