Les Oiseaux de passage (Ségalas)/Texte entier

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Les Oiseaux de passage (Ségalas)
Les Oiseaux de passage : PoésiesMoutardier, libraire-éditeur (p. tit-tdm3).

LES
OISEAUX DE PASSAGE.
POÉSIES.
paris. — imprimerie de casimir,
Rue de la Vieille-Monnaie 12.
le cavalier noir.
Qu’on m’ouvre le castel, ses tours, sa porte ogive !
LES
OISEAUX DE PASSAGE
Poésies
par
Mme ANAÏS SÉGALAS
PARIS.
moutardier, librairie-éditeur.
rue des grands-augustins, 25

1837.





POËMES.




LES MORTS.

Qu’est-elle devenue ? un objet auquel je n’ose penser ; rien, peut-être !
— Biron. —
Ceux qui seront pardonnés luiront comme la splendeur du firmament ; et les justes seront comme des étoiles dans l’éternité.
— Daniel. —

I.
J’étais, au cimetière, et j’y rêvais un soir,
Regardant les tombeaux et les croix de bois noir,
Et tous les noms gravés, noms de cendres humaines !
Je marchais au milieu, de deux files de morts,

Songeant que je sentais seule, entre tous ces corps,
Un cœur dans la poitrine et du sang dans les veines.


Je me disais « Chacun a sous ces tertres verts
Quelque front qu’il baisait, et que rongent les vers,
Une perle, une fleur qui parait sa demeure.
Quels yeux n’ont à leur tour versé des pleurs d’adieu !
Nous ne savons pas tous comme on rit ; mais, grand Dieu !
Nous savons bien tous comme on pleure !


« C’est donc ici que vont les trésors des maisons :
Le père aux cheveux blancs l’enfant aux cheveux blonds,
La jeune femme folle et rose encor la veille !
Nous avons tous quelqu’un qui manque sous nos toits,

Un visage qui, manque à nos yeux, une voix
Qui nous vibrait au cœur, et manque à notre oreille,


« Que deviennent ces morts ? m’écriai-je ; beau ciel,
S’en vont-ils voir Jésus, Marie et Gabriel ?
Ont-ils l’habit de lin avec la palme verte ?
Sont-ils dans des cités de vapeurs et de feu ?
Montre-moi ces cités. Saint des Saints, Seigneur Dieu,
Laissez-en la porte entr’ouverte ! »


Le ciel resta voilé. « Que deviennent les morts ? »
Dis-je aux tombeaux : je vis dans les fosses, alors,
Des chairs où mille vers font des festins profanes,
De longs squelettes creux, des corps de marbre blanc,

De la poussière d’homme ; et je crus, en tremblant,
Lire le mot néant écrit sur tous les crânes.


J’entendis une voix atroce dans mon cœur,
La voix qui fait pâlir, la voix qui dit malheur :
C’était la voix du doute. Et, les yeux vers la terre,
J’écoutais ; je sentais de longs frissons d’effroi,
J’étais épouvantée, et mon corps était froid,
Comme les corps du cimetière.

II.
Je disais : « Les morts n’ont que la tombe glacée,
Nul n’est dans ce ciel vide ; et, dans leur trou profond,
Nul désir, nul penser, n’éclosent sous leur front :

Ces cerveaux s’en allant en poussière, ce sont
Les cadavres de leur pensée.


« Dans un cercueil étroit, qui les presse un instant,
Mais où, chaque journée, ils tiennent moins de place,
Sous un linceul cousu, qui recouvre leur face,
Et dormant d’un sommeil où nul rêve ne passe,
Ils restent là toujours couchés dans leur néant.


« La tombe est leur maison : c’est la maison muette,
Où l’on n’entend ni pas, ni mouvemens, ni voix ;
La maison sans soleil, aux murs sombres et froids ;
La maison où le lit est un cercueil de bois,
Et dont le maître est un squelette.

« Dans cette maison-là point d’amour enchanté,
Point de femme aux doux yeux, qui vienne charmer l’heure ;
De mère qui vous plaigne, et, si vous souffrez, pleure ;
C’est horrible ! et pourtant c’est la seule demeure
Que l’on doit habiter toute une éternité !


« Les morts sont là gisans, tous raides dans leur bière ;
Immobiles, les bras collés au corps et droits ;
Couchés comme ils l’étaient le jour de leurs convois :
Nul jamais, une fois dans un siècle, une fois !
Ne s’est retourné sous sa pierre !


« Ils ont les os disjoints et l’orbite béant,
Un crâne aux larges trous, des dents sans lèvre rose,
Des membres dont la chair tombe et se décompose :

Êtres à part, sans nom, ils sont plus qu’une chose,
Moins qu’un homme ; ce sont les hommes du néant.


« Devant ces morts pourtant passez tous têtes nues :
Un squelette eut un cœur, eut un cerveau pensant,
Des rayons dans les yeux et sur son front puissant ;
C’est un roi détrôné : saluons en passant ;
Respect aux puissances déchues !


« Oh ! penser qu’on ira dormir parmi ces morts !
Qu’on aura ces os nus, cette forme incomplète !
Oh ! sentir, en touchant ses membres, que son corps
N’est qu’un masque de chair posé sur un squelette !


« C’est à pleurer de rage, à pâlir, à trembler !
Le néant ! c’est hideux ! quoi ! rester insensibles !

Si les morts un instant pouvaient penser, parler,
Tous, en jetant des cris horribles,


« Tous diraient : Oh ! du bruit, du mouvement, de l’air !
Grâce ! un homme, un démon, un Dieu qui me délivre !
Oh ! par pitié, plutôt que le néant, l’enfer,
Les grincemens de dents : souffrir, au moins c’est vivre !


« Plus de sommeil de plomb, plus de sépulcre noir ;
Du jour, du jour à flots, c’est du jour que j’implore ;
Fût-ce les feux d’enfer que mes yeux devraient voir,
Ce serait la lumière encore ! »

III.
Mais la nuit était belle à ravir des poëtes,
Et ce n’était là-haut que brillans et paillettes ;
Mille étoiles luisaient, et, prophètes des cieux,
Annonçaient l’âme et Dieu dans leur langue de feux.

Et moi je regardais la nuit diamantée,
Le doute se taisait, une voix enchantée
Chantait un hymne en moi, qui montait au Seigneur.
Je dis : « Étoiles d’or, merci, c’est du bonheur ;
« Je vous crois ; iriez-vous nous bercer de vains songes,
« Au chaste front du ciel écrire des mensonges !


« Oh ! pour croire, faut-il voir la cité de Dieu,
« Voir les blonds séraphins à notre horizon bleu,
« Voir les mille échelons de l’échelle de flamme,
« Compter les saints, toucher de ses deux mains son âme,
« Et voir un Dieu de chair dans un ciel transparent ?
« J’en crois mon cœur ; j’en crois la pensée, ô Dieu grand,
« Que tu plaças dans l’homme, et fis à ta mesure,
« Afin qu’à ton ouvrage on vît ta signature.
« J’en crois cette pensée aux rayons lumineux,
« Qui devant le soleil ne baisse pas ses yeux ;



« Dont le regard divin traverse la planète,
« L’étoile scintillante et la longue comète,
« Et s’allonge toujours jusques à l’infini ;
« Qui s’en va voir tes saints dans leur monde béni ;
« Comme un pays natal, sait le ciel et l’espace ;
« Entre dans ton palais, et te regarde en face. »


Et la voix de la foi me parlait dans le cœur,
La voix qui dit espoir, la voix qui dit bonheur.
« Mais où sont donc les morts ? » dis-je sans épouvante.
Jérusalem céleste, ville éblouissante,
Ma pensée aussitôt te vit aux cieux vermeils,
Et j’allai voyageant au pays des soleils

IV.
La voici la cité radieuse, azurée,
Où revivent les morts ! la muraille est nacrée ;
Les toits sont lumineux ; la porte de saphir
Pour cintre a l’arc-en-ciel. Dans ce monde d’argile,

Nous n’habitons pas, nous, une si belle ville :
Il faut un Dieu pour la bâtir.


Nos cités ont des murs épais, des toits d’ardoises ;
Dans des terrains bornés, qu’on mesure par toises,
De pierre et de mortier chacun s’y fait un nid :
Mais Dieu ne se sert pas de vil mortier, de pierre ;
Ses matériaux sont la flamme et la lumière,
Et son terrain, c’est l’infini !


Quelle vaste cité ! le Seigneur, quand il passe,
Marche dans sa grandeur, et trouve assez de place !
Pour éclairer tes murs, Jérusalem de l’air,
C’est trop peu d’un soleil, il en allume mille.
Des mondes sont à l’aise au milieu de sa ville,
Comme des perles dans la mer.



Oh ! comme vos aïeux, vos blonds enfans, vos femmes,
Ont de riches maisons ! les escaliers de flammes
Vont au troisième ciel, aux espaces rêvés !
Le sol de chaque rue, où, sans laisser d’empreintes,
Glissent les pieds rosés des anges et des saintes,
À des étoiles pour pavés.


Les grands ponts de saphir jetés sur les espaces !
Ils vont d’un ciel à l’autre. Oh ! les immenses places !
Une comète d’or, monument colossal,
Flamboie au centre : ailleurs, c’est l’image du père
Dont la statue est faite avec de la lumière ;
Un monde en est le piédestal.


Oh ! le palais de Dieu ! l’immense colonnade !
Quatre rangs de soleils éclairent la façade ;

Dans ses jardins la mer ne ferait qu’un bassin ;
Notre globe a passé par sa porte. Ô meryeilles !
Tous nos palais de rois sont des ruches d’abeilles
À côté du palais divin !


Tous les anges de Dieu chantent au sanctuaire :
« Le Seigneur parle ; à peine on entend le tonnerre,
« Parce que le Seigneur parle plus haut que lui !
« Le Seigneur vient à nous ; le soleil semble pâle,
« Et son ardent manteau blanchit comme l’opale :
« Le Seigneur brille plus que lui !


Les voici, tous les morts, dans la cité splendide :
On lit bonheur, bonheur, sur leur beau front limpide ;
Car là-haut le bonheur ruisselle à chaque pas ;
Dieu, sitôt qu’un élu monte aux cieux, et l’implore,

En donne à pleines mains, en donne, en donne encore :
Il est riche, et n’épargne pas.


Les apôtres sont là. Près d’eux sont les prophètes ;
Oh ! salut, Daniel, David ! Chantez, poëtes !
Quel chant ! a-t-il un nom sur terre ? qu’est-ce donc ?
Prière, c’est ta voix ; c’est ta riche harmonie,
Poésie. Oh ! c’est grand ! esprit saint et génie,
Ils ont vos deux flammes au front !


Ils vont chantant les cieux, sans mots connus, sans règle,
Et ce ciel, qui ferait baisser les yeux d’un aigle,
Que Dieu même a doré, semble encor plus vermeil ;
L’arc-en-ciel s’embellit dès que leur chant s’y pose,
Chacun de ses rubans est plus vert, est plus rose :
Ils illuminent le soleil !



Des vierges sont plus loin : leurs corps subtils rayonnent ;
Les diamans des cieux, leurs vertus, les couronnent ;
En suivant Jésus-Christ, elles chantent en chœur :
« Ma vie, ô mon Seigneur, calme s’en est allée ;
« J’ai fait comme le lis brisé dans la vallée,
« Je suis morte dans ma blancheur.


« Le monde m’a dit : Viens, ce collier rend charmante ;
« Cette robe de pourpre et d’or est si brillante !
« Ce jeune homme a l’œil tendre et de bien noirs cheveux :
« Et j’ai fui le jeune homme, et j’ai dit : Je préfère
« À la robe de pourpre et d’or de votre terre
« Ma robe blanche dans les cieux. »

V.
Malheur ! voici l’enfer, c’est la fournaise immense !
Comme Dieu creusa bas la ville de souffrance !
C’est qu’il craint qu’un sanglot, parti du grand puits noir,
N’arrive à ses élus pour parler de supplice ;

C’est qu’il craint qu’un rayon de soleil ne se glisse
Dans l’enfer des damnés, pour y parler d’espoir.


Oh ! voici les démons avec leurs ailes chauves !
Je vois les jets de feu que dardent leurs yeux fauves.
Quel air infect ! quel sol fangeux ! j’entends des pleurs,
Des cris sans fin partir d’un brasier qui dévore ;
Je vois des désespoirs que ne sait pas encore
Le monde des vivans, le grand maître en douleurs !


Tous les damnés hurlant de rage, et noirs de crime,
Veulent fuir, et rouvrir les portes de l’abîme ;
Ils s’y brisent les doigts et le front ; c’est en vain.
Nul démon cependant ne garde la barrière,
Et ces portes ne sont ni de fer, ni de pierre ;
Mais Dieu les ferme avec un signe de sa main.



Mais pour nos morts aimés, pécheurs et faibles âmes,
Ne tremblons point ; l’enfer n’est que pour les infâmes,
Le faible est pardonné. Notre chemin est dur ;
Dieu voit qu’à chaque pas le pied s’y prend au piége,
Et qu’ici-bas il n’est que les lis, que la neige
Et les cygnes, qui soient sans tache et d’un blanc pur.

VI.
Et ma pensée allait loin, bien loin de la terre ;
La foi me parlait haut, me parlait seule. Alors,
Calme je regardai le vaste cimetière,
Les mille sépulcres des morts,


Les bières qu’on descend, la terre qui retombe ;
Par-delà les cercueils je vis l’éternité :

Mon âme, ouvrant ses yeux, lut : Immortalité,
Sur le marbre de chaque tombe.

Février 1836.

LE CAVALIER NOIR.

conte fantastique.
Il ne paraissait pas plus gêné dans ses habits de mailles et de pièces de fer que dans un justaucorps de satin.
Paul-L. Jacob, bibliophile. Le Bon Vieux Temps. —
En celluy temps estoit le noble duc Guerin qui tant feut en son’temps preux et vaillant chevalier…
Histoire du très preux et très vaillant Guerin de Montglave. —


I.

Le cheval s’élance, allons place !
C’est le cavalier noir qui passe.


Où va-t-il ? défier Rinaldor le tyran,
Conquérir son-royaume aux cent villes d’ivoire.

Il peut tout ; il possède un puissant talisman.
Qu’il est lugubre aux yeux ! sa lourde armure est noire ;
Sa lance, ses brassards, son casque, son cimier,
Ses gantelets de fer, sa cotte d’armes sombre,
La housse de velours de son grand destrier,
Tout est d’un noir de jais, noir de corbeau, noir d’ombre.



Un orage le suit avec ses mille éclairs ;
Et, comme un char qui roule au ciel, la foudre gronde ;
Les nuages épais qui pendent dans les airs
Ouvrent leurs réservoirs ; libre, la pluie inonde,
Et forme un long rideau dans la plaine étendu ;
La grêle de cristal rebondit sur les branches ;
C’est l’océan du ciel, l’océan suspendu,
Qui tombe sur la terre avec ses perles blanches.

Le cavalier s’en rit, pique son bon coureur,
Passe, et semble un orage au milieu des orages :
Sa course impétueuse est l’ouragan ; son cœur,
Sombre comme le ciel, est tout plein de nuages ;
Il porte à son flanc gauche une lame d’acier,
Qui luit comme l’éclair, qui jette dans la poudre
Les plus fiers bannerets : quand on la voit briller,
Elle annonce la mort, comme l’éclair la foudre.


Mais il a reculé, le hardi paladin !
Quand, il a dit, Allons ! qui peut lui dire, Arrête ?
Un torrent qui se couche en travers du chemin.
Quel bras l’a repoussé ? celui de la tempête.
Oh ! s’ils étaient de chair et d’os ses ennemis,
S’il n’avait devant lui qu’une barrière d’homme,

Certes il passerait ! Quand on le tient soumis,
C’est qu’alors c’est tempête et torrent qu’on se nomme.


