Les Observatoires de montagne - Les nouveaux observatoires du Puy-de-Dôme et du Pic du Midi de Bigorre

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LES
OBSERVATOIRES DE MONTAGNE

LES NOUVEAUX OBSERVATOIRES MÉTÉOROLOGIQUES DU PUY-DE-DOME ET DU PIC DU MIDI DE BIGORRE

Monter au-dessus des nuages pour contempler à vol d’oiseau l’œuvre de ces dispensateurs de la pluie et du beau temps, voilà le rêve d’avenir des météorologistes. Habitans du lit de l’océan aérien, nous subissons les effets divers de ce qui s’élabore au-dessus de nos têtes, mais nous en sommes réduits à soupçonner ce qui se passe là-haut dans les couches où les météores prennent naissance. Observatoires flottans, les ballons pénètrent bien de temps à autre dans le domaine mystérieux de la foudre et de la grêle. Les faits qui ont été recueillis occasionnellement dans ces excursions par les hommes dévoués qui s’y sont aventurés offrent sans doute un très grand intérêt ; mais la durée des voyages aériens est toujours fort limitée, l’observateur, entraîné par la brise, change incessamment de place, et les catastrophes qui se sont multipliées depuis quelque temps prouvent assez ce que nous coûtent de pareilles conquêtes arrachées à l’avare fortune. Évidemment ces sondages accidentels de l’atmosphère ne sauraient donner les résultats qu’on peut attendre d’un observatoire permanent établi au sommet d’une montagne élevée, à quelques milliers de mètres au-dessus du niveau de la mer.

La météorologie, depuis qu’elle est sortie de l’antique ornière des observations locales, isolées et sans lien, tend à devenir une science pratique, à longues visées. En élargissant son horizon pour embrasser à la fois de vastes étendues de pays, elle a compris qu’elle pouvait désormais aborder la recherche des lois générales qui régissent le cours changeant des phénomènes, et que la connaissance de ces lois conduirait bientôt à prévoir l’avenir. Un vaste réseau d’observateurs couvre aujourd’hui la surface de la France ; attentifs à tout ce qui se passe dans le ciel, ils accumulent des notes et des chiffres qui, réunis et groupés méthodiquement, constituent les archives du temps et préparent une mine inépuisable de données pour ceux qui entreprendront de discuter ces matériaux. Les États-Unis à leur tour ont résolument attaqué le problème en organisant sur une grande échelle les observations simultanées ; en 1872, ils consacraient à la météorologie un budget de 300,000 dollars (1,500,000 fr.), dont le chiffre élevé prouve assez l’importance que ce peuple pratique attache à cette branche des sciences physiques, La plupart des nations d’ailleurs entrent avec plus ou moins de succès dans la voie nouvelle, et les stations se multiplient à vue d’œil. Or tous les hommes compétens sont d’accord sur l’utilité des stations de montagne pour l’étude des phénomènes aériens. L’établissement d’observatoires météorologiques sur les hauteurs est considéré comme un desideratum pressant et comme une nécessité qui s’impose.


I

Placées au centre du vieux continent, visitées chaque année par une foule de savans, les Alpes ont été le théâtre des premières tentatives d’observation dans les hautes régions. Aujourd’hui on pourrait citer une dizaine d’établissemens réguliers fonctionnant sur les versans suisses et italiens, à des niveaux qui dépassent 2,000 mètres. On sait que les religieux de l’hospice du Saint-Bernard, dont l’altitude est de 2,500 mètres, font depuis nombre d’années des observations météorologiques suivies sous la direction de M. Plantamour, qui de la comparaison des résultats obtenus au Saint-Bernard et à Genève a pu tirer des données précieuses sur la distribution variable des températures et des pressions dans cette couche d’air de plus de 2,000 mètres d’épaisseur. On peut citer encore les stations alpestres de Val-Dobbia, sur le Mont-Rose, de Julier et du Bernardin, dans les Grisons, du Saint-Gothard, du Simplon, dont les niveaux sont compris entre 2,000 et 2,600 mètres. N’oublions pas la station hibernale de Saint-Théodule, maintenue pendant plusieurs années, au-dessus des glaciers de la Viége, à une altitude de 3,333 mètres, par le zèle éclairé de M. Dollfus-Ausset. Les Russes ont des postes d’observation à des altitudes considérables dans le Caucase, les Anglais en ont établi dans les monts Himalaya. Les Américains en ont plusieurs à des niveaux fort élevés ; il suffit de citer le poste de Pike’s Peak, dans le Colorado, qui se trouve à 4,340 mètres au-dessus de la mer, — ceux du Mont-Washington, dans le New-Hampshire, du Mont-Mitchell, dans la Caroline du Nord, de la ville de Santa-Fé, dans le Nouveau-Mexique, situés tous à des altitudes d’environ 2,000 mètres.

La plupart de ces stations sont établies dans des cols de montagnes et abritées au moins d’un côté contre les vents. On a choisi ces emplacemens à cause de la facilité d’accès, souvent aussi pour des raisons d’économie, parce qu’il y existait déjà des maisons de refuge où il était possible de s’installer à peu de frais. Malheureusement on n’a ainsi qu’un horizon très limité et l’on se trouve gêné par les sommets voisins. Or on sait combien des collines de faible hauteur ou même un simple mouvement de terrain dominant un observatoire peuvent modifier les élémens météorologiques. Les cols présentent donc des conditions tout à fait anormales ; la température, le mouvement de l’air, la formation et la précipitation des brouillards, y sont influencés par les circonstances locales, par la radiation des murs de rochers voisins, par la déviation des courans qui s’engouffrent dans les défilés. Les observatoires de montagne devraient être placés sur des sommets isolés ; encore faut-il que l’abord n’en soit point trop difficile.

Deux points surtout, en France, avaient paru depuis longtemps propres à l’établissement d’observatoires météorologiques de ce genre : ce sont deux sommets isolés qui commandent chacun un vaste horizon, — le Puy-de-Dôme et le Pic-du-Midi de Bigorre. Le Puy-de-Dôme est merveilleusement situé comme échauguette destinée à surveiller le pays. Sur d’autres montagnes plus hautes, on peut avoir d’admirables vues, mais non un tour d’horizon complètement dégagé comme du sommet de ce puy, avec les volcans éteints de l’Auvergne rangés en file sur 8 ou 10 lieues de longueur et dominés de haut par la cime du puy. Du sommet du Puy-de-Dôme, dont l’altitude est de 1,463 mètres, le regard embrasse un splendide panorama : au sud-ouest apparaît le massif du Mont-Dore ; vers l’est, mais plus loin, on découvre les montagnes du Forez ; à l’ouest, ce sont les vallées de la Creuse et de la Corrèze, au nord la fertile Limagne aux vingt villes.

