Les Oiseaux bleus/La Princesse Oiselle

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Victor-Havard (p. 99-112).

LA PRINCESSE OISELLE

I

Quoiqu’elle fût de très petite taille et qu’on l’eût volontiers prise pour la sœur aînée de sa poupée, la fille du roi de l’Île d’Or était la plus jolie princesse de la terre ; quand il la vit en âge d’aimer et d’être aimée, son père lui demanda si elle se sentait de la répugnance pour le mariage.

— Oh ! non pas, dit-elle.

— Je vais donc inviter à des carrousels et à des bals tous les jeunes princes des environs afin que vous puissiez faire un choix digne de vous et de moi-même.

— Gardez-vous bien, mon père, de recevoir tant de princes à la cour ! Cela vous occasionnerait beaucoup de dépense, inutilement. Il y a longtemps que j’ai un ami par amour, et je n’aurai plus rien à désirer si vous me donnez pour mari le rossignol qui ramage tous les soirs dans le rosier grimpant de ma fenêtre.

Le roi, comme on pense, eut beaucoup de peine à garder le sérieux qui convient aux têtes couronnées. Sa fille voulait épouser un oiseau ! Il aurait un gendre emplumé ! Et c’était dans un arbre sans doute, ou dans une cage, que l’on ferait la noce ? Ces moqueries affligèrent cruellement la princesse, qui se retira le cœur gros ; et, le soir, accoudée à sa fenêtre, tandis que le rossignol préludait parmi l’épine en fleur :

— Ah ! bel oiseau que j’adore, dit-elle, il n’est plus temps de se réjouir, car mon père ne veut pas consentir à nos épousailles.

Le rossignol répondit :

— Ne vous mettez pas en peine, ma princesse ; tout ira bien, puisque nous nous aimons.

Et il la consola en lui chantant les belles chansons qu’il savait.

II

Sur ces entrefaites, il arriva que trois géants (c’étaient des magiciens très fameux), vinrent mettre le siège devant la capitale du royaume de l’Île d’Or. Pour être redoutables, ils n’avaient pas besoin d’être suivis d’une armée, tant ils étaient robustes et cruels. Ils s’avancèrent seuls jusqu’à la muraille, et firent savoir, en parlant d’une voix de tempête, que si, avant trois jours, on ne leur livrait pas la ville, ils la démoliraient pierre à pierre après avoir massacré tous ses habitants ; et ce qu’ils disaient, ils n’auraient pas manqué de le faire. L’épouvante fut si grande que toutes les mères couraient à travers les rues, serrant contre elles leurs enfants en pleurs, comme des sarigues qui emportent leurs petits ; parmi les courtisans, il y en avait beaucoup qui se demandaient s’ils ne feraient pas sagement de s’aller soumettre aux trois magiciens ; car il est plus glorieux que prudent de rester fidèle au moins fort.

Pour se tirer de péril, le roi s’avisa d’un moyen : il envoya des courriers à tous les princes des environs, avec mission d’annoncer qu’il donnerait sa fille en mariage à celui qui le délivrerait des géants. Mais les princes, jugeant la lutte inégale, se gardèrent bien d’entrer en campagne, si séduisante que fût la récompense promise ; de sorte que, un peu avant le soir du troisième jour, tout le monde s’attendait à périr dans les décombres de la ville, lorsque quelques personnes, guettant du haut de la muraille, virent les trois géants sortir avec des gestes de douleur et d’effroi de la tente où ils faisaient la sieste, et s’enfuir, en hurlant, comme des fous.

La joie générale fut d’autant plus grande que plus grand avait été le désespoir ; cependant, on se perdait en conjectures sur la cause d’une délivrance si imprévue.

— Mon père, dit la petite princesse, c’est à l’oiseau que j’aime qu’il faut rendre grâce de cet heureux événement. Il est entré, en voletant, sous la tente de vos ennemis, et, de son bec, pendant qu’ils dormaient, il leur a crevé les yeux. Je pense que vous tiendrez votre promesse et que vous me permettrez d’avoir pour mari le rossignol du rosier grimpant.

Mais le roi, — soit qu’il jugeât peu véritable le récit de la princesse, soit que, malgré le service rendu, il lui répugnât, décidément, d’être le beau-père d’un oiseau, — pria sa fille de ne pas lui rompre davantage la tête ; même il lui tourna le dos, de fort méchante humeur.

Le soir, tandis que le rossignol préludait dans les fleurs et les feuilles :

— Ah ! bel oiseau que j’adore, dit-elle, il n’est plus temps de se réjouir ; car mon père, bien que vous l’ayez délivré des géants, ne veut pas consentir à nos épousailles.

Le rossignol répondit :

— Ne vous mettez pas en peine, ma princesse ; tout ira bien, puisque nous nous aimons.

Et il la consola en lui chantant de nouvelles chansons qu’il avait composées.