Tout à coup il s’écrie : « À moi, mon talisman ! »
Et son cheval s’élance, et fait un bond de faon.


Il a franchi le torrent. Place,
C’est le cavalier noir qui passe !


Mais quel magicien maudit, devant le preux,
Vient d’élever ce mont, qui l’arrête au passage ;
Un mont tout hérissé de rocs nus, anguleux,
Faits pour les pieds du daim sauvage ?


Qu’il est grand ! on ne peut atteindre au pic neigeux,
À moins d’être l’oiseau, la nue ou la lumière ;

Et les rochers sans fin, hauts étages de pierre,
Semblent les escaliers par où l’on monte aux cieux.


« Mont ne m’arrête pas, » dit le cavalier pâle
De rage ; « il est là-bas un trône éblouissant ;
« Dessus, un fastueux tyran, qui boit du sang
« Dans des coupes d’or et d’opale.


« Sur les plus bas degrés s’assied maint banneret,
« À l’armure d’argent, à l’écharpe de moire ;
« Mont, il a, comme toi, ce beau trône d’ivoire,
« Des chênes à la base, un vautour au sommet.


« C’est un splendide mont ! j’y veux laisser ma trace ;
« Sur le faîte m’asseoir, le front dans le grand jour.

« Oh ! laisse-moi passer, pour tuer le vautour,
« Et pour mettre un aigle à sa place !


« Montagne cède-moi j’ai vaincu l’ouragan,
« Je puis aussi te vaincre. À moi, mon talisman ! »


La montagne s’aplanit. Place,
C’est le cavalier noir qui passe !


Il traverse un vallon de fleurs aux cent couleurs.

une sylphide, (l’arrêtant.)

Regarde, je suis belle entre toutes mes sœurs,
Et pour toi j’ai quitté mes fleurs.



La jacinthe m’a dit « Déjà la nuit est close ;
« Dans son nid, l’oiseau dort ; le papillon se pose ;
« Viens reposer dans mon lit rose. »


Et le jasmin « Choisis ma maison de senteur. »
La tulipe « Choisis mon palais de splendeur. »
Et puis toutes m’ont dit en chœur :


« Oh ! viens ! pour recevoir la maîtresse divine ;
« Chaque maison de fleurs s’embaume, et se satine,
« Et de vers luisans s’illumine. »


Et moi j’ai résisté : car tu passais. Oh ! dis,
Veux-tu rester, m’aimer ! J’ai la beauté des lis,
J’ai les ailes des colibris.



Ma voix a des sons doux comme un chant de fauvettes.
Des fleurs j’ai les parfums ; roses et violettes
Sont mes sachets, mes cassolettes.


Mais quel corps lumineux est sorti d’un éclair ?

une salamandre.

Je suis l’esprit du feu, sur l’éclair je voyage :
Je suis dans le foyer l’hiver,
Et l’été je suis dans l’orage.


L’incendie écarlate est mon domaine encor,
Et je danse au milieu de ses flammes si belles
Qui, sur le front de vos tourelles,
Mettent de hauts panaches d’or.



Va, laisse ta sylphide au fond des violettes ;
J’éblouis ; viens à moi : ma tête a cent rubis ;
Sur ma robe rouge, j’ai mis
Des étincelles pour paillettes.


Aux étoiles j’ai pris des rayons fins et longs ;
Puis, les assouplissant avec ma main légère,
J’en ai fait des fils de lumière,
Pour rattacher mes cheveux blonds.


Dans mes yeux plus brillans que les yeux de la dame
La plus tendre, vois-tu ces rayons lumineux ?
Ils partent d’un foyer de feux
Qui brûlent toujours dans mon âme !


le cavalier

Je ne puis avancer, c’est un enchantement !
Les douces voix !… De grâce, à moi, mon talisman !


Il a rompu le charme. Place,
C’est le cavalier noir qui passe !


« Allons, dit-il, allons, mon cheval, en avant !
« Rien ne court mieux que toi la lune dans l’espace
« Suit ta course un moment, et puis, honteuse et lasse,
« Fuit derrière un coteau ; plus vite que le vent,
« Tu courbes en courant les champs de blé, de seigle ;
« Le chevreuil est jaloux quand il te voit passer :



« Seule au but, ma pensée a su te devancer,
« Avec ses grandes ailes d’aigle ! »



II.


le cavalier noir, devant un château

Tyran, viens relever mon gantelet. Avance ;
Viens tenter le combat à la dague, à la lance.
Si je suis ton vainqueur, tigre en manteau royal,
Je dépose mon casque, et je mets ta couronne,
Parce que ton bon peuple est las de voir au trône
Un roi méchant et déloyal.

le roi

Oh ! tu mens par la gorge ! Oh ! j’accepte, et te brave !
Vaincu, tu porteras des fers, comme l’esclave
Que tu vois enchaîné ; songes-y bien, félon.

le cavalier

Des bras tels que les miens ne portent pas de chaînes :
C’est au cheval qu’on peut mettre un mors et des rênes ;
On ne les met pas au lion.

le roi

Viens, et tremble.

le cavalier

Trembler ! moi ! Demande à ma lance,
Si, devant l’assaillant le plus fort en vaillance,
Elle a senti ma main trembler ; mon plastron
Demande si d’effroi mon cœur d’airain palpite ;
Demande à mon cheval si c’est pour une fuite
Qu’il saigne sous mon éperon.



Et la lance en arrêt, tous deux avec furie
Heurtent leurs corps de fer. Le cavalier s’écrie :
À moi, mon talisman ! et tout ensanglanté
Le roi tombe…

le roi

Malheur ! Oh ! c’est toi l’invincible !

le cavalier

C’est que moi je possède un talisman terrible,
Magique : il a nom Volonté.


Pour arriver au but, il me livra passage
Sur le chemin, malgré le torrent et l’orage ;
Il m’aplanit un mont qui s’élevait aux cieux ;
Il me fit résister à deux enchanteresses,
Qui toutes deux avaient dans la voix des caresses,
Et de l’aimant dans leurs doux yeux.



J’ai gagné le royaume au combat ! Qu’on arrive !
Qu’on m’ouvre le castel, ses tours, sa porte ogive !
Ma Volonté l’abat, votre tyran si fier,
Chevaliers ; il n’est pas d’armes des mieux trempées,
De lames d’acier fin, de lances et d’épées,
Qui vaillent cette arme de fer !

Juillet 1836.

QUI SAIT LE DÉBUT SAIT LA FIN.

Je tourne les yeux vers le fond de ton âme, et j’y aperçois des taches si noires et si gangrenées qu’elles ne pourront jamais s’effacer.
Shakspeare.
Painted by T. Gainsboro Engraved by H. Robinson


I.

Le vieux palais ouvrait sa grille si coquette,
Et comme d’ordinaire, une foule inquiète
Entrait ; des hommes noirs montaient les escaliers,
Et semblaient des fourmis dans la salle aux piliers.



Un petit vagabond, tout sali de misère
Prenant quelques pavés pour lit, un réverbère
Pour sa lampe de nuit, et du toit paternel
S’enfuyant pour loger à tous les vents du ciel,
Allait être jugé. Sa mère, pauvre femme,
Attendait dans un coin pleurant du fond de l’âme ;
Et quelques gens du peuple, avec un front serein,
L’écoutaient ; en tenant leurs enfans par la main.


« Sera-t-il condamné ? le croyez-vous ? Oh ! dites !
Arrêté ! lui, mon fils ! Quelle infernale loi
Leur permet de jeter dans leurs prisons maudites
Mon enfant ? c’est mon bien, à moi.
C’est auprès de voleurs de meurtriers, qu’il joue,
Qu’il sourit ; c’est affreux s’ils le rendaient méchant !

Tous ces hommes souillés, tachés de sang, de boue,
Vont le salir en le touchant.


« Mais, misérable enfant, pourquoi fuir par le monde ?
Pour qu’un soir la patrouille, en un passage obscur,
Te prenne ; elle qui va balayer dans sa ronde
Les voleurs blottis contre un mur ;
Qui saisit, à côté d’une porte fragile,
Quelque assassin, cherchant à la forcer sans bruit ;
Et, comme les boueurs, va nettoyer la ville
Des immondices de la nuit.


« Un jour sa sœur le vit et lui dit : « Reviens, frère ;
Ma mère pleure, viens. » Et lui, brusque, effronté,

Répondit : « Sœur, va-t’en j’aime mes lits de pierre,
Mon pain, mon eau, ma liberté.
Moi, devant mes chenets reprendre encor ma place,
Ployer mon aile, et puis me rendre prisonnier !
Oh jamais le soleil est plus beau dans l’espace
Que les rayons de mon foyer ! »


« Vos fils, de vos maisons la joie et la lumière,
Ne s’en vont pas ainsi ! Mais lui ne m’aime pas ;
Il me bat, moi qui l’ai, cent fois, la nuit entière,
Bercé tout rose dans mes bras.
Mais il ne sait donc pas que la fuite est punie,
Que le toit des parens est toujours un saint lieu,
Et qu’au ciel, la maison de sa mère est bénie,
Comme le temple de son Dieu !



« Oh ! l’amitié d’un fils est pourtant douce et belle !
Jeune, on guide ses pas, on le suit, le défend ;
Et, vieille, on ne sent plus que la jambe chancelle,
En s’appuyant sur son enfant.
Nul n’ose vous railler sur votre voix éteinte,
Sur votre dos voûté ; car ses soins consolans
Et son respect vous font une auréole sainte
Qui reluit sur vos cheveux blancs.


« Pour le voir de nouveau monter mes noirs étages,
J’offrirais tout mon bien ; mon anneau d’or, ma croix,
Mon vieux rouet, l’argent de mes derniers ouvrages,
Jusqu’à mon crucifix de bois !
On entre… lui ! c’est lui ! je tremble… ma mémoire
Se trouble ; laissez-moi… je sens du froid au cœur ;
Ces juges me font mal avec leur robe noire.
Ils vont parler… Oh ! j’ai bien peur ! »



ii.

le président.

Votre nom ?

l’enfant.

Jean Dubreuil, mon président.

le président.

Votre âge ?

l’enfant.

Treize ans.

le président.

Nierez-vous bien votre vagabondage ?
Votre asile ?

l’enfant.

Paris, un logis spacieux !
Mais sans parquet ciré, sans toit ; c’est inutile :
J’ai pour plancher, dans mon asile
Les pavés ; pour plafond, les cieux !

le président.

Avez-vous un état ?

l’enfant.

Cent : je vends des programmes ;

Je trace un chemin sec pour les pieds de vos femmes,
Quand par un jour d’hiver les pavés sont salis ;
Un étranger vient-il voir notre ville reine,
Je lui montre mon grand domaine,
Et fais les honneurs de Paris.


Si quelque bal reluit, moi j’ouvre les portières ;
Chaque femme arrivant svelte et fraîche aux lumières,
Je la vois à la porte, avant ses beaux danseurs :
Lorsque dans leur salon elle entre toute rose,
Mes yeux leur ont pris quelque chose
De son sourire et de ses fleurs.


le président.

Mais votre mère, enfant ?

l’enfant.

Je restais sous son aile,
Quand je suçais encor du lait à la mamelle ;
Une fois grand, j’ai fui mon nid comme l’oiseau ;
J’ai repoussé du pied mon respect pour ma mère,
Avec mon étroite lisière
Et les langes de mon berceau.


le président.

La religion dit : Aimez votre famille.

l’enfant.

Elle ne marche plus qu’avec une béquille
Votre religion, et va tomber bientôt.
Vos cieux et votre enfer ne sauraient pas m’atteindre ;
Tous deux sont trop loin pour les craindre,
L’enfer trop bas, le ciel trop haut.

le président.

Dans vos larges loisirs que faites-vous ?

l’enfant.

Je joue ;
Je vais la tête au vent et les pieds dans la boue ;
Je tiens ma sarbacane et cours dans les ruisseaux ;
Je lance les pavés les jours où l’on conspire ;
Je chante, je siffle, et je tire
Sur les rois et sur les oiseaux.


Je cours dans tout Paris, leste et joyeux dans l’âme ;
J’ai touché le bourdon des tours de Notre-Dame,
La barbe de Henri-le-Grand ; au Panthéon
J’ai lorgné sous le nez notre sainte patronne,
Et j’ai tendu sur la colonne
La main à mon Napoléon.



Quand la ville en chantant se mire dans la Seine,
Le front illuminé, belle comme une reine
Qui met ses diamans ; avec sa forte voix,
Lorsque le canon dit : Soyez joyeux ! j’arrive,
Et je suis le premier convive
De toutes les fêtes des rois.

le président.

Enfant, de par la loi, notre cour vous condamne
À trois mois de prison[1].

l’enfant.

Oh ! que le ciel vous damne !
Eh bien ! moi, je voudrais faire un feu vif et clair
Des juges et des lois, pour rire dans mon âme ;
Puis danser autour de la flamme,
Et me chauffer tout un hiver.



Alors au président il fait une grimace ;
Sans respect pour la cour, il lui jette à la face
Un rire d’ironie, un gros rire insolent ;
Et, les deux bras croisés, la tête haute et fière,
Malgré les larmes de sa mère,
Il suit ses gardes en sifflant.



III.


DIX ANS APRÈS.


Oh ! c’était un beau jour aux assises joyeuses !
La salle se paraît de toilettes soyeuses,
De satin, de rubans aux brillantes couleurs ;
Car aux arrêts de mort, les plumes et les fleurs,



Et les riches tissus comme pour une fête !
C’est un divin spectacle en effet ! une tête,
Quand on doit la couper, est bien plus belle à voir !…
Et les femmes allaient, avant le bal du soir,
Contempler l’assassin haletant, sombre et blême,
Regarder s’il portait un signe d’anathème,
Si ses traits n’étaient pas étranges et hideux,
S’il avait l’air de suivre un fantôme des yeux,
S’il frissonnait, le corps tout ployé sous son crime,
S’il avait essuyé le sang de sa victime,
Et s’il n’en restait pas quelque chose à son front.


On dit qu’il ressemblait au petit vagabond,
Qu’une femme tomba, lorsqu’on lut sa sentence :
Hélas ! c’était la mort !… Il faut dans la balance
Des deux côtés un poids égal ; et le bourreau

Doit auprès d’un poignard y poser son couteau :
Quand une tête roule, un juge n’est pas libre ;
Une autre doit tomber, pour y faire équilibre.

GALERIE.

LE VOYAGEUR.

Je veux aller d’une terre à l’autre, d’une mer à l’autre ; partout où mes regards atteindront.
Vitwicki, trad. du polonais. —

Vous feriez une ceinture au monde
Du sillon du vaisseau !

— Victor Hugo. —



I.


Je veux partir, je veux partir,
Et laisser ma ville en arrière,
Ses toits, son clocher, sa barrière :
C’est ma prison, j’en veux sortir.



Un cheval à la jambe fine,
Qui saute fossés et ravin !
Ou bien encore une berline
Qui roule sur le grand chemin !
Un vaisseau qui glisse sur l’onde !
Un vaisseau ! Qu’il souffle un bon vent,
Et je passe ce pont mouvant
Qui va du vieux au nouveau monde.


J’irai voir l’Occident ; l’Orient, jardin vert,
Où tout est feux au ciel, dans les yeux, dans les âmes
Voir les déserts, les mers et leurs mousseuses lames ;
Les volcans, bouches de l’enfer ;
Les montagnes j’irai sur leur tête glacée ;
L’aigle verra mes pas sur les plus hauts sommets :
Je veux poser mes pieds où vous n’avez jamais,
Vous tous, posé que la pensée !



