Les Ombres (Verhaeren)

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Les Blés mouvantsGeorges Crès et Cie (p. 51-53).
LES OMBRES


 
Trouant de tes rayons sans nombre
Le feuillage léger,
Soleil,
Tu promènes, comme un berger,
Le tranquille troupeau des ombres
Dans les jardins et les vergers.

Dès le matin, par bandes,
Sitôt que le ciel est vermeil,

Elles s’étendent
Au loin, là-bas, jusques à l’horizon ;
Leur masse lente et leurs dessin mobile
Ornent les toits couverts de tuiles
Et se penchent sur les pignons
Des hameaux recueillis et des humbles maisons.
Les angelus des petites chapelles
D’une voix grêle les rappellent ;
Midi les serre en rond
Autour des troncs.

En petits tas, elles prolongent leur sieste
Jusqu’au moment où s’animent les champs :
L’heure sonnant alors joyeuse et preste
Les disperse sur le penchant
Des talus verts et des collines ;
Déjà les brouillards fins tissent leurs mousselines
Fines,
Mais les ombres se ravivent encor
Et s’allongent et s’étalent dans le décor

Et le faste sanglant des fleurs et des fruits rouges,
Et ne rentrent qu’au soir ou plus ni vent ni bruit
Ne bougent,
Toutes ensemble, au bercail de la nuit.