On sait que la chaîne des puys, qui prend pied sur le plateau granitique de Clermont, se compose d’une série de cônes isolés qui dépassent le plateau de 100 à 300 mètres, et qui sont alignés à peu près du nord au sud. Chacun de ces cônes, excepté le plus élevé, porte un ancien cratère soit à son sommet, soit sur le flanc ; ils sont entièrement formés de scories et accompagnés de longues traînées de roches qui ressemblent à des coulées de lave figées d’hier. Le Puy-de-Dôme, bien que situé dans l’alignement de ces petits volcans, en diffère notablement par sa nature. Cette protubérance de roche trachytique, qui domine de 600 mètres le plateau de granit, apparaît vers le centre de la chaîne des Dômes comme une masse qui aurait été poussée de bas en haut à la manière d’un coin. On n’y trouve pas de cratère ; c’est un cône assez régulier, à troncature légèrement convexe. Le sommet représente une plate-forme accidentée de quelques hectares d’étendue ; au sud se montre le dos de la crête rocheuse qui règne sur tout le flanc méridional, dit M. Faye, « comme une goutte de cire qui aurait coulé le long d’une bougie ; » au nord s’élève un petit mamelon qui semble être de ce côté le prolongement continu du grand dôme. C’est au pied de ce monticule, qui devait l’abriter contre les vents d’ouest, que fut bâtie au XIIe siècle une chapelle dédiée à saint Barnabé, dont quelques vestiges existent encore. Saint Barnabé s’y trouva en mauvaise compagnie. Pendant tout le moyen âge en effet, le Puy-de-Dôme passait pour le rendez-vous général des sorciers de France, qui y tenaient leur sabbat tous les vendredis : c’était le Brocken français. La chapelle fut abandonnée et détruite à cause des profanations qui s’y commettaient pendant les assemblées des sorciers. Les ruines de l’édifice ont disparu depuis près d’un siècle sous l’effort des nombreux visiteurs qui se sont donné le plaisir de précipiter les blocs de pierre et de ciment pour les faire rouler avec fracas sur les flancs de la montagne.

Au XVIIe siècle, le Puy-de-Dôme fut en quelque sorte désensorcelé et réhabilité par une de ces hardies tentatives qui ont inauguré la naissance des sciences d’observation. C’est là que Pascal Fit entreprendre ce qu’il appelait « la grande expérience de l’équilibre des liqueurs, » c’est-à-dire l’expérience qui démontra définitivement la pesanteur de l’air. « Et parce qu’il n’y a, dit-il, que très peu de lieux en France propres à cet effet, et que la ville de Clermont en Auvergne est une des plus commodes, je priai M. Périer, conseiller en la cour des aides d’Auvergne, mon beau-frère, de prendre la peine de l’y faire. » Le 19 septembre 1648, Périer s’étant procuré deux tubes de verre fermés par un bout seulement, remplis de mercure et renversés sur une cuve contenant le même liquide, porta l’un de ces tubes au sommet du puy tandis que l’autre restait dans le jardin des Minimes à Clermont, entre les mains du père Chatin, qui devait « observer de moment en moment pendant toute la journée s’il arrivait du changement. » Au départ, le niveau de la colonne mercurielle était dans les tubes à 26 pouces 3 lignes 1/2 ; au sommet de la montagne, Périer le vit descendre à 23 pouces 2 lignes, tandis qu’il n’avait point changé à la station inférieure. Il y avait donc une différence de plus de 3 pouces entre les hauteurs du baromètre aux deux stations extrêmes, et des différences moindres furent constatées aux stations intermédiaires. On sait que Pascal répéta l’expérience à Paris, au haut et au bas de la tour de Saint-Jacques de la Boucherie, qui porte aujourd’hui sa statue. Il fallut alors se rendre à l’évidence et reconnaître que les effets qu’on avait si longtemps attribués à l’horreur du vide étaient en réalité dus au poids de l’atmosphère. Pascal ne renonça pas pourtant sans effort à l’ancienne théorie. « Je n’estime pas, écrivait-il encore à son beau-frère quelques mois avant la grande expérience, je n’estime pas qu’il nous soit permis de nous départir légèrement des maximes que nous tenons de l’antiquité, si nous n’y sommes obligés par des preuves indubitables et invincibles ; mais en ce cas je tiens que ce serait une extrême faiblesse d’en faire le moindre scrupule. »

La pensée d’utiliser la situation exceptionnelle de cette montagne pour des observations météorologiques devait se présenter plus d’une fois à l’esprit des savans : elle semble placée là en vigie, au sein de la région où s’élaborent les nuages ; un observateur posté au sommet voit en quelque sorte le mauvais temps germer à l’horizon et arriver sur lui. Voici une expérience souvent racontée par M. Babinet. Un soleil brillant darde ses rayons sur la plaine fertile de la Limagne ; pas un nuage dans toute cette vaste étendue, partout le calme de l’air et la transparence la plus parfaite. Tout à coup, du sommet du Puy-de-Dôme on voit s’opérer un mouvement dans cette masse si calme ; les arbres, en inclinant leurs têtes vers la montagne, indiquent que c’est vers ce côté que se dirige le courant. La masse d’air devait forcément s’élever le long des flancs herbeux de la montagne, et, en montant, se dilater et se refroidir. En effet, on vit bientôt la tête du courant ascendant se troubler, s’obscurcir et former un nuage nettement défini. Peu à peu le nuage se développa et couvrit le pays jusqu’à mi-hauteur ; la teinte du sol arrosé montra qu’il s’en échappait une pluie abondante. Un peu plus tard, quand le vent eut encore élevé le nuage, ce furent des flocons de neige qui en sortirent, donnant aux habitans de la plaine le spectacle d’une neige d’été. Les observateurs stationnés sur le pic étaient environnés de ténèbres ; un caprice du vent fit plier le courant d’air à droite, vers la chaîne du Mont-Dore, et tira pour ainsi dire le rideau qui leur avait dérobé le spectacle de la Limagne, d’Auvergne avec ses cultures, ses arbres, ses roches volcaniques et ses rivières qui étincelaient au grand soleil. Il ne restait du météore qu’une plaine de neige qui blanchissait le sommet du puy, et plus bas les hautes herbes mouillées par la pluie. C’est là un exemple entre mille des facilités qu’offre une pareille station pour étudier ce qui se prépare dans le ciel.

Pourtant le projet sérieux de la fondation d’un observatoire au sommet du Puy-de-Dôme ne date que de sept ou huit ans, et il est du à l’initiative de M. Alluard, professeur de physique à la faculté des sciences de Clermont-Ferrand, dont la persévérance a fini par vaincre tous les obstacles. C’est au commencement de l’année 1869 que M. Alluard fit ses premières démarches auprès du ministre de l’instruction publique à l’effet d’obtenir les fonds nécessaires à la création d’un observatoire météorologique au sommet du puy avec une station correspondante à Clermont, et qui formerait en quelque sorte une annexe de la faculté des sciences, dont il utiliserait les ressources. Ce projet fut bien accueilli par M. Duruy ; mais, pendant qu’il réussissait à Paris, à Clermont il rencontrait une résistance sourde ; on le traitait de chimère, et les objections se multipliaient.