Antilles, je veux voir vos îles de senteurs ;
Belle Espagne, cueillir tes grenades vermeilles,
Et tes dattes, Égypte ; à toutes les corbeilles
Prendre des fruits, sentir des fleurs ;
M’asseoir sous l’aloès, où l’Indien s’arrête,
Et sous les hauts palmiers, parasols des déserts,
Voir chaque aigrette, voir les panaches divers
Dont le globe pare sa tête.


Sous vos cieux nuageux, où c’est toujours le soir,
Sous vos cieux de saphir, magnifique coupole,
Sous vos cieux de vermeil, où le colibri vole,
Peuples divers, j’irai vous voir ;
Voir l’espèce géante, et noire, et blanche, et naine,
Et le moule que Dieu fit pour chaque pays ;
Voir comment il tailla tous vos corps infinis,
Le grand sculpteur en chair humaine !



J’irai te trouver, nègre, ô frère des démons,
Nègre aux deux yeux ardens sur une face noire ;
Albinos, mort vivant, aussi blanc que l’ivoire ;
Et toi, More cuivré. Partons ! >
Je veux partout voir l’homme aimer, souffrir, et vivre ;
Savoir si l’âme change ou lance un même éclair,
Quand on la voit briller sous les masques de fer,
Sous ceux d’albâtre et ceux de cuivre.


Oh ! voyager ! semer ses jours dans maints climats,
Semer sur maints chevets ses rêves, et sans cesse
Voir et passer ! mon cœur en bondit ! quelle ivresse !
Juif errant, je ne te plains pas :
Toi, maudit, parcourir le globe vert et riche !…
Oh ! pour le châtier, votre Juif passager,
Seigneur, en saint de pierre il fallait le changer,
Et puis le sceller dans sa niche !



Mais c’est trop m’engourdir à rester sous mon toit !
Marchez, mes pieds, marchez, touchez chaque rivage ;
Vous, mes yeux, regardez, pendant mon long voyage,
Tout ce que l’œil du soleil voit !
Terre, allons, montre-leur chaque pan de ta robe ;
Respirez, mes poumons, les airs de tous les cieux ;
Toi, ma vaste pensée, à mon retour, je veux
Que tu rapportes tout le globe !



ii.


Puis, je veux, ô mon jeune cœur,
Puis, je veux, ô ma tête folle,
Aimer partout, c’est le bonheur ;

Amérique, aimer ta créole,
Qui sera ma liane en fleur !


Dans notre Europe catholique,
J’aurai ma sainte ; mes houris
Dans l’Asie et puis dans l’Afrique :
J’aurai partout un paradis,
Avec quelque femme angélique.


Quand j’irai sur les flots mouvans,
Vingt souvenirs de jeunes femmes
M’y suivront gracieux, vivans.
J’enverrai des soupirs de flammes
Sur les ailes des quatre vents !



Créole, odalisque, sauvage,
Oh ! délice de vous aimer !
Mon cœur sera comme une cage
Où l’on se plaît à renfermer
Des oiseaux de chaque plumage.



III.


Mère, sœur, vous restez ; adieu ! Les grands chemins
Sont à nous, jeunes gens ; à vous, femmes, vos gîtes,
Beaux cygnes, rarement vous quittez les bassins
Où vos cabanes sont construites.



Vous en savez par cœur tout le bord, tous les flots ;
Là, toujours vous nagez, montrant vos blanches ailes,
Votre col souple ; là, vos petits sont éclos ;
Là, tombent vos plumes si belles.


Je ne suis pas un cygne, oh ! moi, j’aime à changer
D’air, de rivage ; et loin du bassin je m’élance !
Je suis comme ces grands poissons qui, pour nager,
N’ont pas trop de la mer immense !


Qu’un autre soit cloué toujours au même port ;
Et qu’au même foyer, dans la même cellule,
L’heure de sa naissance et l’heure de sa mort
Sonnent à la même pendule ;



Moi, je ne mourrai pas sous mon toit ! Je mourrai
Sous le sable au désert, ou dans quelque naufrage !
Peut-être, sur les flancs d’un mont, je resterai
Sous l’avalanche un jour d’orage !


Autour de moi, la foudre et les vents chanteraient
Mon chant de mort ; drapés en tenture pendante,
Les nuages tout noirs, où des éclairs luiraient,
Me feraient ma chapelle ardente !


Mêlerai-je ma cendre au sol du Musulman,
Aux terres de l’Europe, aux terres d’Amérique ?
Je ne sais. Sera-t-elle un jour cèdre au Liban,
Cyprès du Nord, palmier d’Afrique ?



Mon âme, prendras-tu ton vol vers un ciel gris ?
Fuiras-tu dans le ciel de rubis, de merveille,
De l’Orient, afin d’entrer au paradis
Par la porte la plus vermeille ?



IV.


Le Vaillant va partir, le pilote est à bord.
Ma ceinture de cuir pleine d’or, mon bagage ;
Vite ! je ne veux plus tourner dans notre port,
Comme un écureuil dans sa cage.



Marchons vers le vaisseau, marchons ! Partir, bonheur !
Puisque Dieu me donna toute une large sphère,
Je m’en vais parcourir mon domaine : un seigneur
Doit toujours visiter sa terre.


Capitaine, attendez-moi donc !…
On a levé l’ancre ; les voiles,
Qu’on déferle, gonflent leurs toiles ;
Enfin me voici sur le pont !
Guide mon navire, pilote,
Qu’il passe au large en bon nageur ;
Mais sa quille se meut et flotte,
Il part !… Adieu mère, adieu sœur !
Si je meurs dans les grandes ondes,
Priez, priez, afin que Dieu

Me laisse aller dans son ciel bleu,
Pour voyager dans mille mondes !

LA JEUNE FILLE.

Chaque bout de ruban, chaque fleur était fée :
Tout ce qui la touchait devenait précieux.
Théophile Gautier.

Jeunesse, nom divin, nom de fleurs et de miel,
Nom brillant comme l’or, nom pur comme le ciel !
Ernest Legouvé.


Que je suis heureuse ! Oh ! l’ivresse !
J’ai, dans mes tiroirs parfumés,
Tous mes atours les plus aimés :
J’ai des éventails de princesse,
Mieux peints que ceux des paons ; des fleurs
Aussi roses que mes pensées,

Et puis des gazes nuancées
Qui font des robes de vapeurs.


Certes, toutes les jeunes filles
M’envîraient ! j’ai, les soirs d’hiver,
Des bals, où la joie est dans l’air :
Des bals avec les vifs quadrilles,
La foule qu’on voit resplendir,
L’orchestre, l’âme de la danse,
Qui fait bondir quand on y pense,
Et semble une voix du plaisir ;


Des bals, avec des fleurs vermeilles
Sur les marches des escaliers,

Au fond de tous les noirs foyers
Devenus de fraîches corbeilles ;
Avec le salon large et beau,
La banquette où l’on s’assied lasse,
Et le lustre qui dans la glace
Reluit comme un soleil dans l’eau.


Dans ces fêtes, je suis l’idole,
Tous ils me dressent un autel ;
Ils ont des paroles de miel :
C’est un charme à me rendre folle.
L’un me dit : « Comme à vos côtés
La fête se métamorphose !
C’est à vous, fée en robe rose,
Qu’on doit les salons enchantés. »



Un autre me dit : « Jeune fille,
La plus brillante ici c’est vous ;
Les autres ont plus de bijoux,
D’émeraudes leur col scintille,
Et leur front est diamanté ;
Mais, sur votre front si limpide,
Dieu mit un joyau plus splendide,
Un brillant qu’on nomme beauté.


« Un roi vous dirait : Sois ma reine.
Sur son trône il vous placerait ;
Puis à vos pieds il jetterait
Mille rubis, ô souveraine.
Des poëtes vous chanteraient,
Vous, à l’œil noir d’Andalousie ;
Les rubis de leur poésie,
À vos pieds ils les jetteraient. »



Tout cela c’est bien doux ! mais les ans sont rapides,
Et, comme ma grand’mère, un jour j’aurai des rides ;
Mon corps est mince et droit, mais il doit se voûter ;
J’aurai des cheveux gris, et puis un vieux visage.
Pourquoi donc, ô mon Dieu, créer un frais ouvrage,
Quand c’est pour le gâter ?


Oh ! s’asseoir dans un bal vieille et découronnée,
Avoir été la reine et se voir détrônée !
La veille, avoir été divinité, puis voir
S’éteindre sur son front l’étoile et l’auréole,
Renverser cet autel, où vous étiez l’idole,
Et briser l’encensoir !…

La jeunesse est semblable à nos magiques fêtes :
D’abord, des rires fous, des guirlandes aux têtes :

Après que reste-t-il ? souvenirs et débris :
Quelques sons affaiblis, qui vibrent dans l’oreille,
Écho triste et lointain des plaisirs de la veille,
Quelques bouquets flétris.


Oh ! puisque la jeunesse est une ombre qui passe,
Le jour qu’elle apparaît dans un étroit espace,
Jouissons, traversons le chemin en dansant !
Nous le verrons subir bien des métamorphoses ;
Tandis qu’il est fleuri, cueillons toutes ses roses,
Et chantons en passant !


Dansons, dansons, pendant que nos pieds ont des ailes !
Et pendant que nos corps sont sveltes, de dentelles,

De gazes, parons-les : hâtons-nous, ô mes sœurs ;
Car des groupes d’enfans pressent leurs pas agiles,
Pour nous ravir bientôt nos couronnes fragiles
Et nos sceptres de fleurs.

LE PRÊTRE.

Ne vous amassez point des trésors sur la terre, où la rouille gâte tout, et où les larrons dérobent ; mais amassez-vous des trésors au ciel, où la rouille ne gâte rien, et où les larrons ne dérobent pas.
Évangile selon saint Matthieu. —


Regardez-le ce prêtre ; il passe grave et seul.
Jeune encore, il jeta sur sa vie un linceul :
Jeûner, prier, bénir de ses mains qui délient,
Voilà son existence. Ô brillant cavalier,

Il n’a pas comme vous des genoux en acier,
Qui devant Dieu jamais ne plient.


À vous, jamais à lui, les théâtres joyeux,
Les femmes à la taille élancée, aux longs yeux,
Les bals avec leur danse, avec leur fol orchestre :
Il a pris, dédaigneux de ce monde enchanté,
Les clefs du paradis du ciel, puis a jeté
Celles du paradis terrestre


Qu’il voudrait nous quitter pour le monde des saints,
Voir les martyrs avec les palmes dans leurs mains !
Pourtant, pour habiter ces villes de lumière
Que peuplent les élus, il lui faut traverser

La mort, il faut risquer le néant, et laisser
Son cadavre sur la frontière !


Qu’importe, il sait qu’il peut s’endormir dans sa foi ;
Qu’il se réveillera pour saluer son roi ;
Qu’il verra près de Dieu, près des astres, des mondes,
Luire un jour de bonheur qui ne finira plus ;
Qu’il regardera l’heure au cadran des élus,
Dont nos siècles sont les secondes.


Mais il rentre à l’église, et son œil a relui ;
Son cœur bat, car l’église est son épouse, à lui.
Oh ! ne le raillez pas du divin sacerdoce !
L’épouse est belle, allez ; son front est parfumé

Des senteurs de l’encens elle offre au bien-aimé
Tout un ciel pour présent de noce.


D’autres ont des écrins ; des brillans radieux,
Étoiles des salons, qui scintillent aux yeux ;
Des perles, qui sont sœurs des gouttes de rosée :
Un calice, une croix où l’on ne voit briller
Que des taches de sang avec des clous d’acier,
Sont les joyaux de l’épousée.


D’autres dorment la nuit dans un lit de duvet,
Et posent leur front las sur un moelleux chevet :
Elle étend sur des morts son large corps de pierre ;
Fait sortir les pécheurs, lorsque viennent les nuits,

Fait taire l’orgue saint, cesser les psaumes, puis
S’endort sur son lit de poussière.


Le prêtre va s’asseoir au confessionnal ;
Toute âme y parait nue, et lui montre son mal :
L’une est infirme, l’autre a des fièvres de flammes,
L’autre est pestiférée et pleine de venin ;
Il est là, le pieux, le zélé médecin,
Comme dans un hôpital d’âmes.


Il dit : « Priez, pleurez sur vos fautes, pécheurs ;
« Vos crimes les plus noirs sont lavés par vos pleurs.
« Allez, le repentir vaut presque l’innocence ;
« Purs et purifiés, vont ensemble là-haut.

« Quand Dieu vit le péché sur la terre, aussitôt,
« Dans le ciel, il mit l’indulgence.


« Frappez il ouvrira sa cité, le Dieu bon,
« Car sur la porte ardente il écrivit : Pardon. »
Et tous les pénitens ont lavé leurs souillures,
Et le Seigneur descend dans leur cœur plus léger ;
Il trouve, pour mirer sa face et se loger,
Des miroirs clairs, des maisons pures.


Le prêtre met l’étole aux effilés dorés ;
Il dit la messe, et boit dans les vases sacrés ;
Tout s’incline : le Dieu des astres, des tempêtes,
Est sur l’autel, dans l’air ; il est visible aux cœurs ;

Et, pour faire bien bas courber tous les pécheurs,
Il étend ses bras sur les têtes.


Le prêtre a dit sa messe, il sort : où va-t-il donc ?
Chez ceux dont la souffrance a fait pâlir le front ;
Il s’en va consoler, comme faisait le maître.
Les greniers, les prisons, tous les lieux de malheur,
Où l’on jette des cris de faim ou de douleur,
Sont aussi les temples du prêtre.

LA PAUVRE FEMME.

Et puis la pauvreté, c’est une chose dure,
Regorgeante de maux.
Iacqves Tahvreav.

Ils ne dorment jamais qu’un sommeil d’insomnie,

Vivans, n’ont pas d’habits ; morts, n’ont pas de linceuls.
Mme Hermance Lesguillon.



Que cet hiver est long ! Je sens un air de glace,
Et rien pour me couvrir ! Mes bras sont nus ; j’ai froid !

Sous ma porte, au travers des tuiles, le vent passe,
La neige tombe sur le toit ;
Mes enfans sont tremblans, leur faible corps tressaille ;
Pas une flamme ici ne jette ses rayons.
Ah ! les pauvres petits ! les voilà sur la paille
Tous blottis sous quelques haillons !


Oh ! sur un long sofa, dans ses pièces bien closes,
Qu’il est heureux le riche au front calme, riant,
S’asseyant à côté d’enfans joyeux et roses,
Devant un feu tout pétillant !
Mais voici qu’un ardent rayon vient de paraître ;
Dans ce grenier si froid, il se glisse éclatant :
Chauffons-nous au soleil qui luit à la fenêtre,
C’est le foyer de l’indigent !



Quoi ! vous pleurez encor !… J’entends : la faim commence !…
Des alimens pour eux ! et qu’on prenne aussitôt
Mon corps qui les porta, mon sang, mon existence ;
Mais non, c’est de l’argent qu’il faut !
Ces enfans vont mourir, car tout nous abandonne,
Car on exige un prix pour notre pain grossier,
Car on nous vend la vie enfin ! Dieu nous la donne,
Mais les hommes la font payer !


Peut-être quelque aumône… oui, sortons… Cette femme,
Au cachemire souple, aux précieux bijoux,
Pourra me secourir… La charité, madame,
Je prîrai le bon Dieu pour vous.
Vers mes petits enfans que votre front se penche ;
Pitié ! pitié ! le sou qu’on donne aux mendians

Ornerait mieux encor votre main fine et blanche
Que votre bague de brillans !