III

À quelque temps de là, le trésorier du palais disparut sans que personne pût savoir où il s’était enfui, et l’on trouva vide le grand coffre de cèdre et d’or qui contenait naguère tant de rubis, de diamants et de perles. Le roi, assez avare de son naturel, se montra fort chagrin d’avoir été dépouillé de la sorte ; encore qu’il eût beaucoup d’autres trésors, il ne cessait de se plaindre comme un mendiant à qui on aurait dérobé tous les sous amassés en dix ans de « la charité, s’il vous plaît, » et de « Dieu vous le rende ! » Il fit crier par des hérauts, dans les royaumes des environs, qu’il donnerait sa fille en mariage à celui qui, prince ou non, découvrirait le voleur et rapporterait les pierreries. Cela ne servit de rien ; beaucoup de jours se passèrent, on n’eut point de nouvelles du trésorier ni du trésor. Mais, un matin, comme le roi soulevait avec mélancolie le couvercle du coffre, il poussa un cri de joie ! toutes les perles étaient là, et tous les rubis, et tous les diamants ! Vous eussiez dit, tant il s’y allumait de clartés, que la chambre était pleine d’étoiles.

On imagine aisément la satisfaction du roi ; cependant, il aurait bien voulu connaître la personne qui avait rapporté les pierreries.

— Mon père, dit la princesse, c’est à l’oiseau que j’aime qu’il faut rendre grâce de cet heureux événement. Il avait guetté et suivi le voleur, il savait où le trésor était enfoui. Pendant bien des nuits, pendant bien des jours, avec beaucoup de peine, — portant un rubis dans sa patte gauche, une perle dans sa patte droite, un diamant dans son bec, — il a voyagé de la cachette au coffre ; je lui tenais la fenêtre ouverte pendant votre sommeil ou lorsque vous étiez à la chasse. Je pense que vous tiendrez votre promesse et que vous me permettrez d’avoir pour mari le rossignol du rosier grimpant.

Mais le roi n’était pas moins obstiné qu’avare. Comme les gens qui sont dans leur tort, il prit le parti de se fâcher, et déclara à sa fille qu’il l’enfermerait dans une tour si elle lui reparlait jamais de mariage avec un tel mari.

Le soir, tandis que le rossignol préludait sous les branches pâles de lune :

— Ah ! bel oiseau que j’adore, dit-elle, il n’est plus temps de se réjouir ; car, mon père, bien que vous lui ayez rendu son trésor, ne veut pas consentir à nos épousailles.

Le rossignol répondit :

— Ne vous mettez pas en peine, ma princesse ; tout ira bien, puisque nous nous aimons.

Et il la consola en lui chantant de nouvelles chansons qu’il avait composées pour elle et étaient les plus douces qu’elle eût jamais ouïes.

IV

Il ne la consola pas si bien qu’elle ne fût prise de langueur, à cause de son amour déçu, et ne vînt à mourir. Pour la porter au sépulcre royal, on la mit sur une jonchée d’œillets blancs et de roses blanches, où elle était plus blanche que les fleurs ; suivi d’une foule en larmes, le roi marchait à côté de la civière parfumée, en poussant des cris déchirants, qui eussent ému un cœur de marbre. Comme on était arrivé au cimetière, et qu’on se disposait à mettre dans la tombe la jolie trépassée, un rossignol ramagea, perché sur une branche de bouleau.

— Roi ! que donnerais-tu à celui qui te rendrait vivante la princesse que tu pleures ?

— À qui me la rendrait, s’écria le roi, je la donnerais elle-même, je le jure, et avec elle la moitié de mon royaume !

— Conserve tout ton royaume ! Ta fille me suffit. Mais donne-toi bien garde de manquer à ton serment.

Après ces mots, le rossignol descendit de l’arbre, se posa sur le menton de la morte, et l’on vit que, du bout du bec, il lui mettait un brin d’herbe entre les lèvres. C’était un brin de l’herbe qui fait revivre.

La princesse ressuscita tout de suite.

— Ah ! mon père, dit-elle, je pense que vous tiendrez votre promesse enfin, et que vous me permettrez d’avoir pour mari le rossignol du rosier grimpant.

Hélas ! le roi ne craignit pas de se parjurer encore ; dès qu’il eut entre ses bras sa fille bien vivante, il ordonna à ses courtisans de chasser l’impertinent oiseau.

Alors il se passa une chose qui sembla fort étonnante à beaucoup de personnes.

La petite fille du roi parut plus petite encore et, diminuant toujours comme un flocon de neige au soleil, elle finit par être une frêle créature ailée moins grosse qu’un poing d’enfantelet. La plus jolie des princesses était devenue la plus jolie des oiselles ! et tandis que son père, se repentant trop tard de son ingratitude, tendait des bras désespérés, elle s’envola avec le rossignol vers les grands bois voisins où elle apprit bien vite comment on fait les nids.