Les Oiseaux de passage (Ségalas)/03/03

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Les Oiseaux de passage : PoésiesMoutardier, libraire-éditeur (p. 253-258).

UN NÈGRE À UNE BLANCHE.

Vous êtes plus blanche, ô ma reine,
Que la lune en son beau sommeil !
Émile Deschamps.

Aussi noire qu’une momie.
Chaudesaigues.


Ô blanche, tes cheveux sont d’un blond de maïs,
Et ta voix est semblable au chant des bengalis !
Si tu voulais m’aimer, ce serait douce chose !
Un peu d’amour au noir, jeune fille au teint frais :
Le gommier n’a-t-il pas, dans nos vastes forêts,
Sur son écorce brune une liane rose !



Un nègre a sa beauté : bien sombre est ma couleur,
Mais de mes dents de nacre on voit mieux la blancheur ;
Tes yeux rayonnent bien sous tes cils fins, longs voiles,
Mais regarde, les miens ont un éclat pareil :
Ton visage est le jour, tes yeux c’est le soleil ;
Mon visage est la nuit, mes yeux sont des étoiles !


Sois ma compagne : au pied du morne que voilà,
Vois ce petit carré de manioc ; c’est là
Que, pour te recevoir, j’ai préparé ma case :
Ton hamac de filet, de plumes est orné ;
De peur qu’un maringouin à ton front satiné
Ne touche, je t’ai fait la moustiquaire en gaze.


Viens ; je te donnerai tous mes cactus en fleur,
Et je te cueillerai des fruits pleins de saveur,

Goyaves, ananas. Oh ! suis-moi, blanche femme,
Afin que je te serve et te parle à genoux !
Qu’importe ma couleur, si je suis bon et doux,
Et si le noir chez moi ne va pas jusqu’à l’âme !


Si tu veux, pour t’avoir coquillage et corail,
Un oiseau-mouche, oiseau d’escarboucle et d’émail,
J’irai dans la savane et près des tièdes lames,
À l’heure où s’enfuirait le blanc le plus hardi ;
Lorsque de tous côtés la chaleur de midi
Enveloppe le corps, comme un manteau de flammes.


Ô blanche, tes cheveux sont d’un blond de maïs,
Et ta voix est semblable au chant des bengalis !
Si tu voulais m’aimer, ce serait douce chose !
Mais quoi ! tu fuis le noir, jeune fille au teint frais ;

Oh ! plus heureux que moi, le gommier des forêts
Sur son écorce brune a sa liane rose !