Un refus, du mépris !… Le pauvre est dans le monde
Comme un insecte vil qu’un passant foule au pié !
Que faire ?… la rivière est là, belle et profonde ;
Elle au moins, elle aura pitié !
Eh ! pourquoi vivrait-on, quand la vie est amère ?
La Seine, qui s’étend comme un vaste tombeau,
Recouvre tant de maux, de haillons, de misère,
Des plis de son large manteau !


Allons ! point de frayeur ! la mort vient si rapide !…
Et ces enfans, privés de leur dernier soutien,

Et Dieu qui de là-haut maudit le suicide…
Mais cependant je souffre bien !
La faim ronge mon corps ; oh ! quel affreux martyre !
Mes entrailles déjà se tordent ; c’est l’enfer !
Il semble qu’une main les prenne, et les déchire
Avec d’horribles doigts de fer !


Maudits soient tout ce bruit et ces rires de joie,
Ces femmes, étalant des plumes, des joyaux,
Et ce long froissement de leurs robes de soie
Qui semblent railler mes lambeaux !
Aucun don ne viendrait calmer ma faim mortelle !
Le pain qui nourrirait la pauvre mère en pleurs
N’aurait qu’à les priver d’une gaze nouvelle
Ou d’une guirlande de fleurs !



Comme je m’affaiblis !… des visions étranges…
Ne pleurez pas, enfans ; mourir vous fait donc peur ?
Voyons, consolez-vous ; courage, petits anges,
Nous allons trouver le Seigneur.
Au lieu d’une maison avec de noirs étages,
Au lieu d’un grenier triste et d’un grabat meublé,
Dieu nous garde là-haut son palais de nuages,
Dont le toit rayonne étoilé !





Mais bientôt les enfans n’entendent plus leur mère :
Parmi la foule passe un cercueil d’indigent ;
Point d’amis… En voit-on suivre un char funéraire,
Sans festons ni franges d’argent ?
Sur le chemin, pensive, une femme s’arrête ;
Un passant se retourne, et regarde un instant,

Songe aux plaisirs du jour, à sa prochaine fête,
Et puis s’éloigne indifférent.

LE MARIN.

Ces gens-là ne vivent que de la mer.
Philarète Chasles.

Elle porte une flotte, et joue avec le vent.
Ernest Fouinet.

Oh ! c’est bien l’Océan ! voici ses tièdes lames,
Son odeur âcre et forte et son bruit modulé ;
Ce parfum-là vaut mieux que tous ceux de nos femmes,
Cette voix, que leur chant perlé.

Voici mon brick avec sa quille longue et belle,
Ses deux mâts ; sur le pont je viens encor m’asseoir,
Je vois encor voler, rasant les flots de l’aile,
Le goëland au manteau noir.


Rien dans mon horizon que les cieux et les ondes,
Oh ! c’est pour délirer ! j’aime l’Océan, moi,
Parce qu’il est tout seul plus beau que les deux mondes,
Parce qu’il est seigneur et roi :
Comme pour rendre hommage à leur maître suprême,
Les fleuves vont à lui, fleuve immense et profond,
Le soleil flamboyant est le seul diadème
Qui puisse aller à son grand front.



Sans jamais s’épuiser, quand le jour se rallume,
Ses eaux montent au ciel, comme un encens qui fume ;

Et ce ciel de vapeurs lui rend, pour s’acquitter,
Ses nuages touchés par le pied d’un bel ange :
De leurs riches présens tous deux font un échange,
Comme deux puissans rois qui veulent se fêter.


Mais, Océan, pourquoi ta colère bruyante ?
Les cieux sont-ils trop purs, leur clarté trop brillante ?
Veux-tu leurs points d’argent, leurs mondes suspendus,
Mer jalouse ? La terre a-t-elle trop de place ?
Voudrais-tu rester seule et libre dans l’espace,
N’avoir rien près de toi, n’avoir rien au-dessus ?


Mais tes vagues en vain s’enflent, s’alignent, croulent,
Avec le grondement de cent torrens qui roulent ;
L’écume épaisse et blanche, ainsi qu’une toison,
Vient les argenter : Dieu se rit de ta colère ;

Tu ne franchiras point ta limite ; oh ! sois fière,
Car la moitié du globe est ta large prison !



Avance, mon vaisseau, glisse en baignant ta proue,
Ton câble figurant deux serpens enlacés,
Mouille ta robe verte ; allons, la brise joue
Entre tes agrès élancés ;
Marche, marche toujours, penche ta brigantine ;
Va, la mer n’est point lasse encore, et ne sait pas
Lequel pèse le plus, d’une plante marine,
Ou bien d’un navire à trois mâts.


Si pour maison j’avais mon brick ! joie et délire !
Vivre là tous mes jours ! et, balancé par l’eau,

Ne dormir qu’en un cadre, au roulis du navire,
Avoir l’Océan pour tombeau !
Mais je te souillerais, ô mer indépendante !
Sur la rive, au galet, tu rejettes nos corps,
Et tu charges après la terre, ta servante,
De t’ensevelir tous tes morts.



Oh ! l’orage, mon Dieu ! le ciel rougi s’allume !
À l’arrière ! à l’avant ! le pont se couvre d’eau !
Plus vite encor ! La mer étreint mon beau vaisseau
Dans ses baisers tout blancs d’écume !


Allons, carguez la voile ! Oh ! voyez les éclairs !
Mousses, sur les haubans ! matelots, aux cordages.

Nous, marins, nous jetons notre vie aux orages,
À tous les vents du ciel, à tous les flots des mers !


L’eau roule impétueuse, et la vague blanchie,
Ainsi qu’un mont de neige, arrive en se levant,
L’Océan gronde, et Dieu le bat avec le vent,
Comme un esclave qu’on châtie.


Eh bien ! je t’aime encore, ô mer, quand je te vois
Comme un lion blessé qui bondit de colère,
Se roule, se débat, redresse sa crinière,
Et se met à rugir avec sa haute voix !


Mais voici qu’un vent doux caresse chaque lame,
Chaque flot s’aplanit, ondule et devient bleu ;
L’ouragan passe, enfans, avec l’aide de Dieu
Et le secours de Notre-Dame.


Les nuages ont fui, le soleil triomphant
Revient former sur l’eau des écailles dorées ;
Des ondulations faibles et mesurées
Balancent mon vaisseau, comme un berceau d’enfant.


Maintenant elle est calme et douce, la superbe ;
Elle chante en cadence avec les matelots ;
Dieu vient passer la main sur chacun de ses flots,
Qu’il abaisse, comme un brin d’herbe.



Allons, mon brick léger, nage, comme un poisson ;
Fume sur le pont, ris, mon joyeux équipage :
Un marin, c’est l’oiseau qui vole après l’orage,
Sèche son aile humide, et reprend sa chanson.

LE SAUVAGE.

Sous les voûtes sombres des grands bois vierges.
Ferdinand Denis.

Il dort aux lueurs des étoiles ;
Oui, les cieux seuls, les cieux sont beaux.
Denne-Baron.

LE SAUVAGE.

Il s’en va, l’homme à la peau blanche,
Qui disait : Viens voir ma cité.
Fuir mes forêts de liberté,
Mon enfant, mon hamac qui penche,

Fuir ma compagne au teint si beau,
Au pagne fin, au doux visage !
Qu’il rejoigne seul au rivage
Sa case qui marche sur l’eau.



Son grand monde est, dit-on, plus loin que ces savanes,
Il faut passer ce fleuve, et puis ces longs déserts,
Et ces mers, et ces bois tout parés de lianes,
Et d’autres bois, et d’autres mers.
Oh ! j’aurais dit : Pars seul, m’eût-il fallu lui rendre
Ses présens ; ses couteaux d’acier fins et coupans,
Ses sonnettes au chant si clair qu’il semble entendre
Les écailles de nos serpens.



Comme des nids d’oiseaux, nos abris sont fragiles :
Il dit les siens brillans, avec des murs épais ;
Mais je sais qu’au-dessus de ces cases des villes,
On voit s’élever des palais.
Nous recouvrons nos toits de joncs qu’on entrelace,
De pailles de maïs, de branches de gommiers ;
Mais ils sont tous égaux, et rien ne les dépasse,
Que les feuilles de nos palmiers.


Leurs siéges sont, dit-il, des chaises veloutées ;
Moi, j’aime mieux, avec mes haches ou mes dards,
Conquérir, pour m’asseoir, quelques peaux tachetées
De tigres rouges, de jaguars.
Il parle de miroirs qui doublent le visage ;
Mon miroir, c’est ce fleuve ; il est grand, sans apprêts,

Sans entourage d’or ; son cadre est un rivage
De montagnes et de forêts.


Là-bas, une pendule, où l’aiguille s’avance,
Marque instant par instant chaque jour qui s’enfuit ;
Ici, nous mesurons largement l’existence
Par le matin et par la nuit.
Tout le luxe mesquin de sa riche demeure,
Je le méprise, moi. Voici, dans ce ciel bleu,
Notre pendule à nous, ce beau soleil, où l’heure
Se lit sur un cadran de feu !


Dans un sombre caveau, dans un tombeau superbe,
Sous des pierres, il dit qu’ils font sceller leurs morts ;

Nos pères sont ici couchés sous un peu d’herbe ;
Nul marbre ne pèse à leur corps ;
Sur le simple gazon, un palmier qui s’élève,
Monument du désert, se dresse au-dessus d’eux,
Fait vivre leur poussière, et la prend dans sa sève,
Puis la fait monter vers les cieux.


Ses dieux restent cachés ; mais ceux de nos savanes
Sont les astres d’en haut ; c’est le soleil qui luit.
Tous les soirs je lui dis : « Viens mûrir nos bananes,
« Au goyavier suspends son fruit ;
« Réchauffe tout mon corps par ta vive lumière ;
« Jaunis les verts mais que nous te confions. »
Et chaque jour il vient répondre à ma prière
Avec sa flamme et ses rayons.



Nous adorons la lune et l’étoile brillante ;
Nous n’avons que des dieux de lumière et de feux.
Nous leur parlons au bois, près de l’oiseau qui chante,
Et sous les palmistes ombreux.
Le blanc voulut ici faire un temple de pierre,
Mais nous avons brisé son temple et son autel.
Nous, sous des murs voûtés enfermer la prière
Qui ne peut plus voler au ciel !



Il s’en va, l’homme à la peau blanche ;
Oh ! qu’il parte ! à lui la cité,
À moi mes bois de liberté,
Mon enfant, mon hamac qui penche,
Et ma compagne au teint si beau,
Au pagne fin, au doux visage !

Qu’il rejoigne seul, au rivage,
Sa case qui marche sur l’eau !

L’ASSASSIN.

J’aperçus des âmes plongées dans la fange.
Dante.

Sais-tu bien ce que c’est qu’une douleur aiguë
Qui s’éveille avec nous, qui s’endort avec nous ?
Mme Mélanie Waldor.


Assassin, moi !… Je vois toujours la chambre sombre,
La lampe qui l’éclaire, et l’alcôve dans l’ombre ;
Cet homme poignardé, je le vois, je le voi !
J’entends l’argent qui sonne et cette voix qui râle ;

Je fuis dans ma maison, mais un spectre tout pâle,
Et tout sanglant, me suit, et puis rentre avec moi !


Toujours me souvenir, me sentir ronger l’âme !
M’exposer devant moi tout flétri ! dire : infâme !
C’est folie, oublions ! N’ai-je pas un trésor ?
Pauvre, j’aimais tant l’or ! Quand j’en voyais reluire,
Mon œil brillait, mes mains s’ouvraient, c’était délire !
J’enviais !… Le bonheur, pour moi, s’appelait or !


Mon astre éblouissant, mon or, mon dieu visible,
Va, je t’ai désiré de ce désir terrible,
Ardent comme une soif, fort comme un bras d’airain
Qui pousse ! Je disais : « Or, je te veux, je t’aime !

Je te ramasserais jusque dans le sang même,
Et je ne craindrais pas de me tacher la main ! »


Je suis riche, heureux ! Vite, un banquet de merveilles,
Des mets tout parfumés, des fleurs dans des corbeilles,
Du vermeil, des cristaux ; puis des chansons en chœur,
Des yeux étincelans que la joie illumine,
Des rires fous, du punch qui brûle la poitrine,
Des femmes de vingt ans qui nous brûlent le cœur !



Il faut que tout, chez moi, soit délice et magie.
Je souffre !… Oh ! non, je suis très-heureux, je le veux.
Bals de gaze et de fleurs, et banquets fastueux,
À moi, j’ai de l’or !… Dieu ! cette pièce est rougie !

Toutes glacent mes doigts, et me parlent encor
De l’homme agonisant : toutes ces pièces d’or
Semblent porter son effigie !


Des fêtes !… mais le monde a mille yeux ; j’aurais peur
Qu’il ne vît un frisson, un trouble, une rougeur :
Et puis si l’on parlait de meurtre, de victime,
Peut-être à ma pâleur on verrait l’assassin ;
Je tremblerais toujours qu’une invisible main
Sur mon front n’eût sculpté mon crime !


Je souffre de ces maux qui font les cheveux blancs !
Quel poison est dans l’air ! quels pleurs âcres, brûlans !
Quel fardeau sur mon cœur ! Qu’êtes-vous, prison vile,

Carcans rivés au cou, vous, guillotine, mort ?
Le bourreau donne un coup de hache ; le remord,
Chaque jour, nous en donne mille !


Le supplice ! toujours ce spectre ensanglanté
Qui marche, se repose, et couche à mon côté !
À leur bagne d’enfer c’est un vivant qu’on traîne
Après soi, contre soi ; mais le juge des cieux,
Qui sait inventer, lui, des bagnes plus hideux,
Avec un cadavre m’enchaîne !



Eh bien ! remords, luttons ; je serai le plus fort.
Enfin, poignard de Dieu qu’il enfonce dans l’âme,

Je ne vais plus saigner sous ta poignante lame !
Je ne te connais plus, remord !


Je suis joyeux, j’attends ma Betzy la divine.
Comme elle resplendit d’un luxe de beauté !
Dans le vaste océan de la grande cité,
Adroit plongeur, j’ai su trouver ma perle fine.


La douce fille m’aime à faire des jaloux :
Bonheur ! remplir son âme, être Dieu dans un temple !
Rayonner, délirer, lorsque je la contemple !…
Mais le cadavre est entre nous !



Et quand son front sur moi se penche comme un saule,
Quand elle me regarde, et puis me dit, amours !
Avec sa bouche rose et ses yeux de velours,
Il me regarde aussi par-dessus son épaule !



Le plus beau jour m’est sombre, et tout miel m’est amer.
Oh ! la mort ! mais je crains quelque réveil horrible :
Dieu, qui fit le remords, doit être un Dieu terrible !
Il m’attend : d’une main il tient un livre ouvert,
Et lit la page ardente où s’inscrit chaque crime ;
Et puis, de l’autre main, des villes de l’abîme
Il tient les lourdes clefs de fer !


Il me maudira, Dieu ! Comme l’eau du baptême
Purifie, et promet, près du maître suprême,

Un siége de saphir, dans le ciel de l’éther ;
Le sang, qui rejaillit sur mon front, sur ma lame,
Ce sang que j’ai versé, m’a souillé, fait infâme ;
C’est mon baptême pour l’enfer !


Oh ! le poignard maudit ! la nuit cent fois maudite !
C’était un corps semblable à mon corps qui palpite ;
Fait d’os, de chair, avec des pensers, un cerveau ;
Avec du sang gonflant et la veine, et l’artère ;
J’ai mis là mon poignard comme en un bloc de pierre
Un sculpteur mettrait un ciseau !