Quand on parlait de la difficulté d’arriver au sommet du puy, on oubliait que les paysans y avaient porté bien souvent d’énormes fagots de bois pour y allumer des feux de joie, et que, le jour où l’évêque de Clermont était venu prendre possession de son siège épiscopal, ces paysans lui avaient fait à la hâte un chemin très confortable pour le mener à cheval jusqu’au sommet du puy et lui faire contempler de là son magnifique diocèse. On disait encore que les neiges supprimeraient les communications avec la ville pendant l’hiver. À ces craintes, il était facile de répondre que ceux qui traceraient la route sauraient éviter les endroits où les neiges s’accumulent habituellement. — Mais pendant l’été, reprenaient les pessimistes, vous risquerez d’être foudroyés par toutes les nuées orageuses qui passent au Puy-de-Dôme, — et ils montraient des éboulemens qu’ils attribuaient à des coups de foudre. Or il ne paraît pas que les bergers et les moutons qui fréquentent journellement la montagne pendant la belle saison aient jamais été frappés, et les éboulemens sont visiblement dus à l’action des eaux et de la pesanteur.

La disposition des esprits changea un peu après la visite d’un savant astronome que le ministre avait chargé d’étudier sur les lieux le projet de M. Alluard. Au mois de mai 1869, M. Faye, ayant fait l’ascension du Puy-de-Dôme, put se rendre compte de toutes les facilités d’exécution qu’on y rencontrait, et son rapport, de tous points favorable, contribua beaucoup à lever les dernières difficultés. Il fut reconnu que les matériaux de construction pouvaient être en partie pris sur place : on avait sous la main la domite, roche légère, poreuse, facile à travailler ; la crête rocheuse du sud pouvait fournir de la pierre plus dure, et un cratère voisin, le Nid de la Poule ou le puy de Parion, de la pouzzolane. L’eau était à mi-côte ; il suffisait de porter au sommet la chaux, les pièces de charpente et les tuiles. En 1870, le corps législatif vota une subvention de 50,000 francs, qui fut maintenue par l’assemblée nationale au budget rectificatif de 1871 ; puis M. Alluard obtint du conseil-général du Puy-de-Dôme un crédit de 25,000 francs, et la ville de Clermont, malgré une situation financière peu brillante, accorda une somme égale. Après trois ans d’efforts, on disposait donc d’une somme de 100,000 francs ; de plus le conseil-général du département consentait à prendre l’établissement sous son patronage spécial.

Les premiers travaux de terrassement entrepris au sommet du Puy amenèrent une découverte d’un haut intérêt. En 1873, les ouvriers qui creusaient une tranchée à 20 mètres plus bas que le sommet mirent au jour les fondations d’un temple romain. Et on avait prétendu que la montagne était inhabitable ! L’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont-Ferrand se chargea de continuer les fouilles. On eut bientôt mis à découvert les fondations de la façade sur une largeur de 70 mètres sans en atteindre les angles. Des fragmens de marbre très variés, — des marbres les plus recherchés de l’Italie, de la Grèce et de l’Afrique, — et de pierres d’ornementation plus dures, telles que le porphyre et la syénite, attestaient que le bâtiment était décoré avec luxe à l’intérieur. Des monnaies d’empereurs romains permettaient d’assigner une date à ces ruines. La partie déblayée présente le caractère des constructions de la belle époque romaine. Les maçonneries se composent d’énormes pierres de taille posées à sec, sans ciment ni mortier, et reliées par des crampons de fer ; le remplissage et les parties secondaires sont en petit appareil. Ce sont, de l’avis des archéologues compétens, les ruines du plus important sanctuaire de la Gaule romaine. Grégoire de Tours, qui était né à Clermont, parle d’un temple appelé Vasso en langue gauloise, qui fut détruit au IIIe siècle par une incursion de barbares, et dont les ruines attestaient de son temps la magnificence ; la description qu’il en donne s’accorde de point en point avec les débris trouvés au sommet du puy. Tout porte à croire que ce temple était dédié à Mercure, la principale divinité des Gallo-Romains, comme l’affirme César dans ses Commentaires. On sait que diverses inscriptions, trouvées dans le pays de Juliers et dans les environs de Dusseldorf, rappellent des vœux faits au Mercure auvergnat, Mercurio Arverno. Strabou dit également que Mercure était le dieu principal des Arvernes, et Pline l’Ancien mentionne une statue colossale de Mercure, œuvre du statuaire Zénodore, qui aurait été érigée dans cette province. Peut-être cette statue était-elle placée au sommet même du Puy-de-Dôme. A chaque coup de pioche, on découvre des morceaux de moulures, de corniches, de frises sculptées ; on a recueilli des armes de fer, des objets de bronze, des monnaies du haut-empire, des fragmens de vases et de statues. Enfin on a trouvé une petite plaque en forme de cartouche portant une inscription dont voici le sens : dédié à la divinité d’Auguste et au dieu Mercure Dumias (Dômien) par Matutinius Victorinus, La plaque avait été sans doute fixée à un objet votif. D’autres inscriptions plus ou moins lisibles confirment l’hypothèse que le temple du Puy-de-Dôme était un temple de Mercure.

L’établissement de la station de la montagne a été retardé par des difficultés de toute sorte dont la principale a été la nécessité de recourir à une expropriation pour cause d’utilité publique, le sommet du Puy-de-Dôme appartenant à un grand nombre de personnes. En 1872, on s’est occupé d’améliorer l’état des chemins qui conduisent à la base de la montagne ; puis, sur le versant sud-ouest, on a refait un ancien chemin romain, auquel on a donné une pente de 15 centimètres et une largeur de 2 à 3 mètres, de sorte que l’ascension du pic est devenue facile à pied et à cheval. C’est par ce chemin qu’une voiture attelée de trois mulets portait, quatre et cinq fois par jour, des matériaux divers de la base au sommet de la montagne. La même année, on édifiait des baraques à la base et au sommet pour loger les ouvriers.

C’est dans le courant de l’année 1873 que furent commencés les travaux de construction. Le plan de l’observatoire comprenait : 1° une tour ronde au point culminant du Puy-de-Dôme ; 2° un bâtiment d’habitation placé à 15 mètres au-dessous de la cime ; 3° une galerie souterraine qui devait relier ce bâtiment à la tour. La tour a un étage souterrain, entouré d’un corridor destiné à l’assainir, puis un rez-de-chaussée complètement aérien éclairé par quatre fenêtres orientées suivant les quatre points cardinaux. Le diamètre de la salle circulaire du rez-de-chaussée est de 6 mètres ; les murs ayant 1 mètre 1/2 d’épaisseur, le diamètre extérieur de la tour est de 9 mètres ; elle se termine à une hauteur de 7 mètres au-dessus du sol par une plate-forme sur laquelle seront installés les instrumens météorologiques qui doivent être exposés à l’air libre.

On voit que, pour soutenir le choc des vents, qui ont parfois au sommet du Puy-de-Dôme une violence redoutable, on s’est attaché à construire non pas un édifice élégant, mais de véritables casemates adossées au roc et capables de défier l’effort des tempêtes. Le bâtiment d’habitation, qui renferme le logement du gardien et quelques salles pour le directeur, est bien abrité au nord et à l’ouest, de manière à pouvoir être habité toute l’année. Pour diminuer l’isolement du gardien, une petite hôtellerie sera annexée à l’habitation ; elle servira à loger les savans qui voudront profiter de cette installation pour y faire des recherches personnelles.

