Les Odes (Ronsard)/Hinne à la Nuit
[Texte de 1550 : Livre III, ix.]
Nuit, des amours ministre et sergente fidele
Des arrests de Venus, et des saintes lois d’elle.
Qui secrète acompaignes
L’impatient ami de l’heure acoutumée,
O l’aimée des Dieus, mais plus encore aimée
Des étoiles compaignes.
Nature de tes dons adore l’excellence.
Tu caches les plaisirs desous muet silence
Que l’amour jouissante
Donne, quand ton obscur étroitement assemble
Les amans embrassés, et qu’ils tumbent ensemble
Sous l’ardeur languissante.
Lors que l’amie main court par la cuisse, et ores
Par les tetins, ausquels ne s’acompare encores
Nul ivoire qu’on voie.
Et la langue en errant sur la joiie, et la face.
Plus d’odeurs, et de fleurs, là naissantes, amasse
Que l’Orient n’envoie.
C’est toi qui les soucis, et les gennes mordantes,
Et tout le soin enclos en nos âmes ardantes
Par ton présent arraches.
C’est toi qui rens la vie ans vergiers qui languissent,
Aus jardins la rousée, et aus cieus qui noircissent
Les idoles attaches.
Mai, si te plaist déesse une fin à ma peine.
Et donte sous mes braz celle qui est tant pleine
De menasses cruelles,
Affin que de ses yeus (yeus qui captif me tiennent)
Les trop ardens flambeaus plus brûler ne me viennent
Le fond de mes mouelles.