Et je n’écoutais pas, quand il hurlait ses plaintes,
Quand la compassion, la vertu, les voix saintes

Disaient : Pitié pour lui !… mais, ô mon Dieu ! pourquoi
N’ai-je pas deviné le remords ? D’épouvante,
J’aurais fui ; l’égoïsme avec sa voix puissante
M’aurait crié : Pitié pour toi !

UNE MÈRE À SON ENFANT.

L’enfant si joli, si frêle ; l’enfant dont la lèvre est rose.
Jules Janin.

Enfant plus beau que l’ange, et qui s’envolerait,
Si sur sa blanche épaule était une aile blanche !

— Justin Maurice. —


Que de brillantes fleurs tu cueilles,
En suivant les sentiers du bois !
Leurs tiges et leurs mille feuilles
Se pressent dans tes petits doigts.

Sur le gazon vert des allées,
Sais-tu qui répand ces bouquets ;
Et dans les bois, dans les vallées,
Te les a semés pour jouets ?


Celui qui fait toutes ces choses,
C’est Dieu, de son palais du ciel.
C’est lui qui nuance les roses,
Et donne aux abeilles leur miel.
Il suspend tes bons fruits aux branches ;
Il jette un gazon de satin
Sous tes pieds ; pour tes robes blanches,
Dans la plaine, il sème du lin.



C’est lui, toujours lui, qui t’envoie
Les bluets, ces saphirs des blés,
Qui donne au ver sa longue soie,
Au rossignol ses chants perlés ;
C’est lui qui fait le corps si frêle
Des papillons frais et jolis,
C’est lui qui pose sur leur aile
Ces points de nacre et de rubis.


Son ciel est tout plein de merveilles :
Là, sont des vierges, blanches sœurs,
Qui volent comme les abeilles ;
Des saints au manteau de vapeurs,
Des voix qui chantent ses louanges,
Des bienheureux ; que sais-je, moi !

De purs esprits, de jolis anges,
Tout petits enfans comme toi.


Mais eux, du moins, ils sont dociles,
On obéit au paradis ;
Leurs jeux sont choisis et tranquilles :
Si jamais des larmes, des cris,
Troublaient la divine demeure,
Parmi les grands saints on dirait :
« Chassez-nous cet enfant qui pleure ! »
Et le bon Dieu se fâcherait.


Tu sais bien ta petite amie ?
Elle est, comme eux, près du Seigneur.

À peine s’est-elle endormie
Qu’elle a fui comme une vapeur,
Plus loin que les longues comètes,
Que les nuages, les éclairs,
Que la lune, que les planètes,
Que l’arc-en-ciel, ruban des airs.


Comme ses compagnes nouvelles,
Elle tient un gentil rameau ;
Sur le dos on lui mit deux ailes,
Pour suivre au vol l’ange et l’oiseau ;
Et parfois, quand elle est bien sage,
Le bon Dieu lui permet encor
D’aller jouer dans un nuage,
Ou bien dans une étoile d’or.



L’enfant obéissant, comme elle,
En mourant s’envole dans l’air ;
Mais il tombe, s’il est rebelle,
Chez les hommes noirs de l’enfer.
Là, d’un ton sévère on commande ;
Si l’enfant joue, on le punit ;
Sa leçon est, dit-on, si grande
Que jamais il ne la finit.


Tu frémis, n’est-ce pas ? prends garde !
Sois bien sage, car c’est affreux.
Obéis-moi, Dieu te regarde ;
Les saints et les vierges des cieux,
Sous un nuage qui les voile,
Quand tu pleures, viennent te voir ;

Et je sais que dans chaque étoile
Des anges se cachent le soir.

L’HOMME HEUREUX.

Mieux vaut la liesse,
Amour et simplesse
De bergers pasteurs,
Qu’avoir à largesse
Or, argent, richesse,
Ni la gentillesse
De ces grands seigneurs.
Martial de Paris.

Une douce et fidèle amie,
Heureuse ainsi que moi dans un tout petit coin.
Bouilly.

L’homme heureux, ce n’est pas quelque divin poëte
Au chant de séraphin, aux hymnes de prophète ;
Que le monde applaudit, quand son livre est éclos,
Avec les cent rumeurs d’une mer sur sa grève,

Qui, lumineux et grand, dans la foule, s’élève,
Comme un phare au-dessus des flots.


L’homme heureux, ce n’est pas l’ambassadeur des princes,
Qui peut, orgueilleux, dire, en quittant ses provinces :
« Moi, l’homme nation, les rois me salûront ;
Ils recevront en moi l’empire qui voyage.
Du respect ! Un soufflet sur mon visage
Marquerait tout un peuple au front ! »


Ce n’est pas le tyran qui domine superbe,
Et qui foule en marchant les hommes comme l’herbe ;
Qui, sur un trône d’or, s’assied dans son éclat,
Couronné de brillants ; qui choisit mainte Altesse,

Maint seigneur, pour valets pailletés, et se baisse
Pour voir les plus grands de l’état.


Ce n’est pas un hardi conquérant, dont l’histoire
Ramassera le nom, les batailles, la gloire ;
Qui sait que sa statue un jour s’élèvera,
Qu’il vivra des mille ans dans la grande lumière,
Et que, l’homme de chair endormi dans la bière,
L’homme de bronze surgira.


Qu’ils sont loin du bonheur, ces superbes ! Leur lèvre
Dans un calice d’or boit du fiel ; une fièvre
Les dévore. Leur front, de clartés rayonnant,
Serait bien plus serein dans l’ombre et sous un voile ;

Dès qu’il veut resplendir et porter une étoile,
Il se brûle en s’illuminant.



L’homme heureux, c’est celui qui n’apprit dans ses veilles
Qu’à rire, qu’à chanter, qu’à planter ses rosiers ;
Qui ne rêve la nuit qu’au miel de ses abeilles,
Aux fleurs de ses jasmins, aux fruits de ses pommiers ;


Qui ne veut au printemps qu’un jardin vert et rose,
Où le soleil de mai brille dans un ciel bleu,
Et qui ne veut l’hiver qu’une chambre bien close,
Un âtre étincelant, un fauteuil près du feu ;



Dont la femme est jolie, a vingt ans, et l’adore ;
Le suit dans le jardin, s’assied près du feu clair,
Pour rendre plus joyeux et plus brillans encore
Le soleil du printemps, le foyer de l’hiver.

LE BRIGAND ESPAGNOL.

Pas tant de paroles, lâchez ce manteau, monsieur l’homme de cour.
Lope De Vega.

Déjà dans notre sang ils trempent leur pensée.
— Le Père Lemoine.

Sentant la hart de cent pas à la ronde.
Clément Marot.


Son altesse le roi d’Espagne
Règne à l’Escurial ; mais, moi,
Plus que lui je suis maître et roi

Dans les bois et sur la montagne.
J’aide francs bandits pour sujets ;
Pour trône un rocher sur la vague ;
Pour sceptre, j’ai ma bonne dague,
Et pour palais j’ai les forêts.


Tous mes sujets me sont fidèles :
On respecte une majesté
Qui parle un poignard au côté.
Si je rencontre des rebelles,
Je leur fais, sur leurs chapelets,
Dire un Ave ; puis, sans enquêtes,
Sans lois, sans délais, sur leurs têtes
Je décharge mes pistolets.



Mon trésor vaut ceux des Castilles ;
J’en aurais pour vingt Alhambras,
Vingt Alcazars, vingt Giraldas,
Et cent couvens aux larges grilles :
Sans que je laisse mes palmiers,
Mes défilés et ma montagne,
De toutes les villes d’Espagne
II m’arrive des trésoriers.


Je tire sur chaque berline,
J’abats des postillons hardis ;
Je vois du sang de tout pays
Rejaillir sur ma lame fine :
Je prends de l’or de tous les poids
Avec mes vaillans capitaines,

Et dans mes caisses souterraines
J’ai tous les visages de rois.


Aussitôt qu’un voyageur passe,
Si son bagage est trop pesant,
En chef de bandits complaisant,
Poliment je l’en débarrasse.
Je fais peur aux femmes la nuit ;
Jésus ! j’en vois pâlir plus d’une,
Lorsque, par un beau clair de lune,
Ma bonne espingole reluit.



Mes gentils amoureux, donneurs de sérénades,
Suivez vos señoras dans le spectacle, au bal,

Au combat du taureau sur les bancs des estrades,
Au Prado, dans les promenades,
Auprès du confessionnal ;


Allez vous attacher à votre douce reine,
Comme au saint l’auréole, et la corde au gibet,
La baguette à l’alcade, au prisonnier la chaîne,
Au voyageur sa bourse pleine,
Comme les grelots au mulet :


Si je m’avance, moi, vers une jeune fille,
Ce n’est point pour baiser sa main d’un blanc de lis,
Voir son col de satin, son pied fin qui sautille ;
C’est pour détacher sa mantille,
Ou bien ses bagues de rubis.

Je vous méprise tous, hommes faibles, sans âme,
Cavaliers et seigneurs, au stylet pur encor,
À la peau lisse et fine, à la taille de femme,
Qui laissez votre bonne lame
Se rouiller dans son fourreau d’or.


Doux joueurs de guitare, aux frais habits de fête,
Je vous apprendrais, moi, comme un franc montagnard
Tient un mousquet, comment un postillon s’arrête,
Comme on fait tomber une tête,
Et comme on dérouille un poignard.



Avec son grand bras de squelette,
La potence, au chanvre mouvant,

Me menace, j’en ris ; avant
Qu’on me passe la collerette,
Par ma croix et mon chapelet,
Vos cachots seront sans grillage,
Et le vent, la pluie et l’orage,
Pourriront votre vieux gibet !

LA JEUNE FILLE MOURANTE.

 L’horloge s’est trompée ;
Elle a sonné la mort, pour l’heure de l’hymen.
Mme Desbordes-Valmore.

C’est vraiment dommage, car elle était bien jolie.
La duchesse d’Abrantès.

J’ai froid, et je voudrais m’attacher à la vie.
Élisa Mercœur.


Comment me délivrer de cette fièvre ardente ?
Mon sang court plus rapide et ma main est brûlante ;
Je souffre ! dites-moi, je suis mal, n’est-ce pas ?
Souvent, le front penché, l’œil baissé vers la terre,

On rêve tristement ; puis, d’un air de mystère,
On se parle bien bas.


Et si je fais un bruit léger, si je respire,
Des larmes dans les yeux on essaie un sourire ;
On se rend bien joyeux, mais j’entends soupirer :
Sur les fronts tout rians passe une idée amère ;
Et ma petite sœur, qui voit pleurer ma mère,
Près du lit vient pleurer.


Ces larmes me l’ont dit, votre secret terrible
Je vais mourir. Déjà !… mourir !… oh ! c’est horrible !
Mon Dieu ! pour fuir la mort, n’est-il aucun moyen ?
Quoi ! dans un jour peut-être une fosse profonde !

Aujourd’hui l’avenir, la jeunesse, le monde !…
Et puis demain, plus rien !


Comme une frêle plante un souffle m’a brisée :
Vous, mes sœurs, vous avez cette teinte rosée
De bonheur et de vie ; oh ! votre sort est beau !
Et j’ai les yeux ternis, je suis pâle, abattue :
On dirait, à me voir, une blanche statue
Pour orner un tombeau !


On m’admirait pourtant, moi, fantôme, ombre vaine ;
La foule m’entourait comme une jeune reine ;
Mon pouvoir tout nouveau semblait encor bien long :
Quelques bijoux formaient ma parure suprême,

Et puis mes dix-huit ans, comme un beau diadème
Rayonnaient sur mon front.


La robe que j’avais dans mes fêtes de gloire
Est toute fraîche encor ; mon long ruban de moire,
À la couleur si tendre, à l’éclat passager,
A gardé ses reflets que j’aimais à l’extase ;
Et moi, je vivrai moins que ma robe de gaze
Et mon ruban léger !


À vous, sœurs, bals bruyans, plaisirs de jeune fille,
Fiancé qu’on admet au cercle de famille,
Puis l’alliance au doigt, le oui dit en tremblant,
Et les grains d’oranger, couronne virginale ;

Moi, pour voile de noce et robe nuptiale
J’aurai mon, linceul blanc ;


Lugubre, vêtement qu’on porte sous sa pierre,
Qui tient ensevelis, dans une étroite bière,
Bien des illusions, bien du bonheur rêvé ;
Qui tombe par lambeaux sous la terre jalouse,
Et que les battemens d’un cœur de jeune épouse
N’ont jamais soulevé !


Moi, dans un long cercueil étendue, insensible,
Morte ! Quoi je mourrais !… oh ! non, c’est impossible !
Quand on a devant soi tout un large avenir,
Quand les jours sont joyeux, quand la vie est légère,

Quand on a dix-huit ans ; n’est-ce pas, bonne mère,
On ne peut point mourir ?


Je veux jouir encor de la nature entière,
Des fleurs, des chemins frais au bord de la rivière,
Du ciel bleu, de l’oiseau chantant sur l’arbre vert :
Je vais aimer la vie, et de toute mon âme ;
La voir dans le soleil briller en jets de flamme,
La respirer dans l’air !…



Et la petite sœur, au muet cimetière,
Allait le lendemain porter des fleurs ; la mère
Priait sur une tombe, et disait : Pour toujours !

Et l’enfant demandait si la sœur grande et belle
Qu’elle aimait et pleurait, dans sa maison nouvelle
Resterait bien des jours.

LES DEUX CHODRUC-DUCLOS.

Si je croyais que mon chapeau connût mes pensées, je le jetterais à la rivière.
Chodruc-Duclos.



I.


Le voyez-vous passer dans le Palais-Royal,
Traversant à grands pas les arcades de pierre,
Pâle et grave, couvert de boue et de poussière,
La barbe épaisse et longue, ainsi qu’un général

Spartiate ou romain, le port noble et sévère ?
Les bras contre le dos, et le front redressé,
Il étale, orgueilleux, son vêtement percé
Et le luxe de sa misère.


Regardez son habit en festons découpé,
Brodé de larges trous, de pièces toutes sales,
Sa ceinture de corde et ses grosses sandales,
Son pantalon de drap si sec et si râpé.
Mais sous le chapeau noir enfoncé sur sa tempe
Tout pelé, tout usé, par le temps qui détruit,
Voyez-vous s’allumer son œil de feu, qui luit,
Comme un rayon perçant dans une vieille lampe ?


Le cou tendu, l’œil fixe, un passant curieux
Le regarde ; une femme à dix pas se retire,

De peur de le toucher avec son cachemire ;
Un enfant l’examine en ouvrant de grands yeux :
Auprès des chaînes d’or, aux vitraux agrafées,
Des soleils de brillans, des cristaux, il croit voir
Un des magiciens de ses contes du soir
Errant dans un palais de fées.


Le superbe leur lance un regard de dédain,
Et passe ; puis il dit en lui, Duclos le sage :
« Que m’importe, mon Dieu ! d’avoir dans mon passage
« Déchiré mes habits aux ronces du chemin,
« Si leur Paris doré, sous ses tissus de fête,
« Regarde mes haillons avec ses milliers d’yeux !
« Eh ! que m’importe encor que mon chapeau soit vieux,
« Pourvu que je le porte en levant haut la tête !


« À vous, mes beaux messieurs, rubans, joyaux de cour !
« Lorsque le siècle et moi nous sommes face à face,
« Quand je le vois qui cherche honneurs, fortune, amour,
« Qui croupit dans son or ; moi, je ris et je passe
« Tranquille, indifférent, sans remplir ma besace
« Pour faire une route d’un jour.