Le local de la faculté des sciences ne pouvait recevoir une station météorologique. On a loué pour dix ans, dans le voisinage, une maison avec un jardin et une portion de prairie. L’escalier de la maison est dans une tour carrée, terminée par une terrasse qui se trouve à 20 mètres au-dessus du sol. On y a construit deux salles situées l’une au-dessus de l’autre ; la salle supérieure forme le cabinet de travail de l’aide-physicien, qui de là aperçoit la montagne et peut correspondre avec la station du sommet par le télégraphe qu’il a sous sa main. Dans la salle située au-dessous sont placés les appareils enregistreurs. Les autres instrumens sont disposés sous un abri dans la prairie. Des observations trihoraires s’y font régulièrement de six heures du matin à neuf heures du soir, depuis le 1er janvier 1874 ; on les avait faites l’année précédente dans le jardin de l’académie.

Les constructions de l’observatoire sont aujourd’hui à peu près terminées, et avant l’hiver un gardien a pu s’y installer avec sa famille. Grâce aux précautions prises, il a passé sans souffrance la période de froid, qui a commencé en Auvergne le 21 novembre, et qui n’a pris fin que le 12 décembre. Cette expérience a dissipé toutes les inquiétudes relatives à la possibilité d’habiter pendant toute l’année sur le sommet du Puy-de-Dôme. Depuis le 20 décembre, des observations météorologiques correspondantes sont faites régulièrement de trois heures en trois heures au sommet du puy et à la station de la plaine, qui est munie des mêmes appareils. Les deux stations, dont la différence de niveau est de 1,100 mètres et la distance à vol d’oiseau de 10 kilomètres environ, sont reliées par une ligne télégraphique. L’observatoire du Puy-de-Dôme peut donc être considéré comme définitivement fondé, grâce aux efforts persévérans de M. Alluard, grâce aussi à la libéralité de l’état, de la ville de Clermont et du conseil-général du département.


II

Le Pic-du-Midi de Bigorre est un cône de gneiss isolé qui repose sur le point le plus avancé du principal contre-fort des Pyrénées centrales ; il s’élance à une hauteur de 640 mètres au-dessus du massif qui lui sert de base, et d’où il se détache au col de Sencours, un peu au-dessus du lac d’Oncet, au milieu d’une région pastorale formée de petits plateaux herbeux que fréquentent de nombreux troupeaux pendant environ quatre mois et demi de l’année. Le sommet, qui se termine par deux mamelons réunis par de très petites plates-formes, est à une altitude de 2,877 mètres au-dessus du niveau de la mer, inférieure seulement de 527 mètres au point culminant de la chaîne. Avant le nivellement entrepris par Reboul et Vidal en 1787, c’est même le Pic-du-Midi qui passait pour le point culminant. Situé vers le milieu de la chaîne des Pyrénées, il commande un des plus beaux panoramas de l’Europe. Sur une moitié de l’horizon, c’est l’immense plaine qui s’étend à perte de vue vers le nord ; du côté opposé, on voit se dresser au loin les hautes cimes de la chaîne, depuis le Pic-du-Midi d’Ossau et la Rhune jusqu’à la Maladetta et aux sommets des Pyrénées orientales. Quand l’air est très pur, on distingue même à l’horizon les pinèdes du littoral océanien et l’immense ligne bleue de la mer, éloignée de 160 kilomètres. Le Pic-du-Midi de Bigorre se trouve ainsi exposé directement au choc des grandes vagues atmosphériques qui nous arrivent de l’Océan et balaient la plaine de la Gascogne. Placé d’ailleurs au centre des établissemens thermaux des Pyrénées, à quatre heures de Barèges, à six heures de Bagnères-de-Bigorre, à proximité de la belle route qui relie ces deux stations par le col du Tourmalet, le pic est facilement accessible soit à pied, soit à cheval[1].

De tout temps, la ville de Bagnères a tenu en bon état de viabilité un chemin bien tracé qui permet d’y monter sans danger. De plus elle entretenait au col de Sencours, au pied du cône, un cortail ou chalet à l’usage des pasteurs auxquels elle afferme ses pâturages ; ce chalet et une cabane placée plus haut encore, qui avait été construite en 1787 par Reboul et Vidal, servirent longtemps d’abri aux touristes surpris par le mauvais temps ou l’orage. Depuis 1854, ces abris primitifs se trouvent remplacés par une hôtellerie confortable, composée de deux vastes et solides corps de logis avec leurs dépendances, qu’une société de Baguerais a fait bâtir sur un monticule situé immédiatement au-dessus du lac d’Oncet, en contrebas du pic. Cette hôtellerie, fondée sur l’initiative et sous la direction du docteur Costallat, n’était d’abord destinée qu’à recevoir les nombreux touristes qui chaque année visitent le Pic-du-Midi ; on y a trouvé un local qu’on a pu provisoirement utiliser comme observatoire en louant à cet effet une partie des bâtimens.

Les premières cavalcades qui de Bagnères s’acheminent vers le pic partent très souvent en juin, quelquefois en mai ou même en avril ; mais le pic a été visité aussi plus d’une fois par des cavalcades parties de Bagnères au cœur de l’hiver. À cette époque de l’année, par les jours clairs et froids, on y monte par les vallons d’Arises et de Sencours, et, quand la neige est dure, par le Tourmalet. En été, on a encore la route qui de Barèges conduit au pic par la vallée du Bastan ; mais ce chemin est dangereux pendant l’hiver à cause des avalanches qui alors rendent la vallée inhabitable. On songe maintenant à relier le col du Tourmalet à l’hôtellerie de Sencours par une voie carrossable qui n’aurait guère plus de 3 kilomètres de longueur ; ce tronçon de route achèverait de mettre l’établissement en communication facile avec les stations thermales des environs.