« Oh ! la mort est si longue, et la vie est si brève !
« Ce n’est qu’un jeu d’enfant, une ironie un rêve !
« Quand le jour éternel lancera ses rayons,
« Le riche et l’indigent seront jugés de même :
« L’homme ressemble à l’homme aux yeux du Dieu suprême,
« Et l’âme n’a pas de haillons ! »


Oh ! regardez-le bien marcher contre les grilles,
Duclos pensif, railleur, philosophe, effronté,
Superbe, et se faisant une immortalité
Avec quelques vieilles guenilles !


Mais voici qu’il fait nuit, et jusqu’au jour vermeil,
Il gagne sa maison qui craque de vieillesse ;
Entre, prend un flambeau, puis, auprès de l’hôtesse,
Jette le prix de son sommeil :


Et, tout en raillant ceux qui couchent sur la plume,
Sur son mauvais grabat, heureux et l’âme en paix,
Il dort, en attendant que le jour se rallume,
Et qu’on lui rouvre son palais.



II.


1833.


Oh ne va plus marcher fier et la tête haute,
Indigent détrôné ! pleure et dis : C’est ma faute ;
Car tes haillons, vois-tu, c’était ta gloire, à toi :
Tu n’es plus qu’un passant dans ton palais qui brille,

Tu n’as plus ton habit râpé, laide guenille
Que la foule suivait comme un manteau de roi.


Il revient parmi nous, ce Duclos qui nous raille ;
Allons, pour saluer, courbe ta belle taille ;
Souris en grimaçant, sois poli, sois flatteur.
Des hommes vont serrer ta main aux promenades,
T’insulter d’un bonjour sous tes longues arcades,
Et salir ton grand nom du titre de Monsieur.


Ton costume est celui de l’homme qui t’aborde ;
Tu portais seul du moins ta ceinture de corde !
Tu n’avais point, comme eux, des croix et des bijoux ;
Mais de tes vieux habits on parlait en Europe,
Car ils ne s’étaient pas usés, fier misanthrope,
À ployer chez les grands ton dos et tes genoux.



Mais as-tu remué tous ces flots de la foule ?
As-tu cherché la vase au fond de l’eau qui coule ?
Bien des hommes du monde, au luxe étincelant,
Ont plus de fange au cœur que toi sous ta sandale ;
Eh ! que leur fait d’avoir une âme noire et sale,
Si leur habit est propre, et si leur linge est blanc !


Ta longue barbe grise, épaissie, onduleuse,
Qui jadis s’étalait si fière, l’orgueilleuse,
Caressait tes haillons, tombait à larges flots,
S’humilie à toucher ta cravate de soie,
Et dit seule au passant distrait qui te coudoie :
« Tourne la tête et vois ; ceci, ce fut Duclos. »


C’est qu’il a bien perdu dans sa métamorphose :
Qu’est-ce donc maintenant que Duclos ? peu de chose ;

Un homme en chapeau noir lisse et neuf, en drap fin,
En costume reçu, banal ; qui se promène
Mis comme ce troupeau qui passe, est-ce la peine
Que, pour le regarder, on s’arrête en chemin ?

LA PETITE ANNA.

Et le cœur luy part, et l’âme s’en va.

Luce sieur de Gast (Tristan). —
À la mère veuve de son enfant il manque toujours un sourire, et ce sourire, c’est celui de son enfant.
Michel Masson.


Morte ! sa joue est pâle et sa bouche livide[2] !
Je ne sens plus son cœur ni son haleine humide ;
Son pauvre petit corps est glacé dans mes bras !
Toi, mon enfant, mon âme, insensible, ombre vaine,

Froid cadavre ! grand Dieu ! mais je comprends à peine !
Morte ! oh ! dites, cela n’est pas !


Quoi ! cette douce enfant si fraiche et si rieuse,
Et qui m’appelait mère, avec sa voix joyeuse ;
Qui, tout à l’heure encor, me flattait de sa main ;
Qui charmait ici-bas mon passage éphémère,
Que Dieu mit comme un ange, en cette vie amère,
Pour me suivre dans mon chemin,


Elle est morte !… ils l’ont dit ! entends-tu, pauvre mère !
Ta gracieuse enfant sous un drap mortuaire !
Ainsi, sa tête blonde et ses traits ingénus,
Ses bras, ses petits pieds, sa blancheur de colombe,
Tout cela, c’était donc pour laisser à la tombe
Un peu de poussière de plus !



Ce choléra d’enfer, qu’un démon nous envoie,
Comme un serpent maudit, vint enlacer sa proie,
Prendre dans ses replis son corps, faible roseau,
Le tordre, et le jeter dans un tombeau de pierres !
Les hommes manquent donc pour lui remplir ses bières,
Puisqu’il cherche dans un berceau !


Mais a-t-il bien osé sur cette enfant si frêle,
S’élancer tout hideux, infecter l’air près d’elle,
Glacer son corps, ternir son regard qui brillait,
Creuser ses grands yeux bruns et sa joue enfantine,
Poser un masque bleu sur sa peau lisse et fine
Encor toute blanche de lait !


Mais quoi ! voici des croix, des cierges, une bière,
Des tentures ! déjà !… Pitié pour une mère !

Laissez-moi mon enfant, c’est mon bien, mon trésor ;
Laissez-la ! ferez-vous de son lange un suaire ?
Voulez-vous donc si tôt la cacher sous la terre ;
Ses pieds n’y touchaient pas encor ?



Et la mère pleurait… Un ange aux longues ailes
Portait la douce enfant dans des sphères nouvelles ;
Traversait des chemins d’azur et de vapeur,
Des degrés étoilés, des colonnes de flamme ;
Puis, l’ange radieux ouvrait à la jeune âme
Les portes de saphir des palais du Seigneur.


Là, de blonds chérubins, des vierges aux longs voiles,
La regardaient, groupés sur des rayons d’étoiles.

Mais elle soupirait près du trône divin,
Et se disait tout bas, en courant chancelante
Sur l’arc-en-ciel, ou bien sur la comète ardente :
Si ma mère était là pour me tenir la main !


Avec un doux regard, une sainte parole,
Jésus lui mit au front la céleste auréole ;
Les brillans séraphins volèrent l’embrasser :
Triste, elle les suivit dans l’éther, dans les sphères,
Et dit, en s’endormant sur les vapeurs légères :
Si ma mère était là pour venir me bercer !

LE POËTE POLONAIS EXILÉ.

Ah ! Seigneur, je vois déjà la croix… combien, combien de temps encore mon peuple doit-il la porter ?
Adam Mickiewicz, traduit du polonais par M. Burgaud.
La main protectrice de Marie vaut bien vos remparts et vos soldats.
Collombet.

LE POËTE POLONAIS EXILÉ[3].


chœur de polonais.

Ô mère de Jésus, vierge sainte et bénie,
Rends-nous à nos lacs bleus de la Lithuanie !
Errans comme Israël, l’ancien peuple de Dieu,
Nous ne voyons pas, nous, le nuage qui tonne,

Le grand buisson ardent qui fume et qui rayonne,
Ou bien la colonne de feu.


le poëte.

Malheur ! le sable blanc de nos forêts de chênes
Est tout rouge de sang ! Malheur ! malheur à ceux
Qui sèment de nos morts nos champs de blés, nos plaines,
Nos chemins de saules ombreux !
Nous détruirons un jour, tout vaincus que nous sommes,
Leurs palais, leurs cachots, qu’ils nous ont fait creuser
Sous terre, sous leurs pieds, comme un réservoir d’hommes
Où le bourreau s’en va puiser !


Écoutez… je la vois, pendant ses jours de fête,
Notre Pologne, heureuse et disant ses chansons ;

Je vois ses palatins, son sénat à leur tête,
Ses rois dans leurs châteaux saxons.
Sur notre sable fin, nos folles jeunes filles,
Qui s’en vont voltigeant comme des papillons,
Dansent la Mazurek, sa valse, ses quadrilles,
Et tournent dans ses tourbillons.


le chœur.

Pourquoi flétrir leur joie ? À ton autel de pierre
Ont-elles un Dimanche oublié leur prière,
Marché sur le chemin du ciel en chancelant ?
Qu’avaient-elles donc fait, les pauvres jeunes femmes,
Vierge sainte ? leurs fronts étaient purs, et leurs âmes
Blanches comme ton voile blanc.



le poëte.

Mais j’aperçois des rois qui regardent nos plaines ;
Ils se disent : « Voilà des champs sous un beau ciel,
Et des mines de fer, et de vastes domaines,
De l’encens, de l’ambre et du miel. »
Ils s’élancent, patrie, ils brisent ta couronne,
Ils mutilent ton corps, pèsent chaque lambeau,
Font trois parts du cadavre, et chacun à son trône
En attache un sanglant morceau !


le chœur.

Si tu l’avais voulu, comme un peu de poussière
Tu les dispersais, Reine au palais de lumière,
Qui mets pour diadème à ton front virginal
Une auréole ardente, illuminant tes voiles ;
Et qui prends au Seigneur ses plus riches étoiles,
Pour broder ton manteau royal.



le poëte.

Oh ! par saint Stanislas ! je te vois belle et fière,
Appeller tes soldats aux cuirasses d’acier ;
Les voilà, se parant de la peau de panthère,
Portant l’aigle et le cavalier.
Trois fois ton corps meurtri, butin de la conquête,
S’agite, mais en vain ; comme sur nos gazons
Un long serpent coupé, qui relève la tête
Et veut réunir ses tronçons.


Vous pouvez, ô grands rois, vous ruer sur nos villes :
Tout s’efface, une fois les sabres essuyés,
Les champs débarrassés des tentes inutiles,
Et les cadavres balayés :
Sur les pavés rougis, un peu d’eau répandue
Suffit ; dans les ruisseaux le sang s’écoule encor ;

Mais songez que ce sang qu’on lave dans la rue
Fait tache sur un sceptre d’or.


le chœur.

Une larme de toi, Vierge céleste et bonne,
Et Jésus, ton enfant, soufflait sur leur couronne :
Un signe de son doigt renverse le puissant ;
Il lui faut, pour jeter les sceptres dans la fange,
Un mot, un battement léger d’une aile d’ange,
Qui touche le trône en passant.


le poëte.

Hélas ! ma Pologne est donc morte !
Ses femmes donnent leurs joyaux ;
Ses poëtes, qu’un souffle emporte,
Ont fui comme un essaim d’oiseaux.

Oh ! pour eux quelques branches frêles
Pour s’y poser et soupirer,
Un ciel pour déployer leurs ailes,
Puis un peu d’air pour respirer !


Vous, poëtes à la voix douce,
Oiseaux d’autres pays que nous,
Songez que dans leurs nids de mousse
Ils savaient chanter comme vous.
Ils ont des forêts étrangères,
Un autre accent, mais si touchant !
Mais ils n’en sont pas moins vos frères
Par les ailes et par le chant !


le chœur.

Ô mère de Jésus, Vierge sainte et bénie,
Rends-nous à nos lacs bleus de la Lithuanie !

Errans comme Israël, l’ancien peuple de Dieu,
Nous ne voyons pas, nous, le nuage qui tonne,
Le grand buisson ardent qui fume et qui rayonne,
Ou bien la colonne de feu !

LA PETITE FILLE.

Votre front est si pur qu’on y lirait votre âme.
Mme Ménessier-Nodier.

Qu’ils étaient beaux ces jours !
— La princesse de Salm.

Le soleil garde-t-il son éclat sans nuage ?
Les cieux gardent-ils leur azur ?
Ernest Falconnet.

Painted by W. Hamilton R. A. Engraved by T. S. Engleheart


Allons, dans les jardins suis tes compagnies blondes,
Enfant ; va te mêler aux tournoyantes rondes :
Allons, frères et sœurs, jouez, sautez, riez !
Prends ta corde à la main, et bondis intrépide ;

Forme ce double tour, qui passe si rapide
Sous tes deux petits pieds !


J’aime tes mouvemens, si souples quand tu joues ;
J’aime à voir les couleurs qui nuancent tes joues,
Tes pas légers, glissant sur les gazons foulés,
Ta bouche qui sourit, et ta grâce ingénue,
Et tes cheveux tombant sur ton épaule nue,
Tout blonds et tout bouclés.


Tout est céleste en toi ; l’enfant candide et rose
Nouveau-venu du ciel en garde quelque chose :
Un regard d’ange luit dans ton bel œil d’azur ;
Ta voix faible n’est pas encor la voix humaine ;

Ton corps, si petit, semble appartenir à peine
À notre monde impur !


Eh quoi ! tu viens à moi les yeux en pleurs ! ta mère
T’aura parlé peut-être avec un ton sévère ?
Est-ce un jeu qu’on défend, un devoir imposé ?
Est-ce un oiseau captif qui t’échappe et s’envole ?
Une leçon bien longue à dire dans l’école ?
Quelque jouet brisé ?


Tu devrais les bénir, ces larmes passagères ;
Car le bon Dieu t’a fait des peines si légères !
Qu’une image, une fleur, un rien frappe tes yeux,
Qu’une petite amie arrive et te console,

Tes pleurs vont s’arrêter, et puis, rieuse et folle,
Tu vas courir aux jeux !


Chaque année en fuyant doit leur ôter des charmes,
Attrister à la fois ton sourire et tes larmes,
T’avancer pas à pas dans ce monde souffrant,
Apprendre quelque chose à ta jeune ignorance,
Puis enlever un peu de joie et d’innocence
À ton beau front d’enfant.


Oh ! cours dans les jardins ! lance l’escarpolette
Jusqu’aux grands marronniers ! ou bien fais la toilette
De ta poupée aux yeux d’émail, au frais chapeau ;
Ou lance ce volant qui glisse entre les branches,

Et que tu vois dans l’air, avec ses plumes blanches,
Passer comme un oiseau !


Tu connaîtras plus tard nos amères pensées,
Les ennuis, les dégoûts de nos âmes lassées,
Nos chagrins de fortune, ou d’orgueil, ou d’amour,
Notre sommeil troublé, nos rêves fantastiques,
Où passent chaque soir, sous des traits chimériques,
Tous nos soucis du jour !


Tes nuits n’ont maintenant que de joyeux mensonges :
Des souvenirs de jeux enchantent tous tes songes ;
Sur tes yeux, un sommeil calme vient se poser,
Lorsqu’on ne t’a pas dit quelque parole austère,

Quand ta prière est faite, et quand ta bonne mère
T’a donné son baiser.


Comme il va s’écouler, ton âge d’innocence !
Adieu, rire éclatant et jeune insouciance,
Et folâtres pensers, rayonnant dans l’esprit !
Tout cela fuit avec nos premières journées ;
Et, comme le visage, au souffle des années
L’âme aussi se flétrit !


Oh ! retourne bien vite à la ronde joyeuse !
Tu vas grandir… qui sait ! la gloire lumineuse
Peut mettre des rayons sur ton front triomphant ;
Tu pourras devenir belle à t’en rendre vaine,

Être une grande dame, être duchesse, reine !…
Mais plus jamais enfant !

LES POËTES.

Dieu parle à l’homme, ensuite l’homme parle à l’homme.
Ballanche.

Moi, je suis devant vous comme un roseau qui plie,
Votre souffle en passant pourrait me renverser.
Sainte-Beuve.


Vous avez de l’orgueil dans l’âme et sur le front ;
Vous savez que votre art est sublime et profond :
Et la foule se dit, quand elle vous écoute :
« Sur leur bouche une abeille a déposé son miel ;

Un des oiseaux légers qui volent dans le ciel
« Leur apprit à chanter sans doute ! »


Savans magiciens, comme avec un ciseau,
Vous sculptez vos pensers ; comme avec un pinceau,
Vous posez des couleurs dont le vernis fascine,
Des couleurs d’écarlate et de pourpre ! L’objet
Que vos vers ont touché s’éclaire à leur reflet :
On dirait qu’un rayon de soleil l’illumine.


Vous comprenez les voix des fleuves, des vents. Dieu,
Le grand poëte, avec les astres, le ciel bleu,
Les vagues de la mer, les arbres de la plaine,
Fit le poëme entier de l’univers ; et vous,
Il vous a désignés pour le lire à genoux,
Et le traduire en langue humaine.



Vous pouvez regarder ce qu’on fait dans les cieux ;
Voir les élus, aux corps subtils et radieux,
Qui suivent le Seigneur en chantant ses louanges ;
Voir sur la haute échelle, aux échelons sans fin,
L’ange aux ailes de cygne et l’ardent séraphin :
Vous avez les clefs d’or de la cité des anges.



Oh ! vous êtes bien fiers ! pauvres fous ! voyez donc
Comme vos jours sont noirs, troublés par la tempête :
Toi, la critique vient découronner ta tête,
Et, prenant un fer rouge, elle te marque au front.


Toi, ton chant est magique, et nul ne le répète ;
Le silence y répond, le silence, grand Dieu,
Ce néant des vivans, ce tombeau du poëte,
Ce linceul, sous lequel bondit un cœur de feu !

À toi la gloire immense et ses splendeurs divines !
Salut, te voilà roi, poëte au large essor !
Mais n’as-tu pas senti la couronne d’épines
Que la gloire cachait sous sa couronne d’or ?


Jeune homme, tu t’éprends d’une céleste femme ;
Mais au public, qui veut avoir un beau concert,
Tu livres ton amour ; tu laisses dans ton âme
Regarder les passans ! comme en un temple ouvert.


Pour vous autres, la gloire est dans le cimetière ;
Vos sépulcres glacés seront vos piédestaux !
À quoi servent vos vers de flamme et de lumière ?
À faire quelque jour reluire vos tombeaux.

Sitôt qu’il n’entend plus, on dit gloire au poëte.
Couchés dans vos cercueils vous paraîtrez plus grands ;
Le public aime tant les morts ! c’est un squelette
Qu’il choisit pour idole, et parfume d’encens !


Tous, vous êtes poussés par un pouvoir étrange :
Cherchez-vous l’ombre, hélas ! pour y passer vos jours,
Comme le juif errant, vous entendez l’archange
Vous crier : Marche ! marche !… encor !… marche toujours !





POÉSIES DIVERSES.



PARIS.

La grande cité, qui était vêtue de crêpe et de pourpre, et d’écarlate, et était dorée d’or.
Apocalypse.
Les mille fenêtres luciolent au soleil comme autant de gouffres de feu.
Achille Jubinal.

PARIS.


Ma ville de beauté, ma ville de splendeur,
Que j’aime tes cent bruits de voitures, de foule !
J’entendis, tout enfant, ta voix qui crie et roule :
C’est une voix de mère, et d’amie, et de sœur ;

De ces voix qui ne sont que chant et que merveille,
Qui peuvent arriver bruyantes à l’oreille,
Mais sont toujours douces au cœur !


Oh ! je t’aime, malgré tes ruisseaux, où la roue
Se noircit, tes égouts et tes pavés boueux !
Ton front est pailleté de brillans lumineux,
Orné de frais rubans, de gaze où le vent joue,
De plumes, de dentelle au parfum de boudoir ;
Et l’œil s’arrête là, sans se baisser pour voir
Si tu mets tes pieds dans la boue !


J’aime tes bataillons de maisons au toit noir !
Chacune est animée et vit ; des yeux rayonnent
Près de chaque fenêtre, et mille voix bourdonnent
À chaque étage ; au ciel un soupir, un espoir,

Monte avec chaque feu qui s’envole en fumée ;
Une âme brûle avec chaque lampe allumée
Qui reluit aux vitres le soir.



Mais je te sais, Paris, visage à double face,
Grand habit d’arlequin, gazon vert et bourbier :
Ton bon peuple sait tout, mais ne sait plus prier ;
Quand il veut voir le prêtre, au théâtre il se place ;
Au riche, un voleur prend du sang avec de l’or ;
Le pauvre a des greniers au sombre corridor,
Où l’on a toisé l’air, et le jour, et l’espace ;


Mais, va, ton paradis est près de ton enfer :
Que l’hiver fastueux jette un monde splendide
Dans tes salons brillans, comme un palais d’Armide,
Qu’il passe quelque femme au front coquet et fier,

Ou qu’un poëte chante, on oublie, on admire…
Un chant couvre parfois bien des cris de martyre,
Et quelques grains d’encens parfument bien de l’air.


La France te nomma sa maîtresse et sa dame,
Ma ville de magie ; allons, fais pour tes sœurs
Voler sous tous les cieux tes rubans et tes fleurs !
Impose-leur tes rois et tes modes de femme ;
Fais remplir leur corbeille, et garnir leur écrin ;
Fais-leur jaillir les lois de tes cuves d’airain :
La France est un grand corps, mais toi seule en es l’âme !



Bonjour, la ville aux cent couleurs ;
Souveraine toute-puissante ;
Bonjour, la noble et la charmante,

Reine à la couronne pesante,
Reine à la couronne de fleurs !


Allons, allons, belle coquette,
Belle fée, allons, parez-vous ;
Mettez vos tissus, vos bijoux :
Toutes vos sœurs sont à genoux,
Et regardent votre toilette !


Montrez votre art magicien ;
Ou, dans votre mise frivole,
Soyez fantasque, soyez folle ;
Vous êtes la reine et l’idole,
Et l’on dira toujours : C’est bien.



Laisse son Espagne la belle
Au grand poëte aux chants nouveaux ;
Laisse-lui ses tours à créneaux,
Ses ogives, ses chapiteaux,
Et ses hauts clochers de dentelle !

Si tout n’est que senteurs et miel
Sur sa terre d’Andalousie,
C’est que lui, vois-tu, l’a choisie ;
Et son soleil de poésie
S’en est allé dorer son ciel !


Rome, qui se dit souveraine,
Pour loger ses ducs, ses prélats,
A mille palais aux toits plats,

Mais rien qui charme ; et ce n’est pas
Le sceptre seul qui fait la reine.


Puis, son bras qui donnait des lois
S’est affaibli ; plus de conquête :
Bonne vieille, en branlant la tête,
Elle vante ses jours de fête,
Et ne sait que dire : Autrefois !


Naples est belle à ravir les âmes
Quand elle dit ses chants aimés,
Sous ses orangers embaumés,
Ouvre ses sachets parfumés,
Et met sa guirlande de femmes !



La nuit, comme en un frais jardin,
Elle dort ; la mer sur sa grève
Chante, et la berce dans son rêve ;
Mais parfois son volcan se lève,
Pour la réveiller le matin.



Avec ton ciel changeant, pâle au cœur du poëte,
Tes hivers froids et longs, je te préfère, moi,
Parce que tes défauts, vois-tu, c’est encor toi !
Oui, je t’aime, élégante à la fraîche toilette ;
Je t’aime, noble dame au cortége doré ;
Je t’aime, jeune folle à l’air évaporé ;
Je t’aime, enchanteresse à la riche baguette !

À UNE TÊTE DE MORT.

Frère, il faut mourir.
Les Trappistes.

Des ruines rien que des ruines !
Mme A. Dupin.


Squelette, qu’as-tu fait de l’âme ?[4]
Foyer, qu’as-tu fait de ta flamme ?
Cage muette, qu’as-tu fait
De ton bel oiseau qui chantait ?

Volcan, qu’as-tu fait de ta lave ?
Qu’as-tu fait de ton maître, esclave ?


Comme une souveraine, avec toute sa cour,
Une âme t’habitait : son cortége d’amour,
D’espoir, chantait, pleurait, et peuplait son domaine ;
Tu n’es plus qu’un désert ; le lézard sous ton front
S’établit ; l’âme a fui ; le frêle moucheron
S’introduit librement dans son château de reine !


Étais-tu femme et belle, avec de longs cils noirs,
Des fleurs dans les cheveux, souriant aux miroirs ?
Grand seigneur, dépassant les têtes de la foule ?
Jeune homme, et délirant pour des yeux bruns ou bleus ?

On ne sait ; tous les morts se ressemblent entre eux :
La vie a cent aspects, le néant n’a qu’un moule.


Débris dans les débris, crâne blanc et hideux,
Édifice montrant ta charpente à nos yeux,
Miroir brisé de l’âme, où rien ne se reflète,
Le passant, qui te voit sans lèvres, sans regard,
Sans chair, demande : Où donc est l’homme ? Un peu plus tard,
Il va se demander : Où donc est le squelette ?


Quelques amis, du moins, conservèrent ton corps
Embaumé dans leur cœur ; tous sont avec les morts.
Sur terre rien de toi ; la trace est effacée :
Nul de ton souvenir n’y garde des lambeaux,

Et tu t’anéantis même dans les tombeaux
Qu’on t’avait, ici-bas, creusés dans la pensée !


C’est pitié ! reste là, regarde les passans :
Oh ! reste ! dis néant aux heureux, aux puissans !
Celui qui t’exposa dans son joyeux domaine
A pensé que tes os parleraient haut et fort ;
Il vient d’écrire, avec une tête de mort,
Son traité sur l’orgueil et la misère humaine !


Ton âme a fui là-haut, vers la cité des cieux,
Aux longs murs de vapeur, au temple radieux.
Elle est là, contemplant, dans une sainte extase,
Le soleil dans sa force, et Dieu dans sa splendeur ;

Toi, tu n’es que ruine et cendre : le Seigneur,
Quand il a pris l’encens, laisse tomber le vase !

UN NÈGRE À UNE BLANCHE.

Vous êtes plus blanche, ô ma reine,
Que la lune en son beau sommeil !
Émile Deschamps.

Aussi noire qu’une momie.
Chaudesaigues.


Ô blanche, tes cheveux sont d’un blond de maïs,
Et ta voix est semblable au chant des bengalis !
Si tu voulais m’aimer, ce serait douce chose !
Un peu d’amour au noir, jeune fille au teint frais :
Le gommier n’a-t-il pas, dans nos vastes forêts,
Sur son écorce brune une liane rose !



Un nègre a sa beauté : bien sombre est ma couleur,
Mais de mes dents de nacre on voit mieux la blancheur ;
Tes yeux rayonnent bien sous tes cils fins, longs voiles,
Mais regarde, les miens ont un éclat pareil :
Ton visage est le jour, tes yeux c’est le soleil ;
Mon visage est la nuit, mes yeux sont des étoiles !


Sois ma compagne : au pied du morne que voilà,
Vois ce petit carré de manioc ; c’est là
Que, pour te recevoir, j’ai préparé ma case :
Ton hamac de filet, de plumes est orné ;
De peur qu’un maringouin à ton front satiné
Ne touche, je t’ai fait la moustiquaire en gaze.


Viens ; je te donnerai tous mes cactus en fleur,
Et je te cueillerai des fruits pleins de saveur,

Goyaves, ananas. Oh ! suis-moi, blanche femme,
Afin que je te serve et te parle à genoux !
Qu’importe ma couleur, si je suis bon et doux,
Et si le noir chez moi ne va pas jusqu’à l’âme !


Si tu veux, pour t’avoir coquillage et corail,
Un oiseau-mouche, oiseau d’escarboucle et d’émail,
J’irai dans la savane et près des tièdes lames,
À l’heure où s’enfuirait le blanc le plus hardi ;
Lorsque de tous côtés la chaleur de midi
Enveloppe le corps, comme un manteau de flammes.


Ô blanche, tes cheveux sont d’un blond de maïs,
Et ta voix est semblable au chant des bengalis !
Si tu voulais m’aimer, ce serait douce chose !
Mais quoi ! tu fuis le noir, jeune fille au teint frais ;

Oh ! plus heureux que moi, le gommier des forêts
Sur son écorce brune a sa liane rose !

SONNET

écrit sur un album.

Unissez dans vos vers Soumet à Béranger,
Et l’esprit qui pétille à la raison qui cause.
Charles Nodier.

Il y a de tout… tout ce qui fait pleurer, tout ce qui fait rire.
Darthenay.


Votre album aux cent noms est une cassolette,
Où brûlent à la fois cent parfums précieux ;
Un vaisseau pavoisé, qui déroule à nos yeux
De tranchantes couleurs ; sa parure est complète.



Comme il fait, l’élégant, une mine coquette !
Il étale aux regards ses vers capricieux,
Émaillés, ciselés, simples ou radieux :
Que d’écrins on ouvrit pour faire sa toilette !


Ses bijoux variés n’éblouissent pas tous :
L’un a des feux plus vifs, l’autre les a plus doux ;
Ici, c’est un brillant qui chatoie et rayonne ;


Là, c’est une étincelle, et plus loin un grain d’or ;
Cette pierre à côté n’est point taillée encor ;
Mais tout cela groupé lui fait une couronne.

DÉPART.

Adieu ma maison blanche, à l’ombre du noyer.
Lamartine.

 les longues causeries,
L’hiver, où nous rêvions de printemps, de ciel bleu,
La tête sur le marbre et les pieds dans le feu.
Lesguillon.


Voilà Paris bien loin ! j’ai vu fuir tant de villes,
Tant de bornes de pierre, et tant d’ormes ombreux,
Et de hauts peupliers, rangés en longues files
Sur le chemin poudreux.
Déjà la Loire, au fond, dans les plaines désertes,
Déroule ses replis ; et le fleuve argenté
Semble, à le voir de loin, avec ses îles vertes,
Un serpent tacheté !



Et plus rien de Paris ! partout la solitude !
J’ai donc fui la maison que j’aime, où je trouvais
Dans les moindres objets une douce habitude ;
La maison, où j’avais
Ma mère, mes amis ; leurs regards, leur sourire ;
Où j’assemblais toujours, à l’intime foyer,
Des âmes pour m’aimer, des voix pour me le dire,
Des bras pour m’appuyer !


Tous ceux que j’ai quittés que font-ils ? Oh ! sans doute,
Souvent mon nom se mêle à leurs tristes discours ;
Ils songent aux adieux, aux ennuis de la route,
Ou bien comptent les jours !
Et, lorsque vient la nuit, pensifs et l’œil humide,
Au foyer de famille ils retournent s’asseoir,
En jetant un regard sur cette place vide,
Dans le cercle du soir.



Et moi je vois toujours fuir des champs sur la rive,
Des villes, où parfois on suspend son chemin,
Où les petits enfans, faisant la voix plaintive,
Viennent tendre la main ;


Des flots que le pêcheur assouplit sous sa rame,
Des bois où le soleil a peine à se glisser,
Des villages déserts, où quelque pauvre femme
Vous regarde passer.

ÉDUCATION
de l’enfant de chœur.

Notre père des cieux, père de tout le monde,
De vos petits enfans c’est vous qui prenez soin.
Mme Amable Tastu.

Que mon ange gardien me quitte et qu’il te suive !
Paul Foucher.


Le soir parmi l’encens du chœur,
Versez, mon ange tutélaire,
Tous les parfums de votre cœur.
Hippolyte Lucas.


Quoi ! tu n’as pas prié ce matin ! mais c’est l’heure :
Dieu te donne ton pain, ton soleil, ta demeure,
Sans rien te demander que de l’aimer un peu ;
Tu pourrais bien au moins lui dire : Merci, père.

La Vierge va là-haut s’écrier en colère :
Oh ! le vilain enfant, qui n’a pas prié Dieu !