Depuis le siècle dernier, le Pic-du-Midi de Bigorre a fixé l’attention des astronomes, des physiciens et des naturalistes. Le premier savant qui ait songé à la création d’un observatoire au sommet du pic semble être l’astronome François de Plantade, à qui l’on doit aussi une des premières descriptions scientifiques de la couronne lumineuse des éclipses. Il lit plusieurs voyages au pic, et il y mourut subitement le 25 août 1741, ses instrumens d’observation à la main, sur un mamelon auquel on. a donné son nom. C’est ensuite Darcet qui, après avoir mené à bonne fin diverses recherches dans les Pyrénées, obtient en 1786 de Philippe d’Orléans la promesse d’une somme de 80,000 francs qui doit être affectée à la fondation de l’observatoire du Pic-du-Midi. Les événemens qui survinrent empêchèrent l’accomplissement de ce projet ; mais pendant les vingt dernières années du XVIIIe siècle beaucoup d’observations isolées ont été effectuées au sommet du pic à diverses époques. Il faut d’abord citer le nivellement exécuté en 1786 par Vidal et Reboul, « afin de graduer cette montagne pour les observateurs qui voudront s’y établir. » Les deux physiciens de Toulouse laissèrent sur la plateforme du sommet une cabane dont on a retrouvé les fondations sous le gazon quand la société Ramond fit construire au même point un petit abri appelé Pavillon-Darcet, qui est comme la pierre d’attente du futur observatoire. Le chevalier d’Angos fit au Pic-du-Midi de longues séries d’observations, qui n’ont pas été publiées[2]. Viennent ensuite les admirables recherches de Ramond, qui servent toujours de base à la mesure des hauteurs par le moyen du baromètre, et les travaux d’une foule de physiciens, de géologues et de botanistes qu’il est inutile d’énumérer. Mentionnons seulement les expériences comparatives faites en 1864 par MM. Charles Martins et Roudier à Bagnères et au Pic-du-Midi sur réchauffement de l’air et du sol du aux rayons solaires. Le Pic-du-Midi de Bigorre est enfin une excellente station géodésique. Le colonel Peytier, des géographes militaires, a campé sous la tente, sur la plate-forme du sommet, pendant quinze jours ; lorsqu’il revint, lui et ses hommes étaient basanés comme après un voyage en Afrique ; ils avaient les lèvres et les oreilles gercées et fendues par l’effet de l’air et du soleil trop vifs. Heureusement ces sortes d’accidens sont faciles à prévenir.

Comme emplacement d’un observatoire météorologique, le Pic-du-Midi a un grand avantage sur le Puy-de-Dôme : c’est que, grâce à une élévation presque double, la cime du premier est la plupart du temps au-dessus des orages. Les nuages orageux ont sur cette montagne un goulet naturel tout près d’un petit plateau, à environ 200 mètres au-dessous du sommet. Le pic se trouve ainsi constamment plongé dans une atmosphère lumineuse et légère et en dehors de toute influence due, soit aux courans des basses vallées, soit au rayonnement des autres sommets de la même chaîne, car il est comme une sentinelle avancée, détachée à 30 kilomètres du massif central, qui se développe devant lui de la Méditerranée à l’Océan. Il faut ajouter que, malgré sa grande élévation, le Pic-du-Midi se dépouille rapidement, aux premières chaleurs, des neiges de l’hiver, ce qui est une excellente condition pour l’établissement d’un poste permanent. La ligne des neiges éternelles, qui dans les Alpes descend jusqu’au niveau de 2,700 mètres, se relève dans les Pyrénées jusqu’à 3,000 mètres : elle passe bien au-dessus du Pic-du-Midi.

La question la plus grave de celles que soulève l’établissement des observatoires de montagne, c’est le problème de l’hivernage sur les hauteurs. A cela près que l’hiver dure ici moins longtemps, une station sur un pic élevé équivaut à un séjour sous le cercle polaire, et pour se faire une idée des difficultés de la vie dans ces conditions, on n’a qu’à lire les relations des Ross, des Parry, des Kennedy, ou celles des nombreux marins qui dans ces dernières années ont encore tenté d’approcher du pôle nord. Puis nous avons les rapports des courageux observateurs que M. Dollfus-Ausset avait installés sur les glaciers de la Viège, dans le Valais. Sans les avalanches, l’hôtellerie du Pic-du-Midi serait habitable toute l’année, malgré son altitude de 2,238 mètres, car elle est exposée au midi, à l’abri des plus mauvais vents. Beaucoup de stations habitées dans les Alpes ne présentent point les mêmes avantages. Le fort de l’Infernet, à Briançon, suspendu au sommet d’un rocher presque à pic, à une altitude d’environ 2,400 mètres, et celui des Têtes, établi à 400 mètres plus bas sur un roc aigu, forts qui gardent le défilé du Mont-Genèvre, reçoivent tous les vents de l’ouest, du nord et de l’est. Le village chef-lieu de la commune de Saint-Véran, dans les Hautes-Alpes, qui renferme près de 200 âmes, est situé à 2,070 mètres, et il a des maisons régulièrement habitées bien au-dessus de cette altitude. On petit citer beaucoup d’autres villages perchés à des niveaux qui approchent de 2,000 mètres, comme ceux des Aygliers, près Briançon, de la Bérarde en Oisans, etc. Pendant l’hiver, les maisons y sont parfois ensevelies sous la neige, et l’on circule de porte en porte par des galeries de communication. Faute de combustible ligneux, on n’y cuit le pain qu’une fois l’an, et l’on garde les morts de l’hiver pendant plusieurs semaines au grenier, le sol étant trop dur pour les enterrer. Dans ces villages, l’habitation se compose généralement d’un rez-de-chaussée bas et voûté ; le compartiment où se parque la famille n’est séparé de l’étable que par une cloison qui s’arrête à hauteur d’homme, afin de laisser arriver la chaleur dégagée par le bétail. Les habitans les plus riches font la cuisine avec une sorte d’anthracite décomposé, quelques-uns ont du bois de bouleau ou de mélèze ; la plupart ne brûlent que des fientes de vache séchées au soleil. Dans le Haut-Dauphiné et la Maurienne, il y a des mines de fer exploitées à un niveau qui dépasse 2,000 mètres, et où les ouvriers passent l’hiver dans de mauvaises baraques ; on est obligé d’y travailler l’hiver, car ce n’est que sur, la neige que l’on peut en descendre économiquement le minerai, dans des paniers en forme de traîneaux doublés en dessous d’une peau de bouc. La caserne des mines de cobalt et de nickel d’Allemont en Oisans, que M. Vaussenat, un des promoteurs les plus ardens du nouvel observatoire, a établie lui-même en 1853 et dans laquelle il a hiverné deux fois avec une centaine d’ouvriers, se trouve à une altitude de 2,150 mètres, sur une crête battue par tous les vents.

Les inconvéniens de ces habitations sont les mêmes que ceux qu’on aurait à supporter dans un observatoire construit au sommet du Pic-du-Midi. On les atténuerait beaucoup par une bonne installation : des locaux bas, voûtés, à demi, enterrés, des murs épais, un toit balayé par les vents pour éviter l’enfouissement sous la neige, et des caves garnies de provisions. Par les temps clairs et froids, les habitans du pic pourraient facilement descendre à l’hôtellerie de Sencours. Enfin un fil électrique pourrait diminuer leur isolement en les mettant en communication régulière avec Bagnères, dont la distance à vol d’oiseau n’est que de 10 kilomètres ; en suivant les crêtes, le. télégraphe n’aurait pas une longueur de plus de 15 kilomètres. Les villages échelonnés à la base du pic sont habités par des montagnards hardis qui en tout temps répondraient sans hésiter à un appel parti du sommet.

La Société Ramond, fondée il y a dix ans, avait repris cette idée d’un observatoire à ériger au Pic-du-Midi, l’avait faite sienne, et avait entrepris une active propagande en faveur du projet. En 1869, le Journal officiel annonçait la création prochaine de cet établissement. Malheureusement c’étaient les fonds qui manquaient. C’est seulement quatre ans plus tard qu’à l’aide des souscriptions et des dons recueillis on put enfin procéder à l’organisation provisoire d’une station météorologique sur le mamelon Plantade, à l’altitude de 2,370 mètres, à proximité de l’hôtellerie. Grâce au dévoûment du général de Nansouty, de MM. Vaussenat et Peslin, l’installation fut achevée le 21 août 1873. De plus un baraquement fut établi pour les ouvriers qui l’année suivante devaient exécuter les terrassemens au sommet du pic.