Oublier ce bon Dieu, dont tout bonheur émane !
Nos prières, vois-tu, c’est son pain, c’est sa manne :
Si l’une manque un jour, lorsqu’il les compte au ciel,
Il est sombre et chagrin, comme toi, quand ta mère,
Un matin n’emplit pas autant qu’à l’ordinaire
Ta tasse de lait et de miel.


Allons, ne pleure pas, je pardonne… sois sage…
Apporte-moi la Bible, et viens voir, chaque image :
Là, Dieu fait l’univers ; les eaux, les bois, les champs ;
Car il peut tout : d’un souffle il détruit Babylone,

Il renverse les rois, si fiers de leur beau trône,
Et punit les enfans, quand ils font les méchans.


Là, c’est Babel l’immense, et l’impie, et la vaine :
Notre-Dame à côté n’eût semblé qu’une naine ;
Là, Samson, aussi fort qu’un troupeau d’éléphans ;
Là, Moïse au berceau, qu’on fait jeter dans l’onde,
Parce que Pharaon, l’un des grands rois du monde,
N’aimait pas les petits enfans.


Là, Jésus tout meurtri sort de sa tombe noire :
Son sang coula long-temps sur son trône de gloire ;
Et les anges pleuraient, descendaient ramasser,
Chez les apôtres saints, dans les vieilles chaumières

De tous ses bons amis les pauvres, des prières,
De l’amour, pour en faire un baume et le panser.


C’est le Dieu des enfans ; il leur dit, quand ils meurent :
À vous, mes lis, mon ciel où les anges demeurent,
Car vous êtes tout blancs et tout vêtus de lin,
Car vous êtes sortis de mes cieux de délices
Depuis si peu de temps, que vos âmes novices
N’ont pas oublié le chemin !

Aime-le bien Jésus ; il te veille invisible,
Te donne le sommeil pour ta nuit si paisible,
Pour aujourd’hui la joie, et pour demain l’espoir.
Toujours il songe à toi ; quand tu sors à la brune

Tout tremblant, il t’allume et te suspend la lune,
Pour ne pas te laisser sans lumière le soir.


Mais viens vite à la messe, aujourd’hui c’est Dimanche.
Allons, enfant de chœur, va mettre l’aube blanche,
La ceinture écarlate ; et qu’on soit diligent.
Cours vêtir le camail de laine violette,
Tu vas faire sonner la petite clochette,
Tenir les burettes d’argent ;


Et puis l’enfant de chœur chantera les cantiques,
Puis il balancera les encensoirs gothiques.
Pour sentir mes parfums, entendre mes accens,
Le Seigneur est bien haut, dis-tu ; chante sans crainte ;

Rien ne se perd pour Dieu dans notre église sainte,
Pas un alleluia, pas un parfum d’encens.


Les anges du Seigneur, qui nous veillent sans cesse,
Se rangent sur l’autel, pendant qu’on dit la messe ;
Pour les porter à Dieu, comme un divin trésor,
Ils prendront, mon enfant, tes psaumes sur leurs ailes,
Et mettront ton encens, jusqu’aux moindres parcelles,
Au fond de leurs encensoirs d’or.


Allons, la cloche sonne ; il faut partir, c’est l’heure.
Dieu te donne ton pain, ton soleil, ta demeure,
Sans rien te demander que de l’aimer un peu ;
Viens, viens dans sa maison lui dire : Merci père.

La Vierge s’écrira, la Vierge qu’on révère :
Béni soit cet enfant qui s’en va prier Dieu !

LE GRAND CONVOI.[5]

Partout un corbillard emmène un trépassé.
Auguste Barbier.

Un cortège immense, formé de la cité entière, s’avançait lentement vers la tombe.
Jomard.

Et nous l’avons couché dans sa fosse à dormir.
Évariste Boulay-Paty.


Avancez, légions, déroulez-vous sans fin,
Suivez les corbillards tout noirs, ornés d’étoiles ;
Les sons de vos tambours, couverts de sombres voiles,
Semblent les voix des morts gémissant en chemin.

Que de vivans sont là qui regardent les bières,
Et qui bientôt peut-être iront aux cimetières !
Les vivans d’aujourd’hui sont les morts de demain !


Ce cercueil blanc qui passe entre l’immense garde
Porte la jeune fille. Oh mourir, quand on sent
Se lever dans son âme un jour éblouissant,
Et quand on voit du rose à tout ce qu’on regarde !
Humble et pauvre, elle avait du moins ses dix-sept ans,
Et ses rêves d’amour, uniques diamans
Que la fille du peuple ait dans une mansarde.


Quel est ce beau cercueil ? c’est un trône de mort !
Pourquoi tant de splendeur ? le maréchal y dort.

Abattre un maréchal avec une arme vile !
Lui briser son bâton étoilé dans la main !
Briser sa bonne épée au tranchant d’acier fin,
Qui lui servit de clef pour ouvrir mainte ville !


Vingt pays ont connu la voix de son canon
Qui disait, république, ou bien Napoléon !
Pour payer à l’État ses riches épaulettes,
Il donna de son sang, et ne marchanda pas :
Il faisait enlever à ses hardis soldats
Des couronnes de rois au bout des baïonnettes.


Anathème, assassin ! car tous vivans et droits
Avaient passé leur seuil, et tous sont rentrés froids,

Couchés sur des brancards !… Quoi ! toujours des infâmes,
Toujours un souffle impur qui vient souiller notre air !
Une vapeur de boue, en nos villes d’enfer,
S’exhale des ruisseaux, des égouts et des âmes !


Dis, est-il au complet le convoi long et noir ?
Non, il manque un cadavre ; il t’aurait fallu voir
Le corbillard royal qu’un dais brillant rehausse,
Un sceptre sur la bière, et ton roi s’en allant
Dans son palais de terre, et tout le sol tremblant :
Un roi fait tant de bruit en tombant dans sa fosse !


Sire, Dieu vous sauva : pour qu’il vous garde encor,
Répandez les secours sur des parens qui pleurent.
Quand d’un archange au ciel conduit les rois qui meurent,

Leurs vertus sont leur pourpre, et les dons leur trésor.
Quand on frappe là-haut en disant : Roi de France,
Le Seigneur n’ouvre pas toujours ; dans sa balance,
Un bienfait pèse plus qu’une couronne d’or.

6 août 1835.

ADIEUX À VENISE.

romance.

Et les flots prisonniers
S’endorment sur le bord de ses blancs escaliers.
Alfred de Musset.

Moi j’erre comme le nuage.
Édouard d’Anglemont.


Adieu, la magique ville,
Caprice de l’univers ;
Venise, flotte immobile,
Venise, perle des mers !
Adieu, tes flots qui soupirent,
Tes chants amoureux du soir,
Et tes palais qui s’admirent
Dans un onduleux miroir !



Ô toi, madone céleste,
Que nous prions à genoux,
Garde-moi pure et modeste
Ma Nice aux regards si doux.
Un mot, un désir de plaire,
Flétrirait son cœur brûlant,
Comme une tache légère
Peut salir ton voile blanc.


La nuit, sur l’onde assouplie,
Nos sermens, faits par milliers,
Unissaient leur harmonie
Aux chansons des gondoliers ;
Et j’aimais le bateau frêle
Plus qu’un palais éclatant,
Quand Venise calme et belle
Dormait sur son lit flottant.



Adieu donc, ma ville reine,
Ville au pavé de cristal ;
Déjà la voile m’entraîne
Loin de mon pays natal.
Venise, au loin, dans l’espace,
Me semble à peine un vaisseau,
Puis un cygne, et puis s’efface
En plongeant son front dans l’eau.

LE PORTRAIT.

à madame palmyre ségalas.

Les portraits sont des traductions.
Frédéric Fayot.

Le peintre ingénieux nous fait comprendre les pensées qui les animent.
Delestre.
à madame palmyre ségalas.

Ô mon gracieux peintre, oh ! mille fois merci !
Mais quel portrait fidèle ! oui, c’est bien moi ; voici
Mon front mes yeux, mes traits : de ta riche palette
Je sors toute vivante. Ô sœur ! je doute encor

Qu’un portrait soit tracé dans ce beau cadre d’or ;
Je n’y vois qu’un miroir, et c’est moi qu’il reflète.


Sous mon front transparent, ton art tout merveilleux
Fait voir mes rêves, peint mon âme avec mes yeux.
Qui t’apprit ce secret ? Mon peintre poétique,
Peintre de la pensée, oh ! sais-tu que c’est beau
De tenir ainsi l’âme au bout de ton pinceau,
Et puis de la poser sur ta toile magique !


C’est prodige ! es-tu fée ? oui, je l’ai bien vu, moi ;
Ta baguette enchantée est ton pinceau ; pour toi,
Les sylphes, les follets, qui te font un cortége,
Rassemblent des couleurs ; prennent ton or si pur
Dans le soleil, le bleu dans ce haut ciel d’azur,
L’incarnat dans la rose, et le blanc dans la neige.



Qu’il est grand d’imiter la forme et la couleur
Des visages moulés par la main du Seigneur ;
De placer comme lui, dans l’œil des étincelles,
Sur les dents de l’émail, dans les veines du sang ;
Et d’oser copier ainsi le Tout-Puissant,
Votre grand maître à tous qui vous fait vos modèles !

DANSE ET JOIE.

Nous étions cette nuit dans la salle des fêtes.
Ossian.

Cueille des roses passagères.
Tissot.

Joyeux, ils ont dansé.
Auguste Chaho.

Accourez, jeunes miss, avec vos cavaliers.
Alfred Dessessarts.

Que le bal est joyeux ! vois ces nombreux quadrilles ;
Le plaisir fait briller ces yeux de jeunes filles,
Anime tous les pas, rit dans toutes les fleurs ;
Frais papillon, partout il vole et se repose :

Il pare la danseuse à la peau blanche et rose
De ses plus riantes couleurs.


J’aime ce bal, avec son lustre aux mille flammes,
Ses bijoux, ses parfums, ses folles jeunes femmes
Qui froissent leurs tissus dans un rapide élan :
Leur bonheur enfantin, aussi frivole qu’elles,
Est dans les airs d’un bal, dans leurs gazes nouvelles,
Dans les nuances d’un ruban.


Les vois-tu balancer leurs plumes, leurs dentelles,
Sourire à ce miroir qui leur dit : Belles, belles,
Et, dans un cercle étroit, où la foule survient,
Former les pas divers de leur danse rapide,
Pesant sur le parquet, comme un oiseau timide
Sur la branche qui le soutient.



Mais l’orchestre se tait, et les jeunes coquettes
Retournent lentement s’asseoir sur les banquettes
Aux effilés dorés, au velours incarnat.
Pour qu’il souffle un peu d’air sur leur col qui palpite,
Dans leur main l’éventail se déploie et s’agite,
Comme une aile qui s’ouvre et bat.


Le salon resplendit de saphirs, de topazes ;
Et cent femmes lui font un vêtement de gazes.
Tout est satin, rubans, guirlandes et joyaux ;
Partout, sur des fronts blancs et moites on admire
Ces bouquets toujours frais, qui jamais n’ont vu luire
D’autres soleils que des flambeaux.


Quelle nuit enchantée ! oh ! ce bal a des charmes !
Malgré ses longs ennuis, ses chagrins et ses larmes,

La vie a des instans qui sont bien doux encor !
Le temps, pour consoler l’homme qui souffre et pleure,
Au sable qui s’écoule et nous mesure l’heure,
Mêle parfois quelques grains d’or !


Viens, l’huile brûle encor dans les lampes d’albâtre ;
Dansons ! mais un rayon à la lueur blanchâtre
Glisse sur le parquet, sur les rideaux soyeux ;
Tout effrayés du jour les quadrilles finissent,
Et dans tous les flambeaux les lumières pâlissent
Comme les étoiles aux cieux.


Il faut partir ; voici que les pâles danseuses
Jettent sur leurs cols nus les écharpes moelleuses ;
Puis, lançant tristement un coup d’œil aux miroirs,
Posent les schalls épais sur leurs fraîches parures,

Ou les grands mantelets tout bordés de fourrures,
Avec les boas longs et noirs.


Nous allons le quitter ce bal, mais son image
Va nous suivre du moins vague et dans un nuage :
Ces femmes aux pieds fins, ces danseurs passagers,
Pendant notre sommeil plein de brillans mensonges,
Riant et voltigeant, vont passer dans nos songes
Comme des fantômes légers.

LES OISEAUX DE PASSAGE.

Je veux changer mes pensers en oiseaux.
Ronsard.

Ouvrez vos ailes tremblantes aux brises du ciel.
G. Sand.

 Et l’oiseau ranimé
Vole en chantant braver d’autres orages.
Béranger.

Il est temps de partir, mes oiseaux passagers,
Assemblez-vous, et puis adieu, groupes légers.
La branche où l’on se pose,
Le nid de mousse à l’ombre, où l’on n’a rien à voir,

Il faut les fuir : partez, vous au plumage noir,
Vous au plumage rose.


C’est un large océan que vous allez passer !
Quand un groupe en chantant cherche à le traverser,
Parfois le vent l’emporte.
Là, jamais de repos, point d’abris, d’arbres verts ;
Oh ! pour ne pas tomber, quand on franchit ces mers,
Il faut une aile forte !


Qu’importe : allez ! l’espace est si grand, si vermeil ;
Il a des ouragans, mais il a du soleil.
Les nuages, la grêle,
Certes sont effrayans, mais l’arc-en-ciel est beau :
Allons, quittez le nid ; que sert-il d’être oiseau,
Quand on ferme son aile ?



Si l’orage vous prend, si l’on tend des lacets,
Eh bien ! dites : « L’oiseau doit s’attendre aux filets,
Doit s’attendre aux orages :
D’ailleurs tout peut passer, ouragan, tourbillon ;
Il reparaîtra bien là-haut quelque rayon
Pour sécher nos plumages. »


Par malheur, vous verrez cent rivaux dans les cieux
Qui perlent mieux leur chant, qui l’assouplissent mieux,
S’élèvent davantage :
L’aigle que rien n’abat, qui lutte avec le vent ;
Et puis le rossignol, qui semble un luth vivant
Caché dans le feuillage ;


Puis des oiseaux de fée aux colliers chatoyans,
Au plumage semé de mille yeux de brillans,

Aux accords séraphiques ;
D’étincelans rivaux, sortis des cages d’or,
Qui ne s’ouvrent jamais que pour donner l’essor
À des oiseaux magiques !


Et les mille chanteurs, âmes de nos buissons,
Charmeront les passans, en jetant leurs chansons,
En montrant leurs aigrettes ;
Si vos voix parcouraient des claviers aussi doux,
Vous seriez écoutés : hélas ! que n’êtes-vous
Rossignols ou fauvettes !


Mais adieu, vous partez ; et vous passez dans l’air
Plus vite qu’un nuage ou qu’un rayon d’éclair.
Bientôt, mes oiseaux frêles,
Vous aurez disparu de nos monts, de nos champs,

Sans que l’air garde rien des notes de vos chants
Et du bruit de vos ailes !

TABLE.

TABLE.

Séparateur
3.
65.
 115
 125
 235
 259
 263


fin de la table.

  1. Lorsque ces vers furent composés, les petits vagabonds étaient encore condamnés à la prison : une loi toute récente vient d’adopter d’autres mesures.
  2. Une petite fille qui venait de mourir du choléra a fourni le sujet de ces vers.
  3. Ces vers servent d’introduction à la Vieille Pologne, album historique et poétique publié par M. Charles Forster, Polonais.
  4. La tête de mort qui a inspiré ces vers est exposée dans un parc, au milieu des ruines du château royal du Vivier, appartenant à M. Parquin.
  5. Ce convoi est celui des victimes de Fieschi.