Une collection d’instrumens avait été mise à la disposition de la Société par M. Charles Sainte-Claire Deville, inspecteur-général des stations météorologiques, dont le zèle infatigable est toujours au service de toute bonne volonté, et qui vient de lire à l’Académie des Sciences un rapport étendu sur l’observatoire naissant. On avait trouvé un observateur consciencieux, M. Baylac, ancien instituteur et ancien militaire, qui fut maintenu pendant soixante-dix jours à la station Plantade, où il faisait les lectures de trois en trois heures, de sept heures du matin à sept heures du soir ; en outre, chaque jour la même série de lectures était répétée au sommet du pic à neuf heures du matin. L’absence de fonds ne permit pas d’étendre cette première campagne au-delà du commencement d’octobre. « L’observatoire a été fermé le 9 octobre, à sept heures, les vivres manquant complètement, » dit le procès-verbal.

L’année suivante, on fut déjà en mesure de soutenir un établissement continu. L’observateur, installé dès le 1er juin, resta sur le pic avec le président de la commission, le général de Nansouty, qui avait tenu à payer de sa personne, et avec l’hôtelier Brau, jusqu’au 15 décembre, époque où un accident força les habitans de la station à une retraite précipitée.

Pendant ces six mois et demi, les observations trihoraires ont été faites régulièrement à la station Plantade, et, sauf quelques jours d’interruption, on a répété les lectures au sommet du pic à midi 43 minutes, heure concordant avec l’observation simultanée de 7 heures 35 minutes du matin à Washington, car ces données devaient être envoyées au général Albert Myer, chef du service météorologique des États-Unis. En prévision d’un long séjour, on avait apporté à l’hôtellerie de Sencours un ample approvisionnement de vivres, consistant en vin rouge, pain-biscuit, conserves de légumes et de viandes, extrait Liebig, sucre, café, thé, lait, rhum, bougie, coke, tout cela en quantité plus que suffisante, car on comptait en laisser encore en partant. Une petite pharmacie complétait ces provisions d’hivernage. L’hiver avait été sensiblement plus précoce que l’année précédente ; par deux fois dans le courant de novembre on avait du renoncer à l’observation du sommet, il y avait eu péril très réel. En fait de distractions, la chasse d’une hermine, la visite d’une martre qui, après avoir mangé quantité de noix, de lard et d’autres friandises, ne voulut pas se laisser prendre au piège qui lui fut tendu, les rares apparitions de quelques oiseaux, notamment du pinson des neiges (fringilla nivalis), étaient des événemens qui comptaient dans cette existence de stylites. Au commencement de décembre, quatre membres de la commission firent l’ascension du pic pour rendre visite à leur collègue.

C’est un accident survenu à la grille du poêle de fonte vers le 10 novembre qui fut la cause du départ prématuré des observateurs. Ils avaient d’abord essayé de raccommoder la grille, mais sans succès ; il avait fallu modifier la forme du foyer en l’élargissant considérablement. De ce jour, la consommation du combustible avait doublé, tant par suite de cette transformation que parce que la couche de neige, en dépassant le sommet de la cheminée, l’avait en quelque sorte prolongée et par suite augmenté chaque jour le tirage à mesure qu’elle s’entassait. Les vents du nord-est et du sud-ouest apportaient de telles quantités de neige au col Sencours, que le 15 novembre il y en avait déjà 4 mètres contre la façade nord de la maison, et qu’on sortait de plain-pied du premier étage. À force de travail, on parvint à la maintenir à ce niveau jusqu’au 2 décembre. Le 3, on dut se décider à creuser dans la neige une galerie de 7 mètres de long, afin d’arriver sans trop de difficulté à la plate-forme de l’observatoire.

Jusqu’au 6 décembre, Brau avait toujours accompagné au sommet du pic M. Baylac, qui allait prendre le relevé de midi. Le 7, ces deux hommes ayant été renversés deux fois par le vent en côtoyant les couloirs d’Ardalos, M. de Nansouty décida que jusqu’à nouvel ordre l’observation du sommet serait supprimée. Le 9 et le 10, la tourmente commençait, préludant par le bouleversement de la neige et lui donnant des formes fantastiques. Des instans de calme plat succédaient à des rafales de neige où un homme n’eût pu tenir debout. Pendant toute la journée du 11, l’ouragan fut formidable ; à onze heures du soir, un bloc de neige glacée enfonça la fenêtre de l’hôtellerie, et cela par un froid de 19 degrés au-dessous de zéro. En un instant, le général et M. Baylac, qui s’étaient couchés tout habillés, étaient sur pied, et sacrifiant, le premier un matelas de sa couchette, l’autre sa paillasse et une couverture, ils parvinrent, après une heure de travail pénible, à masquer l’ouverture par où pénétraient la neige et le vent. Pendant cette opération, le thermomètre intérieur était tombé de 6 degrés au-dessus de zéro à 18 degrés au-dessous. « Privés de notre unique fenêtre, dit M. de Nansouty, nous fûmes obligés d’allumer les bougies toute la journée. Je me voyais, dans un avenir très prochain, sans combustible ni lumière. Cette situation me fit comprendre une fois de plus la nécessité de quitter la station dès que l’état de l’atmosphère le permettrait. »

Le 12, à six heures du matin, la porte de l’hôtellerie fut à son tour enfoncée. On mit trois heures à la rétablir en luttant contre les terribles rafales du sud-ouest qui s’engouffraient dans le rez-de-chaussée. Désormais ce rez-de-chaussée n’était plus habitable. Le 13, l’ouragan parut mollir, et, dans la soirée, il cessa tout à coup, comme il avait commencé le 11, par une secousse sèche qui fit vibrer et changer de place la vaisselle en fer battu sur les étagères. Toute la nuit, le baromètre resta immobile, et le matin il avait quelque tendance à monter, ce qui faisait supposer que le cyclone s’éloignait. M. de Nansouty donna aussitôt l’ordre de se préparer au départ.

La petite troupe quitta la station le 14, vers neuf heures du matin. Dans la nuit, le thermomètre était descendu à — 24° ; au moment du départ, il marquait encore 14 degrés au-dessous de glace. La neige tombait verticalement ; pas un souffle de vent. Chacun portait une boussole. Brau ouvrait la marche, frayant la route avec sa poitrine, ses mains et ses genoux ; la raideur des pentes lui laissait la possibilité de pousser la neige. Baylac, derrière lui, élargissait le passage ; puis venait le général, qui avait encore souvent de la neige au-dessus des hanches, et sa chienne Mira fermait la marche. Vers onze heures, voyant qu’on n’avançait qu’avec une lenteur extrême, on résolut de changer de route et de descendre au fond de la vallée d’Arises en laissant à gauche un précipice bien connu du guide. Malgré ses efforts pour ne pas se rapprocher de ce mauvais endroit, poussé insensiblement par la pression des neiges sur sa droite, trompé par un rocher qu’il prit pour un autre, aveuglé par la tourmente, Brau arrive sur le bord de l’escarpement. On se figure la stupeur de ces trois hommes en voyant le vide au bout de leurs bâtons. Il fallut faire demi-tour et remonter 50 mètres à pic, on mit une heure à sortir de ce mauvais pas. Enfin on arrive, très fatigué déjà, au fond du vallon. Là, le terrain devenait presque horizontal ; la neige, beaucoup plus molle et profonde de 2 mètres, ne cédait plus comme sur les pentes ; il fallait des efforts inouïs pour la déplacer.

Vers trois heures, on était au Pont-de-Bois. Il restait à franchir le goulet d’Arises, passage devenu méconnaissable par l’amoncellement des neiges. En sondant le terrain à chaque pas, on arrive enfin à l’endroit où le chemin en corniche longe le précipice. « Après un temps d’arrêt pour nous bien reconnaître, dit M. de Nansouty, je distingue un petit chêne, un coudrier et un églantier ayant encore ses feuilles, qui se trouvent sur le bord même du sentier, et que je reconnais parfaitement. Je les indique à Brau comme points de direction en lui recommandant de faire tous ses efforts pour les conserver à sa droite. Nous sommes passés à 25 centimètres de l’églantier, et je vous avoue sincèrement que j’ai eu froid dans le dos. »

A quatre heures et demie, on se trouvait devant une cabane fermée et abandonnée. M. de. Nansouty souffrait horriblement de crampes dans le haut des jambes, et ne pouvait plus marcher qu’en se faisant faire des ligatures très serrées à l’aide de deux courroies. Il aurait voulu passer la nuit dans cette cabane ; mais il eût fallu, pour y entrer, enfoncer la porte ou briser la fenêtre. On reprit, par les pentes, le chemin de la route thermale, que l’on atteignit à huit heures du soir. A partir de ce moment, il y eut de fréquens éclairs, et la neige nouvelle émettait une lueur phosphorescente bleu clair, surtout lorsqu’on la remuait. En arrivant à Gripp à une heure du matin, tout le monde était accablé par la fatigue et tiraillé par la faim. On avait mis seize heures à faire un trajet qui en demande trois en été. A l’hôtellerie de Gripp, les trois voyageurs trouvèrent enfin de quoi souper et dormir.

Dès le 1er juin 1875, M. de Nansouty et l’observateur s’étaient de nouveau internés à l’hôtellerie pour l’hiver entier. Quelques jours plus tard, ils étaient en mesure de donner une preuve de l’utilité de leur poste avancé, car le 22 juin, à la veille des perturbations atmosphériques qui devaient amener tant de désastres sur le midi de la France, ils purent transmettre aux communes les plus proches et jusqu’à Tarbes des avis qui seraient arrivés à destination plus tôt, si on avait eu un fil électrique sous la main.

Vers le milieu du mois d’octobre, leur séjour sur les hauteurs faillit être encore abrégé par un accident. Après une terrible tourmente qui avait duré du 12 au 14, une grosse avalanche vint s’abattre sur la maison le 16, à 1 heure 1/2 du matin. La neige de l’avalanche, en comblant tout le creux au nord de la maison jusqu’à 1 mètre au-dessus du toit, privait les habitans de leur escalier de communication et les séparait de leur combustible. Ne pouvant plus sortir du premier étage par la porte et n’ayant pas d’échelle pour utiliser leur fenêtre, ils furent obligés de percer le parquet pour descendre à l’étage inférieur. Il fallut ensuite dégager la cheminée, dont le conduit était plein jusqu’au rez-de-chaussée, puis allumer avec grand’peine un feu pour se sécher. Le fermier de l’hôtellerie était descendu la veille à Campan, et il était impossible qu’il pût remonter de sitôt ; le chemin était devenu impraticable en raison des avalanches que l’on entendait ronfler à chaque instant. Heureusement on avait, pour aider au déblai, un paysan des environs qui, surpris par le changement de temps, se trouvait prisonnier à l’hôtellerie. Le gros de l’avalanche était allé s’engouffrer dans le lac d’Oncet, qu’il faisait déborder : le petit torrent qui s’en échappe laissait voir son lit dégagé de neige sur plus de 2 kilomètres. A huit heures du matin, pendant que le général faisait avec son aide l’inventaire des dégâts, deux vautours se présentèrent : ils venaient voir si l’avalanche leur avait préparé un festin ! On constata que le vent de l’avalanche et l’embrun avaient brisé et tordu l’abri météorologique, bien qu’il fût construit en fer et en fonte, et broyé les instrumens.

Cette catastrophe ne découragea pas nos observateurs. En quelques jours, le désastre était en grande partie réparé ; les instrumens étaient remplacés et installés sous un abri de bois. Afin de diminuer les risques de l’isolement, M. de Nansouty a engagé deux solides montagnards pour le reste de l’hiver. Depuis ce moment, les observations ont été continuées d’une manière très régulière ; on en publie un résumé tous les quinze jours. De temps en temps des visiteurs montent par la route de Bagnères : le jour de l’an a été fêté à la station Plantade par une nombreuse réunion d’amis de la science qui étaient venus saluer les habitans du pic. Tout fait espérer que la campagne de 1875 pourra être menée à bonne fin. Toutefois cette expérience de deux ans a suffisamment démontré que le col de Sencours est à peu près inhabitable en hiver : il est trop accessible à l’accumulation des neiges et trop ouvert aux coups de vent d’est, sud et sud-ouest. L’observatoire qu’il s’agit de bâtir au sommet, à l’endroit où l’on a installé le Pavillon-Darcet, ne serait exposé qu’aux vents du sud, et il serait facile de le défendre contre les neiges d’apport. La comparaison des températures notées à midi au sommet du pic et à la station Plantade prouve même que vers le milieu de la journée il ne fait pas toujours plus froid en haut qu’en bas, en dépit d’une différence de niveau de 500 mètres, à laquelle correspond en moyenne un abaissement de température de 3 degrés. Dans la première quinzaine de janvier, le thermomètre a été parfois, vers midi, un peu plus élevé au sommet qu’à la station. En revanche, les minima notés au sommet ont été très sévères : 37° au-dessous de zéro le 9 janvier, et encore — 23° le 10, puis — 25° et — 30° le 12 et le 13, tandis qu’à la station Plantade le thermomètre à minima n’avait marqué que — 17°, — 15°, — 17° et — 19° les mêmes jours. C’est la seconde période de grands froids traversée cet hiver par les habitans du pic ; la première avait duré trois semaines (du 21 novembre au 13 décembre), et n’avait pas été moins rigoureuse, car le 6 décembre on eut — 20° à la station.

A tous les points de vue, il est donc urgent de transporter le poste d’observation au sommet du pic. Un devis largement établi porte les frais de construction à 80,000 francs. La commission de la Société Ramond a fait appel à tous les amis de la science. Les conseils-généraux de six départemens et trois villes, Bagnères, Toulouse et Bordeaux, ont déjà répondu par des souscriptions. La ville de Bagnères abandonne la propriété de la portion de la cime qui lui appartient et autorise la Société à interdire, sur la pente de la montagne, le parcours des moutons, afin de rétablir le gazonnement de la surface. Grâce à ce concours empressé, on a pu, l’été dernier, poser les fondemens de la maison d’habitation, que ton bâtit à 7 mètres au-dessous du sommet. Cette maison est en partie souterraine et n’aura d’ouverture que du côté du midi ; elle communique par un tunnel à la pièce circulaire voûtée qui doit contenir le baromètre, les appareils magnétiques, etc. A peu de distance sera fixé solidement au roc l’abri destiné à protéger les instrumens qui doivent être exposés à l’air libre.

Pour rendre les observations du pic plus utiles, on a eu l’heureuse idée d’adjoindre à la station principale des postes secondaires situés à des niveaux inférieurs. On a choisi à cet effet quatre stations voisines, deux dans la montagne, — le lac d’Oredon (1,900 mètres) et Barèges (1,230 mètres), — puis deux dans la plaine, — Bagnères (550 mètres) et Tarbes (310 mètres). Les matériaux recueillis depuis trois ans par les hommes dévoués qui consacrent leur temps et leurs forces à cette œuvre sont déjà nombreux, et le peu qui en a été publié jusqu’à présent prouve que les observations sont faites avec un soin des plus louables. La comparaison des moyennes thermométriques et barométriques de 1874 avec les moyennes décennales du grand Saint-Bernard montre un accord très satisfaisant dans la marche des phénomènes. Elle tendrait à prouver aussi que la température des Pyrénées est, à niveau égal, de 3 degrés plus élevée que celle des Alpes, car la différence moyenne entre la station Plantade et le Saint-Bernard est de 3°,6, et se réduit à 3°,0 lorsqu’on tient compte de la différence de niveau des deux stations, qui est d’une centaine de mètres. On en a conclu qu’au sommet du Pic-du-Midi la température moyenne ne doit pas descendre sensiblement au-dessous de celle de l’hospice du Saint-Bernard, bien que l’altitude du pic soit supérieure de 400 mètres à celle de l’hospice.

Voilà où en est l’observation du Pic-du-Midi de Bigorre. Une œuvre si bien commencée sera vite achevée, surtout si elle peut compter sur l’appui de l’état. Nul doute que la Société Ramond n’obtienne bientôt la déclaration d’utilité publique dont elle a besoin pour devenir légalement propriétaire des terrains que lui concèdent les communes de Bagnères et de Barèges, et des constructions qu’elle y élève.

Les services que les observatoires de montagne sont appelés à rendre sont très variés., La météorologie et la physique du globe ont singulièrement élargi leur cadre depuis vingt ans. Si les variations du baromètre sont encore jusqu’à nouvel ordre les symptômes les plus importans à consulter pour la prévision du temps, si la température est toujours l’élément qui intéresse le plus directement la vie organique, bien d’autres phénomènes cependant nous permettent, pour ainsi dire, de tâter le pouls de la nature, On mesure maintenant la quantité d’ozone contenue dans l’air, afin d’en apprécier la salubrité ; on en détermine la transparence optique et la transparence chimique, en d’autres termes la proportion des radiations chimiques du soleil qu’il laisse arriver jusqu’à nous. M. Tyndall vient de démontrer que l’air dans lequel un rayon de soleil ne trace pas de sillon lumineux, qui par conséquent ne renferme pas de poussières capables de diffuser la lumière, a aussi perdu le pouvoir d’engendrer la vie, c’est-à-dire de semer les germes d’où naissent les fermentations et les maladies infectieuses. C’est une nouvelle défaite des partisans de la génération spontanée, et un beau sujet d’expériences pour les observateurs placés au-dessus des nuages.

Que d’autres phénomènes pourraient être en quelque sorte surpris dans leur devenir en ces hautes régions ! La grêle, ce météore si redoutable et encore si mal connu, que nous ne voyons d’ordinaire que lorsqu’elle tombe sur nos récoltes, — les tourbillons qui naissent du contact des cirrhus glacés et des tièdes courans d’air qui montent de la terre, — les effluves électriques qui alimentent la foudre, mais dont on peut à chaque instant reconnaître la sourde présence en dressant un mât armé de pointes, — tout cela rentre dans le cadre d’études des nouveaux observatoires. On y songe encore à surveiller les oscillations du sol. Des séismographes enregistreront les tremblemens de terre, assez fréquens dans la région pyrénéenne. Pour constater les mouvemens lents du sol, on a placé en 1874 quatre repères au niveau de la surface du Lac-Bleu, au pied du Pic-du-Midi ; ces repères sont formés par le rocher lui-même, dérasé horizontalement et recouvert d’une chape de ciment.

La limpidité de l’atmosphère des montagnes se prête aussi admirablement aux études d’astronomie physique. On peut citer comme une expérience concluante à cet égard l’expédition de M. Piazzi Smyth au pic de Ténériffe. A une hauteur de 3,000 mètres, des instrumens qui en Angleterre montraient tout au plus les étoiles de 10e grandeur atteignaient alors les étoiles de la 14e. Le Pic-du-Midi notamment serait un précieux belvédère. Déjà MM. Maxwel Lyte et Michelier y ont photographié l’éclipse de soleil du 18 juillet 1860 par un temps superbe, alors qu’immédiatement au-dessous la vallée de l’Adour était couverte de nuages qui cachaient le pic aux habitans, et qu’il pleuvait à Bagnères. Les travaux de spectroscopie, l’exploration de la surface si tourmentée du soleil, l’étude des comètes et des nébuleuses, pourraient s’y faire dans des conditions exceptionnellement favorables, comme le prouvent les résultats obtenus par M. Young sur le Mont-Sherman, aux États-Unis. Reste à savoir si un séjour prolongé à une altitude aussi considérable que celle du Pic-du-Midi (c’est exactement celle de la ville de Quito) ne finirait point par exercer sur les tempéramens l’action débilitante dont M. le docteur Jourdanet a signalé les effets, et qui commence à se manifester vers 2,000 mètres. Jusqu’à présent, les rapports du général de Nansouty et les récits des touristes qui sont montés à la station Plantade ne mentionnent aucun symptôme de ce genre, et on pourrait en tout cas y soustraire le gardien du pic en le relevant de temps à autre. Comme Lyncéus, le guetteur de Faust, le gardien pourra dire : « Ce n’est pas pour mon seul agrément que je suis placé en cet endroit et si haut. » Mais le pays, qui profitera de leur dévoûment, ne voudra pas marchander à ces énergiques pionniers de la science l’appui moral et matériel dont ils ont besoin.


R. RADAU.

  1. Le col du Tourmalet, dont le niveau (2,120 mètres) est inférieur de 250 mètres à celui du col de Sencours (2,370 mètres), se trouve à environ 3 kilomètres de ce dernier ; tous les deux font partie du faite qui sépare les bassins de l’Adour et du gave de Pau.
  2. D’après M. Vaussenat, les manuscrits sont éparpillés entre les mains des héritiers et aussi au ministère de l’intérieur.